Annexe - Une correspondance LO-LCR

septembre 2005

Nous publions ci-dessous l'échange de correspondance qui a eu lieu au mois de juillet dernier entre la Ligue Communiste Révolutionnaire et Lutte Ouvrière.

De la LCR à Arlette Laguiller, le 5 juillet 2005

Chère Arlette,

Comme tu le sais, nous organisons chaque année une Université d'été. Elle se tiendra du 24 au 28 août à Port-Leucate.

Nous vous renouvelons donc notre invitation à y participer. Durant ces travaux, nous organiserons un débat sur les perspectives de la gauche anticapitaliste en France après la victoire du "Non". Nous souhaiterions que toi ou un(e) autre camarade de Lutte ouvrière puisse y participer. Nous avons aussi invité, pour ce débat, Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet et Francine Bavay.

En espérant une réponse positive, reçois, chère camarade, nos salutations fraternelles.

Alain Krivine

De Lutte Ouvrière à la LCR, le 28 juillet 2005

Chers camarades,

Nous avons, ainsi qu'Arlette Laguiller, bien reçu votre invitation à débattre à votre université d'été avec, en plus de vous-mêmes, Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet et Francine Bavay, "sur les perspectives de la gauche anticapitaliste en France après la victoire du Non".

Tout d'abord, mais ce ne sera pas la principale raison de notre refus, nous ne voulons pas imiter ceux des grands partis qui, sous prétexte de telles universités estivales totalement creuses, organisent des festivals politico-médiatiques simplement pour faire parler d'eux, ce qui est autant coûteux en énergie qu'en investissement financier et est, par rapport à l'intérêt politique, totalement inutile.

Mais, la raison principale de notre refus, en particulier, d'un tel débat, c'est que nous ne voyons pas ce que nous pourrions discuter sur ce sujet avec les invités que vous citez. Ils ne sont anticapitalistes que dans vos propres écrits. Ils sont anti-libéraux, disent-ils ! Mais Chirac lui-même a pu se dire opposé à l'"ultra-libéralisme" tellement il sait que cela ne l'engage à rien.

Vous considérerez peut-être notre attitude comme du sectarisme, mais pour nous, c'est de l'hygiène politique car nous refusons de cautionner, tant soit peu, auprès de ceux qui nous font confiance, des partis qui ont, pendant des années depuis 1981, géré au mieux les affaires de la bourgeoisie française, démoralisé les classes populaires et mené une politique anti-ouvrière, plus hypocrite que celle de la droite mais qui n'eut rien à lui envier, et qui les a menés à leur échec de 2002 pour, finalement, en venir à proposer à leurs électeurs de plébisciter un homme de droite tel que Chirac comme rempart possible contre Le Pen. Ce qui d'ailleurs était rien moins que prouvé car, tout comme la gauche a capitulé devant Chirac, ce dernier peut faire le lit de Le Pen ou de l'un de ses semblables. Mais cela a permis à la gauche plurielle, en jouant sur la crainte de Le Pen, d'éviter d'avoir à discuter des raisons de son échec, donc de faire quoi que ce soit qui pourrait ressembler à une autocritique. Et aujourd'hui, les masses populaires payent lourdement le prix d'avoir offert à Chirac le bénéfice d'avoir été élu par 82% des voix, dont celles de l'électorat de gauche.

Ce que nous reprochons aujourd'hui au Parti communiste, trop français, comme à ceux qui, paraît-il, représenteraient l'aile gauche du Parti socialiste, c'est de n'avoir fait, depuis 2002, aucune critique de la politique des gouvernements de la "gauche plurielle". Il y a bien quelques allusions au fait de ne pas renouveler celle-ci mais aucune analyse de la politique du gouvernement Jospin ni des raisons de la défaite de ce dernier, donc de la leur car ils ont tout cautionné par leur participation à ce gouvernement.

Aussi bien Marie-George Buffet que Mélenchon pour la "gauche" du PS, sont quasi muets sur ce sujet.

