Le Parti de gauche et les élections européennes, entre radicalisme de façade et idées réactionnaires

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mai-juin 2014

En février dernier, le conseil national du Parti de gauche écrivait que « le temps est venu (...) de construire une opposition de gauche à ce gouvernement avec l'objectif de créer les conditions d'une majorité de gauche alternative ». D'où l'adresse à tous ceux qui « contestent cette politique au sein de la gauche » et les « propositions de listes communes aux municipales avec EELV (les Verts) ou encore avec des militants PS qui acceptent de travailler avec nous au regroupement de toutes celles et tous ceux qui refusent l'austérité ». Dans ce contexte, concluait le conseil national du PG, « les élections européennes restent le grand rendez-vous où nous ambitionnons de passer devant les listes gouvernementales »[[ Résolution politique du conseil national du PG (15 et 16 février 2014), publiée en ligne le 6 mars 2014.]]. Des perspectives ambitieuses... et beaucoup d'effets de manche !

Un petit parti bourgeois avec de grandes ambitions

Si le Parti de gauche est relativement jeune, Mélenchon, son dirigeant, n'est pas le dernier tombé dans le marigot politicien. Après un bref passage à l'OCI après 1968, Mélenchon s'est assuré entre 1976 et 2008 une carrière d'homme d'appareil au sein du Parti socialiste. Fervent partisan de Mitterrand, il fut en 1981 secrétaire départemental de l'Essonne à l'âge de 30 ans, sénateur à 35 ans, ministre délégué à l'Enseignement professionnel entre 2000 et 2002, dans le gouvernement Jospin. Au sein du PS, il fut surtout un soutien des autres : après Mitterrand, ce furent Dray, Emmanuelli, et finalement Fabius. La place qu'il occupait dans le parti était en fait marginale et ne devait pas le satisfaire. Ce furent la traversée du désert que connut le PS après la défaite au premier tour de Jospin à l'élection présidentielle de 2002 et le discrédit de plus en plus avéré de ce parti dans toute une partie de l'électorat de gauche, qui convainquirent Mélenchon qu'il avait peut-être une carte personnelle à jouer. Car si le PS se coupait d'une partie de son électorat traditionnel (le rejet du traité constitutionnel européen lors du référendum en 2005, alors que le PS avait appelé à voter pour, en fut un épisode), l'autre grand parti de gauche, le PCF, était lui aussi en plein recul électoral. C'est ce vide politique entre PS et PCF que Mélenchon chercha à occuper, après la défaite du PS à la présidentielle de 2007.

En février 2009, Mélenchon, avec quelques milliers de militants rompant avec le PS, fonda le Parti de gauche. La perspective immédiate était l'alliance électorale avec le PCF au sein d'un « Front de gauche » pour les élections européennes de juin de cette année-là. Cette alliance électorale lui permit d'abord de devenir député européen. Et comme le PCF ne se remettait toujours pas de son 1,9 % obtenu à l'élection présidentielle de 2007, Mélenchon fut désigné comme le candidat commun du Front de Gauche pour l'élection présidentielle de 2012.

Malgré tout cela, cinq ans après sa fondation, le Parti de gauche est toujours un petit parti qui revendique 12 000 adhérents. S'il existe politiquement, c'est grâce au Front de gauche et, au sein de ce dernier, grâce aux forces du PCF, dix fois supérieures en termes d'adhérents à celles du PG, et dont le réseau est encore bien plus vaste. Mais il est certain que leur attelage n'est pas de tout repos : un parti réformiste comme le PCF, qui compte des milliers d'élus et qui compte d'abord et avant tout les garder, recherche des accords avec le PS même quand le PS mène au gouvernement une politique résolument antiouvrière, quitte à démoraliser encore plus sa base. Tandis que le PG, qui n'a que très peu d'élus, ne peut exister qu'en se démarquant nettement du PS. D'où les divergences affichées entre les deux partenaires lors des élections municipales.

En février dernier, à la veille des élections municipales, les déclarations de Mélenchon à l'adresse des Verts et de militants du PS avaient donc aussi pour but de faire pression sur le PCF, en lui montrant que le PG peut s'associer d'autres forces et en mettant dans la balance les 11 % réalisés à l'élection présidentielle sur le nom de Mélenchon.

