En conclusion

Imprimir
décembre 2016 - janvier 2017

Pendant les six mois qui viennent, nos préoccupations, nos activités, vont s’articuler autour des deux élections qui se suivront : la présidentielle en avril-mai et les législatives en juin 2017.

Nous voudrions d’abord revenir sur ce que nous pouvons espérer des deux campagnes autour de ces élections qui n’en feront qu’une en réalité. Ou plus exactement quel est notre objectif ?

Pour ce qui est des résultats : nous n’avons ni la taille organisationnelle ni, surtout, la crédibilité électorale pour pouvoir cristalliser, sur Nathalie Arthaud à la présidentielle et sur les quelque 550 candidats que nous présenterons aux législatives, les mécontentements, les frustrations, le dégoût, à l’égard de la gauche au pouvoir, des travailleurs, des chômeurs et des retraités.

Nous en avertissons surtout les plus jeunes dont c’est la première campagne présidentielle et législative car les vieux crocodiles – et même ceux d’âge mûr – sont vaccinés. Encore que…

Nous ne disons pas que la classe ouvrière est démoralisée, car le moral, la combativité d’une classe sociale fluctue en fonction d’une multitude de facteurs. Certains, objectifs, extérieurs au prolétariat ; d’autres, liés à son état d’esprit ; et plus généralement, une combinaison des deux. Quel était le moral du prolétariat parisien six mois avant la Commune de Paris ? Et quels étaient le moral et la combativité du prolétariat russe quelques mois, quelques semaines avant la révolution ?

Voici ce qu’en disait un dirigeant révolutionnaire de l’envergure de Lénine et aussi lié qu’il l’était au prolétariat, sa classe d’adoption : « Nous, les vieux, nous ne verrons peut-être pas les luttes décisives de la révolution imminente. Mais je crois pouvoir exprimer avec une grande assurance l’espoir que les jeunes […] auront le bonheur non seulement de combattre dans la révolution prolétarienne de demain, mais aussi d’y triompher. »

Et le texte dont ce passage est extrait date du 9 janvier 1917. Moins de deux mois après, le 23 février 1917 à Petrograd, une manifestation de femmes pour réclamer du pain donnait la première secousse à ce qui allait devenir un des plus grands ébranlements révolutionnaires de l’histoire et conduire, sept mois plus tard, le prolétariat au pouvoir.

La crise de direction
du prolétariat

Alors, ce n’est pas la combativité de la classe ouvrière dont il s’agit. Elle peut exploser sans prévenir.

Ce qui exprime avec le plus d’exactitude la réalité de notre époque, c’est que les travailleurs, la classe ouvrière ne voient pas de perspectives politiques. Ni de vraies perspectives, ni de fausses, du genre de ce que pouvait offrir, dans les années 1970, le retour de la gauche au pouvoir.

La perspective de renverser le pouvoir de la bourgeoisie et de changer de fond en comble la société, qui a fait agir plusieurs générations du mouvement ouvrier, a presque complètement disparu de la conscience collective de la classe ouvrière.

Cette situation n’est pas nouvelle. Mais, pendant les quelque vingt ans entre, disons, le milieu des années 1950 et celui des années 1970, où, dans un riche pays impérialiste comme la France, l’économie capitaliste assurait à tout un chacun « le vivre et le couvert », tant qu’on trouvait du travail avec un salaire qui permettait de vivre, la situation objective elle-même semblait corroborer les perspectives réformistes.

Cette époque est finie. Mais, contrairement à la crise de 1929, cela ne s’est pas produit de façon brutale. Les illusions réformistes, l’idée qu’une certaine amélioration du sort des travailleurs était possible dans le cadre du système capitaliste, ont survécu bien après que la crise de l’économie capitaliste a poussé la bourgeoisie à intensifier son offensive contre la classe ouvrière. Comment aurait-il pu en être autrement alors que le PCF, les appareils syndicaux ont continué à rouler sur les mêmes rails réformistes ? Face à la crise et à la politique offensive du grand capital pour en faire supporter les conséquences aux salariés, ils continuent à prêcher l’illusion que la crise de l’économie peut être surmontée avec une autre politique dans le cadre du système capitaliste.

La classe ouvrière a pris du retard face à la bourgeoisie. L’intensification de la lutte de classe dans les entreprises comme les mesures antiouvrières des gouvernements ont trouvé une classe ouvrière désarmée sur le plan politique.

Ce n’est pas le lieu ici de revenir sur le comment et le pourquoi de cette évolution, si ce n’est pour rappeler les trahisons des directions successives issues du mouvement ouvrier, la social-démocratie d’abord et, de façon plus dramatique encore, le stalinisme.

