Afrique du Sud - Après quinze ans de régime multiracial, les mutations de la coalition au pouvoir

Imprimer
juillet 2009

Coïncidant avec le 15ème anniversaire de la première élection multi-raciale sud-africaine, deux faits ont marqué celle qui s'est tenue en avril dernier : d'une part l'accession à la présidence du pays de Jacob Zuma, personnage controversé, qui présidait depuis deux ans l'ANC (Congrès National Africain) ; et d'autre part, l'émergence d'un nouveau parti, COPE (le Congrès du Peuple) qui, fait sans précédent depuis 1994, a affirmé d'emblée sa volonté de remettre en cause le monopole de fait de l'ANC sur la représentation de la majorité noire. Ces deux faits sont d'ailleurs liés, en ce sens qu'ils constituent le dernier épisode en date dans la crise de succession ouverte, en 1999, par le départ du pouvoir du leader historique de l'ANC, Nelson Mandela.

Sans doute l'ANC l'a-t-elle emporté une nouvelle fois, et de loin, avec 65,9 % des suffrages. Mais ce score, en baisse de 3,8 % par rapport à l'élection de 2004, signifie que ses élus ont perdu la majorité des deux-tiers au parlement fédéral qui leur avait permis d'amender la Constitution dans le passé. Mais en fait, les pertes, somme toute modestes, de l'ANC, en cachent d'autres plus sérieuses.

N'étaient les 16,5 % de voix - près d'un million - raflées par l'ANC dans la province du Kwazulu-Natal aux dépens du parti zoulou Inkatha, ses pertes auraient été bien pires. Mais ce succès régional doit tout à une campagne visant à battre Inkatha sur son propre terrain ethnique. Zuma aura tout fait pour mettre en valeur ses origines zouloues et son attachement aux traditions ethniques, faisant même porter à ses supporters un tee-shirt arborant le slogan « 100 % Zulu Boy ». Sauf que c'est un succès qui pourrait coûter cher un jour à l'ANC - l'histoire africaine a montré trop souvent le coût de la démagogie ethnique.

Ailleurs, l'ANC a subi des pertes dans chacune des huit autres provinces : de 4 % dans le Gauteng (Johannesburg et le gros des mines d'or) à 10 % dans l'Eastern Cape (bastion de l'industrie automobile avec Port-Elizabeth). Ces pertes atteignent même 14 % dans le Western Cape (autour de la ville du Cap), où c'est l'Alliance Démocratique, le vieux parti de la bourgeoisie libérale anglophone, qui prend le contrôle des instances provinciales.

Pourtant, rien n'indique une démobilisation de l'électorat de l'ANC. Car si, avec 22,7 %, l'abstention est nettement plus importante qu'en 1999 (où elle était de 11 %) sans parler de l'élection de 1994 où elle avait été pratiquement nulle, elle est en fait légèrement en baisse par rapport aux 23,3 % des élections de 2004.

En dehors de la région du Cap, fief traditionnel de l'Alliance Démocratique, c'est COPE qui bénéficie de l'essentiel des pertes de l'ANC, même si son score national de 7,42 % n'a pas atteint les 11 % dont il était crédité par les sondages. D'ailleurs, dans un système électoral assez proche de la proportionnelle, les gains et les pertes en sièges au parlement fédéral reflètent assez bien ce qui s'est réellement passé. Si l'on tient compte des 6 sièges pris par l'ANC à Inkatha dans le Kwazulu-Natal, le parti de Zuma aura perdu 39 sièges dans les huit autres provinces, dont 30 auront été remportés par COPE qui constitue désormais l'opposition officielle à l'ANC dans cinq des neuf administrations provinciales.

Le régime de l'alliance tripartite

Nul ne peut dire quel avenir peut avoir ce nouveau parti qui, né il y a moins d'un an, a réussi à écorner la position de l'ANC. Mais c'est surtout le processus qui a conduit à sa formation qui est significatif d'une évolution du cadre politique datant de la chute de l'apartheid.

Il faut rappeler que, depuis 1994, le pouvoir est exercé par une coalition de trois forces étroitement imbriquées. La clé de voûte en est l'ANC proprement dite, parti nationaliste qui s'était imposé comme le principal mouvement d'opposition au régime raciste de l'apartheid. Puis vient le Parti Communiste Sud-Africain (SACP) dont l'appareil s'était immergé dans l'ANC au temps de l'apartheid, avant de reconstituer des structures publiques indépendantes après sa légalisation en 1990. Néanmoins ses membres continuent à jouer un rôle important à tous les niveaux de l'ANC et à ne se présenter aux élections qu'en tant que candidats de l'ANC. Enfin le troisième membre de cette coalition est la confédération des syndicats sud-africains COSATU, formée en 1985 dans le feu de l'explosion ouvrière de cette décennie, par le regroupement de syndicats déjà dirigés par les militants du SACP et de nouveaux syndicats nés de l'explosion ouvrière. Cette coalition au pouvoir réunit donc en particulier dans ces rangs l'écrasante majorité des organisations ouvrières du pays.

Le caractère hégémonique de cette coalition s'est encore renforcé en 2004 lorsque l'ANC a absorbé dans ses rangs les restes du Parti National, le parti de la bourgeoisie afrikaner qui, pendant près d'un demi-siècle avait imposé le régime raciste de l'apartheid à la population.

