Belgique - Le syndicat FGTB : un discours parfois radical n’empêche pas la soumission aux intérêts patronaux

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février 2010

L'une des grandes centrales syndicales de Belgique, la FGTB, a récemment lancé une campagne dite « du parachute rouge » qui se présente comme un programme de défense des intérêts des travailleurs du pays face aux conséquences de la crise que le patronat voudrait leur faire payer. Le langage, qui se veut déterminé, tranche avec la pratique habituelle de cette centrale réformiste et très habituée à la concertation avec patronat et gouvernement. Mais si l'adoption de ce langage un peu nouveau vise évidemment à répondre aux problèmes que la FGTB rencontre, il y a loin d'un changement de discours à un quelconque changement des pratiques syndicales.

Trois centrales syndicales très intégrées à l'appareil d'Etat

Trois centrales syndicales sont présentes en Belgique.

Dans le secteur industriel, c'est la FGTB (Fédération générale du travail de Belgique), directement liée au Parti socialiste, qui est majoritaire. Si chaque famille politique est divisée entre les deux principales régions linguistiques du pays - la Flandre et la Wallonie - les syndicats sont encore formellement unis. La branche flamande de la FGTB est l'ABVV (Algemeen belgisch vakverbond). Pour simplifier, le terme FGTB désignera l'ensemble FGTB-ABVV, bien qu'il existe des nuances entre les politiques des deux branches nord et sud du pays.

Mais c'est la CSC (Confédération des syndicats chrétiens), très liée aux partis chrétiens flamand et wallon, qui domine, avec 57 à 60 % des sièges pourvus par les élections sociales (tous les quatre ans, dans les entreprises privées de plus de 150 salariés), grâce à son poids en Flandre et dans l'ensemble du secteur tertiaire.

Enfin, la CGSLB (Confédération générale des syndicats libres de Belgique) ne recueille qu'un peu plus de 6 % des sièges.

Il y a plus de convergences que de divergences entre la FGTB et la CSC, et la tradition est plutôt aux actions en « front commun »... sauf lors des fins de conflits durs, où la division entre les deux centrales syndicales joue son rôle, avec généralement d'abord l'appel à la reprise du travail par la CSC... qui sert ensuite de prétexte au même appel par la FGTB.

Les militants des entreprises ont très peu d'indépendance par rapport aux appareils. Les délégués syndicaux, quasi permanents dans beaucoup d'entreprises, sont désignés, et révocables, par les permanents syndicaux du secteur dont fait partie l'entreprise. Et ces dirigeants sectoriels des appareils ont des rapports réguliers avec les directions des entreprises, en particulier lors des conflits.

Le taux de syndicalisation est élevé en Belgique, de 60 à 70 % selon les calculs et selon les secteurs. Il est avant tout la conséquence du rôle de guichet social joué par les syndicats. On peut en effet toucher les allocations de chômage via des services organisés par les syndicats et ceux-ci ont la réputation d'être plus efficaces que les caisses de l'État. Dans les entreprises, une bonne partie de l'activité des militants passe d'ailleurs dans l'aide à la paperasserie pour la Sécurité sociale et les impôts.

Par ailleurs, pour les grèves auxquelles les syndicats appellent - ou qu'ils acceptent de reconnaître - ils versent une indemnité journalière de18 euros aux grévistes syndiqués (22 euros la deuxième semaine). Quant à la cotisation syndicale, dans les grandes entreprises elle est souvent remboursée par l'employeur sous forme d'une prime, parfois redistribuée par les responsables syndicaux eux-mêmes...

Ces attributions de redistributeurs sociaux ont entraîné une forte intégration des appareils syndicaux belges aux rouages de l'État et se sont concrétisées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par un grand nombre de structures de « concertation » dont les dirigeants syndicaux sont très fiers. En position de faiblesse en 1944, comme bien des bourgeoisies d'Europe de l'Ouest, la bourgeoisie belge a dû rechercher l'appui des syndicats réformistes pour contrôler la classe ouvrière alors que le régime nazi s'effondrait et que montait l'influence des militants communistes parmi les travailleurs.