La crise de l’économie capitaliste et la dernière phase de son aggravation depuis la crise financière de 2007-2008 sont survenues alors que la perspective d’une révolution prolétarienne pour renverser le capitalisme n’a survécu que dans quelques petites organisations.

Nous n’avons pas fini de citer cette phrase du Programme de transition affirmant que « la crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction du prolétariat ».

Huit décennies se sont écoulées depuis que ces lignes ont été écrites. Des décennies riches en événements, riches aussi de possibilités pour le prolétariat de mener son combat jusqu’au bout, jusqu’au renversement du pouvoir de la bourgeoisie.

L’absence de direction révolutionnaire prolétarienne a laissé le champ libre à toutes sortes de forces politiques issues notamment de la petite bourgeoisie nationaliste des pays pauvres dont certaines, faute de concurrence venant du prolétariat, ont su profiter des possibilités révolutionnaires pour s’emparer du pouvoir. Le stalinisme s’est prolongé à travers toutes sortes de mouvements nationalistes révolutionnaires qui ont continué à se revendiquer du communisme tout en désarmant le prolétariat.

Ces mouvements, lorsqu’ils sont parvenus au pouvoir, comme en Chine, se sont intégrés à leur tour dans le système capitaliste mondial. Et si un régime comme celui de Castro a su résister à la pression, militaire, diplomatique, économique, de l’impérialisme, principalement celui des États-Unis, grâce à la sympathie et au soutien des masses pauvres, son retour dans le monde impérialiste n’est qu’une question de temps.

Et les courants nationalistes issus directement ou indirectement du stalinisme ont cédé la place à des forces de plus en plus réactionnaires, dont les mouvements fondamentalistes al-Qaida ou Daech constituent les derniers avatars.

Avec l’intégration totale des appareils syndicaux dans les appareils d’État, les grands partis issus du mouvement ouvrier comme les bureaucraties syndicales ont complètement basculé du côté de l’ordre bourgeois.

Ce n’est pas seulement qu’ils ne transmettent plus la conscience de classe et les idées communistes révolutionnaires, mais ils transmettent sciemment les idées et les valeurs de la bourgeoisie au pouvoir. L’électoralisme n’est qu’un aspect parmi bien d’autres de cette évolution.

À propos du PCF

Ici, en France, le principal exécuteur des basses œuvres de la bourgeoisie à l’intérieur même du mouvement ouvrier a été le parti stalinien. Pas seulement en tant que parti, mais aussi par son influence sur le principal syndicat, la CGT.

Aujourd’hui, ce n’est pas seulement une crise au niveau des directions. Avec la dislocation progressive du PC stalinien, se disloquent des structures organisées, de moins en moins présentes dans la classe ouvrière. Et ce qui reste du capital militant de la classe ouvrière est profondément infecté par une multitude de formes de réformisme qui ont toutes en commun une profonde méfiance envers la classe ouvrière et le rejet, la négation même de l’idée qu’elle puisse renverser le pouvoir de la bourgeoisie et prendre elle-même le pouvoir et l’exercer pour transformer la société.

Ouvrons une parenthèse en rappelant certaines discussions que nous avons eues dans nos rangs durant ou après le mouvement contre la loi El Khomri.

Nous ne revenons pas sur le mouvement et ses limites. Mais ce mouvement et le fait d’y avoir côtoyé des militants plus ou moins issus du PC, c’est-à-dire du courant stalinien – au sens très large du terme –, nous ont permis de discuter un peu plus facilement avec eux.

L’affaiblissement continu du courant stalinien fait que le PCF est de moins en moins capable d’imposer sa loi dans la classe ouvrière. Au temps de sa toute-puissance, le PCF interdisait la discussion, la confrontation des idées et des politiques, au besoin par la violence.

Dans l’immédiat, s’y est ajouté le fait que pendant plusieurs mois le PC a hésité sur ses choix de qui soutenir lors de la présidentielle et surtout avec qui s’allier lors des législatives.

Je ne reviens pas ici sur les raisons de ces hésitations, nous en avons parlé dans le texte sur « Les élections présidentielle et législatives de 2017 ».

Mais nous avons dit aux camarades de profiter de ces circonstances pour discuter avec ces militants. Il fallait le faire tout simplement parce qu’un des aspects importants de notre activité militante est de nous affronter avec les militants réformistes, issus du courant stalinien ou pas. Tout simplement aussi parce que nous sommes en confrontation permanente avec eux devant l’ensemble des travailleurs même lorsque ces derniers ne s’y intéressent pas.

