Nestlé, une multinationale en eaux troubles

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juillet-août 2025

Depuis 2024, plusieurs reportages, suivis d’une commission d’enquête sénatoriale, ont révélé comment Nestlé a eu recours durant des années à des traitements interdits pour faire face à des problèmes de contamination de ses eaux en bouteille. Il a de plus bénéficié de nombreuses complicités jusqu’au plus haut niveau de l’État. Mais cette escroquerie, portée par une « stratégie délibérée de dissimulation », n’est que le dernier en date des scandales qui émaillent depuis des décennies l’histoire de cette multinationale tentaculaire de l’industrie agroalimentaire.

La « pieuvre de Vevey »

Nestlé, dont le siège mondial est à Vevey, en Suisse, dispose de 337 usines, réparties dans 75 pays et employant 277 00 travailleurs, sans compter tous ceux dont le groupe exploite le travail pour la fourniture de ses matières premières, agricoles notamment. Nestlé dispose d’une galaxie de près de 2 000 produits (boissons, produits laitiers, biscuits, glaces, chocolats, alimentation animale, etc.), de centaines de marques parmi les plus connues et vendues sur l’ensemble des continents. Elle est notamment le leader pour les ventes de café soluble, 3 000 tasses de Nescafé étant par exemple consommées chaque seconde dans le monde, et des eaux minérales et de sources commercialisées en Europe, en Amérique et en Asie. Quoi d’autre bien souvent que des produits Nestlé dans les rayons des grandes surfaces ? L’alimentation d’une fraction considérable de l’humanité dépend de Nestlé et des quelques groupes, tels Unilever ou Danone, qui exercent une domination sans partage et prélèvent ainsi leur dîme quotidiennement.

Depuis la fin des années 1970, Nestlé s’est également lancé dans la recherche et le développement de produits pharmaceutiques et cosmétiques. Alcon Laboratories est le numéro un mondial des produits d’ophtalmologie. Un pacte d’actionnariat lie par ailleurs Nestlé depuis 1974 au groupe L’Oréal : 49 % du capital de la holding Gesparal fut longtemps dans ses mains, contre 51 % à la famille Bettencourt. Et c’est dans ce cadre que la société Galderma, spécialisée avant tout dans la production de produits dermatologiques, avait été créée en 1989 sous forme de joint-venture. Des liens ont également été tissés au cours des années 1960 avec Exxon, le numéro un mondial des produits pétroliers, pour la recherche et la fabrication de protéines à partir du pétrole.

Avec un chiffre d’affaires de près de 100 milliards d’euros, supérieur au budget de la Confédération helvétique, dont 3 % seulement réalisés en Suisse, Nestlé est le numéro un mondial de l’agroalimentaire. C’est par ailleurs une entreprise des plus rentables, ayant dégagé ces six dernières années 77,68 milliards d’euros de bénéfices. Quant à ses actionnaires, grâce à un dividende qui augmente chaque année depuis près de trente ans, ils ont empoché la bagatelle de 192 milliards d’euros entre 2010 et aujourd’hui.

Autant dire que ce groupe dispose d’un poids financier et politique qui lui permet d’imposer ses produits, ses prix, ses méthodes de production à l’échelle même de la planète. Nestlé est emblématique en effet de la façon dont les plus grands groupes capitalistes ont mis la planète en coupe réglée, et en l’occurrence l’alimentation humaine, avec l’appui des États et des tribunaux. Certains évoquent à leur propos les « Big Food » par analogie avec la concentration et le pouvoir des « Big Pharma » dans le secteur pharmaceutique.