Quand le patronat refuse le jeu de la concertation

Aujourd'hui, les dirigeants syndicaux déplorent le manque de concertation du patronat. Cela fait pourtant plus de trente ans que le patronat est à l'offensive contre le niveau de vie et les acquis de la classe ouvrière. Mais jusqu'à ces dernières années, chaque remise en cause du niveau de vie et des conditions d'emploi et de travail par le patronat et les gouvernements donnait lieu à des négociations avec les syndicats. Les dirigeants syndicaux reculaient constamment, mais ces apparences de négociations leur permettaient de prétendre qu'ils avaient gagné quelque chose en contrepartie, ou qu'ils avaient évité le pire et que ces reculs étaient un moindre mal.

Après ces dizaines d'années de recul, dont les directions syndicales sont complices par leur refus d'organiser la moindre riposte sérieuse des travailleurs, toute une partie du patronat ne semble plus craindre de fortes réactions de la classe ouvrière. Certains patrons pensent même qu'il serait temps de se passer des appareils syndicaux eux-mêmes ou du moins de diminuer fortement le poids de ces appareils et ce qu'ils leur coûtent, ne serait-ce qu'en heures de délégation.

Ainsi, ces dernières années, la raison principale de la pression des partis politiques flamands vers une division encore plus poussée de la Belgique en deux régions de plus en plus indépendantes vient de la volonté du patronat flamand de scinder la Sécurité sociale et la fiscalité.

La Sécurité sociale, ainsi que les impôts, la justice, les affaires étrangères et la défense, restent les dernières compétences fédérales qui n'ont pas encore été réparties entre les Régions flamande et wallonne par les réformes successives de l'État belge depuis une cinquantaine d'années.

La division de la Sécurité sociale serait un feu vert au patronat pour réduire - encore plus fortement que ces trente dernières années - les cotisations sociales versées par les entreprises, par toutes les entreprises et pas seulement les entreprises en Flandre. Il est évident que si le patronat en Flandre finissait par imposer une baisse de ses cotisations, la concurrence entre les entreprises servirait rapidement de prétexte pour réduire les cotisations des entreprises à Bruxelles et en Wallonie. Beaucoup de travailleurs sont conscients qu'une telle scission de la Sécurité sociale irait à l'encontre de leurs intérêts.

Quant aux syndicats, le patronat ne fait bien sûr preuve envers eux d'aucune reconnaissance, alors qu'ils lui ont été bien utiles pour maintenir la « paix sociale ». Ils ont encore joué ce rôle en janvier 2008, lors des grèves qui ont éclaté spontanément parmi les ouvriers intérimaires des entreprises sous-traitantes de Ford à Genk (Limbourg) pour des augmentations de salaire. Pendant quelques jours, ces grèves commencèrent à s'étendre en Flandre, alors même que les permanents syndicaux s'employaient à faire voter la reprise du travail aux intérimaires. Un des dirigeants de l'organisation patronale flamande la plus réactionnaire, la VOKA, a même lâché à la télévision qu'il « espérait que les syndicats pourront garder la situation sous contrôle ».

Ces grèves en Flandre de début 2008, les syndicats francophones se sont bien gardés de les populariser à Bruxelles comme en Wallonie ! Ils n'ont pas voulu prendre le risque de faire monter la pression pour des augmentations de salaire dans le sud du pays. Et puis cela s'opposait tellement à l'image largement véhiculée par l'aile wallonne de la FGTB des « Flamands qui bossent dur et ne font pas grève ! »

Cela n'empêche pas qu'une partie du patronat, notamment en Flandre, considère que la période est favorable pour augmenter la pression, non seulement contre la classe ouvrière dans son ensemble, contre le droit de grève, mais pourquoi pas contre les syndicats eux-mêmes.