Mais nous avons aussi insisté sur le fait que ce n’est pas parce que ces militants sont un peu plus ouverts à la discussion qu’au temps du stalinisme pur et dur qu’ils sont plus faciles à gagner aux idées communistes révolutionnaires. Par bien des côtés, même leur « ouverture » est l’expression de leur social-démocratisation croissante. Ils sont et ils restent des adversaires politiques. Et si la classe ouvrière relève la tête, elle trouvera sur son chemin les appareils réformistes avec, sans doute, une grande partie de leurs militants.

Refermons la parenthèse, pour dire que, même si le courant stalinien est devenu mélenchoniste, social-démocrate, voire écologiste, il continue à représenter au sein du mouvement ouvrier les intérêts politiques de la bourgeoisie. Lénine puis Trotsky parlaient des gens de cet acabit comme d’agents de la grande bourgeoisie au sein de la classe ouvrière.

Il va sans dire aussi qu’il faut s’efforcer de discuter avec les militants de ce courant, même maintenant que le PCF a fait le choix de soutenir Mélenchon. D’autant plus que les militants du PCF restent partagés et que si, lors du référendum interne, 53 % se sont prononcés pour Mélenchon, cela signifie que 47 %, c’est-à-dire presque la moitié, se sont prononcés contre. Si certains de cette deuxième catégorie finissent par rentrer dans le rang, ce ne sera certainement pas le cas de tout le monde. Cela nous donne l’occasion de nous expliquer sur la politique du PCF et sur l’impasse qu’elle représente du point de vue des intérêts politiques des travailleurs.

Le poids des appareils réformistes, l’abandon du combat pour le renversement du capitalisme font que la crise et tout ce qui en découle apparaissent aux yeux des masses comme des faits objectifs, quasiment comme des catastrophes naturelles (tremblements de terre ou ouragans), où le mieux que l’on puisse faire, c’est de se protéger, de protéger sa famille, sa communauté.

On ne peut rien comprendre à l’évolution réactionnaire de la vie politique et de la vie sociale, devenue tellement visible cette année, si on ne comprend pas que sa dynamique résulte de l’absence de la classe ouvrière sur la scène politique. Qu’elle résulte de l’absence d’un parti implanté dans la classe ouvrière, défendant la perspective du renversement de la société bourgeoise.

Et c’est faute de cette perspective que les travailleurs, même les plus conscients des dégâts de l’économie capitaliste, même les plus combatifs, quand ils cherchent, ne trouvent sur leur chemin que des démagogues. Quelques-uns de gauche genre Tsipras en Grèce ou Mélenchon en France. D’autres du côté de l’extrême droite.

Cette absence de la classe ouvrière sur la scène politique, avec ses propres perspectives pour l’avenir de la société, se répercute sur toutes les classes populaires. Oh, la crise économique n’a pas frappé la petite bourgeoisie, en tout cas pas pour le moment, au point qu’elle soit prête à se mobiliser dans la violence et à fournir des troupes à des aventuriers fascistes.

Pour donner un sens social et politique aux résultats de la primaire de la droite, il faut rappeler l’importance numérique de cet électorat dans un pays comme la France où il constitue le socle de la démocratie bourgeoise. Il est significatif que cette petite bourgeoisie de droite se retrouve derrière Fillon, un des plus conservateurs du lot, au sens électoral du terme, un des plus réactionnaires dans sa vision de la société.

Les élections
et l’affermissement
de notre courant

Tout cela illustre cette évidence que les vents ne vont pas du tout dans notre sens et que cela se reflétera dans les résultats électoraux.

Malgré l’évolution réactionnaire des choses, nous constatons, aussi bien dans les entreprises qu’à l’occasion des caravanes, que nous ne sommes pas rejetés. L’expression « camp des travailleurs » a une signification plus ou moins claire, plus ou moins consciente, mais une signification quand même pour nombre de travailleurs ou de chômeurs avec qui on discute. Et pour cause, car elle exprime la réalité sociale !

Les partis réformistes et staliniens ont pu effacer au fil du temps la conscience claire de cette réalité mais ils n’ont pas pu supprimer la réalité elle-même.

Il existe dans la classe ouvrière un courant qui ne se résigne pas et qui ne fait pas sien le conformisme social déversé par tous les médias, par tous les clans politiques, pour lesquels patrons et banquiers sont faits pour diriger le monde et les travailleurs, pour leur obéir. Nous sommes trop petits pour mesurer l’importance de ce courant. Si les élections ne nous en donnent qu’une idée approximative, elles nous en donnent quand même une.

