Depuis le début de la crise actuelle, l'aspect le plus notable de la politique des directions syndicales britanniques a été leur silence assourdissant face à la montée en puissance de l'offensive patronale contre la classe ouvrière.
C'est ainsi que, aussi bien lors de la première vague de licenciements dans les secteurs liés au bâtiment et à la finance, après l'implosion de la bulle spéculative de l'immobilier britannique, à l'automne 2007, qu'après l'extension de cette vague à l'ensemble de l'économie, un an plus tard, suite à la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, les appareils syndicaux ont manifesté un souci évident d'éviter toute initiative tant soit peu visible, qui aurait pu permettre aux travailleurs d'exprimer leur opposition aux attaques dont ils étaient l'objet de la part du patronat et de mesurer le potentiel de leur mécontentement.
En particulier, contrairement à ce qui a pu se passer en France durant cette période, à aucun moment les directions syndicales n'ont appelé à des manifestations, nationales ou même régionales, à des journées d'action et encore moins à des mouvements de grève, contre les licenciements, baisses de salaires plus ou moins déguisées et autres aggravations des conditions de travail, imposées par les entreprises sous couvert de la crise.
Non pas, bien sûr, que de telles initiatives puissent suffire à constituer la base de la riposte nécessaire de la classe ouvrière face à l'offensive du capital, à moins d'être partie intégrante d'un plan d'action, contrôlable et contrôlé par les travailleurs, avec des objectifs qui constituent une véritable réponse face à la crise. C'est ainsi qu'en France, les journées d'action sans lendemain organisées par les confédérations syndicales n'ont été que des démonstrations de force symboliques, dont le but n'était pas d'armer les travailleurs en vue d'une riposte, mais avant tout de rappeler au patronat et au gouvernement qu'ils devaient composer avec les appareils syndicaux.
Mais le fait qu'en Grande-Bretagne les directions syndicales se soient délibérément abstenues de toute initiative de ce type, même symbolique, à un moment où les travailleurs étaient inquiets et désorientés face à la brutalité des attaques patronales, avait un objectif bien précis : celui d'accréditer l'idée que le mouvement ouvrier ne pourrait rien face à la crise. Pendant ce temps, les travailleurs s'entendaient dire de plus en plus souvent par les leaders syndicaux qu'il leur fallait se résigner à prendre les coups sans broncher afin, disaient-ils, de « préserver l'avenir ».
C'est ainsi que, petit à petit, on a vu s'ébaucher la politique par laquelle les appareils syndicaux entendaient s'adapter à la crise, en offrant, de façon plus ou moins explicite et ouverte, leur collaboration à la bourgeoisie et à son État, pour mettre en œuvre les mesures rendues prétendument « nécessaires » par la crise - c'est-à-dire, dans les faits, en les aidant à faire payer la note à la classe ouvrière -, politique qui, il est vrai, est dans la logique de celle qu'ils ont toujours menée depuis bien des décennies.
Un lourd passé lié à celui du travaillisme
Car, dans ce domaine, les appareils syndicaux britanniques n'en sont pas à leur coup d'essai et ceci d'autant moins qu'ils entretiennent des liens privilégiés avec le Parti travailliste depuis sa formation, un parti qui, depuis déjà longtemps, est l'un des deux principaux piliers de l'impérialisme britannique.
Il faut rappeler brièvement que le mouvement ouvrier britannique a connu un développement relativement original par rapport à ceux des autres pays impérialistes. En Grande-Bretagne, les appareils syndicaux cherchèrent à avoir une expression politique dès les dernières décennies du XIXe siècle, en présentant des candidats dans les circonscriptions ouvrières sous la bannière du parti traditionnel de la bourgeoisie industrielle, le Parti libéral. Ce fut la faillite de cette politique qui les conduisit, en 1906, à former le Parti travailliste, d'abord comme une fraction parlementaire formée par les députés syndicalistes indépendants au sein du Parlement britannique, puis comme une alliance électorale de syndicats, associations et groupements politiques, rassemblés autour d'une plate-forme de réformes sociales excluant toute référence au socialisme ou au marxisme. Ce ne fut que plus tard, en 1919, que, pour répondre à l'enthousiasme suscité par la révolution d'Octobre et contrecarrer l'émergence du Parti communiste sur sa gauche, le Parti travailliste « gauchit » son programme en y faisant figurer comme objectif la « propriété collective des moyens de production, de distribution et d'échange » et se transforma en véritable parti politique, en ouvrant ses rangs aux adhésions individuelles.
Entre-temps, les leaders syndicaux avaient mis le parti à la remorque de l'impérialisme britannique dans la Première Guerre mondiale et fourni trois représentants pour siéger dans le cabinet de guerre. Après la guerre, son image de parti ouvrier appuyé sur la masse des adhérents d'un mouvement syndical en plein essor permit au Parti travailliste de faire suffisamment illusion dans l'électorat populaire pour s'imposer peu à peu et prendre la place du Parti libéral face au Parti conservateur, comme pilier du bipartisme sur lequel s'appuie le système politique britannique. Mais ce fut la bourgeoisie qui se montra la plus réticente. En fait, pendant les vingt années de 1919 à 1939, le Parti travailliste n'accéda que deux fois au pouvoir, pour une durée totale de deux ans et neuf mois !
Ce fut la Seconde Guerre mondiale qui marqua l'intégration complète du Parti travailliste et des appareils syndicaux dans l'appareil d'État de la bourgeoisie, lorsque le Premier ministre conservateur Winston Churchill accepta bien volontiers les offres de services des appareils syndicaux et travailliste. Ceux-ci soutinrent l'effort de guerre au sein du gouvernement de coalition de Churchill et fournirent une partie du personnel qui, dans l'administration militarisée de l'économie de guerre, mit en œuvre la politique belliciste de l'impérialisme britannique au prix de la sueur et du sang de la classe ouvrière. Puis ce fut le gouvernement travailliste de l'après-guerre, sous lequel la bureaucratie syndicale mit tous ses efforts à contenir les aspirations des travailleurs à régler leurs comptes avec les fauteurs de guerre et autres profiteurs, au nom de la nécessité de « remporter la bataille de la paix ».