De sorte qu'en dehors de quelques formations provinciales, comme l'Alliance Démocratique au Cap, Inkatha dans le Kwazulu-Natal ou le Mouvement Démocratique Unifié (UDM) dans le Transkei-Ciskei, la coalition tripartite ANC-SACP-COSATU regroupait dans ses rangs toutes les forces politiques tant soit peu significatives au plan national et se posait en porte-parole de toutes les classes sociales sans distinction de couleur.

Le monopole de fait qu'exerçait cette coalition sur la vie politique a ainsi offert à la bourgeoisie sud-africaine une liberté de mouvement dont elle a largement usé, à en juger par l'étalage arrogant de sa richesse dans un contexte d'appauvrissement général de la population. Mais en même temps, ce monopole a fait de la coalition tripartite le champ clos de toutes les rivalités politiciennes.

Pendant les premières années du régime, les luttes de clans au sein des sphères dirigeantes du pouvoir sont restées à l'arrière-plan, en partie du fait de l'autorité que Nelson Mandela devait à son crédit personnel, mais également, sans doute, du fait de la crainte des dignitaires du régime de voir la classe ouvrière noire se mobiliser de nouveau pour exiger ce qui lui revenait après ses années de dur combat contre le régime de l'apartheid. Mais ces luttes de clans n'en existaient pas moins. D'une part, il y avait la lutte sourde que menaient tout ou partie des appareils du SACP et de COSATU pour éviter d'être marginalisés du fait de l'envahissement des instances du pouvoir par une bourgeoisie d'affaires dont l'assurance ne faisait qu'augmenter avec le temps. Et puis, il y avait ceux des dirigeants de l'ANC qui se positionnaient d'ores et déjà en prévision de la succession d'un Mandela vieillissant.

La crise de succession de l'après-Mandela

C'est d'ailleurs sans doute parce qu'il entrevoyait les dangers d'une possible crise de succession que Mandela se retira de la vie politique active à la veille des élections de 1999, pour pouvoir désigner lui-même son successeur tant qu'il avait encore le crédit nécessaire pour imposer son choix aux clans rivaux.

Parmi les candidats en lice, Thabo Mbeki et Jacob Zuma paraissaient les mieux placés. Tous deux appartenaient à la même génération formée par l'appareil « historique » de l'ANC. Tous deux avaient participé aux négociations avec le régime de l'apartheid et les grandes compagnies minières afin de préparer la « transition pacifique » vers un régime multiracial. Tous deux avaient été choisis par Mandela pour siéger dans son premier gouvernement et celui-ci les auraient convaincus au préalable de démissionner du SACP. Dès 1994, Mbeki et Zuma faisaient donc figure de dauphins potentiels et rivaux.

Mais très tôt, Mandela marqua sa préférence pour Mbeki. Celui-ci, qui, après être passé au moule du système universitaire britannique, avait longtemps représenté l'ANC dans le confort des cercles diplomatiques étrangers, fut bombardé à la vice-présidence. Zuma, lui, l'homme de l'appareil militaire de l'ANC qui n'avait eu pour toute université que ses années de réclusion à Robben Island, fut envoyé négocier un accord de paix avec Inkatha dans sa province natale - tâche de confiance, certes, mais qui le mit provisoirement sur la touche de la vie politique et laissa le champ libre à son rival.

De sorte que lorsque vint le moment choisi par Mandela pour officialiser sa succession, ce fut Mbeki qu'il désigna, tandis que Zuma dut se contenter de la vice-présidence.

Son autorité permit à Mandela d'imposer ce choix aux deux rivaux et à leurs clans. Mais elle ne suffit pas à mettre un terme à leur rivalité. En 2005, la coexistence pacifique entre les deux clans s'effondra. Affaibli par l'impopularité croissante de sa politique, Mbeki passa à l'offensive contre le seul rival qui pouvait le menacer, Zuma. Un scandale de corruption dans un gros marché d'achat d'avions de combat éclata opportunément sur la place publique. Zuma fut accusé d'avoir touché des pots-de-vin et son conseiller personnel, Shabir Shaik, fut condamné à la prison. Mbeki n'avait pu ignorer les détails scabreux d'un marché d'une telle importance, comme sans doute de bien d'autres opérations ; il n'en profita pas moins pour limoger son rival.

Il ne fallut pas plus de deux ans à Zuma pour rendre à Mbeki la monnaie de sa pièce. Il est vrai qu'à ce stade, le crédit de Mbeki était tombé en chute libre. Sa politique pro-patronale avait fait exploser le chômage et la misère tandis qu'une bourgeoisie noire proche du pouvoir étalait une richesse insolente. Mbeki avait également présidé à l'effondrement des services publics dont souffraient surtout les plus pauvres. Qui plus est, il avait suscité l'indignation en niant la nécessité d'une politique visant à contenir l'expansion du sida, alors même que les vies de millions d'individus étaient menacées par ce fléau.