Alors, notre objectif dans les élections est, en premier lieu, de donner à ce courant une expression politique, de permettre à tous les travailleurs qui rejettent plus ou moins clairement les partis politiques de la bourgeoisie, y compris ceux qui se réclament de la gauche ou ceux qui sont issus du mouvement ouvrier, de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls dans leur coin et qu’un courant, aussi minoritaire qu’il soit, continue à exister.

L’élection présidentielle a cet avantage par rapport à la plupart des autres élections, plus locales, de s’adresser au même moment à l’ensemble du pays et de donner à la politique que nous y défendons un caractère général.

Nous avons rappelé dans le texte « Lutte ouvrière dans la campagne présidentielle » que, dans les élections présidentielles successives auxquelles nous avons participé avec la candidature d’Arlette Laguiller, puis celle de Nathalie Arthaud, « nous avons toujours refusé de noyer le caractère de classe de notre candidature dans un magma de revendications et d’objectifs divers émanant de diverses catégories d’opprimés, même lorsque ces objectifs et ces revendications étaient tout à fait légitimes ».

Nous avons rappelé aussi que « la fidélité aux idées de lutte de classe, la volonté de faire entendre le « camp des travailleurs » qui ont caractérisé toutes nos campagnes électorales à l’élection présidentielle, ont permis que s’affirme au fil des ans un courant politique qui se retrouve dans cette idée ».

Nos résultats ont varié en fonction de la situation politique et de bien d’autres facteurs, tout en restant toujours modestes. Avec l’évolution vers la droite de toute la scène politique, nous serons à contre-courant. Mais cela nous donne une opportunité de resserrer les liens avec cette minorité de l’électorat populaire qui n’a pas peur d’être à contre-courant. Resserrer ces liens politiquement et, partout où faire se peut, humainement et sur le plan organisationnel.

Voilà notre premier objectif, qui en entraîne un second : faire en sorte que les liens créés pendant la campagne électorale se prolongent au lendemain des élections.

Dans un passage de La maladie infantile du communisme, le gauchisme, souvent cité, Lénine tire paradoxalement, de la période de grande défaite qui a suivi la révolution de 1905, période marquée, comme il dit, par « abattement, démoralisation, scissions, débandade, reniement », la conclusion : « Mais en même temps, la grande défaite justement offre aux partis révolutionnaires et à la classe révolutionnaire une leçon véritable, infiniment salutaire, une leçon de dialectique historique et qui leur fait comprendre et apprendre l’art de soutenir la lutte politique. On connaît le véritable ami dans le besoin. Les armées défaites sont à bonne école. »

La comparaison a ses limites. Nous ne sommes pas au lendemain d’une grande défaite, mais après une succession de reculs sans combat du camp des travailleurs face à la bourgeoisie.

Mais la leçon que Lénine en tire doit nous parler. Un parti communiste révolutionnaire ne se bâtit pas seulement dans le succès mais aussi dans les reculs. […]

Notre campagne dans les élections présidentielle
et législatives

Qu’allons-nous dire dans la campagne présidentielle ?

Laissons de côté les aspects politiciens c’est-à-dire la critique personnalisée des uns et des autres, des candidats déjà connus ou encore à venir. D’abord, parce qu’on ne les connaît pas encore tous, en particulier quel sera le résultat de la primaire du PS. Et puis, sur le fond, on s’en moque.

La primaire à droite a au moins levé le suspense insoutenable de savoir qui, de Sarkozy, Juppé et Fillon, représentera la droite traditionnelle. Même si celui qui est sorti de la pochette-surprise n’est pas celui qui avait été annoncé vainqueur par tous les médias auparavant, ce n’est certainement pas cela qui modifiera nos axes de campagne. (…)

L’idée fondamentale en est que, contrairement au baratin de tous les politiciens de la bourgeoisie, il n’y a aucune médication contre la crise, et plus précisément dans le cadre du système capitaliste. En même temps, ce n’est pas une fatalité que ce soit la population laborieuse qui fasse les frais de la crise. La condition en est de faire payer les industriels et les banquiers.

Il s’agit de présenter notre programme face aux deux fléaux dont crève la classe ouvrière et qui dégradent les conditions d’existence de bien d’autres catégories laborieuses, petits commerçants, petits paysans, artisans : l’aggravation continue du chômage et la diminution incessante des salaires des travailleurs.

Contre le chômage, il s’agit de présenter l’interdiction des licenciements et la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire comme des idées simples, de bon sens, dès lors qu’on refuse de raisonner en fonction des seuls intérêts des entreprises, c’est-à-dire de leurs propriétaires capitalistes.