Henri Nestlé, ou comment transformer la farine en or

La fin du 19e siècle vit l’essor des premières industries dans le domaine de l’agroalimentaire, ses usines d’abattage, dénoncées par Upton Sinclair dans son roman La Jungle (1906), ses conserveries, ses bateaux-usines, ses laiteries, ses biscuiteries. Dans un monde que les grandes puissances impérialistes s’étaient partagé, les ressources agricoles furent pillées pour alimenter ces nouvelles industries. Cet essor, permettant un changement d’échelle considérable de la production, fut accompagné et accéléré par celui des industries chimiques et la découverte de plusieurs procédés novateurs de conservation. C’est à cette période qu’émergent des groupes dont les noms perdurent jusqu’à ce jour, les Unilever, Maggi, Liebig, Heinz, Kellogg’s, Lesieur et donc Nestlé.

Deux entreprises sont à l’origine de ce dernier. D’un côté, l’Anglo-Swiss Condensed Milk Co. en 1866, et sa première usine de lait condensé en 1866. De l’autre, celle d’Henri Nestlé qui, après avoir fait commerce de moutarde, de graines et de lampes à pétrole, et créé une fabrique d’engrais et de gaz liquide, avait développé l’année suivante une farine lactée présentée comme quasi miraculeuse pour la santé. Elles fusionneront en 1905 sous le nom Nestlé & Anglo-Swiss Condensed. À l’enjeu de la conservation de longue durée s’était ajouté, dans une période de très forte mortalité infantile, celui de fournir un produit de substitution destiné aux nourrissons. Dès 1873, 500 000 boîtes de farine lactée étaient écoulées depuis les usines du groupe en Grande-Bretagne, non seulement vers les principaux pays d’Europe, mais en Amérique, en Australie, en Argentine, au Mexique et aux Indes néerlandaises. L’étroitesse du marché suisse imposait une quête mondiale de débouchés commerciaux en même temps qu’elle assurait au groupe une relative protection dans un contexte de montée des nationalismes et du protectionnisme.

Les alternatives à l’allaitement étaient alors quasi inexistantes. Il était possible de recourir à un lait de provenance animale, mais le risque de contamination bactérienne restait grand, notamment dans les villes et les quartiers ouvriers où il était acheminé dans des conditions d’hygiène mal contrôlées. L’usage des nourrices restait dominant. Quant aux premières recherches sur la mise au point d’un lait concentré sucré lors de la guerre de Sécession, que Henri Nestlé n’avait pas manqué d’observer, elles étaient avant tout destinées à nourrir les soldats.

Avec son nom et le symbole du nid (Nestle signifie « petit nid » en allemand), le fondateur de la dynastie Nestlé se vantait de fournir un produit de qualité constante et issu d’une rigoureuse recherche scientifique pour les nouveau-nés.

Mais si la farine lactée était une source inépuisable de profits, elle était loin de faire l’unanimité parmi les pédiatres et les nutritionnistes. Ainsi, une étude parue dans la revue médicale The Lancet en 1905 dénonça les conséquences néfastes des laits artificiels dont ceux de Nestlé, leur utilisation étant qualifiée d’« inutile, parfois dangereuse, et toujours onéreuse »1. Sans eau courante potable, non formées aux méthodes élémentaires de la stérilisation, les familles modestes diluaient souvent à l’excès le lait qu’elles donnaient à leurs enfants. La presse médicale désignait même comme « biberon du meurtre » les contenants les plus difficiles à nettoyer. C’est en des termes quasiment identiques que cette question se repose des décennies plus tard.

L’ascension d’un géant de l’industrie alimentaire

Si le déclenchement de la première guerre impérialiste en 1914 entraîna une importante pénurie de matières premières, il offrit de nouvelles opportunités. Des usines de transformation aux États-Unis et en Australie furent acquises pour satisfaire les commandes des armées et, à la fin du conflit, Nestlé & ­Anglo-­Swiss possédait déjà 40 sites de production. Un chiffre doublé quelques années plus tard, après l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, puis avec la multiplication des sites de production dans plusieurs pays du tiers-monde, dont le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Argentine et la Chine. Jusqu’à aujourd’hui, les pays pauvres sont à la base d’une fraction très significative des profits. Parallèlement, une active politique de gestion des brevets et des marques à l’échelle mondiale, très tôt mise en place, permet toujours au groupe d’échapper à divers impôts ou d’en faire baisser les taux.