Mais quoi qu'il en soit, avec le PCF ou avec les Verts et des dissidents du PS, ces manœuvres politiciennes sont caractéristiques de ce que sont et de ce que veulent les dirigeants du PG. Pour eux, il s'agit, aujourd'hui, de regrouper une « opposition de gauche », à partir de composantes issues de la majorité actuelle, à partir de ceux qui veulent se démarquer de la politique actuelle de Hollande, même s'ils ont appelé à voter pour lui et l'ont cautionné pendant des mois. Une opposition dont la base politique ne transpire pas le radicalisme ! Au lendemain des élections municipales, le PG a d'ailleurs explicitement renouvelé son offre d'alliance à EELV (dans une « adresse au conseil fédéral d'EELV » datée du 3 avril), cette fois-ci pour les élections cantonales et régionales de 2015. Et Mélenchon vient de lancer un appel à ces 41 députés qui, lors du vote du plan Valls dit de « stabilité budgétaire », c'est-à-dire un plan d'attaque brutal contre les travailleurs et les retraités, ont poussé l'audace jusqu'à... s'abstenir. Cette opposition de gauche, qui ambitionne de devenir « majorité alternative » se dit ouvertement et sans fard prête à gouverner « sans attendre 2017 »[[ Résolution sur les élections européennes du conseil national du PG, publiée en ligne le 6 mars 2014.]], ce qui veut dire qu'elle affirme qu'elle est prête à fournir à Hollande un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement, si les conditions s'y prêtent.

Les chats ne font pas des chiens, et le PG est bien un petit parti bourgeois qui, à coups d'alliances et de coalitions avec d'autres courants bourgeois, cherche à se frayer une voie vers le pouvoir gouvernemental. Un parti de même nature sociale que le PS, mais qui compte sur le discrédit accéléré du PS, ainsi que sur son positionnement qu'il veut plus à gauche, pour y parvenir à son tour.

De leur point de vue, le résultat des listes Front de gauche aux élections européennes sera important. Le PG le dit ainsi : « les élections européennes peuvent être l'étape majeure de la construction d'une majorité alternative de gauche ». L'objectif affiché est de passer devant ses concurrents de gauche, c'est-à-dire devant le PS et devant les Verts. Les résultats aux élections municipales des différentes listes PCF, PCF-PG ou PG-NPA montrent qu'il est peu probable que ce soit le cas. Mais, un résultat relativement important par rapport au PS permettrait d'abord de ressouder un Front de gauche qui apparaît très divisé. Cela leur permettrait aussi de se poser en rassembleur des déçus de gauche. Et enfin, si tout cela se produit, ils seraient en mesure de fournir « une majorité alternative », c'est-à-dire un remplaçant à Valls si les conditions sociales et politiques l'exigeaient, en cas de crise politique par exemple. En tout cas, tel est leur calcul et telles sont leurs ambitions.

Combattre les idées nationalistes du Front national ou les renforcer ?

Pour obtenir des voix, puisqu'il s'agit de cela, le Parti de gauche a choisi de s'adresser à ceux qui rejettent l'Europe. Les 15 et 16 février dernier, le conseil national du PG indiquait que les listes Front de gauche « seront donc celles de la rupture avec l'actuelle UE et ses traités, en vue de la refondation de l'Europe » car « le rejet de l'Union européenne n'a jamais été aussi fort dans le pays et notamment au sein des classes populaires. (... ) Les sirènes anti-Europe du Front national trouvent écho auprès de cet électorat. Notre rôle est de rassembler le peuple de gauche, mais aussi d'apporter une réponse forte à ce désespoir et d'incarner la colère populaire. » Le Parti de gauche entend donc contester au Front national les voix que ce dernier compte faire sur cette base.

Le PG a détaillé, dans un texte[[« Sortons de l'Europe austéritaire ! Désobéir pour ne plus subir », texte du conseil national du PG daté du 3 novembre 2013]] publié en novembre 2013, son argumentation. Il y explique ce que son porte-parole répète en boucle, que les causes de la régression sociale sont à chercher dans la façon dont l'Union européenne a été construite. Le problème serait donc les différents traités européens, en particulier celui de Lisbonne et la place prédominante de l'Allemagne. C'est pourquoi le PG dit, dans un paragraphe intitulé « en finir avec l'Europe austéritaire de Schulz[[Martin Schulz est un des leaders du Parti social-démocrate allemand et le candidat pour les partis socialistes d'Europe à la présidence de la commission européenne]] et de Merkel », les choses suivantes : « Les gouvernements successifs allemands, érigés en exemple, ont réussi à imposer une vision de l'Europe étroitement liée au modèle capitaliste de ce pays. Digne héritier du mark allemand, l'euromerkel a été conçu pour être une monnaie forte (...) Pire, en s'appuyant sur l'exportation à outrance, le modèle économique allemand est source de concurrence et de conflits entre les États européens. L'intransigeance égoïste d'Angela Merkel conduit l'Europe à la catastrophe. Car c'est ce modèle qui, non content de les avoir insultés et dénigrés, est en train de faire le calvaire des Grecs et de nombreux peuples européens. Il menace également les Français... »