Supprimer le chômage est non seulement l’intérêt vital de la classe ouvrière, c’est aussi celui de l’ensemble des classes laborieuses.

Devant la montée de la pauvreté, même parmi les penseurs de la bourgeoisie, on discute d’un revenu universel. Ce serait, si cela se faisait, la version moderne de la petite pièce jetée par les dames patronnesses à la sortie de l’église… Il ne s’agit pas de faire la charité à ceux qu’on pousse vers la pauvreté en les jetant hors de la production. Il faut empêcher qu’on les jette hors de la production ! Les travailleurs doivent garder leur travail et le salaire qui va avec. S’il y a moins de travail, qu’on le répartisse entre tous les travailleurs en maintenant leur salaire ! Le seul obstacle à cette exigence élémentaire est la soif de profits de la classe capitaliste.

Il s’agit de montrer cette contradiction, catastrophique pour toute la société, que les services publics se dégradent parce qu’il n’y a pas assez de soignants, de cheminots et même de pompiers, alors qu’il y a six millions de femmes et d’hommes qui ne demandent qu’à travailler. Il faut en outre souligner que nombre de besoins élémentaires ne sont pas satisfaits, à commencer par celui du logement.

Il faudra montrer toute l’aberration d’un système où on fait faire toujours plus de travail par toujours moins de personnes pour dégager toujours plus de profits. Et toute cette pression permanente pour ce qu’ils appellent la compétitivité, pour quoi faire ? Pour que les profits, croissants malgré la crise, aillent vers des opérations financières, vers la spéculation qui menace en permanence la société de catastrophes.

Il s’agit de montrer qu’il n’y a qu’un seul moyen d’empêcher aussi bien la corruption au quotidien que le détournement de richesses créées par l’activité productive des hommes au profit de la finance. Et ce moyen, c’est de rendre publics, c’est-à-dire accessibles à tout un chacun, les revenus, les avoirs et les biens de tous les dirigeants du grand patronat, des actionnaires, de leurs alliés, de leur famille directe, de leurs hommes de paille comme de tous les hommes politiques.

Il faut aussi rendre publique la comptabilité des grandes entreprises, pour que tout le monde – et pas seulement les juges – puisse y avoir accès. Que chaque travailleur de ces entreprises puisse vérifier ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.

Nous dirons et nous répéterons que, oui, il faut un contrôle de la population sur l’économie et la politique, un contrôle permanent.

Mais nous dirons aussi que nous sommes communistes, pas seulement en affichant l’étiquette, mais aussi en expliquant le fond de nos idées.

Nous dirons que nous sommes pour la transformation de toute la société, de son économie, des rapports entre les individus. Nous avons pour objectif de construire une société où personne ne pourra acheter le travail d’autrui. Une société où l’activité productive nécessaire à la vie de la société soit organisée en fonction de l’intérêt de tous, et pas pour générer du profit pour une petite minorité.

Nous dirons que nous voulons construire un État infiniment plus démocratique que les États actuels, où la démocratie se limite au droit de mettre un bulletin dans l’urne pour que, d’élections primaires en élections générales, on aboutisse à sélectionner aux États-Unis un Trump, ou en France un Fillon ou, qui sait ?, peut-être une Marine Le Pen, à la tête de l’État, pour les quatre ou cinq années à venir.

Nous expliquerons que ceux qui, par leur travail, font fonctionner la société sont aussi capables de la diriger. Que seule la grande bourgeoisie, classe parasitaire, a besoin d’un appareil d’État, lourd, pesant, et d’une caste de politiciens dont les préoccupations sont à mille lieues de celles de l’écrasante majorité de la population.

Ces idées ne se réaliseront pas par les urnes. Mais nous dirons que c’est parce que nous avons ces idées et que nous militons dans cette perspective que nous ne cherchons pas des postes et des positions à l’intérieur du système existant. Nous ne voulons pas une place dans le système politique économique car nous avons la conviction que ce système, il faut le détruire !

Avant de conclure sur l’élection présidentielle, quelques mots concernant les questions qu’on nous pose sur notre attitude au deuxième tour.

Il ne faut pas discuter du deuxième tour. Il faut dire que c’est seulement au premier tour que l’électeur a un certain choix et qu’il peut voter pour une politique correspondant aux intérêts des exploités. Au deuxième tour, le seul choix sera entre Fillon et Le Pen. C’est au premier tour que nous avons quelque chose à dire. Au deuxième, nous n’avons plus rien à dire.