Au congrès annuel de l'ANC de décembre 2007, à Polokwane, Mbeki fut hué par les délégués. Lors de l'élection des instances nationales du parti, non seulement Zuma fut élu à la présidence en remplacement de Mbeki, mais le clan de ce dernier fut virtuellement balayé de son comité exécutif. Le clan Zuma tenait sa revanche et, cette fois, il avait obtenu le soutien du SACP et de COSATU, soucieux de ne pas être associés au discrédit croissant de Mbeki et de rappeler qu'ils étaient des forces avec lesquelles il fallait compter.

Il fallut néanmoins encore neuf mois pour que se dénoue cette guerre de clans. Non sans ironie, ce fut en tentant de torpiller son rival que Mbeki finit par saborder sa propre barque. En septembre 2008, un tribunal accusa la présidence de fraude pour influencer le cours de la justice aux dépens de Zuma dans l'affaire de corruption de 2005. Face à une telle accusation, Mbeki n'eut d'autre choix que de démissionner, laissant la voie libre à son rival.

Cope et le retour aux « sources »

La démission de Mbeki ne mit pourtant pas encore fin à la guerre des clans. Dans la foulée, onze de ses ministres démissionnèrent de leurs postes, dont le ministre de la Défense, Mosiuoa « Terror » Lekota (qui ne doit ce surnom qu'à sa réputation de footballeur), ainsi qu'un certain nombre de leaders provinciaux, dont Mbhazima Shilowa, un ancien secrétaire général de COSATU devenu Premier ministre de la province de Gauteng, la plus peuplée et la plus importante pour l'économie du pays.

Ce fut Lekota qui annonça, le 1er novembre 2008, le lancement d'un nouveau parti pour contester les élections d'avril 2009, annonce qui, de façon significative, fut suivie d'une réception dans un hôtel luxueux de Sandton, banlieue huppée de Johannesburg. Le nom de COPE fut choisi, en référence au congrès du même nom, organisé en 1955 par les organisations liées à l'ANC, où fut adoptée la « Charte de la Liberté » (« Freedom Charter »), le programme nationaliste de l'ANC.

Tandis qu'était mis en place le nouveau parti, les membres du clan Mbeki quittaient l'ANC pour le rejoindre, avec à leur tête des personnalités comme Willie Madisha, ancien secrétaire général de COSATU, évincé de son poste en 2007 pour avoir voté contre Zuma à Polokwane. COPE attira également d'autres personnalités plus douteuses, telles que le révérend Alan Boesak, un ancien dignitaire de l'ANC condamné pour détournement de fonds en 1999.

Mbeki, pour sa part, avait choisi de garder ses distances, réaffirmant sa loyauté envers l'ANC de Mandela (pas celle de Zuma, bien sûr !). Du coup, COPE put attirer des membres de l'ANC révoltés par la personnalité de Zuma, mais également hostiles à la politique de Mbeki. Grand cas fut fait du ralliement de personnalités marquées à gauche, comme Moses Mayekiso, l'ancien leader du township d'Alexandra dans les années quatre-vingt puis fondateur et leader du syndicat de la métallurgie NUMSA, le plus important affilié de COSATU.

COPE mit un certain temps à formuler ses orientations politiques. Mais celles qu'il finit par produire ne le distinguaient en rien de l'ANC. En fait, COPE se présentait en quelque sorte comme une « véritable » ANC retournant à ses « sources », mais surtout comme une ANC débarrassée de toute trace de « marxisme », c'est-à-dire du SACP, comme Lekota le souligna avec beaucoup d'insistance. De toute évidence, en prenant ses distances vis-à-vis du « communisme » et par la même occasion de la classe ouvrière, COPE recherchait les faveurs de la petite et de la grande bourgeoisie. Et c'est dans le même but que fut choisi pour candidat à la présidence l'ancien prélat de l'Église méthodiste d'Afrique du Sud, le révérend Mvume Dandala.

Finalement, en mars 2009, des personnalités liées à COPE annoncèrent la création d'une nouvelle confédération syndicale. Un congrès fondateur rassemblant 300 délégués eut lieu à Prétoria, sous la présidence de Willie Madisha et avec la caution de leaders de gauche tels que Moses Mayekiso. Madhisha y proclama la nécessité d'une alternative à COSATU en arguant du fait qu'« un mouvement syndical indépendant est devenu nécessaire parce que des syndicats ayant une affiliation politique sont incapables de répondre aux besoins des travailleurs ». Bien que Madisha ait tenu à préciser que la nouvelle confédération n'avait aucun lien avec COPE, cette affirmation ne pouvait tromper grand monde. Dans sa tentative d'offrir l'image d'une ANC « véritable », COPE cherchait à se doter d'un appareil syndical qui puisse faire pendant à COSATU, mais surtout à tirer parti de la désaffection de tant de syndicalistes écœurés de voir leurs dirigeants cautionner toujours et encore la politique anti-ouvrière de l'ANC.

Mais il ne faisait aucun doute que les intérêts de la classe ouvrière et des classes pauvres étaient le cadet des soucis de dignitaires qui, dans la poursuite de leurs intérêts de clan, avaient fini par franchir le Rubicon en quittant l'ANC pour créer COPE. Leur prétention de renouer avec les « sources » de l'ANC n'était qu'un paravent cachant leur volonté de faire table rase des restes de la période de luttes sociales qui avait mis à bas le régime de l'apartheid.

