Pour que l'histoire ne se répète pas...

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3 mai 1996

En brisant la révolution prolétarienne, le Front populaire avait ouvert la route à Franco. En juillet 1939, Trotsky écrivait : "Pour les ouvriers et paysans d'Espagne, la défaite n'est pas seulement un épisode militaire, elle constitue une terrible tragédie historique. Elle signifie la destruction de leurs organisations, de leur idéal historique, de leurs syndicats, de leur bonheur, des espoirs qu'ils ont nourris pendant des décennies et même des siècles. Un être humain doté de raison peut-il imaginer que cette classe puisse en l'espace d'un, deux ou trois ans, bâtir de nouvelles organisations, un nouvel esprit militant, et ainsi renverser Franco ? Je ne le crois pas. Aujourd'hui l'Espagne est plus loin de la révolution que tout autre pays."

Et la tragédie du prolétariat espagnol, c'était aussi la tragédie du prolétariat international tout entier. La victoire de la révolution prolétarienne en Espagne aurait eu des conséquences incalculables. Elle aurait sans nul doute changé, en ces années 30, le rapport des forces en Europe. Elle aurait pu galvaniser le prolétariat européen tout entier dans sa lutte contre le fascisme. La victoire de la révolution prolétarienne en Espagne était la dernière chance d'épargner au monde la deuxième guerre mondiale.

La vague révolutionnaire qui secoua l'Espagne s'étendit sur une période très longue de sept années, de 1930 à 1937. C'est dire la puissance de la montée révolutionnaire prolétarienne, qui s'est relevée à plusieurs reprises de défaites partielles et que la réaction eut tant de mal à briser.

Mais c'est dire aussi à quel point a manqué un parti capable de mener fermement une politique juste.

La politique des différentes organisations de la classe ouvrière à chaque étape constitue encore aujourd'hui une leçon tragique qu'il faut connaître et comprendre.

Car ce sont toujours les mêmes vieilles recettes qui ont failli que les partis réformistes resservent aux travailleurs. La politique d'alliance électorale des partis ouvriers et des partis bourgeois "de gauche" finit immanquablement par favoriser la droite elle-même et l'extrême-droite. C'est toujours une politique funeste car elle démoralise la classe ouvrière. Mais, dans des périodes de luttes de classes aiguës, elle est carrément criminelle car elle mène à l'écrasement de la classe ouvrière.

Aujourd'hui encore, les sociaux-démocrates et les dirigeants des partis communistes mentent effrontément sur ce qui s'est passé en Espagne et dégagent toute responsabilité pour la victoire de Franco. Les sociaux-démocrates dénoncent les crimes des staliniens en cachant qu'ils en furent les complices conscients.

Les dirigeants du Parti Communiste continuent à prétendre aujourd'hui que la seule attitude réaliste en Espagne en 1936 c'était de défendre "la république". Mais quarante ans après, comme les sociaux-démocrates, ils se sont précipités dans les bras de Juan Carlos, acceptant la monarchie et son drapeau, sans plus se soucier de cette "république" au nom de laquelle ils étranglèrent la révolution espagnole.

Mais les leçons à tirer ne concernent pas que les réformistes avoués.

Les dirigeants anarchistes trahirent eux aussi les travailleurs qui leur faisaient confiance et leurs propres militants en acceptant de collaborer avec la réaction bourgeoise. Trotsky résuma ainsi leur faillite : "L'anarchisme, qui ne voulait être qu'antipolitique, s'est trouvé en fait anti-révolutionnaire et, dans les moments les plus critiques, contre-révolutionnaire".

Quant au POUM, Trotsky estimait qu'"une énorme responsabilité dans la tragédie espagnole" reposait sur lui. "Par leur politique d'adaptation à toutes les formes de réformisme, ils (les dirigeants du POUM) se sont faits les meilleurs auxiliaires des traîtres anarchistes, communistes et socialistes.(...) Le POUM a toujours recherché la ligne de moindre résistance, il a temporisé, biaisé, joué à cache cache avec la révolution." Et il ajoutait : "Les dirigeants du POUM parlaient de façon très éloquente des avantages de la révolution socialiste sur la révolution bourgeoise, mais ils n'avaient rien fait de sérieux pour préparer cette révolution socialiste, parce que cette préparation ne pouvait passer que par une mobilisation impitoyable, audacieuse, implacable, des ouvriers anarchistes, socialistes, communistes contre leurs dirigeants traîtres. Il ne fallait pas avoir peur d'être séparé de ces dirigeants-là, de devenir "une secte" les premiers temps, même si on devait être persécuté par tout le monde ; il fallait lancer des mots d'ordre justes et clairs, prédire l'avenir, et, en prenant appui sur les événements, discréditer les dirigeants officiels et les chasser de leurs postes."

Mais les dirigeants du POUM n'avaient qu'une peur, c'était d'être accusés de sectarisme en disant les vérités politiques qu'ils auraient dû dire, d'être accusés de rompre l'unité en refusant de couvrir les capitulations.

Mais quelle unité ? L'unité et la solidarité avec les travailleurs en lutte, ou l'unité et la solidarité avec des partis qui ne voulaient pas eux-mêmes rompre l'unité avec les représentants de la bourgeoisie ?

Il s'agit là d'un choix de classe qui fait toute la différence entre la politique d'un parti ouvrier révolutionnaire et celle d'une organisation opportuniste. Le POUM se limita à être le parti le plus à gauche du Front populaire, à gauche de la gauche en quelque sorte.

Mais ce dont la classe ouvrière a besoin pour vaincre, c'est d'un parti qui accepte de se situer entièrement sur son terrain de classe, sans compromission.

Et pour que l'histoire ne se répète pas, cet instrument qui a si dramatiquement fait défaut au prolétariat espagnol, c'est la tâche de tous les révolutionnaires, de tous les travailleurs conscients de le construire, en se pénétrant des leçons des échecs passés pour se préparer aux luttes à venir.