On ne nous laisse choisir qu’entre de pires ennemis des travailleurs.

Nous n’avons même pas à nous embarquer dans les discussions sur le risque, très hypothétique tout de même, que Marine Le Pen soit élue à l’issue du deuxième tour. Est-ce que ce sera plus grave ou moins grave pour les travailleurs ? Eh bien, nous n’en savons rien. Et Le Pen elle-même n’en sait rien. Si elle reste telle qu’elle est, elle sera une politicienne d’extrême droite qui, dans son envie de s’intégrer au système, s’ajoutera au personnel politique réactionnaire, qui compte déjà un bel échantillon ! Par rapport à un régime comme celui de Hongrie avec Orban, Le Pen fait figure de politicienne de centre-droit ! Et même Orban, ce n’est pas le fascisme. Du moins, pas encore.

Que les Valls, Macron, et jusqu’à Fillon de façon plus subliminale, se posent en rempart contre Le Pen, l’air de « faire barrage au fascisme » est un de leurs axes électoraux. C’est d’autant plus répugnant qu’ils ont une responsabilité majeure dans la montée du FN. Mais nous n’avons pas à marcher dans leur chantage.

Alors, il ne faut pas s’embarquer à dire qu’avec Le Pen cela sera pire. Que qui ? Fillon ? Répétons que nous n’en savons rien. Elle peut très bien gouverner comme politicienne d’extrême droite et ne pas toucher à grand-chose, c’est-à-dire que le choix entre Fillon ou elle, c’est à pile ou face. Et de toute façon, les perdants, ce sont les travailleurs.

D’un autre côté, et c’est là où cela ne dépend absolument pas d’elle, si la crise s’aggrave dans la foulée de sa victoire électorale, cela peut encourager des nervis fascisants à se mettre en action, y compris en cassant la gueule aux immigrés, en fait en commençant par casser la figure aux immigrés, aux sans-papiers, etc. Nous ne pouvons absolument pas l’exclure, et nous ne l’excluons pas. Nous n’avons jamais dit que Le Pen, cela ne change rien. Nous avons dit que nous ne voulons pas en discuter avant le premier tour, ce n’est pas la même chose.

Entre un candidat de gauche et un candidat de droite, cela pourrait être une question tactique. Même là cependant, seulement après le premier tour. Entre Fillon et Le Pen, ce n’est pas la même question tactique.

Là où des interlocuteurs de notre camp nous disent : « Cela m’inquiète que Le Pen puisse arriver au pouvoir », eh bien, il faut répondre : « Tu as tout à fait raison de t’inquiéter, et je suis encore plus inquiet que toi. L’arrivée au pouvoir de Fillon, ça m’inquiète, l’arrivée de Hollande, ça m’a inquiété. » Nous pouvons leur rappeler : « Cela nous a inquiétés avant même que Hollande mène toutes les attaques qu’il a menées. Et tu as toutes les raisons d’être inquiet par les temps qui courent. Parce que quel que soit l’élu, de toute façon, ce sera un ennemi des travailleurs. » Il ne nous reste, au deuxième tour, que le choix de la couleur du fouet, mais pas celui de ne pas être fouettés. Alors c’est au premier tour que nous pouvons nous faire entendre.

Dès le moment où vous commencez à raisonner sur le deuxième tour, à émettre des hypothèses, à soupeser les avantages et les inconvénients entre ceux qui sont au deuxième tour, eh bien, vous vous engagez dans une discussion où on ne discute plus de notre campagne, de la politique que nous avons à défendre et que nous sommes les seuls à défendre.

Alors, ne nous engageons pas là-dessus. « Moi, ce qui m’intéresse, c’est le premier tour », et puis nous parlons des exigences des travailleurs. (…)

Comme nous l’avons dit, la campagne de la présidentielle et des législatives sera une seule et même campagne qui sera ponctuée par un grand meeting le 26 mars, un meeting national pour lequel il faudra amener tous ceux qui nous entourent, en nous donnant les moyens techniques de le faire. Comme notre fête aura lieu en pleine campagne des législatives, l’allocution du dimanche aura un caractère particulier : elle sera notre meeting central pour les législatives.

Nos objectifs militants

Nous ne savons pas si nous parviendrons à atteindre tous les objectifs que nous nous sommes fixés pour ces élections.