Car ce ne fut pas par choix, mais bien par nécessité, que les dirigeants nationalistes de l'ANC, souvent profondément anticommunistes (à commencer par Mandela lui-même), avaient consenti à s'associer avec le SACP et les syndicats ouvriers. Dans un premier temps, ce fut surtout pour bénéficier des avantages relatifs liés au soutien matériel de l'URSS. Par la suite, ce fut pour mieux subordonner la puissance de la montée ouvrière aux ambitions de la bourgeoisie noire et aux intérêts de l'impérialisme.

Après quinze années d'un régime qui a tout fait pour servir les intérêts de la bourgeoisie avec l'aide du SACP et de COSATU, et dans un contexte de crise qui affaiblit la classe ouvrière, bon nombre de dignitaires nationalistes de l'ANC peuvent en être à considérer que ce qui était encore nécessaire il y a quinze ans ne l'est plus aujourd'hui. En poussant la défense de leurs intérêts de clan jusqu'à la scission, c'est ce sentiment qu'expriment aujourd'hui les fondateurs de COPE, tout en faisant le pari qu'il est largement partagé dans les sphères dirigeantes de l'ANC. En ce sens, il s'agit d'ailleurs bien d'un retour aux « sources » du nationalisme de l'ANC, une politique destinée à défendre les intérêts des exploiteurs aux dépens des exploités.

Zuma, un « Mugabe sud-africain » ?

L'accession de Jacob Zuma à la présidence a, de son côté, suscité des réactions des plus mitigées dans la presse. Certains commentateurs y ont vu l'avènement d'une version sud-africaine du régime zimbabwéen de Robert Mugabe, ou tout au moins d'un régime intrinsèquement corrompu qui serait « mauvais pour les affaires ».

En fait, le caractère sulfureux du personnage va bien au-delà du scandale de corruption déjà évoqué. Zuma fit en effet également la Une de la presse en 2006, dans un procès pour viol. Et bien qu'il ait été acquitté, personne ne peut oublier son mépris envers sa victime (accusée de l'avoir « provoqué », bien sûr), ni ses rodomontades provocantes, affirmant, entre autres, qu'il suffit d'une simple douche pour se protéger efficacement contre le virus du sida !

En dehors de comportements odieux de cet acabit qui lui sont coutumiers, Zuma aime à jouer les débonnaires, racontant volontiers son enfance dans une famille pauvre du Kwazulu et comment, n'ayant pas les moyens de se payer l'école, il dut recourir à des expédients pour apprendre quand même à lire et à écrire.

Sa carrière politique débuta au début des années soixante lorsqu'il adhéra à l'ANC puis au SACP. En 1963, à l'âge de 21 ans il rejoignit les rangs de l'organisation militaire de l'ANC, Umkhonto we Sizwe (plus souvent désignée par le sigle MK). Arrêté la même année, il fut condamné pour conspiration et passa dix années à la prison de Robben Island. Peu de temps après sa libération, il fut envoyé au Mozambique dans les camps d'entraînement de MK. Il monta alors rapidement dans l'appareil, devenant numéro deux de l'ANC au Mozambique, puis rejoignant le commandement de MK et la direction du SACP.

Lorsque le régime du Mozambique expulsa Zuma du pays en 1987, il fut promu à la tête d'« iMbokodo », la police interne de MK. Sa nomination faisait suite à une période marquée par une série de mutineries brutalement réprimées dans les camps de MK en Angola. Le rôle de Zuma fut donc, jusqu'à la dissolution de ce service en 1993, de maintenir l'ordre dans les rangs, en éliminant toute opposition, par tous les moyens, en particulier dans le sinistre camp-prison de Quatro, où des volontaires de MK furent enfermés, maltraités, torturés, voire liquidés, pour avoir mis en cause la politique ou les méthodes de MK, ou s'être rebellés contre la hiérarchie. Quelques survivants de ces camps-prisons ont d'ailleurs résisté aux pressions et rapporté leur expérience devant la commission « Vérité et Réconciliation » mise en place pour les victimes de l'apartheid. Mais à ce jour, aucun de ces survivants des camps-prisons n'a pu obtenir la comparution de Zuma, ni de ceux de ses sbires responsables des tortures qu'ils avaient subies.

Ces vingt années passées à maintenir une discipline de fer parmi les jeunes exilés de MK dont il avait la responsabilité, puis à réprimer toute forme d'opposition parmi eux, ont sans doute contribué à faire de Zuma un garde-chiourme, voire un tortionnaire « compétent et efficace », tout au moins vis-à-vis de ses ennemis.

Mais contrairement aux craintes de tant de commentateurs, Zuma a d'ores et déjà montré qu'il est un « homme de continuité », responsable vis-à-vis des intérêts du capital, qui ne révèle en particulier aucune intention de s'en prendre, comme l'avait fait Mugabe, aux gros fermiers blancs.