Plus récemment, dans les années soixante-dix, lorsque les profits de la bourgeoisie britannique furent atteints simultanément par la crise monétaire liée à l'effondrement du système de Bretton Woods et par le premier « choc pétrolier », les appareils syndicaux allèrent de nouveau au charbon, cette fois encore sous un gouvernement travailliste, dirigé par le Premier ministre Harold Wilson. Au nom d'un « contrat social » qui servait à Wilson de couverture pour sa politique d'austérité, les directions syndicales se chargèrent de maintenir les augmentations salariales en dessous d'un plafond de 5 %, ce qui, à un moment où l'inflation dépassait les 10 %, revenait à imposer aux travailleurs une baisse brutale de leur pouvoir d'achat. En récompense de leurs services, les appareils syndicaux se virent attribuer de multiples sinécures à tous les niveaux de l'appareil d'État. En 1977, par exemple, les 39 principaux leaders syndicaux se partageaient 180 fauteuils au sein des directions des grandes administrations étatiques. Pendant ce temps, au niveau local et régional, plus de 5 000 syndicalistes siégeaient, en tant que représentants de leur syndicat ou sous la casquette travailliste, dans les conseils de surveillance d'organismes publics - santé, éducation, services municipaux, etc., et même ceux censés « superviser » les agissements de la police.
Il est vrai qu'à l'époque cette politique finit par provoquer un retour de flamme. En septembre 1978, une grève sauvage contre les 5 % lancée par les 15 000 ouvriers de l'usine Ford-Dagenham, dans l'est de Londres, commença à s'étendre aux 60 000 ouvriers des vingt-quatre usines du groupe dans le pays, une grève qui, de surcroît, menaçait de gagner le reste de l'automobile. Pris de court, les leaders syndicaux firent un tournant à 180 degrés. Pour mieux contenir la combativité ouvrière, ils cherchèrent à en prendre la tête en abandonnant leur soutien aux 5 %. Cela n'empêcha pas l'explosion de la plus grande vague de grèves qu'ait connue la Grande-Bretagne depuis la grève générale de 1926. Au cours de cet « hiver du mécontentement » comme on l'appela, qui dura près de cinq mois, pratiquement tous les secteurs d'activité furent touchés. Mais la volte-face des directions syndicales avait créé suffisamment d'illusions pour que, contrairement aux ouvriers de Ford, la grande majorité des grévistes s'en remettent aux directions syndicales, qui les conduisirent tout droit dans l'impasse. Les appareils n'avaient pu empêcher l'explosion du mécontentement, mais ils avaient réussi à priver un mouvement potentiellement puissant de toute perspective susceptible de mettre en danger les profits de la bourgeoisie.
La continuité sous les conservateurs
Une fois les conservateurs revenus au pouvoir, en 1979, sous la direction de Margaret Thatcher, leur politique fut un mélange de démagogie réactionnaire destinée à répondre aux aspirations de leur électorat et de mesures antiouvrières destinées à décourager toute résistance aux mesures d'austérité qu'ils entendaient prendre contre la classe ouvrière. Mais jamais ils ne s'en prirent vraiment aux appareils syndicaux eux-mêmes.
Ainsi, malgré les rodomontades de Thatcher vitupérant contre ce qu'elle décrivait comme les « pouvoirs exorbitants » des syndicats, elle se garda bien de porter atteinte aux ressources financières des appareils. En particulier, malgré de nombreuses menaces, le système du prélèvement automatique des cotisations syndicales sur la feuille de paie (check off) ne fut pas remis en cause, ce qui aurait été un coup dur pour des appareils pauvres en militants prêts à percevoir les cotisations des syndiqués sur le terrain. Quant au système de l'adhésion syndicale obligatoire à l'embauche (closed shop), il ne fut banni que onze ans après le retour au pouvoir de Thatcher, alors qu'il était déjà de toute façon largement tombé en désuétude en dehors de quelques industries très spécifiques.
Quant aux lois anti-grèves qui furent introduites au début des années quatre-vingt, elles interdirent les grèves de solidarité et imposèrent toute une procédure préalable, y compris un vote par correspondance sous le contrôle d'un organisme gouvernemental réputé « neutre ». À ce titre, elles étaient destinées à intimider les travailleurs et servirent bien souvent de prétexte aux licenciements de grévistes ou à des interventions policières contre des piquets de grève. Mais ces lois ne furent que très rarement utilisées contre les syndicats eux-mêmes. C'est ainsi que les dispositions prévoyant la saisie des fonds syndicaux à titre de sanction ne furent invoquées que trois fois en tout et pour tout, pendant les 18 ans de régime conservateur.
En fait, au-delà de la démagogie politicienne des conservateurs et des discours pro-travaillistes des leaders syndicaux, l'échange de « bons procédés » dont avaient bénéficié les appareils syndicaux sous les gouvernements travaillistes précédents resta en grande partie inchangé. Les leaders syndicaux perdirent sans doute des sinécures dans les hautes sphères du secteur public, mais ce fut moins parce qu'ils en avaient été évincés (ce qui fut rarement le cas) que par le jeu des mesures de privatisation. En revanche, après les émeutes qui secouèrent les quartiers pauvres des grandes villes, en 1981, c'est aux appareils syndicaux que le gouvernement conservateur demanda de participer à la création d'un réseau de centres pour les jeunes chômeurs de ces quartiers et de fournir 260 syndicalistes pour occuper des emplois de formateurs. Trois ans plus tard, lorsque Thatcher mit en place son programme phare de formation pour les jeunes chômeurs de longue durée, les leaders syndicaux le célébrèrent dans leurs publications comme faisant « partie intégrante d'une stratégie ouvrière vers la reprise et la reconstruction économique », sans doute parce que, cette fois encore, le nouveau programme devait se traduire par des centaines d'emplois publics de tous types pour leurs appareils.