Les négociations patronat-syndicats à l'échelle nationale se soldent de plus en plus souvent par l'échec et c'est le gouvernement qui doit finir par trancher, en rupture avec la pratique passée des négociations sociales qui aboutissaient à un accord entre ceux qui se nommaient eux-mêmes « partenaires sociaux ».

Bien sûr, le gouvernement n'impose que ce qui est favorable au patronat, même s'il fait quelques concessions de pure forme aux syndicats. Comme récemment « la prime de licenciement de 1 666 euros net, dont l'employeur doit payer un tiers (c'est-à-dire 555 euros), s'il n'a pas au préalable fait appel à une série de mesures de crise pour éviter le licenciement ». Très peu de patrons seront amenés à payer ces 555 euros, alors qu'en contrepartie le gouvernement leur a accordé la prolongation du chômage temporaire pour les employés jusqu'à la mi-2010, largement payé par l'État. Mais ce petit geste purement formel est encore trop pour le patronat qui dénonce bruyamment cette « amende ».

C'est de plus en plus souvent en vain que les responsables syndicaux demandent un « geste » aux négociateurs patronaux, qui leur permettrait de présenter le résultat de la négociation comme une victoire ou du moins comme un moindre mal.

D'un autre côté, depuis plusieurs années, les patrons réagissent de plus en plus souvent face aux piquets de grève en faisant appel aux tribunaux. Les grévistes se voient menacés d'astreintes par des huissiers de justice envoyés sur les piquets. Ces patrons font aussi pression pour que les gouvernements modifient les lois afin de pouvoir condamner les syndicats eux-mêmes et leurs dirigeants.

Déjà des voix patronales - venant surtout du petit et moyen patronat en Flandre, mais pas seulement - se font entendre pour demander la suppression de la représentation syndicale dans les entreprises, et pour se passer des négociations.

Pour l'instant, le choix du patronat dans son ensemble n'est pas celui-là. Parmi ses dix conseils pour sortir de la crise, la FEB (Fédération des entreprises de Belgique) recommande à ses membres de « mettre les syndicats dans le coup de vos plans de restructuration ». Mais le climat se tend et les appareils syndicaux sentent planer les menaces.

C'est pour toutes ces raisons que les syndicats - surtout la FGTB, à la réputation plus combative - sont en partie sur la défensive.

Une partie des membres de l'appareil syndical est consciente que les fauteuils des différents organes de concertation sociale, l'administration des caisses de chômage - pour laquelle les syndicats emploient de nombreuses personnes - comme le nombre important de délégués dans les grandes entreprises, qui sont souvent de fait permanents, tiennent à leur capacité de mobiliser les travailleurs.

Les syndicats sont donc amenés à mobiliser leur base de temps en temps, y compris dans des journées de grève nationales, essentiellement pour faire la démonstration de leur puissance et montrer qu'il en coûterait cher au patronat, comme aux gouvernements, s'ils tentaient réellement de remettre en cause leur place dans la société.

Appareils syndicaux : une place à défendre dans la société

D'un côté, les centrales syndicales participent à de nombreux organismes de concertation avec le patronat. Ils ont des administrateurs qui siègent dans de nombreuses entreprises publiques, dont la Banque nationale de Belgique. Cela leur confère une certaine respectabilité dans la société, et un réel embourgeoisement aussi bien sûr.

Les dirigeants syndicaux sont aussi à la tête d'organisations qui regroupent des dizaines de milliers de militants (en 2008, 15 012 élus pour la FGTB, 25 298 pour la CSC et 2 771 pour la CGSLB) et des milliers de salariés des appareils syndicaux, sans oublier bien sûr les centaines de milliers de syndiqués dans les entreprises privées et publiques, actifs ou retraités. Cela leur donnerait une réelle puissance, s'ils voulaient s'en servir.