Cette politique d’internationalisation, couplée à une série de rachats d’entreprises ou de brevets et par le lancement du café soluble Nescafé en 1938, permit à Nestlé d’échapper en grande partie aux effets de la crise de 1929 et de l’effondrement des échanges internationaux. Grâce à son implantation mondiale, Nestlé sera de nouveau en mesure de vendre ses produits et de fournir avec profit les armées durant la Deuxième Guerre mondiale. Dès 1936, un deuxième siège social, établi au Panama (Unilac), avec des bureaux à New York, protégea en effet les actifs de ses filiales dans les pays qui se préparaient à entrer en guerre, notamment en Autriche et en Allemagne, tout en se conciliant les bonnes grâces du gouvernement américain. Ce système lui donnait la possibilité de changer la nationalité de ses filiales en fonction de l’évolution des rapports de force, de façon à être, quoi qu’il arrive, dans le camp des vainqueurs. L’optimisation fiscale est une pratique ancienne pour les multinationales. Avalant les entreprises les unes après les autres, le groupe se retrouva dès 1959 au cinquième rang mondial du secteur de l’alimentaire, derrière Unilever et trois entreprises américaines. En 1947, elle absorba Alimentana (produits Maggi), puis, au fil des années, Cross & Blackwell en 1960, Findus en 1962, et UrsinaFranck en 1971. Deux décennies plus tard, Nestlé faisait jeu égal avec le numéro un mondial. Son poids politique et ses profits croissaient d’autant plus que la population mondiale connaissait alors un développement rapide et un exode rural massif, élargissant mécaniquement le marché des industriels de l’alimentaire, notamment celui des aliments infantiles, en partie saturé dans les pays riches. Cette puissance permit aux multinationales comme Nestlé de maximiser leurs profits dans le tiers-monde, non seulement en raison des bas salaires qui y étaient pratiqués, mais aussi en sous-déclarant la valeur marchande de leurs matières premières et de leurs exportations, en manipulant la valeur des biens et services échangés entre leurs filiales et en pratiquant une corruption généralisée. Elles sont aussi pour beaucoup dans le ravage des milieux naturels.

Le lait en poudre : « sauveur de vies » ou « tueur de bébés » ?

Pour diffuser leurs produits, en particulier leur lait en poudre, Nestlé et ses concurrents, avec l’appui de leurs régimes dictatoriaux, inondèrent l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie de publicité par affiches et sur les ondes expliquant que les consommer rendait « les hommes plus forts, les femmes plus joyeuses et les enfants plus intelligents. » Nestlé déploya des milliers d’infirmières ou de sage-femmes diplômées. Rémunérées par ses soins, elles étaient chargées, avec l’apparence du sérieux scientifique et médical, de diffuser ses produits, de fournir des échantillons dans les maternités et de convaincre les mères de l’utilité des laits artificiels.

Le bilan de cette politique fut catastrophique et, au milieu des années 1970, le scandale éclata. À cette époque, 98 % des 15,5 millions de décès de nourrissons recensés dans le monde chaque année l’étaient dans les pays dits en voie de développement. Des études démontrèrent que nombre de ces morts étaient dues à la substitution du lait en poudre à de l’allaitement maternel. Son achat constituait d’abord une charge considérable. En 1971, le Groupe conseil ­protéines-calories des Nations unies avait ainsi calculé que le coût de l’alimentation d’un enfant âgé de six mois représentait jusqu’à la moitié du salaire minimal et même davantage dans des pays comme le Nigeria, l’Afghanistan ou le Pakistan. Pour diminuer ce coût, la poudre était donc diluée par ses utilisateurs, diminuant d’autant l’apport en calories. Les mêmes causes sociales produisant les mêmes effets dans les pays pauvres qu’à la fin du 19e siècle dans les pays riches, ce mode d’alimentation était devenu un vecteur de maladies mortelles dans les zones les plus pauvres.