En particulier, le gouvernement qu'il a formé après les élections d'avril, comporte un certain nombre d'anciens ministres de Mbeki. Parmi eux, figure par exemple, Martinus van Schalkwyk, l'ancien leader de la dernière incarnation du Parti National de l'apartheid, qui conserve son portefeuille du Tourisme. Pour faire bonne mesure et rassurer pleinement les riches fermiers blancs qui pourraient avoir craint une vague d'occupations de fermes à la Mugabe (ce qui ne serait pourtant qu'un juste retour des choses), Zuma a tenu à nommer un « nouveau » vice-ministre pour l'Agriculture et la Pêche tout à fait « sur mesure » : il s'agit de Piet Mulder, leader du Freedom Front Plus, un groupuscule de l'extrême droite afrikaner qui revendique un État indépendant pour les seuls Afrikaners, État que son parti a commencé à établir autour de la ville rurale d'Orania, dans le Northern Cape.

Quant à la corruption de l'administration Zuma qui a fait tant couler d'encre, c'est une accusation qui prête à sourire. Non pas parce qu'elle serait fausse, mais plutôt parce qu'elle aurait pu s'appliquer tout autant aux gouvernements précédents, avec ou sans Zuma dans leurs rangs. Sans doute l'Afrique du Sud n'est-elle pas un pays où, à l'instar de tant d'États pauvres d'Afrique sub-saharienne, les fonctionnaires, voire la police, se paient sur la population pour compléter des paies dérisoires et irrégulières. C'est à un autre niveau que se situe la corruption dans la richesse relative de la société sud-africaine, au niveau des affairistes liés au régime, qui, légalement ou pas, ont eu tout loisir de piller les caisses de l'État et ce qui pouvait se monnayer dans la société, amassant ainsi des fortunes fabuleuses avec une rapidité record. La liste des fameux « diamants noirs », ces nouveaux riches de l'après-apartheid, est un véritable Who's Who des cadres dirigeants de la coalition tripartite du début des années quatre-vingt-dix ! Et comment donc ont-ils pu s'enrichir si vite, sinon grâce aux passe-droits et privilèges accordés par les politiciens au pouvoir, que ce soit sous le couvert du « Black Empowerment », politique destinée à augmenter le nombre d'« entrepreneurs » africains, ou encore sous le couvert des privatisations qui ont servi au pillage du vaste secteur public, productif et de services, qu'avait laissé le régime de l'apartheid.

Or, quels que soient les liens entre ces nouveaux riches et les hommes du pouvoir, qui peut croire que ce pillage de l'économie qui a permis une telle accumulation de richesses s'est fait sans pots-de-vin et autres contreparties sonnantes et trébuchantes ? Les scandales régionaux de corruption sont fréquents. Mais pour un scandale au sommet tel que celui dans lequel Zuma a été pris la main dans le sac ou presque, combien d'autres n'ont jamais été révélés, à tous les niveaux de l'appareil d'État ?

Cette corruption-là, qui s'est systématisée dès la fin des années quatre-vingt-dix, a eu un coût exorbitant pour la population, qui non seulement n'a vu se matérialiser ni les infrastructures sociales dont elle aurait eu besoin ni les emplois que le puissant secteur industriel d'État aurait pu créer pour enrayer la montée du chômage, et qui, en plus, a subi la dégradation croissante de tous les services publics. Mais pour les « affaires », cette corruption a beaucoup rapporté, tant à la bourgeoisie sud-africaine qu'à ses compères des grands trusts impérialistes. Pourquoi en serait-il autrement sous la férule de Zuma ?

Zuma, « instrument du communisme » ?

Tout aussi ridicules sont les prétendues inquiétudes de certains commentateurs, à propos des changements de politique sociale qui pourraient découler de la « dépendance » supposée de Zuma envers le SACP et COSATU du fait du soutien qu'elles lui ont apporté face à Mbeki. Comme si la dette de Zuma vis-à-vis du SACP et de COSATU, si tant est qu'il estime en avoir une, avait la moindre chance de se traduire par des mesures en faveur de la classe ouvrière !

Là aussi, la composition du gouvernement Zuma en dit plus long que tous les raisonnements. On y trouve sans doute des représentants du SACP et de COSATU, y compris le secrétaire général du SACP, Blade Nzimande, bien que dans le poste « sans risque » qu'est l'Éducation. Cela dit, tous les gouvernements depuis 1994 ont eu leur lot de représentants des deux alliés de l'ANC sans que cela change d'un iota leur politique. Tout au plus pourrait-on dire que, pour Zuma, il peut être préférable d'avoir un Nzimande tenu au silence par la solidarité gouvernementale, que de le laisser dehors, libre de ses paroles et de ses gestes. En fait, si les ministres SACP et COSATU ont un statut particulier sous Zuma, c'est plus celui d'otage que celui d'acteur.

En revanche, la présence de Trevor Manuel dans ce gouvernement a une tout autre signification. Manuel fut en effet ministre de l'Industrie dans le premier gouvernement de l'après-apartheid avant d'occuper sans interruption le poste de ministre des Finances à partir de 1996 ! Il est vrai que cette fois, il est « ministre de la Présidence », mais à ce titre il dirige la nouvelle Commission de planification nationale créée par Zuma pour chapeauter tous les ministères ayant un rôle économique. Manuel détient donc encore plus de pouvoir qu'auparavant, alors même qu'il avait suivi Mbeki dans la démission en 2008, preuve que Zuma n'est pas rancunier, tout au moins pas avec ceux qui peuvent l'aider à servir les intérêts qu'il a choisi de défendre, c'est-à-dire ceux des possédants.