S'attaquer au « modèle capitaliste allemand », comme le fait le PG, laisse supposer qu'il y aurait un modèle capitaliste meilleur. Cela lui permet même d'exonérer de leurs responsabilités les capitalistes eux-mêmes puisque les attaques antiouvrières ne seraient pas de leur fait, mais une question de « modèle ». Mais il y a plus grave encore. En adoptant un ton nettement antiallemand, le PG a choisi d'entonner les trompettes nationalistes parce qu'il pense que c'est électoralement porteur. Il se met de fait sur le même terrain que le FN qui, en la matière, aura toujours une longueur d'avance. Mais que le PCF et le PG adoptent ce discours nationaliste n'est pas indifférent. En faisant cela, ces politiciens, qui se disent de gauche, cautionnent auprès des travailleurs et des militants ouvriers et syndicalistes, des idées nauséabondes qui portent la division et les orientent vers des impasses. Ne serait-ce que pour cela, il faut s'opposer à eux et à leurs idées. Et il faut dénoncer le patronat comme responsable, et en premier lieu, le patronat que l'on a sous la main, là où l'on vit et là où l'on milite. Ainsi, les Peugeot ou Pinault n'ont pas besoin du « modèle capitaliste allemand » pour licencier et fermer des usines. Les banques françaises, étant donné la masse de leurs investissements en Grèce, ont été parmi les plus intéressées au « redressement » des finances de ce pays. Un redressement que les travailleurs grecs payent effectivement cher.

On a beau chercher dans le programme du PG : pas d'autres explications que celle de la prétendue prédominance allemande sur l'Europe. Si, pour le PG, il y a une responsabilité en France, c'est seulement celle de François Hollande qui s'est plié à « l'Europe austéritaire de Schulz et de Merkel », lui qui « avait promis de renégocier ce traité (le TSCG) avant d'être élu » et qui n'en a pas modifié une virgule.

Le PG a donc choisi de développer sa propre argumentation xénophobe et nationaliste. Le PCF a joué et joue aussi régulièrement de cette partition : « produisons français », « défendre la souveraineté nationale »... En faisant cela, le pire est surtout que ces partis d'« opposition de gauche » contribuent à distiller ce poison qu'est le nationalisme dans les rangs des travailleurs de ce pays.

L'euro au cœur de la démagogie nationaliste

Le discours antiallemand est complété comme il se doit d'une argumentation antieuro. C'est tout l'objet du paragraphe intitulé « soumettre l'euro ou le quitter ». Car, dit le PG, « l'euro est un garrot qui étrangle l'économie européenne ».

« Comment réagir ? », demande t-il. « Quitter l'euro. Oui, s'il n'y a pas moyen de faire autrement et nous saurions y faire face. Entre la sauvegarde de l'euro et la souveraineté du peuple, notre choix est vite fait ! Mais ce n'est pas notre scénario privilégié ». Cette phrase à elle seule résume toute la politique de ce parti. Se donner les moyens de faire des envolées nationalistes contre l'euro (« Quitter l'euro »), pour ne pas laisser au FN le monopole du discours chauvin, et rester un parti responsable (« ce n'est pas notre scénario privilégié »).

Le scénario privilégié est le suivant. Le PG propose de « changer les statuts de la Banque centrale européenne et la placer sous le contrôle du Parlement européen et des parlements nationaux. À partir de là, la décision politique retrouve les mains libres ». La belle affaire ! Cela placera peut-être la BCE sous le contrôle formel des politiciens, mais comme ces politiciens obéissent de gré ou de force à ceux qui, au travers de leur fortune, ont le véritable pouvoir, la BCE, comme le Parlement européen, comme les parlements nationaux, resteront toujours et encore les relais de la classe dominante. Le PG propose aussi de donner plus de pouvoir à la Banque de France. Ainsi « pour refonder l'euro » le PG propose « une refonte unilatérale des statuts de la Banque de France pour lui permettre de prêter directement au Trésor public et de monétiser une partie de la dette publique ». Le PG propose en fait une autre politique aux capitalistes et aux financiers, une autre manière de gérer leurs affaires. Car le Trésor public ne s'est pas toujours financé en passant par les marchés. Il l'a même souvent fait en plaçant des emprunts auprès des plus riches du pays. Les plus anciens se souviendront des emprunts Pinay ou Giscard. Pour ce dernier, pour 7,5 milliards de francs empruntés sur 15 ans, l'État dut rembourser (en intérêts et capital) plus de 90 milliards de francs. Une autre manière pour les riches de piller le budget national en quelque sorte. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas aux travailleurs que le PG s'adresse là, mais bien à la bourgeoisie.