En 1973, des militants britanniques du mouvement War on Want (Guerre à la misère) publièrent un pamphlet dénonçant ces pratiques commerciales et leurs conséquences. Des universitaires tiers-mondistes, du Groupe tiers-monde de Berne, le traduisirent en ajoutant le titre : Nestlé tue les bébés. S’estimant « honteusement calomniée », Nestlé leur intenta un procès pour diffamation. Elle le gagna en 1976, au motif que seules les bactéries tuaient les nourrissons… tout en voyant, selon les termes du jugement, sa «conduite immorale» mise sur la place publique. Un boycott international très actif s’en suivit, lancé depuis les États-Unis sous la direction d’une organisation dénommée Infact (Coalition d’action pour les préparations pour nourrissons). Un des scientifiques engagés dans ce combat, le Dr Samuel Fomon, concluait en décembre 1978 : « Une commercialisation abusive est l’équivalent d’un infanticide collectif »2. Les dirigeants de Nestlé, témoignant devant une commission d’enquête sénatoriale aux États-Unis, prétendirent d’abord qu’il s’agissait d’un vaste « complot international contre la libre entreprise ». PDG de 1973 à 1982, Pierre Liotard-Vogt continua quant à lui de clamer : « Nos produits d’alimentation infantile ont sauvé et sauvent la vie à des millions d’enfants… » Mais cela ne convainquit pas et le boycott dura jusqu’en 1984, Nestlé s’étant engagée deux ans auparavant à respecter les recommandations de l’OMS en matière d’alimentation des nouveau-nés. Dans la réalité, les pratiques n’avaient guère changé et le boycott fut réactivé dès 1988. Il reste actif jusqu’à aujourd’hui au Royaume-Uni et en Irlande.

Pour résister à cette tempête, Nestlé avait déployé des contre-feux, sollicitant scientifiques, journalistes et intellectuels, dont René Dumont, qui avait alors l’image d’un militant écologiste radical, pour rédiger articles et rapports la dédouanant et montrer sa bonne volonté. Nestlé alla jusqu’à mettre sur pied un institut d’études sur les multinationales dont elle contrôlait les nominations. Avec des dizaines d’autres firmes, regroupées dans l’Association des producteurs d’aliments infantiles (Icifi), Nestlé exerça également d’intenses pressions au sein même de l’ONU, notamment à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Au sein de celle-ci fonctionnait un « programme de coopération industrielle » dont les industriels étaient de fait les donneurs d’ordre. C’est ainsi que trois ans après l’éclatement du scandale sur le lait en poudre « tueur de bébés », un expert concluait que la FAO, à travers ses programmes d’aide alimentaire, fonctionnait toujours comme un « agent des multinationales » dans les pays pauvres.

Un exploiteur féroce

La politique de Nestlé envers ses salariés et les travailleurs qui dépendent de ses activités reflète la brutalité de la domination impérialiste. Le groupe y combat toute tentative pour s’opposer à sa politique, n’hésitant pas à licencier massivement les travailleurs tentant de créer ou de s’affilier à un syndicat. Ce fut le cas en Colombie, où des dizaines d’employés de Nestlé, en général des militants du syndicat de l’agroalimentaire, furent assassinés, et aux Philippines dans une période récente. Propriétaire d’immenses fermes dans le nord et le centre du Brésil, Nestle appuie ou encourage par ses discours les organisations et les milices qui assassinent impunément des militants. En Côte d’Ivoire et au Ghana, Nestlé a été accusée, avec d’autres, de s’approvisionner en cacao issu de zones défrichées illégalement car situées dans des parcs nationaux et des forêts protégées, avec le recours au travail d’enfants. Une plainte la vise aussi pour des pratiques semblables dans des plantations d’huile de palme en Asie. Associée à Ferrero, Nestlé est accusée d’avoir exploité des réfugiés syriens exilés en Turquie dans des exploitations de noisetiers à raison de sept jours de travail par semaine, 12 heures par jour, payés 9 euros par jour. Enfin, le groupe a été obligé de reconnaître en 2015 que des navires de pêche œuvrant pour son compte avaient eu recours au travail forcé, ainsi qu’au trafic d’êtres humains.