Car c'est Manuel qui, en particulier sous Mbeki, fut responsable de la mise en œuvre d'une longue série de mesures impopulaires prises sous couvert d'un programme prétendument « progressiste » appelé GEAR (« croissance, emploi et redistribution »).

C'est en 1996 que Manuel introduisit GEAR, sous la forme d'une série de plans quinquennaux censés produire une croissance économique de 6 % par an dès l'an 2000, redistribuer des richesses aux plus pauvres et augmenter le nombre d'emplois. En fait de résultat, le seul qui se matérialisa fut la croissance du PNB annoncée. Mais pour le reste, ce fut l'Arlésienne. Les « experts » allèrent jusqu'à ajouter un terme à leur jargon pour décrire le prétendu « succès » de GEAR : ils appelèrent cela « la croissance sans création d'emploi » (« jobless growth »). Mais même cette formule apparemment innocente témoignait d'un cynisme colossal : non seulement la croissance sous GEAR ne créa pas d'emplois, mais elle en supprima, et en quantité telle qu'en 2004, après huit ans de GEAR, le taux de chômage culmina officiellement à plus de 40 % ! Pendant ce temps, bien sûr, les riches étaient devenus plus riches, et les pauvres, plus pauvres.

Aujourd'hui, selon les promesses officielles, les préparatifs de la coupe mondiale de football de 2010 qui doit se tenir en Afrique du Sud auraient dû créer des dizaines de milliers d'emplois. Mais le taux de chômage reste insupportable, dépassant toujours officiellement les 30 %. Et encore, ce décompte ne tient-il plus compte désormais ni de ceux qui survivent dans le secteur dit « informel » d'activités plus ou moins occasionnelles, ni de la fraction croissante de la classe ouvrière employée à temps partiel. En fait, la proportion de travailleurs occupant de « vrais » emplois - qui bénéficient du code du travail - n'a sans doute jamais cessé de baisser, au point d'inclure certainement moins de 50 % de la main-d'œuvre potentielle actuelle.

La montée du chômage est si menaçante qu'elle se reflète dans les revendications mises en avant par les travailleurs. Ainsi, récemment, des ouvriers du Syndicat des Mineurs, qui travaillaient sur l'un des stades en construction pour 2010, ont fait grève pour exiger une augmentation de salaire de 15 % au lieu des 7 % que leur proposait leur patron. Outre le fait que l'inflation est à 8,4 %, les grévistes expliquaient ces 15 % par le fait qu'une fois le chantier terminé, ils n'avaient aucune chance de retrouver du travail et qu'il leur faudrait de quoi tenir jusqu'au prochain emploi !

Les conditions de vie dramatiques de la classe ouvrière s'étalent chaque jour dans la presse. Il y a quelque temps, par exemple, 85 mineurs « illégaux » ont trouvé la mort suite à une fuite de gaz dans une mine d'or abandonnée près de Welcom, dans la province de « Free State ». Ces mineurs « illégaux » sont pour la plupart originaires du Lesotho (une petite principauté enclavée au milieu du territoire sud-africain, héritage du colonialisme anglais) et ce sont d'anciens mineurs « légaux » qui, ayant perdu leur emploi (50 000 emplois de mineurs ont disparu au cours de la seule année écoulée), sont recrutés par des entrepreneurs locaux associés à des réseaux de contrebande. Mais comme ils doivent éviter de se faire prendre, ces mineurs s'enterrent dans la mine pendant des périodes de trois mois ou plus, pendant lesquels ils arrachent à coups d'explosifs le peu d'or qui s'y trouve encore, en prenant des risques énormes. Mais il est vrai que ce genre de risques, ils connaissent : les mines « légales » d'Afrique du Sud n'ont-elles pas un taux de mortalité plus élevé encore qu'en Chine ? La voilà la réalité de la « croissance » de l'économie sud-africaine !

Malgré cela, les commentateurs ne tarissent pas d'éloges pour la « réussite économique » à laquelle auraient présidé, selon eux, Manuel et Mbeki. Ainsi, Allistair Sparks, un journaliste sud-africain connu pour des prises de position plutôt courageuses face aux méfaits de l'État, n'en écrivait pas moins dans le quotidien d'affaires Business Day du 6 juin : « Le président Mbeki (..) a donné à ce pays 36 trimestres successifs de croissance ininterrompue pour la première fois de notre histoire ; il a construit une classe moyenne multiraciale environ quatre fois plus nombreuse que l'était la classe moyenne essentiellement blanche de 1994 ; et il a mis en place un système de protection sociale substantiel qui fournit leur principale source de revenu à un quart des foyers sud-africains. »

De telles louanges ont quelque chose d'obscène si l'on pense à l'abjecte pauvreté dans laquelle vivent tant de familles qui n'ont même pas de toit pour dormir. Quant à présenter comme un « succès » de la politique gouvernementale, le fait que 12 millions d'individus dépendent aujourd'hui des aides publiques pour survivre, c'est regarder le monde à l'envers ! N'est-ce pas, au contraire, l'expression la plus accablante que l'on puisse imaginer d'une politique inepte, en tout cas du point des intérêts de la population ?