Ce qui se dit au sein du PCF comme du PS, c'est que l'échec de Jospin est dû à l'extrême gauche, c'est-à-dire à vous et à nous, mais pas du tout à la politique menée durant cinq ans par son gouvernement, pas même au fait que PCF et Verts ont présenté des candidats contre Jospin au 1er tour, pour des raisons bassement politiciennes, alors qu'ils étaient associés à son gouvernement. En présentant Robert Hue et Noël Mamère, qui ont obtenu au total plus de 2 400000 suffrages, ce sont eux, et pas nous, qui ont fait perdre Jospin. S'ils s'étaient ralliés à Jospin comme candidat commun, puisqu'ils l'avaient déjà choisi comme chef de gouvernement, Jospin aurait obtenu, malgré notre présence, plus de 6 millions de voix au premier tour, c'est-à-dire bien plus que les 4 800000 de Le Pen.

Discuter avec ces gens-là contribue à faire croire qu'ils sont porteurs d'un quelconque "anticapitalisme", ce qui revient à tromper l'électorat de gauche et, en particulier, les travailleurs et les salariés que cela peut détourner des luttes.

Notre refus de discuter avec ceux qui ont amené à la situation actuelle où la droite a aujourd'hui les mains libres, c'est bien parce que c'est la gauche plurielle qui a fait plébisciter Chirac après avoir lié les mains des travailleurs et qui a été à l'origine de presque toutes les mesures dont la droite ne fait que renforcer aujourd'hui le caractère réactionnaire. Le "contrat nouvelle embauche" n'a rien à envier aux "contrats jeunes" sauf que ces derniers prévoyaient l'insécurité au terme de cinq ans au lieu de deux.

Le blocage des salaires, c'est la gauche, le budget de l'État au service des entreprises sous prétexte de créer des emplois, la gauche en a eu largement sa part en affirmant que l'emploi passe par la santé des entreprises. Les privatisations, la gauche en avait fait plus que tous les gouvernements de droite précédents. Reconnaissons qu'il y a eu quelques gestes positifs : abolition de la peine de mort, la CMU, mais prise en grande partie sur le budget de la Sécurité sociale et pas sur celui de l'État. Il faut remarquer que tout cela ne coûtait rien au patronat et ne renforçait pas du tout la situation sociale et politique du monde du travail. Évidemment, il y a eu le grand œuvre du gouvernement Jospin, c'est-à-dire les 35 heures, mais qui ont été assorties de tellement d'avantages favorables au patronat, avec les Smic à taux différents -cinq-, la flexibilité des horaires, la comptabilité des heures supplémentaires sur l'année, qu'au total leur bilan n'a pas du tout été favorable à un très grand nombre de salariés du bas de l'échelle et que nous en subissons encore les effets nocifs.

Tout cela a entraîné une démoralisation des travailleurs, floués par la gauche, ce qui leur a ôté tout espoir de pouvoir réagir contre les attaques patronales.

Cependant, puisque vous nous invitez à discuter de perspectives, nous souhaitons vous donner notre avis sur la question que vous posez et les réponses que vous souhaitez lui donner. Prenez cela comme une contribution, et non comme une simple critique, qui serait hostile de surcroît.

En fait, nous ne comprenons pas où votre démarche actuelle peut vous conduire.

Il nous semble évident que la gauche, que vous appelez abusivement "anticapitaliste" pour justifier vos rapports avec elle -car ni le PCF, ni a fortiori le PS qu'il soit du "oui" ou du "non", ne se disent tels-, n'aspire qu'à revenir au pouvoir, si possible en 2007. Cela pour gérer de nouveau, loyalement, les affaires de la bourgeoisie car aucun gouvernement ne peut être autre chose, à l'exception d'un gouvernement issu d'une révolution, ce qui ni le PS ni le PCF, ni les "nouvelles forces" comme Attac n'envisagent autrement qu'avec crainte. Il est en effet incontestable qu'aucun gouvernement quel qu'il soit ne peut gouverner contre la grande bourgeoisie, la classe économiquement dominante et qui peut du jour au lendemain au minimum faire tomber n'importe quel ministère et, au pire, ruiner l'économie de tout un pays, si un tel gouvernement n'est pas appuyé, ou poussé, par une lutte exceptionnelle et historique de la classe ouvrière.