En retour, les appareils syndicaux firent ce que le patronat attendait d'eux. La décennie des années quatre-vingt fut bien sûr marquée par la grève des mineurs de 1984-85. Mais ce ne fut pas la seule grande grève (par exemple il y eut une grève de quatre mois dans la sidérurgie, en 1980), ni la seule grève dure (la grève des ouvriers de l'imprimerie de Wapping, en 1986-87, dura un an et vit des affrontements brutaux avec la police pratiquement pendant toute la durée du conflit).
Toutes ces grèves eurent ceci en commun : les directions syndicales ne les avaient pas voulues et ce n'est que contraintes et forcées, pour ne pas perdre tout contrôle sur leur déroulement, que certains des leaders des syndicats directement concernés finirent par se placer à leur tête ; mais ils le firent toujours avec la même tactique, en les cantonnant dans un corporatisme étroit, ce qui permit aux autres leaders syndicaux de se réfugier derrière la législation contre les grèves de solidarité et de marteler auprès de leurs propres syndiqués l'idée qu'il n'y avait rien d'autre à faire que d'abandonner leurs camarades en lutte à leur isolement. Si ces grèves se terminèrent par des échecs, voire par des défaites comme ce fut le cas de la grève des mineurs ou de celle de Wapping, ce ne fut pas du fait de la législation antiouvrière de Thatcher, comme le disent encore aujourd'hui bien des syndicalistes. Ce fut avant tout parce que, face à la détermination de Thatcher et à celle du patronat, qui auraient requis au moins la menace d'une mobilisation sur une tout autre échelle et avec d'autres objectifs répondant aux aspirations de l'ensemble des travailleurs, les grévistes avaient été délibérément désarmés par les dirigeants syndicaux qui s'étaient portés à leur tête.
Le « nouveau partenariat »
En 1992, le Parti travailliste perdit sa quatrième élection consécutive. Pour les directions syndicales, le bilan des treize années écoulées depuis le retour au pouvoir des conservateurs n'était pas brillant. De quelque douze à treize millions d'adhérents en 1979, les effectifs syndicaux étaient tombés juste au-dessus de huit millions. Et malgré les multiples regroupements effectués entre syndicats corporatistes, nombre d'entre eux commençaient à avoir des difficultés à survivre sur le plan financier.
Les leaders syndicaux pouvaient bien accuser les conservateurs d'avoir tout fait pour « liquider le mouvement syndical », selon l'expression alors à la mode parmi eux. Et sans doute les fermetures d'entreprises dans les vieux bassins industriels du pays, bastions traditionnels des grands syndicats, étaient-elles pour quelque chose dans la baisse des effectifs syndiqués. Mais pourquoi les anciens syndiqués de ces usines, dont la majorité avaient retrouvé un emploi, ne l'étaient-ils pas restés ? Pourquoi les jeunes travailleurs arrivant sur le marché de l'emploi ne voyaient-ils pas l'intérêt de se syndiquer ? La réalité était que depuis 1979 la politique des directions syndicales n'avait fait que contribuer à scier de plus en plus profondément la branche sur laquelle elles étaient assises. À force de pousser les luttes des travailleurs dans l'isolement et de dévoyer leur combativité vers des impasses, voire des défaites, elles avaient contribué à désorienter, sinon à démoraliser la classe ouvrière, entraînant un changement perceptible dans le rapport des forces sociales au détriment des travailleurs et une désaffection croissante envers les syndicats.
Ce fut dans ce contexte, à la suite de l'échec travailliste aux élections de 1992, que certains dirigeants syndicaux (dont les leaders des trois principaux syndicats ouvriers : de la métallurgie, des transports et des électriciens) entreprirent, conjointement avec une partie de la hiérarchie travailliste, ce qu'ils appelèrent la « rénovation » du parti, dans le but, disaient-ils, de le rendre de nouveau « éligible ». Dans les congrès syndicaux, on commença à entendre un langage inusité auparavant, d'ordinaire propre aux milieux d'affaires, ce qu'on appela parfois sérieusement, parfois par dérision, le « réalisme de marché ». Il fallait, disaient les orateurs, que les travailleurs « se mobilisent pour défendre la compétitivité de l'économie britannique », ajoutant que « le temps de la confrontation est révolu », etc.
Non sans une certaine ironie, au sein du Parti travailliste, le courant le plus chaudement partisan de la « rénovation » prônée par les leaders syndicaux était formé d'une jeune génération de politiciens aux dents longues, qui aspiraient à voir le Parti travailliste se débarrasser une bonne fois pour toutes de ses oripeaux historiques aux relents par trop prolétariens, et en particulier de ses liens jugés trop étroits avec les syndicats, pour se transformer en une sorte d'équivalent britannique du Parti démocrate américain. Ce fut ce courant qui devait bientôt choisir comme porte-parole l'un des siens, en la personne d'un jeune et brillant avocat d'affaires nommé Tony Blair.
Les dirigeants syndicaux encouragèrent ce courant dans ses aspirations, mais non sans avoir pris leurs précautions. Faire en sorte que la direction travailliste puisse se vanter publiquement d'avoir fait table rase des formules socialisantes de sa charte de 1919 et du rôle prépondérant des syndicats dans ses rangs était une chose, mais le réalisme politique en était une autre : quoi que puissent dire les amis de Blair, et quel que soit le nombre de donateurs milliardaires qu'ils pourraient collectionner dans les salons des milieux d'affaires, les appareils syndicaux n'en restaient pas moins les principaux bailleurs de fonds du parti et ils tenaient à conserver, en retour, un droit de regard sur sa politique.