La « nouvelle donne » de Zuma

Le 5 juin, au cours d'un débat parlementaire, Manuel expliqua la politique de l'emploi de Zuma en disant que c'était « la première des priorités pour l'ANC ». Mais il ajouta aussitôt : « Une position réaliste consiste à dire que, bien que l'objectif reste de créer le maximum d'emplois décents, pour atteindre cet objectif tout en faisant en sorte qu'il y ait de quoi manger dans un nombre croissant de foyers, il faudra mettre l'accent dans un premier temps sur la fourniture de moyens de subsistance qui soient à notre portée. »

Que pouvait bien signifier une formule aussi tordue ? Manuel poursuivit : « Nous ne promettons pas d'emplois dans l'immédiat, ni dans l'industrie ni dans le secteur des services ». En fait, ce que le gouvernement a promis c'est la poursuite d'un « programme de travaux publics » existant qui, selon lui, aurait déjà créé un million d'emplois. Mais quels emplois ! Il s'agit d' « opportunités d'emplois à court terme », c'est-à-dire de petits boulots de courte durée, dont la rémunération est équivalente aux allocations sociales (qu'elle remplace). Mais en fait, il a fallu plus de quatre ans pour que ce programme crée le million d'« emplois » dont parlait Manuel.

Quant à la nature des emplois, un exemple en donnera une idée. Le programme « Travailler pour l'eau » est supposé offrir chaque année 20 000 emplois de courte durée assortis d'une formation à des chômeurs. Il s'agit de nettoyer cours d'eau, lacs et marais, de plantes envahissantes qui pourraient entraver le flot de l'eau, le tout avec pour seuls outils une machette et les mains. Quant à la formation, elle est supposée être de deux jours par mois, mais nul ne sait en quoi elle servira au stagiaire pour trouver ensuite un véritable emploi salarié.

Tels sont donc les pseudos-emplois que Zuma promet aujourd'hui, à raison de 500 000 d'ici la fin de l'année 2009 et quatre millions de plus d'ici à la fin 2014.

Bien sûr, l'organisation par l'État de grands travaux serait une réponse possible à la crise dramatique du chômage, à condition d'assurer réellement de quoi vivre aux embauchés et ceci sur une base régulière, quelle que soit la durée des interruptions entre missions. Et tant qu'à faire, cela pourrait être également un moyen de résoudre le problème de la dégradation catastrophique des infrastructures publiques en général et de répondre, en particulier, à une autre crise dramatique - celle du logement.

Car selon des chiffres publiés en mai, il manquerait 2,6 millions de logements. Mais même ce chiffre énorme est une grossière sous-estimation car il ne prend pas en compte la population croissante de squatters qui peuplent d'innombrables bidonvilles - jusqu'à ce que les bulldozers viennent détruire leurs casemates tandis que les policiers tirent des balles de caoutchouc pour déloger les protestataires -, population pour laquelle n'existe aucune statistique officielle.

Et pourtant, nulle part le nouveau gouvernement n'indique son intention d'accélérer la construction de nouveaux logements, ni surtout d'en fournir aux foyers les plus démunis qui, faute de revenus, n'ont même pas accès aux listes d'attente, ni les moyens d'acheter les logements disponibles si par bonheur ils en trouvent un. En fait, le gouvernement semble vouloir se contenter du quota annuel défini sous Mbeki de 260 000 logements construits par an, pour la vente, une goutte d'eau dans une mer de misère !

En fait de politique dans ce domaine, Zuma a nommé ministre du Logement Tokyo Sexwale, ancien Premier ministre du Gauteng jusqu'en 1998 avant de devenir milliardaire grâce à un empire bâti sur le diamant et le pétrole. Pour faire plus neuf, Zuma l'a rebaptisé « ministre des Habitations humaines ». Ce petit jeu sémantique est d'autant plus cynique que Sexwale s'est trouvé mêlé en 2008, dans le Western Cape, à un affrontement entre un promoteur et des centaines de familles dont il voulait détruire les logements pour construire un gigantesque complexe commercial et, bien sûr, le milliardaire Sexwale se trouva dans le camp du promoteur avec lequel l'une de ses compagnies avait un contrat. D'ailleurs, à peine nommé au gouvernement, Sexwale s'est précipité sur son terrain de chasse favori, la Bourse de Johannesburg, pour y réunir banquiers et autres investisseurs potentiels et les inviter à s'associer à l'État pour construire des logements. Autant dire que, même si plus de logements sont construits, ils ne résoudront rien pour les classes laborieuses et serviront surtout à remplir les poches des promoteurs et financiers.

Un gouvernement de combat contre les travailleurs ?