En dehors d'une telle mobilisation, des révolutionnaires au gouvernement, et a fortiori des réformistes, ne peuvent que trahir.

Pour revenir, électoralement, au pouvoir, la "gauche" réformiste, d'ailleurs si peu, ne peut l'espérer qu'en étant unifiée, quel que soit le nom que cette coalition se donne, autour d'un même candidat à la présidentielle et unie dans toutes les circonscriptions électorales des législatives.

Le PCF annonce déjà cette couleur par la voix de Marie-George Buffet. À tel point qu'il semblerait même aventureux pour le PCF, les Verts ou des dissidents socialistes de présenter un candidat même au premier tour car vu l'expérience de 2002, le spectre de Le Pen, s'il est présent, va peser dès le premier tour et que la gauche hésitera à prendre le risque de se voir dépasser électoralement et écartée du deuxième tour par l'extrême droite.

Ces "alliés", PCF et "gauche de la gauche", vous abandonneront dès que la direction du Parti socialiste posera ses conditions à une éventuelle alliance, c'est-à-dire en offrant quelques circonscriptions aux uns et aux autres, voire quelques promesses de fauteuils de ministres assortis de quelques strapontins à répartir entre "gauche du non", PCF ou Verts. Il est peu vraisemblable que dans ce panier de crabes il y ait la moindre place pour vous, ce que d'ailleurs, pensons-nous, vous ne souhaitez heureusement pas vraiment. Mais peut-être voyez-vous plus loin avec des candidatures uniques dans quelques circonscriptions ou des listes communes aux municipales ? Mais cet objectif vous poserait quand même le problème de soutenir un candidat commun de la gauche au premier tour de la présidentielle. Problème qui se posera aussi au PCF.

Vous dites que vous seriez prêts à participer à un gouvernement qui prendrait certaines mesures sociales limitées mais positives, telles que l'augmentation des salaires, l'interdiction des licenciements, une véritable répartition égalitaire des richesses ainsi qu'un contrôle des salariés sur ces richesses. Nous supposons qu'il s'agit évidemment, du moins nous le croyons, d'une attitude pédagogique, ou propagandiste, pour mettre vos partenaires au pied du mur devant leurs militants, leurs sympathisants et leurs électeurs.

Peut-être aussi pour vous donner un moyen de vous dégager lorsque vos partenaires d'aujourd'hui ne voudraient pas reprendre ce programme ou encore pour sauver la face s'ils vous abandonnent purement et simplement. Ils l'ont bien fait dans le passé après la campagne de "forums" initiée en 1995 par le PCF pour "entendre les voix du peuple", auxquels étaient invités le Parti socialiste, le Mouvement des citoyens de Chevènement, les Radicaux de Jean-Michel Baylet, les écologistes de Dominique Voynet et vous-mêmes. Campagne qui s'est terminée en apothéose par un "forum géant", début avril 1996, au Palais Omnisports de Bercy, devant 9 à 10000 personnes. Les six leaders étaient réunis à la tribune, dont Alain Krivine pour la LCR, et se sont, pour le final, tenus par le bras ou par la main, et se sont même, pour certains, fait la bise devant les photographes. Cinq compères ont fait, par la suite, cause commune mais Alain Krivine et la LCR sont restés au bord de la route... Et même dans la boue de la fête de l'Huma, si notre mémoire ne flanche pas, lors d'un rendez-vous ignoré par les dirigeants du PCF.

C'est pour tout cela que nous ne comprenons pas où votre démarche actuelle peut vous mener.