Nous pensons en sortir renforcés politiquement, moins par les vertus de la campagne elle-même que du fait que, pour entraîner notre milieu sympathisant, nous aurons été obligés de discuter et de comprendre une variété plus grande des différents aspects d’une politique communiste révolutionnaire. (…)

Si c’est le cas, nous aurons un peu élargi la base d’un futur parti communiste révolutionnaire. Il faut être conscient cependant que, même si nous réussissons à élargir cette base, nous ne la garderons pas si nous n’avons pas une nouvelle génération engagée, dévouée, compétente, capable d’animer son activité.

Sans revenir sur le problème du recrutement de jeunes, en particulier intellectuels, il faut juste souligner que c’est vital.

En tant que marxistes, nous faisons fondamentalement confiance à la classe ouvrière et à sa capacité de transformer l’organisation de la société. Ce qui implique que nous sommes certains qu’elle se montrera capable de faire surgir en son sein des militants capables de conduire leur classe vers ce chemin.

Comment et quand, cela ne dépend pas de nous, mais des forces profondes qui travaillent la société.

Ce qui dépend de nous, c’est de transmettre des idées, de transmettre les traditions révolutionnaires du prolétariat, l’expérience de ses succès et de ses échecs.

Pendant longtemps, les grands partis réformistes issus du mouvement ouvrier, parmi lesquels le parti stalinien, les appareils syndicaux ont étouffé le prolétariat, désamorcé sa capacité révolutionnaire. Mais le capitalisme fait naître sans cesse de nouvelles générations de prolétaires. Dans nombre de pays pauvres, c’est une nouvelle génération qui ressemble au prolétariat des débuts du capitalisme en Europe par ses conditions de vie, par la rupture que son existence même implique avec les traditions de la société de leur pays. Elle ne porte pas le poids des appareils hérités du passé. Et, même dans les pays impérialistes, le capitalisme décadent n’accorde plus à une aristocratie ouvrière, base des partis réformistes, les quelques avantages consentis pour l’endormir.

Nous avons la conviction que le prolétariat fera face à la tâche que l’histoire, que le développement lui a assignée.

Il y a vingt-deux ans, au congrès de 1994, nous nous étions posé la question : pourquoi, après la faillite de la social-démocratie puis celle du stalinisme, le prolétariat n’est-il pas parvenu à renouer avec son passé, et avec les expériences utiles pour ses tâches révolutionnaires à venir ?

Nous avions affirmé alors que « dans la réalité, la catégorie sociale qui a failli à sa tâche au cours des décennies passées est bien plus celle des intellectuels que le prolétariat ».

Aussi bien la Première Internationale que la Deuxième, puis la Troisième ont été constituées par la rencontre entre la fraction la plus avancée de l’intelligentsia avec le mouvement ouvrier. Cet apport des intellectuels a été de tout temps un élément constitutif du mouvement communiste révolutionnaire depuis ses origines, depuis Marx et Engels. Le bolchévisme lui-même résultait de la fusion entre une génération d’intellectuels entièrement dévouée à la cause de la transformation communiste de la société, avec un courage et des méthodes forgés dans la lutte contre l’autocratie et ayant acquis une vaste culture théorique et politique, et les meilleurs éléments d’un prolétariat jeune, combatif et concentré dans les grandes entreprises modernes que les impérialistes avaient construites en Russie. (…)

La constitution de véritables partis communistes révolutionnaires, capables de jouer leur rôle dans toutes les crises sociales afin de tenter de les amener vers une issue révolutionnaire, nécessite tout à la fois qu’une fraction des intellectuels se détache de l’emprise de la bourgeoisie pour passer dans le camp du prolétariat, comme elle nécessite que surgissent au sein du prolétariat des militants épousant cette perspective.

Or, si la dégénérescence bureaucratique de l’Union soviétique a eu des raisons sociales profondes, liées au découragement d’une classe ouvrière russe qui avait beaucoup donné et qui s’est retrouvée isolée, la transformation de tous les partis communistes, sans exception, en partis staliniens a été, en revanche, largement imputable au fait qu’il n’y a pas eu, parmi les intellectuels de ces partis communistes, des gens capables de voir l’éloignement de la bureaucratie des idéaux communistes et, pire encore, d’avoir le courage de s’y opposer. Sans parler de ceux qui en ont été les principaux complices.

Autant l’intégration des grands partis de la Deuxième Internationale dans la société bourgeoise a été en partie le fait d’une aristocratie ouvrière, autant la dégénérescence stalinienne des différents partis communistes dans les années 1930 n’a pas dû grand-chose à l’intégration d’une couche d’ouvriers, mais a dû beaucoup à l’intégration des intellectuels dans la société, et en tout cas à leur incapacité à se hisser dans leur tête, dans leur cœur, au niveau des tâches nécessaires pour maintenir la perspective de la transformation révolutionnaire de la société.