Pour ne pas voir de nouveau ces informations se répandre dans les médias, Nestlé utilise tous les moyens à sa disposition. Ainsi, par l’intermédiaire du groupe Securitas, elle n’a pas hésité entre 2003 et 2008 à infiltrer et espionner la branche suisse de l’organisation Attac qui préparait un ouvrage sur la multinationale3.

Si les conditions de travail dans les usines du groupe situées dans les pays développés n’atteignent pas ce degré de barbarie, elles demeurent malgré tout parmi les plus dures, marquées au sceau du lean management, l’intensification des cadences et la chasse aux temps non consacrés à la production. Le témoignage récent de Yasmine Motarjemi, licenciée après avoir été placardisée, détaille les méthodes de Nestlé envers ses propres cadres et les scientifiques4. Dès que cette directrice monde de la sécurité des aliments pour le groupe Nestlé de 2000 à 2010 a commencé à s’intéresser de trop près à des problèmes mettant en cause la responsabilité du groupe, elle s’est vu progressivement interdire l’accès à certaines données, retirer des dossiers dont elle avait la charge et fut sommée de se taire. Jetée comme une malpropre, elle conclut : « En vérité, pendant les dix années que j’ai passées chez Nestlé, aucune autorité sanitaire n’a jamais enquêté sur les incidents ou exprimé le moindre intérêt concernant notre gestion de la sécurité des aliments ou le traitement infligé à ceux qui, en interne, remplissent cette mission. »

Cette politique explique, conjointement avec l’investissement minimal dans les machines, leur entretien et le contrôle qualité, les multiples scandales sanitaires impliquant des produits Nestlé qui ont été révélés ces dernières années. Pour n’en citer que quelques-uns :

  • en 2008-2010, 300 000 bébés sont intoxiqués en Chine par la mélamine contenue dans du lait commercialisé dix mois durant afin de le faire apparaître plus riche en protéines. Des lots impropres à la consommation, rachetés à bas prix, avaient, en outre, été maquillés en lots répondant aux normes sanitaires ;
  • en 2013, malgré ses dénégations répétées, de la viande de cheval est découverte dans des plats préparés prétendument au bœuf vendus par de nombreux industriels, dont Nestlé. On parle alors de « horsegate », mettant au jour l’opacité de ce secteur et de la circulation de la viande à l’échelle européenne ;
  • en 2015, Nestlé doit retirer toutes les nouilles instantanées Maggi commercialisées en Inde après des prélèvements ayant révélé une teneur en plomb supérieure au niveau autorisé ;
  • en 2019, Nestlé, qui réalise au Mexique 3 milliards de chiffre d’affaires, est dénoncée pour avoir fait pression sur le gouvernement afin qu’il renonce à un étiquetage des produits alimentaires dans le cadre d’une campagne contre l’obésité ;
  • en 2022, après des cas d’intoxication grave par la bactérie Escherichia coli et la mort de deux enfants, et sous la pression de l’opinion publique, le groupe rappelle ses produits et ferme les deux lignes de production de l’usine de pizzas Buitoni de Caudry dans le nord de la France. Et ce après avoir prétendu, contre tous les témoignages des travailleurs, que les procédures de fabrication, leurs contrôles qualité, « le respect des consignes de conservation, de préparation et de cuisson » garantissaient l’hygiène et la sécurité alimentaire de ces produits.