Mais d'un autre côté, depuis plus de trente ans, les dirigeants syndicaux négocient les reculs que le patronat impose à la classe ouvrière et que les gouvernements orchestrent. Ils acceptent et défendent la nécessité de ne pas affaiblir les entreprises en Belgique, face à la concurrence mondiale. Ce faisant, ils se font les complices de la politique du patronat visant à réduire la masse salariale.

La défense par les syndicats des profits patronaux, soi-disant pour préserver l'emploi, mène les travailleurs dans une impasse, car il est patent que les profits, même élevés, n'empêchent pas les patrons de supprimer des emplois.

Depuis l'éclatement de la crise financière en 2008 et les reculs économiques qu'elle a entraînés, cette politique de soumission aux lois de la concurrence capitaliste a conduit les syndicats à s'abstenir de toute mobilisation d'ampleur pour ne pas gêner le patronat, comme le défendait ouvertement le dirigeant de la branche flamande de la Centrale des métallurgistes : « C'est vrai que le pouvoir d'achat est une préoccupation des travailleurs. (...) Celui qui regarde l'industrie, sait que des mauvais temps arrivent... Cela n'a pas de sens de mettre encore plus d'emplois en danger en faisant grève. »

Bien sûr cette politique de soumission aux intérêts patronaux a des conséquences : la base syndiquée est de plus en plus mécontente des syndicats. Et si cela ne se traduit pas par une forte désyndicalisation, c'est que de nombreux travailleurs comptent malgré tout sur les services syndicaux, notamment pour les aider à remplir les formalités en cas de licenciement.

Mais le mécontentement vis-à-vis de la politique des syndicats s'exprime ouvertement, et très souvent les ouvriers en veulent plus aux permanents des appareils et aux responsables syndicaux dans les entreprises qu'aux patrons eux-mêmes.

Il en est de même pour les chômeurs qui, après avoir été licenciés, subissent des pressions permanentes pour retrouver un emploi, y compris la menace de perdre leurs allocations de chômage, ce que les gouvernements appellent « l'activation des chômeurs » !

Bien sûr la FGTB a toujours dénoncé cette chasse aux chômeurs. Mais, sous la pression des milieux politiques flamands, le PS de Wallonie et de Bruxelles a accentué les pressions pour que les chômeurs acceptent les quelques emplois proposés, quels que soient les salaires et conditions de travail. Les chômeurs doivent aussi prouver qu'ils recherchent auprès des entreprises des emplois qui n'existent plus.

Et ce sont les syndicats qui se chargent d'accompagner les chômeurs dans cette quête absurde, comme conséquence du rôle que les appareils jouent dans la gestion des indemnités de chômage. Et dans l'industrie, la FGTB wallonne est bien sûr fortement impliquée. Les syndicats apparaissent ainsi comme complices de ces pressions, et subissent le mécontentement des chômeurs.

Pourtant, cette influence des appareils sur les salariés, sur les militants dans les entreprises et surtout sur la base syndiquée, est le seul capital dont disposent les dirigeants des appareils syndicaux pour défendre leur position sociale, celle de conciliateurs officiels entre les travailleurs et le patronat.

C'est aussi leur seul moyen de défense face à une éventuelle offensive patronale d'envergure pour remettre en cause le poids des syndicats et par conséquent les positions sociales que les dirigeants occupent, avec les avantages qui leur sont liés.

C'est pour cela, pour cacher leur passivité, et même leur complicité avec patronat et gouvernements, mais aussi pour se mettre éventuellement en situation de défendre leurs intérêts d'appareils en mobilisant les syndiqués, que les dirigeants syndicaux sont prêts à tenir des discours qui tranchent avec la réalité de leur politique et semblent offrir aux travailleurs un programme radical de défense de leurs intérêts de classe.