La crise a ébranlé durement l'économie sud-africaine. Après les années de « croissance », le PNB est maintenant en baisse de plus de 6 % sur l'année écoulée, la production minière de 33 % et la production manufacturière de 20 %. Face à cette situation, Zuma n'a pas fait grand mystère de ses plans. Avant même les élections, il avait expliqué que l' « effondrement économique mondial » limiterait sa liberté de manœuvre. Et pour doucher les espoirs de l'électorat ouvrier, il avait ajouté : « Tout ce que nous faisons doit l'être en proportion des moyens dont nous disposons, je suis sûr que chacun comprendra ça. »

Depuis les élections, Manuel a surenchéri dans ce sens. Commentant la baisse du PNB, il a averti « qu'il est plus important que jamais que nous travaillions en partenariat sur la base d'un programme d'objectifs communs pour répondre à cette crise. Ce partenariat doit ignorer tout ce qui peut nous diviser : race, classe, géographie et considérations partisanes. »

Puis, le 11 juin, lors du Forum économique mondial sur l'Afrique, Manuel enfonça un peu plus le clou, accusant le patronat de faire preuve de couardise face aux syndicats, et les syndicats d'exacerber la crise en organisant « trop de grèves ». La provocation était trop flagrante et ni le SACP ni COSATU n'aurait pu se permettre de ne pas y répondre. Tous deux se déclarèrent « scandalisés ». Le SACP déclara pour sa part : « La classe ouvrière a souffert considérablement du fait de la politique néo-libérale qu'il [Manuel] a mise en œuvre sous le régime précédent(...) Il n'est pas acceptable que le ministre Manuel et d'autres tentent d'utiliser les relations établies au sein de l'alliance après Polokwane pour essayer d'imposer le silence aux organisations de la classe ouvrière et à sa mobilisation. La classe ouvrière n'est pas à vendre au bon plaisir de sentiments pro-capitalistes dont le but est de satisfaire l'impérialisme. Et elle saura se défendre. »

De tels propos ne doivent pas faire illusion. Ils n'ont rien d'inhabituel de la part du SACP ni de COSATU dans leurs relations avec les leaders de l'ANC ; d'ailleurs, de façon significative, c'est à « Manuel et d'autres » que s'en prend le SACP, pas à Zuma. De tels propos font partie de la guérilla rhétorique à laquelle ces deux organisations doivent bien se livrer pour sauver la face vis-à-vis de leur base chaque fois que les leaders de l'ANC dévoilent de façon trop provocante les couleuvres qu'ils veulent faire avaler à leurs alliés et surtout les coups qu'ils s'apprêtent à porter aux classes laborieuses. Mais jamais cela ne les a empêchés de continuer à siéger, comme si de rien n'était, au sein d'un gouvernement qui applique la politique qu'ils ont eux-mêmes vertement condamnée la veille.

Tout au plus en tireront-ils peut-être les leçons le jour où ils seront de nouveau en position d'arbitrer des conflits entre clans rivaux au sein de la direction de l'ANC, comme cela a été le cas dans le conflit entre Mbeki et Zuma. Mais même dans ce cas, tout ce qu'ils peuvent espérer, c'est faire sortir du chapeau un autre nom, mais pas une autre politique qui serait susceptible de leur faciliter les choses vis-à-vis de leur propre base. Car la bourgeoisie sud-africaine a les dents bien trop longues pour tolérer, en l'absence d'une réelle menace venant de la classe ouvrière, de restreindre ses appétits de profits. Et les clans de l'ANC, pour rivaux qu'ils soient, n'en demeurent pas moins d'abord et avant tout au service de cette bourgeoisie, quels que puissent être les états d'âme de leurs alliés au sein de la coalition au pouvoir.

Mais de toute façon, aujourd'hui, après la toute récente élection et le départ d'une partie importante du principal clan concurrent de Zuma pour former COPE, l'ANC et COSATU n'ont même plus l'occasion de jouer de leur pouvoir d'arbitrer des conflits tant soit peu importants.

Du coup, évidemment, le SACP et COSATU ne font qu'apporter de fait leur caution aux coups portés par l'ANC aux classes pauvres, démoralisant et désarmant toujours un peu plus leur base ouvrière, et par là même fragilisant toujours un peu plus le strapontin gouvernemental sur lequel ils sont assis, car moins ils ont de soutien dans la classe ouvrière, moins ils présentent d'intérêt pour la direction de l'ANC et moins elle sera disposée à leur laisser une petite place dans les sphères dirigeantes de l'État. Or le SACP n'a pas d'autre perspective politique aujourd'hui que celle de participer au pouvoir dans les bagages de l'ANC.

Il reste que, face au régime de Zuma qui apparaît de plus en plus comme un régime de combat, déterminé à faire payer au prix fort à la classe ouvrière le coût de la crise, seule sera réellement déterminante pour l'avenir l'action collective des travailleurs. Ce ne sont pas les grèves qui manquent aujourd'hui, essentiellement des grèves sur les salaires mettant en jeu de nombreuses catégories de travailleurs, secteur par secteur, localement, mais parfois aussi sur une plus grande échelle. Reste à savoir si cette combativité qui semble encore intacte malgré l'impact de la crise, permettra aux travailleurs de retrouver le chemin des luttes d'ensemble qu'avait trouvé la génération des années quatre-vingt. Car seules de telles luttes seront susceptibles de permettre aux classes laborieuses de se faire craindre des trusts impérialistes ainsi que des politiciens et des nouveaux riches qui, depuis quinze ans, ont accaparé le produit de la victoire qu'avait remportée la classe ouvrière en mettant à bas le système de l'apartheid.

24 juin 2009