Ce fut sur cette base que fut lancé le processus de « rénovation » du parti et des appareils syndicaux. Tandis que les leaders travaillistes se lançaient avec Blair dans un éloge débridé de l'économie de marché au nom de ce qu'ils appelaient le « Nouveau travaillisme », les dirigeants syndicaux chantaient les vertus d'un « Nouveau partenariat » entre les syndicats et les patrons, dans lequel l'objectif commun des partenaires serait d'améliorer la profitabilité de l'entreprise pour le plus grand bénéfice des travailleurs comme des actionnaires. Déjà, dans les grandes entreprises, les leaders syndicaux faisaient miroiter aux patrons ce que seraient les nombreux avantages du « Nouveau partenariat »... une fois les travaillistes de retour au pouvoir. Pour bien montrer de quoi il s'agissait, un certain nombre d'accords furent passés dans de grandes entreprises comme British Airways, dans lesquels il était surtout question des « économies », c'est-à-dire des profits supplémentaires offerts à la direction par les leaders syndicaux sous forme de concessions sur les conditions de travail, en échange des quelques pence de rallonge qui leur étaient proposés.
Les syndicats à la veille de la crise
Le retour au pouvoir des travaillistes sous la direction de Blair, en mai 1997, ne suscita pas grande illusion dans la classe ouvrière. Blair ne l'emporta d'ailleurs pas en surfant sur un raz-de-marée d'enthousiasme, mais plutôt par défaut, parce que le Parti conservateur, usé par dix-huit ans de pouvoir, n'avait pas réussi à mobiliser son propre électorat. En tout cas, si illusions il y avait quand même dans les rangs des travailleurs, elles furent vite dissipées. Non seulement le Parti travailliste entreprit de poursuivre la politique de ses prédécesseurs conservateurs, parfois en l'aggravant, mais en plus il le fit désormais avec l'assentiment obséquieux des directions syndicales qui, jour après jour, se mirent à abreuver les médias de communiqués pour marquer leur assentiment à chacun des faits et gestes de Blair et de ses principaux sous-fifres.
Il ne fut jamais question pour le Parti travailliste au pouvoir d'abroger les lois anti-grèves passées par les conservateurs au début des années quatre-vingt. Ce qui permit aux appareils de continuer à s'en servir comme principal levier pour contrôler la combativité des travailleurs et isoler les fauteurs de grèves sauvages.
En revanche, les dirigeants syndicaux eurent leurs petits à-côtés. D'abord celui d'être représentés par l'un des leurs au sein de chacun des gouvernements successifs : d'abord par John Prescott, un ancien du syndicat des marins devenu secrétaire général adjoint du parti en même temps que Blair, puis par Alan Johnson, un ancien leader du syndicat des postes et télécommunications. Par ailleurs, on les soulagea de petits tracas que leur avaient imposés les conservateurs, comme, par exemple, celui de faire confirmer tous les trois ans par les syndiqués l'autorisation de prélever leur cotisation sur leur bulletin de paie. Surtout, Blair leur concocta une nouvelle procédure légale permettant à un syndicat d'être reconnu par un employeur comme représentant de ses employés ayant pouvoir de négocier en leur nom. Cette procédure n'était guère contraignante pour les entreprises et, comme elle était conçue pour que tout se fasse par en haut, sans que les salariés aient d'autre droit que celui de remplir une carte d'adhésion, elle convenait autant aux appareils qu'à la plupart des PME auxquelles elle était essentiellement destinée.
Par comparaison avec la période allant de 1974 à 1997, la décennie suivante, qui précéda les premiers soubresauts de la crise actuelle, fut relativement calme. Dans les rares cas où les travailleurs réussirent à obtenir des appareils syndicaux qu'ils déverrouillent la soupape pour leur laisser exprimer leur mécontentement, ce fut de façon extrêmement limitée et dans un contexte général qui ne se prêtait pas à la contagion. Car toute cette décennie fut marquée par une accélération rapide de la précarisation du travail, qui contribua à accentuer le manque de confiance des travailleurs dans l'action collective. Et tout au long de cette période, une fois encore, les appareils syndicaux accompagnèrent la politique de précarisation (et de suppressions d'emplois) du patronat, monnayant littéralement la suppression d'emplois fixes contre une petite rallonge au profit du personnel fixe restant, rallonge qu'ils pouvaient ensuite « vendre » aux intéressés comme la part des « économies » réalisées qui leur revenait, une grande « victoire » du « partenariat social » !
Il est rare que les syndicats acceptent de syndiquer des travailleurs précaires, même si ceux-ci occupent le même poste depuis des mois, voire des années. Ils cherchent parfois à le faire avec des intérimaires, mais dans ce cas seulement dans le cadre de sections syndicales liées aux agences dont ils dépendent, de sorte que l'intérimaire syndiqué n'a aucune chance d'être organisé avec ses camarades de travail ! Du coup, cette décennie de montée rapide du travail précaire a entraîné une baisse proportionnelle du nombre de travailleurs considérés par les appareils syndicaux comme « organisables ». Et c'est ce qui explique en grande partie que les effectifs globaux des syndicats soient tombés à 7,5 millions en 2003, puis à 6,7 millions à la fin 2007.