La campagne du « parachute rouge » de la FGTB

Dans sa campagne dite du « parachute rouge » - opposée sans doute aux « parachutes dorés » des patrons - la FGTB propose de remplacer « le chômage économique par la réduction du temps de travail sans perte de salaire. »

Disponible à partir du site web de la FGTB, cette campagne décline sous forme d'affiches, de tracts et de dépliants, dans les deux principales langues du pays - le français et le néerlandais - une série de dénonciations et de revendications. Dans un langage clair et direct, les origines de la crise sont dénoncées : « La crise, peut-on y lire, n'est pas un accident de parcours. C'est la crise du système capitaliste qui est arrivé au bout de sa logique. » (...) « La recherche effrénée du profit a conduit à la destruction de millions d'emplois et au gaspillage insensé des ressources naturelles. Le fossé entre les riches et les pauvres s'est creusé. Les inégalités n'ont jamais été aussi importantes. » (...) « Mais l'argent accumulé n'a pas été investi dans l'économie. Il a alimenté des comptes dans les paradis fiscaux et les fonds spéculatifs à la recherche du profit maximum, gonflé artificiellement le cours des actions, créé des bulles financières et immobilières qui nous éclatent à la figure et qui ont failli engloutir notre épargne d'une vie. »

On ne peut que partager ce constat, à ceci près que les rédacteurs préfèrent en faire porter la responsabilité sur les épaules du « néo-libéralisme » et non du capitalisme lui-même. C'est ainsi qu'ils affirment : « Les libéraux ont voulu se débarrasser du contrôle de l'État et privatiser les services publics » ; « supprimer les contrôles sur les marchés financiers » ; « comprimer les salaires et réduire la protection sociale pour augmenter les profits » ; « augmenter la flexibilité ».

C'est au moins un mensonge par omission car si « les libéraux ont voulu », ce sont en Belgique les différents gouvernements de coalition - libéraux, chrétiens et socialistes - qui l'ont fait ! Ils ont appliqué les directives des grands patrons et des actionnaires pour supprimer la plupart des contraintes financières, privatiser les services publics, imposer des mesures d'austérité, geler les salaires et les pensions, flexibiliser le travail, etc.

Les partis socialistes - francophone comme flamand - sont aussi responsables que les partis libéraux et chrétiens des reculs imposés aux travailleurs et à la majorité de la population. Et côté francophone, la responsabilité du Parti socialiste est d'autant plus engagée qu'il est le parti le plus important et que les ministres socialistes ont pu s'appuyer sur une FGTB majoritaire pour justifier cette politique aux yeux des travailleurs et paralyser leurs mouvements de colère quand ceux-ci commençaient à éclater.

Cependant, on ne peut qu'approuver les arguments évoqués pour dénoncer la politique d'austérité : « Restructuration et délocalisations, flexibilité et stress, précarité, chômage, impôts injustes : on a déjà payé cher le prix de cette politique. On veut maintenant nous faire payer le prix de son échec. Les « subprimes » et autres produits toxiques, ce n'est pas nous qui les avons inventés ». (...) « On a déjà donné. Non à l'austérité. »

Un autre aspect de cette campagne est l'appel à la lutte contre la fraude fiscale, demandant « une véritable lutte contre la fraude fiscale pour réalimenter les caisses de l'État, ainsi on pourra développer l'enseignement, les soins de santé et les transports publics de qualité », et demandant aussi la « suppression des paradis fiscaux et la levée du secret bancaire. »

En effet, la loi belge interdit aux banques de communiquer au fisc des informations sur les comptes dont elles sont dépositaires. Actuellement, les avocats d'une filiale luxembourgeoise d'une grande banque belge (KBC) ont obtenu d'invalider les poursuites judiciaires à l'encontre de ses ex-dirigeants pour l'organisation à vaste échelle de fraude fiscale, en invoquant précisément l'illégalité qu'aurait commise le fisc en utilisant des données bancaires transmises par des cadres licenciés.