Et après la guerre, dans les pays pauvres ébranlés par des soubresauts révolutionnaires, même quand l’intelligentsia fournissait des chefs révolutionnaires, elle fournissait des Mao ou des Castro, des Hô Chi Minh ou des Che Guevara, mais pas de Marx, d’Engels, de Lénine, de Rosa Luxemburg ou de Trotsky. Mais bien plus souvent, elle ne fournissait que des cadres arrivistes, pour qui les masses exploitées n’étaient que des fantassins, utiles seulement pour obtenir de l’oppresseur impérialiste cet État indépendant dans lequel ils pourraient occuper postes et positions.

La fraction militante de l’intelligentsia a choisi, dans les pays pauvres, le combat nationaliste, tiers-mondiste, etc., et, dans les pays développés, la mouvance social-démocrate ou stalinienne, dispensatrice de postes, électoraux ou non, de positions, mais sans espoir de faire avancer la cause du communisme !

Même la fraction la plus dévouée des intellectuels révolutionnaires des pays impérialistes s’est, pendant des années, mise à la remorque de ces courants nationalistes à la mode, a fait le succès du maoïsme et s’est détournée du mouvement trotskyste ou l’a contourné.

Alors, disions-nous à l’époque, « l’humanité a perdu plusieurs décennies pendant lesquelles l’impérialisme a perduré, comme ont perduré et se sont aggravés les maux qu’il véhicule.

Mais on n’a perdu que du temps, et sur le fond, rien n’est perdu car nous avons la conviction qu’un jour ou l’autre, une génération d’intellectuels révolutionnaires rejoindra le prolétariat qui a, réellement, la capacité de changer le monde. »

Pour savoir si cette génération d’intellectuels existe, il faut la chercher. Mais il faut savoir avec certitude ce qu’on cherche.

Nous n’avons besoin que de jeunes intellectuels qui soient capables de se hisser au niveau des tâches révolutionnaires, c’est-à-dire d’intellectuels qui soient capables d’étudier le marxisme en profondeur, de le comprendre, de l’assimiler. De telle façon que les raisonnements marxistes deviennent des réflexes naturels.

Il faut de jeunes intellectuels déterminés à y consacrer leur vie, comme l’ont fait les générations d’intellectuels révolutionnaires du temps de Marx ou, plus tard, de Rosa Luxemburg, ou comme l’a fait cette fraction de l’intelligentsia russe qui s’est relayée des premiers narodniki aux militants de l’opposition trotskyste, résistant au stalinisme jusqu’à leur élimination dans les camps de concentration. Lénine ou Trotsky n’étaient pas seulement des individualités d’exception, ils étaient les meilleurs de tout un contingent d’intellectuels révolutionnaires sans lesquels le prolétariat n’aurait pas pu l’emporter en octobre 1917.

Il faut aussi des intellectuels profondément convaincus de la nécessité de lier leur sort à celui du prolétariat et se donnant les moyens pour y parvenir. Ce qui signifie le dévouement nécessaire pour aller vers la classe ouvrière, non pas en donneurs de leçons mais en militants capables de comprendre les travailleurs, leur vie, leurs préoccupations, pour permettre à ceux-ci d’accéder aux idées communistes révolutionnaires à partir de leur conscience de classe. (…)

Si nous parvenons à trouver, à sélectionner et à former cette génération de jeunes intellectuels, convaincus de la nécessité de lier leur sort à celui du prolétariat, ils trouveront – il faut qu’ils trouvent eux-mêmes – le chemin vers les jeunes travailleurs. Ces jeunes travailleurs à qui le capitalisme décadent n’a rien d’autre à offrir que la précarité propre à la condition ouvrière.

Ces jeunes travailleurs ignorent en général les organisations syndicales bureaucratisées qui sont incapables de susciter leur enthousiasme. Nous avons autre chose à leur proposer que le ronronnement des organisations réformistes, partis ou syndicats. Nous avons à leur proposer de contribuer à la révolution qui bouleversera le monde.

C’est ensemble que jeunes intellectuels et jeunes travailleurs trouveront les moyens d’agir au sein du prolétariat tel qu’il est aujourd’hui, marqué par la précarité, les bas salaires, par un retour aux conditions de vie brutales des exploités. C’est ensemble qu’ils trouveront les moyens, les méthodes, les techniques, le langage pour que la classe ouvrière retrouve le chemin du combat, non pas seulement pour se défendre, mais pour s’engager dans la lutte politique avec, pour objectif, le renversement du pouvoir de la bourgeoisie et la transformation de la société.