Ces syndicats, au nombre de soixante, sont tous regroupés au sein du cadre relativement lâche de la centrale syndicale TUC (Congrès des syndicats), qu'ils soient ou non affiliés au Parti travailliste (la plupart le sont). Sur ces soixante syndicats, bon nombre ne comptent que quelques milliers de membres, voire parfois seulemet quelques centaines. Mais les trois plus grands, eux-mêmes issus de multiples fusions, regroupent à eux seuls 61 % des syndiqués. Il s'agit, par ordre décroissant, de : UNITE (issu de la fusion des syndicats des transports, de la métallurgie et des électriciens, avec près de deux millions de membres) ; UNISON (issu de la fusion du syndicat des salariés municipaux et de celui des travailleurs de la Santé, avec 1,3 million de membres) ; GMB (issu de la fusion d'un syndicat d'ouvriers municipaux et d'un syndicat d'ouvriers de l'industrie navale, avec 590 000 membres). Ce sont ces trois « poids lourds » qui font, en pratique, la pluie et le beau temps, tant au sein du TUC que dans les coulisses du Parti travailliste, alors que jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, on en comptait encore plus d'une douzaine.
Durant cette dernière décennie, les formes d'intégration des syndicats dans l'appareil d'État de la bourgeoisie se sont également modifiées, en grande partie du fait de la privatisation de pans entiers du secteur public sous Blair et sous son successeur, Gordon Brown. De nombreux organismes étatiques qui, auparavant, fournissaient aux appareils syndicaux des postes et une partie de leur poids social (dans des domaines comme la formation professionnelle, la sécurité du travail, l'action sociale, l'éducation en général, etc.) sont désormais gérés par des sous-traitants privés de l'État. Tandis que les fonds publics financent les profits de ces entreprises, ce n'est plus l'État qui en contrôle le fonctionnement. Et si les appareils syndicaux continuent à y occuper de nombreux postes, ce n'est plus à l'État qu'il le doivent, mais à ces entreprises sous-traitantes et aux représentants des organisations patronales qui dominent les conseils d'administration de ces entreprises.
Enfin, ce qui est vrai des liens des syndicats avec l'appareil d'État l'est encore plus de leur place dans les entreprises. En l'absence d'un code du travail imposant, comme c'est le cas en France, certaines obligations aux patrons dans leur comportement vis-à-vis des syndicats (comme par exemple la reconnaissance de délégués du personnel ou même le droit de mener une activité syndicale au sein de l'entreprise), l'existence des syndicats sur le terrain a toujours dépendu en partie d'un rapport de forces imposé par les travailleurs, et en partie d'un accord tacite entre l'employeur et l'appareil syndical, par lequel ce dernier se chargeait d'assurer la paix sociale en échange de sa reconnaissance.
Mais, alors que dans les années soixante-dix, c'était le rapport des forces qui jouait encore, en général, un rôle décisif, dans le contexte de recul de la lutte de classe depuis le début des années quatre-vingt-dix, il est passé de plus en plus au second plan dans la plupart des entreprises. Il est vrai qu'il s'agit d'une évolution amorcée depuis longtemps déjà dans certains secteurs. Dès les années quatre-vingt, par exemple, les syndicats opéraient de fait, et étaient vus par les travailleurs, dans bien des entreprises du secteur public, comme une espèce de hiérarchie parallèle à celle de l'encadrement, qui participait aux décisions affectant les travailleurs et à leur mise en œuvre, sans jamais leur demander leur avis et bien souvent contre leur volonté. Aujourd'hui, l'extension de ce mode de fonctionnement des appareils syndicaux à la plupart des grandes entreprises, publiques ou privées, nourrit la méfiance des travailleurs à l'égard du syndicalisme, alimente leur désorientation, et ne fait que rendre l'existence des syndicats sur le terrain encore plus dépendante des bonnes grâces patronales, situation dont les appareils syndicaux se sont très bien accommodés, mais qui les rend d'autant plus hostiles à tout ce qui est susceptible de modifier le statu quo, à quelque niveau que ce soit.
Le TUC, lobbyiste pour le compte du grand capital
Avec l'écroulement des marchés immobiliers britannique et américain, en septembre 2007, on vit le TUC et les grands syndicats prendre d'emblée position pour une intervention immédiate de l'État, afin de venir au secours du capital financier. Alors que les emplois commençaient à disparaître par milliers dans le bâtiment et les industries qui lui était liées, sans la moindre réaction de la part des appareils syndicaux, le secrétaire général du TUC, Brendan Barber, parlait déjà des « sacrifices nécessaires » que tout le monde devrait faire pour faire face « tous ensemble » à la crise et ramener à l'équilibre une machine financière devenue folle.
Bien sûr, tout cela était assorti de remarques acerbes à l'encontre de l'avidité des « traders » et autres banquiers trop épris de risques, présentés comme les véritables responsables de la crise. Mais c'était là le genre de langage dont usait toute la presse, y compris celle des milieux d'affaires, un langage d'autant plus commode qu'il passait sous silence la responsabilité du système capitaliste lui-même, responsabilité que les leaders syndicaux entendaient bien ne pas mettre en cause.
Les uns après les autres, les plans de sauvetage annoncés par le gouvernement, d'abord pour le secteur bancaire, puis le secteur financier en général, puis pour les grandes entreprises dans leur ensemble, furent accueillis avec enthousiasme par le TUC, sans qu'à aucun moment soit soulevée la question de savoir qui devrait payer la note de ces largesses à la bourgeoisie ou, plus exactement, avec l'acceptation implicite du fait que cette note devrait être payée par « tous », travailleurs compris, un jour ou l'autre. De même, Brendan Barber se garda bien de remettre en cause le choix du gouvernement Brown de mobiliser les fonds publics au seul bénéfice du grand capital, sans qu'aucun fonds soit débloqué pour fournir un toit au nombre croissant de familles modestes qui se trouvaient expropriées, faute de pouvoir payer leurs traites en empruntant, comme elle l'avaient fait dans la période précédente, sur la valeur, désormais incertaine, de leur logement. Quant aux licenciements qui se multipliaient, il n'en était pas fait mention. Tout au plus les dirigeants syndicaux se déclaraient-ils « désappointés » par la montée du chômage, sans jamais avancer la moindre revendication visant à l'enrayer et encore moins proposer aux travailleurs un programme d'action pour s'y opposer.