La FGTB estime que l'État pourrait récupérer annuellement quinze milliards d'euros rien qu'en traquant réellement la fraude fiscale et en donnant notamment aux services fiscaux les moyens humains de le faire. Mais modifier la législation ne sert à rien sans la volonté d'appliquer les nouvelles lois. Même dans les pays, notamment la France, où la loi donne théoriquement plus de possibilités d'investigation au fisc, le pouvoir politique se refuse à engager les moyens humains et matériels pour traquer la fraude de haut vol.

La FGTB souligne de la même façon, avec raison : « Les banques ont failli capoter. C'est nous qui les avons sauvées. » Et en effet, le gouvernement belge est intervenu au moins à la hauteur de 15 milliards d'euros, et plus probablement de 24 milliards, en aides directes pour sauver la banque Fortis de la faillite, ainsi que pour éviter aux autres banques, Dexia, KBC, ING, de suivre le même chemin. Or, dit la campagne de la FGTB : « Nous sommes actionnaires de l'État. C'est à nous qu'il faut rendre des comptes. »

Rendre des comptes devant toute la population permettrait en effet de se demander comment ces 24 milliards auraient pu être utilisés dans son intérêt, et non dans celui des banquiers. La campagne syndicale pour défendre l'emploi et l'économie préconise d'ailleurs des solutions parmi lesquelles : « Repenser la production pour épargner la planète et satisfaire les besoins de l'humanité. Isoler les maisons, développer les énergies renouvelables, recycler, développer les transports publics, les services aux personnes... » On peut se demander à qui on demande là de « repenser la production » et pourquoi d'une façon aussi vague, mais il est vrai que ce ne sont pas les besoins qui manquent, à l'échelle mondiale, y compris dans un pays comme la Belgique. Et ces besoins pourraient être satisfaits à une époque où tous les moyens existent pour permettre à l'ensemble de la population mondiale de vivre décemment.

Mais, pour ne prendre que cet exemple, le blé et le riz ne sont que des matières premières parmi d'autres pour les traders de BNP-Paribas ou de Fortis, qui ont recommencé à spéculer sur le cours de ces biens alimentaires, assurées sur leurs arrières par les États français et belge. Alors qui va contrôler les banques ? Qui va empêcher ces spéculations génératrices de hausses de prix ici, et de famines dans les pays les plus pauvres ? Les contribuables « actionnaires de l'État », salariés aujourd'hui, précaires demain, chômeurs après-demain, rackettés par Carrefour puis par Total, auraient réellement intérêt à le faire. Car les ministres et leurs conseillers, qui passent du service de l'État à celui de la finance, tel l'ex-Premier ministre belge Jean-Luc Dehaene, actuel administrateur de Dexia, n'ont aucunement l'intention d'exercer ce contrôle sur les banques et les multinationales, ni même les moyens de le faire s'ils le voulaient.

Une campagne dont la lutte est absente

On ne peut bien sûr que se féliciter de voir la FGTB mener une campagne qui dénonce justement bien des aspects de la crise. Il est vrai que jusque-là, il ne s'agit au fond que d'exprimer une réalité que beaucoup de travailleurs constatent. Mais bien sûr, la revendication d'une réduction du temps de travail sans perte de salaire pour lutter contre le chômage, la dénonciation de l'austérité et l'appel à la lutte contre la fraude fiscale, la mise en avant d'objectifs économiques contre la paralysie due à la crise et l'exigence du contrôle des moyens financiers des banques et des entreprises, sont autant de propositions qui pourraient se transformer en objectifs concrets pour une classe ouvrière en lutte.