Le scandale Nestlé Waters

Au vu des scandales passés, du nombre de victimes et des conséquences de la domination du marché alimentaire mondial par Nestlé et quelques-uns de ses concurrents, la dernière en date des affaires éclaboussant le groupe pourrait presque paraître dérisoire. Mais elle n’en est pas moins révélatrice de sa puissance et des liens que les multinationales ont tissés avec les plus hauts sommets de l’appareil d’État.

Nestlé Waters, la filiale spécialisée dans les eaux en bouteille du groupe suisse et numéro un mondial, propriétaire notamment des marques Hépar, Perrier, Vittel, Contrex, San Pellegrino, a ainsi été autorisée depuis 2022 à traiter les eaux de la source Perrier à Vergèze, dans le Gard, et celles de son site des Vosges, avec un système de microfiltration interdit par la législation. Cela a permis en premier lieu au groupe de continuer à bénéficier du label « eau minérale de source » et de la vendre 300 fois le prix de l’eau du robinet. Une fraude qui, sur la base des centaines de milliers de mètres cubes d’eau embouteillés, aurait rapporté au moins la modique somme de 595 millions d’euros en trois ans. Mais plusieurs interventions de l’État, au niveau de l’agence régionale de santé du Gard tout d’abord, du ministère de la Santé ensuite, et enfin de la présidence de la République, ont concouru à faire disparaître des rapports officiels la mention même des traces relevées de pesticides, interdits pour certains depuis vingt ans, des PFAS, chlorates, perchlorates et des bactéries E.Coli et entérocoques intestinaux sur la période 2020-2023. Aucune poursuite judiciaire ne fut bien sûr engagée.

Rivalité politique oblige, le récent rapport de la commission sénatoriale d’enquête conclut que « la présidence de la République, loin d’être une forteresse inexpugnable à l’égard du lobbying de Nestlé », lui a, « au contraire, ouvert les portes de certains ministères ». Mais il en va ainsi et de longue date pour les grands donneurs d’ordre du patronat français ou international ! Le fait que Macron, alors associé-gérant chez Rothschild, ait lui-même servi d’intermédiaire en 2012 au rachat par Nestlé de la division de nutrition infantile de Pfizer pour le compte de cette banque –ce qui lui a rapporté un million d’euros – n’est peut-être pas étranger à ces services rendus… Le « Mozart de la finance » Macron et ses ministres ont été avant tout les exécutants d’un chef d’orchestre dont le siège demeure à Vevey.

En matière de sécurité alimentaire, ce sont les industriels qui sont eux-mêmes chargés de contrôler leurs installations et l’innocuité de leurs produits. Les agences gouvernementales sont sous leur pression, ainsi que les élus locaux de tout bord qui n’hésitent pas, au nom de la défense de l’emploi, à couvrir les fraudes et les manquements à la réglementation nationale, européenne ou internationale. Le secteur de l’industrie alimentaire, et en l’occurrence Nestlé, continue à fonctionner, à l’instar des industries de la chimie et, au-delà, de l’ensemble des firmes capitalistes, à l’abri du contrôle de leurs salariés ou d’associations ou d’organismes réellement indépendants. Le secret des affaires, les brevets, la défense contre la concurrence justifient depuis toujours la domination des actionnaires et de leurs impératifs de profit. Exproprier les industries du secteur de l’alimentaire devra être l’une des premières tâches de la future révolution prolétarienne car d’elles et des moyens formidables dont elles disposent dépend la satisfaction des besoins les plus élémentaires de l’humanité.

13 juin 2025

W. J. Howarth. « The influence of feeding on the mortality of infants », The Lancet 1905.

Cité par Jean-Claude Buffle, Dossier N… comme Nestlé. Multinationale et infanticide. Le lait, les bébés et… la mort, Alain Moreau, 1986.

 Attac contre l’empire Nestlé, Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyen-ne-s (Attac), 2004.

 Bernard Nicolas, Yasmine Motarjemi, Ce que l’empire Nestlé vous cache, Robert Laffont, 2025.