En fait, de la fin 2007 à ce jour, les instances centrales des appareils syndicaux se transformèrent en lobbyistes pour le compte du grand capital auprès du gouvernement, réclamant toujours plus de liquidités pour les banques, sous prétexte de « sauver des emplois » en les incitant à prêter aux entreprises, ce qu'elles ne faisaient pas malgré les centaines de milliards qu'elles recevaient, comme tout le monde, ministre des Finances compris, le constatait. Mais les mêmes lobbyistes syndicaux se gardèrent bien, par exemple, de mettre en cause la politique d'un gouvernement qui, bien que disposant de la majorité absolue du capital de trois des cinq plus grandes banques, ne s'en servait pas pour nationaliser les entreprises, réellement défaillantes ou non, qui jetaient les travailleurs sur le pavé et pour les maintenir en activité.
Ce rôle de lobbyiste pour le compte des grandes entreprises, le TUC et les grands syndicats l'étendirent très vite à la plupart des industries, réclamant au nom du patronat de ces industries un plan d'aide d'urgence face à la crise, à l'instar de celui des banques.
Dans l'industrie automobile, par exemple, UNITE, principal syndicat présent dans ce secteur, lança en février 2009 une campagne intitulée « UNITE pour l'emploi », dont l'objectif était d'obtenir du gouvernement un plan d'aide à cette industrie chiffré à quatorze milliards d'euros. Tony Woodley, secrétaire général de ce syndicat, décrivit cette initiative comme une « formidable alliance historique (...) associant le syndicat avec des leaders du monde des affaires, des milieux universitaires et de la classe politique ». Woodley résuma sa raison d'être de la façon suivante : « Sans un effort concerté de notre gouvernement national pour protéger l'emploi, notre position internationale en tant que pays où les employeurs peuvent trouver les salariés qualifiés dont ils ont besoin sera compromise pour bien des années à venir ». Il s'agissait donc de défendre l'industrie et le patronat britanniques contre la concurrence étrangère, ce que d'ailleurs le gouvernement Brown ne se fit pas prier pour faire en introduisant d'une part un plan de subventions directes sous forme de prêts à taux zéro et d'autre part une « prime à la casse » similaire à ce qui se faisait déjà en Allemagne et en France.
Mais il ne faut pas s'étonner dans ces conditions si, lors du point culminant de cette campagne - une manifestation symbolique, qui rassembla quelques milliers de militants en mai, à Birmingham -, figurait en première ligne un certain « Lord Jones of Birmingham », plus connu sous le nom de Digby Jones, ancien président de l'équivalent britannique du Medef, ex-enfant chéri de Margaret Thatcher et président en exercice de l'association des patrons de l'automobile ! Voilà le genre d'individus que les appareils syndicaux présentent aux travailleurs comme leurs « alliés » face à la crise : ceux-là mêmes qui les licencient !
Les appareils syndicaux, promoteurs des licenciements
L'aspect le plus cynique de cette campagne menée par UNITE était qu'au même moment, dans tous les secteurs liés à l'industrie automobile et à la construction mécanique, les négociateurs nationaux de UNITE et du GMB faisaient la tournée des usines en incitant les travailleurs à voter en faveur de protocoles d'accord qu'ils avaient « négociés », qui entérinaient les exigences patronales en matière de suppressions d'emplois, baisse de salaires, etc.
Cela commença dès octobre 2008 avec JCB, une multinationale fabriquant des gros engins de chantier et du matériel de génie militaire lourd. Les travailleurs des usines du groupe se virent donner le choix par la direction du syndicat GMB entre 510 licenciements ou bien (choix recommandé par le GMB) 150 licenciements assortis d'une réduction d'horaire entraînant une baisse de salaire de 15 %. Faute d'alternative face à ce chantage, le vote donna une majorité pour la baisse de salaire et le GMB se félicita du « sens des responsabilités » de ses membres. Mais un mois plus tard, JCB annonça une nouvelle charrette de 399 licenciements, puis 700 en janvier 2009 et 97 en février. De charrette en charrette, le GMB se contenta de se déclarer « déçu », mais il ne fut plus jamais question de demander aux travailleurs leur avis, ni surtout de leur proposer autre chose que de rentrer la tête dans les épaules. Le « Partenariat Social » entre le GMB et JCB avait coûté 1 300 emplois aux ouvriers et une baisse de salaire de 15 %, sans jamais leur avoir offert l'option de résister.
Dans l'automobile proprement dite, les précaires furent les premiers visés, dès le milieu de l'année 2008. Dans certains cas, comme à l'usine BMW de Cowley ou à l'usine Nissan de Sunderland, ces précaires étaient des intérimaires qui occupaient le même poste depuis des années (jusqu'à sept ans dans certains cas). Mais qu'importe ! UNITE, qui organise ces usines, ne s'en souciait guère. À telle enseigne qu'à l'usine BMW, les responsables de UNITE ne jugèrent même pas bon de les avertir de la mesure de licenciement qui les visait, dont ils avaient été informés de longue date, et qu'ils se chargèrent eux-mêmes de leur annoncer à la fin de leur dernière équipe qu'ils n'auraient plus à revenir à l'usine ! Par une cynique ironie, ce fut précisément cette semaine-là que UNITE choisit pour lancer sa campagne pour l'emploi dans l'automobile...