En revanche, en dehors de telles luttes, que la FGTB ne fait rien pour développer, ses propositions ne restent qu'un catalogue d'idées séduisantes... qui peuvent se transformer en quelques objectifs réformistes ayant peu de chance de devenir réalité, voire susceptibles d'être retournés contre les travailleurs (à l'exemple de ce qu'ont été les 35 heures en France). Et justement, on chercherait vainement comment la FGTB envisage de faire passer son programme dans les faits. Ses axes de propagande semblent surtout servir de préambule à des demandes syndicales beaucoup plus traditionnelles. « Les plans de relance nationaux et européens doivent être plus audacieux. On a trouvé des milliards pour les banques. Il en faut au moins autant pour l'emploi. L'Europe doit jouer un rôle moteur. Il faut pour cela une réelle gouvernance européenne. »

Après les détours aux accents inhabituels de la campagne du Parachute rouge, c'est là un langage syndical malheureusement plus familier. Les « plans de relance », les « plans industriels », signifient concrètement que l'on demande des programmes de subventions aux entreprises, sous prétexte de sauvegarder l'emploi, ce qui n'est autre que la véritable politique syndicale depuis des dizaines d'années, sans aucune efficacité d'ailleurs en matière d'emploi. « Aider les entreprises », c'est continuer à faire cadeau de milliards d'euros aux patrons et aux actionnaires qui n'ont cure ni des travailleurs ni de l'emploi.

Les actionnaires empochent et les entreprises licencient. Telle en Belgique, la multinationale BASF qui ferme son site de Feluy, après avoir bénéficié des années durant de toutes sortes de faveurs fiscales, notamment pour produire du biocarburant.

On sait également où les gouvernements prendront les milliards pour ces « plans de relance ». Ce sera d'une façon ou d'une autre dans les poches des travailleurs et de la population. Car contraindre les riches et les entreprises à payer leurs impôts, les gouvernements n'en n'ont pas l'intention. Pour lutter contre la fraude fiscale, pour lever le secret bancaire, comme le réclame à juste titre la FGTB, il faudra des luttes très importantes et une mobilisation des travailleurs pour contrôler eux-mêmes les comptes des banquiers et des industriels. Et dans la mesure où les syndicats réformistes, FGTB comprise, ne font rien pour organiser de telles luttes, ce sera donc encore dans la poche des travailleurs, par les hausses d'impôts et la diminution des budgets sociaux et des services publics, que les gouvernements iront chercher de quoi financer les cadeaux à la bourgeoisie.

Appui de la politique du PS au gouvernement...

Cette campagne syndicale du Parachute rouge au ton offensif a aussi pu servir de point d'appui au Parti socialiste dans les négociations des programmes 2010-2011 des coalitions gouvernementales, dans un contexte politique belge où même les ténors de la droite libérale, même les ministres chrétiens-démocrates, concédaient « qu'il faut faire payer les banquiers ».

Le Parti socialiste, côté francophone, avait en effet choisi, depuis la campagne électorale de juin 2008, de gauchir son discours pour tenter de remonter la pente après ses sévères pertes électorales de 2004. Alors que les leaders des autres partis péroraient déjà sur « la fin du socialisme en Wallonie », le président du PS, Elio Di Rupo, avait soudainement découvert que la crise financière révélait « la faillite du libéralisme », que l'austérité pour remédier aux déficits publics « est une idée de droite », n'hésitant pas à menacer les électeurs ouvriers tentés par un vote de désaveu contre le PS d'un « bain de sang social » si la droite l'emportait.

Dans le feu de la polémique, Di Rupo avait fustigé la politique de dérégulation et de privatisation... comme si elle n'avait pas été la sienne lorsqu'il était ministre des Communications et des entreprises publiques dans les années quatre-vingt-dix. Lorsque le ministre Di Rupo privatisait l'entreprise publique de téléphone, lorsqu'il ouvrait le capital de La Poste à des groupes privés, ou préparait la privatisation de la compagnie d'aviation belge Sabena, il appliquait cette politique dite libérale qu'il dénonçait plus tard...