Dès qu'un accord électoral pointera le bout de l'oreille entre le PS du "oui" et du "non", PCF, Verts et autres, il nous paraît plus qu'évident que vos alliés d'aujourd'hui se précipiteront à la mangeoire pour tenter de renouer avec le pouvoir, lequel ne leur servira qu'à mener à nouveau la politique de l'ex-gouvernement Jospin. Cela consistera à ne pas supprimer les mesures prises actuellement par la droite et à continuer à aggraver la situation des classes laborieuses, cela si par extraordinaire ils revenaient au pouvoir. Dans ce cas, nous n'imaginons pas d'une part qu'ils vous offriraient la moindre chance de participer et n'imaginons pas non plus que vous pourriez accepter, malgré votre vœu de paraître unitaires aux yeux de ceux qui approuvent votre démarche unitaire actuelle avec Buffet, Mélenchon et consorts. "Tous unis", c'est bien entendu le vœu de tous ceux qui veulent que la gauche revienne aux affaires et qui ont des illusions sur ce qu'elle est vraiment.

Mais pourrez-vous être, jusqu'au bout, aussi unitaires que vous l'êtes actuellement pour vous placer dans ce courant et dans les illusions qu'il véhicule ?

À un moment ou à un autre, s'ils ne se débarrassent pas de vous, vous devrez bien prendre vous-mêmes l'initiative de la rupture. Évidemment, vous n'aurez pas à chercher beaucoup de raisons. Mais ce qui risque quand même de vous faire apparaître comme ceux qui ont brisé l'unité.

En attendant, vous y gagnez, pensez-vous peut-être, d'être considérés par des militants et sympathisants du PCF et, peut-être aussi, par une partie de ceux du PS, comme unitaires, comme partisans de la gauche, et que cela vous vaut un certain coefficient de sympathie. Mais si vous vous contentez de cela, si cela est votre seul but, il y a un moment où vous ne serez guère plus avancés.

D'autant que le PCF, par la voix de Marie-George Buffet, a déjà affirmé ce risque lors de la rencontre "au sommet" que vous avez eue avec ses dirigeants. Marie-George Buffet n'a pas caché que le PCF souhaitait élaborer un programme politique avec toutes les forces politiques et sociales intéressées, c'est-à-dire, en clair, aussi bien avec les socialistes du "non" qu'avec ceux du "oui".

Peut-être ferez-vous l'impasse sur cette volonté du PCF et considérerez-vous que Paris ou l'Assemblée nationale valent bien de s'allier aux partisans du "oui", mais que ferez-vous alors des conditions que vous proposez au contenu du programme de gouvernement telles que celles que nous citions au début sur l'interdiction des licenciements, l'augmentation générale des salaires, une répartition égalitaire des richesses et un contrôle des salariés sur ces richesses ?

Nous ne voyons ni Jospin, ni Fabius, ni Hollande, ni quelqu'autre leader présidentiable du PS, reprendre même l'une quelconque de ces revendications. Vous serez donc amenés là encore à rompre avec la politique que vous menez maintenant. Et nous nous demandons à quoi elle aura servi. Sauf, malheureusement peut-être, à faire croire que les gens avec lesquels vous discutez, de Buffet à Mélenchon, en passant par quelques autres, seraient capables de mener une telle politique, d'imposer une telle politique à des alliés socialistes ou à faire croire que les dirigeants du PS accepteraient de venir au pouvoir sur la base d'un tel programme. Toute l'histoire montre pourtant qu'ils préféreraient rester dans l'opposition plutôt que de l'accepter...

C'est pourquoi, pour notre part, nous ne voyons pas l'intérêt, pour ceux qui pourraient nous faire confiance, de nous montrer sur les mêmes tribunes que ces gens-là ou d'engager une discussion qui ne mènerait à rien car nous sommes vraiment sur des planètes différentes.

Bien sûr, ils sont, étant dans l'opposition, tout à fait capables de s'associer à certaines luttes et, sur ce terrain-là, nous ne récuserons pas leur présence. Mais préparer un programme commun, ensemble, qu'il soit baptisé "anti-libéral" ou pas, nous pensons que c'est une erreur.

Cela dit, chers camarades, même si nous ne nous retrouvons pas à votre université d'été, nous aurons d'autres occasions de nous retrouver, ne serait-ce que dans les luttes qui, nous l'espérons, vont marquer l'année qui vient !

Fraternellement,

Pour Lutte Ouvrière, Georges KALDY