Puis vint le tour des ouvriers fixes. Chez Jaguar-Land-Rover, les deux syndicats du groupe, UNITE et GMB, laissèrent passer sans broncher une série de charrettes de licenciements - 1 500 au total entre novembre 2008 et janvier 2009. Puis, après que la direction eut agité la menace d'une nouvelle charrette de 1 400 suppressions d'emplois, les négociateurs nationaux des deux syndicats mirent au vote la proposition suivante, présentée comme une « victoire » : pas de licenciement pendant deux ans (mais cela n'excluait pas les suppressions d'emplois par départs « volontaires »), moyennant quoi les ouvriers devaient accepter une baisse de 12,5 % des salaires assortie d'un gel du taux horaire, et la mobilité totale sur l'ensemble des usines du groupe. Il y eut 70 % de oui parmi les 7 000 OS concernés, ce que les leaders syndicaux saluèrent dûment comme un vote de confiance pour leur politique. Mais, une fois de plus, ils avaient pris grand soin de convaincre les ouvriers que toute résistance était inutile et que, d'ailleurs, les directions syndicales s'y opposeraient. Pendant ce temps, le trust indien Tata, propriétaire de Jaguar-Land-Rover, avait empoché discrètement une subvention de 30 millions d'euros et s'apprêtait à en empocher une autre de 550 millions, réclamée à grands cris en son nom par... les leaders de UNITE.
Le même scénario lamentable se répéta chez Toyota où, après avoir licencié deux cents intérimaires et ouvert un programme de départs « volontaires » pour les travailleurs fixes, la direction annonça une baisse de 10 % des salaires pour un an. La seule réponse des dirigeants de UNITE, seul syndicat présent dans les deux usines britanniques du groupe, fut de déclarer : « Cette proposition (...) constitue une véritable opportunité de restaurer une certaine stabilité chez Toyota dans les mois à venir et nous la recommanderons à nos syndiqués. »
On pourrait ainsi multiplier les exemples, dans l'automobile et les industries connexes, mais aussi dans les services, y compris les grandes banques contrôlées par l'État, qui ont licencié leurs employés par dizaines de milliers sans que leur syndicat - UNITE encore une fois - ait d'autre réaction que d'exprimer ses « regrets » face à de telles mesures, ce que d'ailleurs les dirigeants de ces banques ne manquaient pas de faire eux-mêmes. Les « regrets » ne coûtent rien !
Tout cela ne veut pas dire que les travailleurs ont accepté partout sans broncher les attaques qui les visaient, bien au contraire. Là où les appareils syndicaux leur en ont donné la possibilité, ils ont répondu solidement aux actions qui leur étaient proposées, en particulier dans le secteur semi-public et les transports privatisés. Mais, pour l'essentiel, ces mouvements, étroitement corporatistes et très limités tant sur le plan géographique que par le nombre des travailleurs concernés, sont passés largement inaperçus. Et c'est justement parce qu'ils étaient assurés de pouvoir contrôler ces mouvements de bout en bout, sans craindre aucun débordement et sans risquer qu'ils marquent l'actualité politique, que les appareils syndicaux ont offert à ces travailleurs la possibilité d'exprimer leur mécontentement de façon collective.
De la promotion à la gestion des licenciements
Tout en ayant été également étroitement contrôlés par les appareils syndicaux, deux mouvements sociaux ont attiré plus particulièrement l'attention des travailleurs : l'un chez les ouvriers sous-traitants de la construction, du fait de son caractère spectaculaire et en apparence explosif ; et l'autre chez les postiers, du fait du nombre important de travailleurs concernés. Mais derrière ces deux mouvements, c'est en fait encore une autre forme du « partenariat » de crise offert par les appareils syndicaux au patronat que l'on a vu se dessiner.
Les ouvriers sous-traitants de la construction industrielle sont des ouvriers pour la plupart très qualifiés, embauchés pour des chantiers de durée limitée dans la construction, la rénovation ou la grosse maintenance d'installations industrielles, centrales électriques, raffineries, usines chimiques ou sidérurgiques, etc. Ils ont été lourdement frappés par la crise, puisque environ 30 000 d'entre eux sont sans emploi. Il en reste néanmoins environ le double, répartis sur de multiples sites disséminés dans tout le pays. Il existe parmi ces travailleurs une longue tradition de combativité très corporatiste. Pour des raisons historiques, ils sont organisés à peu près à part égale dans deux syndicats, UNITE et GMB.
À la fin de l'année 2008, sous prétexte de lutte pour le maintien de l'emploi, ces deux syndicats lancèrent une campagne pour imposer aux entreprises d'embaucher en priorité des ouvriers sous-traitants britanniques. Les prises de parole organisées sur les sites se faisaient sous des drapeaux britanniques et des pancartes arborant le slogan « Les emplois britanniques pour les travailleurs britanniques ». Mais le ton chauvin de cette campagne prenait une autre signification si on tenait compte du fait que, sur un certain nombre de sites, il y avait des entreprises sous-traitantes étrangères qui avaient l'habitude de faire venir leurs propres ouvriers. Sur ces sites, la campagne des syndicats équivalait à réclamer le licenciement de ces ouvriers. C'était prendre le risque de jeter une catégorie d'ouvriers contre une autre, laissant aux patrons tout loisir de tirer parti de ces divisions.
Certains responsables syndicaux, un peu gênés par cette démagogie xénophobe, se défendaient en arguant du fait que les sous-traitants étrangers étaient moins payés que leurs homologues anglais et que c'était les patrons qui jouaient les ouvriers les uns contre les autres. Peut-être, mais alors pourquoi ne pas avoir choisi comme objectif l'alignement au plus haut niveau des salaires pour tous les sous-traitants, quelle que soit leur origine, en cherchant à souder les rangs de ces travailleurs autour de cette revendication commune, mais aussi d'objectifs tels que la répartition du travail entre tous sans réduction de salaire, pour empêcher les patrons de continuer à se débarrasser des ouvriers comme ils l'entendaient et conserver leur travail au plus grand nombre ?
Mais comme on le vit plus tard, les objectifs des appareils syndicaux n'avaient rien à voir avec le problème de l'emploi ni d'ailleurs avec l'embauche de salariés étrangers sous-payés.