Lors des préliminaires des négociations du gouvernement fédéral sur le budget 2010, la ministre socialiste (francophone), Laurette Onkelinkx, avait poursuivi ce positionnement politique. Elle s'était déclarée opposée à une politique d'austérité « qui ferait payer aux travailleurs une crise dont ils ne sont pas responsables ». Rappelant que « la crise économique est la conséquence de la crise financière », elle appelait « à faire payer les responsables, c'est-à-dire les banques », tout en déposant au passage quelques pierres dans le jardin de son voisin, le ministre des Finances libéral, Didier Reynders, en soulignant son absence de volonté de lutter contre la fraude fiscale.

... qui se contente de peu !

Ces quelques changements de discours politique des dirigeants du Parti socialiste ont été abandonnés en douceur fin octobre 2009 après qu'un « accord budgétaire » a été trouvé entre les partis libéraux-socialistes-chrétiens des coalitions gouvernementales. Selon le bilan que les porte-parole du PS tirent de cet accord, ce ne sont pas « les contribuables », « les malades », « les salariés » qui payeront les conséquences de la crise, mais « les banques », « le secteur énergétique », les « fraudeurs ». Contrairement à ce que le laisse supposer cette énumération, les fraudeurs en question ne sont pas les riches, mais « les chômeurs qui travaillent au noir ».

Une manipulation cautionnée par la FGTB qui a déclaré qu'elle « se félicite d'avoir été entendue, en partie en tout cas, suite aux prises de positions syndicales et mobilisations militantes organisées ces dernières semaines »,(Mobilisations qui se sont en fait limitées à une seule manifestation locale) ajoutant : « Bien que les résultats du conclave budgétaire ne donnent pas (entièrement) satisfaction, nous n'assistons pas à la casse sociale qui était à craindre ». Et aussi : « En outre, des pas sont faits dans la bonne direction, mais il faut aller plus loin ! On pense en particulier :

- aux banques qui vont devoir payer et au secteur énergétique qui sera mis à contribution. Un Comité de suivi, dans lequel les syndicats seront représentés, sera mis sur pied en vue de protéger l'emploi et les consommateurs ;

- aux décisions favorables à la lutte contre la fraude fiscale, tant réclamée par la FGTB. Un coin a été enfoncé avec l'échange d'informations qui pourra désormais s'opérer entre administrations, mais aussi entre les différents services, jusqu'ici cloisonnés, de l'administration fiscale... »

Quels « pas dans la bonne direction » ? L'administration fiscale coopérera désormais... avec elle-même ! Les banques et le secteur énergétique « vont devoir payer » ? C'est un mensonge éhonté ! L'ex-dirigeant de la filiale belge de la Deutsche Bank, Yves Delacolette, avouait sans fard que cette taxe serait reportée en frais sur les comptes d'épargne, « c'est-à-dire en impôt sur les épargnants ».

Quant à la prétendue « contribution » du secteur énergétique, il s'agit au mieux d'un échange de quelque deux cents millions par an contre la prolongation de dix à quinze ans des centrales nucléaires déjà amorties, permettant à Suez-Electrabel de tirer « une rente annuelle de 800 millions d'euros en raison de la différence entre ses coûts de production et les prix du marché », selon les mots de la commission gouvernementale sur l'énergie. Et rien ne dit que Suez payera !

On voit là, dans les faits, ce qu'il en est de la politique réelle de la direction de la FGTB. Même si les dirigeants syndicaux peuvent tenir certains discours d'apparence radicale, en fonction de leurs calculs et de leur démagogie, il n'y a évidemment aucune illusion à avoir sur leur volonté de préparer une véritable mobilisation des travailleurs pour imposer leurs exigences.

Il reste à souhaiter que, indépendamment même des intentions de la bureaucratie syndicale, ce soit les travailleurs qui prennent l'initiative de la lutte, sur ces revendications ou sur d'autres, pour empêcher que la classe ouvrière ne fasse les frais de la crise du capitalisme.

12 janvier 2010