Suite à cette campagne, en janvier 2009, huit cents sous-traitants du site de la raffinerie Total de Lindsey, dans le nord de l'Angleterre, se mirent en grève contre la présence d'une centaine d'ouvriers sous-traitants italiens sur le site. De là, le mouvement fit tache d'huile et, en moins de 48 heures, plusieurs milliers de sous-traitants d'une vingtaine de sites aux quatre coins du pays l'avaient rejoint.
La propagation spectaculaire et quasi nationale de ce mouvement de grèves sauvages marqua les esprits. Les leaders syndicaux ne leur donnèrent pas leur aval officiel, mais les permanents régionaux le firent de fait, en donnant aux grévistes les moyens matériels pour se déplacer d'un site à un autre. De toute façon, c'était le plus souvent ces permanents qui organisaient l'extension et les appareils n'avaient aucune raison de craindre d'être débordés sur un tel terrain.
Pendant les six mois qui suivirent, il y eut toute une série de telles vagues de grèves sauvages, plus ou moins importantes. Elles culminèrent en juin lorsque Total, excédé, fit l'erreur de licencier 647 ouvriers sous-traitants grévistes. La riposte fut une vague de grèves dépassant toutes celles vues depuis janvier. Et cette fois, la grève tint dix-huit jours, jusqu'à l'annonce par UNITE et le GMB que Total « avait cédé » et qu'ils recommandaient la reprise du travail.
En fait, si Total avait effectivement annulé les licenciements, l'accord ne comportait rien pour protéger l'emploi des ouvriers sous-traitants : non seulement la durée de la semaine « normale » de travail restait à 44 heures, mais Total y réduisait la durée garantie d'embauche à quatre semaines, ce qui constituait un recul pour beaucoup.
En revanche, cet accord comportait une clause prévoyant la nomination par les deux syndicats d'un permanent commun pour le site, chargé de mettre en place, avec la direction, les horaires et les effectifs nécessaires à la réalisation des objectifs de productivité, et de vérifier leur conformité avec les accords nationaux. Les appareils syndicaux avaient obtenu de pouvoir « assister » le service du personnel en pleine période de licenciements ! Quelques mois plus tard, un nouvel accord national était négocié avec les employeurs du secteur par les deux syndicats, dans lequel figurait une version pratiquement identique de cette clause, applicable désormais à tous les sites.
C'était dans cette clause que se résumait l'objectif de la campagne menée depuis janvier par UNITE et le GMB. Qu'importe pour eux que cette campagne aux relents nauséabonds puisse avoir laissé des rancœurs ou des divisions parmi les travailleurs, ou qu'elle ait pu se traduire par le licenciement de centaines de sous-traitants étrangers ! La prétendue « menace » des ouvriers étrangers sous-payés n'avait été pour les leaders syndicaux qu'un moyen de justifier leurs offres de services aux patrons dans la gestion du personnel et donc dans la mise en œuvre des attaques patronales contre les travailleurs.
C'est néanmoins dans le service postal d'État (Royal Mail), le secteur qui a vu l'autre mouvement important des deux années écoulées, que de telles offres de services de la part des appareils syndicaux ont pris le caractère le plus patent. Car à Royal Mail, la direction du syndicat des postiers CWU ne s'est même pas cachée derrière un prétexte quelconque, pour justifier sa volonté de participer à la mise en place des attaques de la direction. Dans un service en cours de « modernisation » depuis 2007, en vue de sa privatisation, les leaders du CWU ont toujours dit et répété qu'ils acceptaient la « modernisation » et toutes ses conséquences. Ils n'ont jamais remis en cause ni les dizaines de milliers de licenciements passés, ni ceux qui sont prévus, ni la charge de travail insupportable des facteurs (doublée voire triplée en un an). Leur seule aspiration, la seule réelle revendication qu'ils ont fixée aux trois mois de grèves partielles qu'ils ont organisées à partir de juin 2009, a été d'être associés à l'introduction des mesures de « modernisation ». Ces trois mois de grèves partielles furent spectaculaires, chaotiques et inefficaces. Mais quand les leaders du CWU annoncèrent pour la première fois un arrêt de travail national de 48 heures pour le début novembre, là Royal Mail céda sans difficulté. La direction concéda sans problème au CWU le droit de participer à la mise en place des mesures de « modernisation » qu'il revendiquait à tous les niveaux.
En décembre 2009, au niveau national comme au niveau local, les responsables du CWU étaient donc en discussion permanente avec des cadres spécialement désignés à cet effet. Pendant ce temps, les attaques contre les postiers continuaient comme si de rien n'était mais, de fait, avec l'estampille du CWU. Quant aux postiers qui, comme à Londres, avaient perdu de quinze à dix-neuf jours de paie pour rien dans les grèves partielles de l'année, ils avaient le sentiment, justifié, d'avoir été bradés par leur syndicat.
Jusqu'à présent, l'offensive patronale n'a pas suscité en Grande-Bretagne - pas plus qu'ailleurs en Europe - d'explosion de colère, même limitée, dans la classe ouvrière. Et c'est bien la seule chose qui permet aux appareils syndicaux de continuer à pousser de plus en plus loin leurs avances et offres de services au patronat et à la bourgeoisie. Mais nous avons toutes les raisons de penser que, même assistée par les plus serviles des appareils syndicaux dans la crise actuelle, l'avidité insatiable de profit du patronat le poussera forcément, un jour ou l'autre, à aller juste assez loin pour la provoquer, cette explosion de colère. Et alors, dans la lutte, la classe ouvrière britannique saura trouver dans ses rangs des militants dévoués à ses intérêts de classe pour régénérer un mouvement ouvrier capable de la représenter et de la mener au combat.
3 janvier 2010