D'autre part, le PG affirme que le fait que la BCE soit indépendante des pouvoirs politiques et donc sous la « domination totale des marchés financiers » conduirait celle-ci à « la politique de l'euro fort » dont l'obsession est la « lutte contre l'inflation », « qui protège les rentiers » et qui « détruit l'emploi et les investissements ». Le PG dénonce en fait ici l'obligation des États de respecter le critère de 3 % de déficit public et le fait que la BCE ne joue pas de la planche à billets européenne. Il est certain que la politique anti-inflation protège les rentiers et que, au nom de la lutte contre les déficits, les gouvernements imposent à leurs populations plan d'austérité sur plan d'austérité. Ce sont ces plans, les blocages ou les amputations de salaires, de retraites, les licenciements de fonctionnaires, la remise en cause de la santé publique qu'il faut combattre. Mais il ne faut pas les combattre en ayant pour revendication que les États mènent une politique inflationniste, comme le laisse penser le PG. Une politique inflationniste permettrait peut-être de diminuer le poids de la dette, en la dévalorisant, mais ce serait aussi une autre manière de faire payer la crise aux travailleurs, en diminuant leurs salaires par le biais de l'inflation. Ce serait une politique que les travailleurs devraient tout autant combattre, avec leurs moyens de classe.

Placer le combat politique sur le terrain de l'orientation économique de la BCE est donc une impasse pour les travailleurs, car c'est une discussion entre options politiques possibles pour la bourgeoisie. Pour les travailleurs, le fond du problème n'est pas de discuter de cette orientation économique, mais du fait que cette BCE, ainsi que toutes les institutions nationales ou européennes, sont en réalité au service des capitalistes, des industriels et des banquiers, et qu'elles se chargent de défendre leurs intérêts et notamment de faire payer la crise aux couches populaires en assurant le transfert de dizaines de milliards d'euros de leurs poches vers celles des riches.

Le « protectionnisme solidaire »

Une autre impasse : le protectionnisme, fût-il solidaire, du PG : « Face au libre-échange, l'Europe a besoin de développer un modèle de protectionnisme solidaire. Cette politique s'appliquera si possible à l'échelle européenne ou si nécessaire à l'échelle nationale ». Comme pour l'euro, il s'agit là encore de concurrencer le FN sur son terrain, en développant à l'adresse des électeurs un discours protectionniste « à l'échelle nationale si nécessaire », tout en se montrant responsables à l'égard de la bourgeoisie (« si possible »), qui est aujourd'hui globalement hostile à un repli du marché sur les frontières nationales et un éclatement de l'Union européenne.

Et l'adjectif « solidaire » est juste là pour rappeler que Mélenchon se revendique de la gauche de la gauche. Mais le protectionnisme, quel que soit l'adjectif qu'on lui accole, reste le protectionnisme. Le protectionnisme n'a jamais protégé que les intérêts de la bourgeoisie ou d'une fraction de celle-ci. Et aujourd'hui, c'est un programme nettement réactionnaire, opposant les travailleurs de ce pays à ceux d'ailleurs. Ainsi le PG affirme que, « en relocalisant les industries », le protectionnisme « contribuera à la diminution forte du chômage en Europe ». Et comment si ce n'est, dans le cadre de ce système capitaliste, en mettant au chômage les travailleurs d'ailleurs ?

Aujourd'hui, alors que l'économie est cent fois plus mondialisée qu'elle ne l'était à l'époque de Marx, il est inepte et réactionnaire de proposer un repli national ou européen. Le « made in France », le « produisons français », le « patriotisme économique », ce sont des balivernes. Il n'y a pas un bien de consommation courante qui ne résulte aujourd'hui du travail de milliers de travailleurs de plusieurs pays, de plusieurs nationalités, de plusieurs continents. Et, plus fondamentalement, c'est aussi un progrès si l'industrie se développe en Chine, en Inde ou au Vietnam. Parce que cela renforce et élargit la classe ouvrière, et que ces prolétaires sont des alliés futurs des travailleurs de France, des États-Unis ou d'ailleurs. Et en Chine, en Inde ou au Bangladesh, des travailleurs se battent, parfois dans de grandes grèves, contre l'exploitation, pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. Des grèves aujourd'hui surtout économiques, mais qui deviendront politiques, qui contesteront le pouvoir de la bourgeoisie, ailleurs et ici.

Par quels moyens le PG compte-t-il imposer sa politique ?

Contrairement à Hollande qui s'est plié à « l'Europe austéritaire de Schulz et de Merkel », le PG propose de « désobéir pour ne plus subir ». Par quels moyens ? Surtout pas par un plan de mobilisation des masses populaires, car le PG cantonne strictement son argumentation au plan institutionnel : « Il suffit que le ministre français du Budget suspende les paiements de la France pour que le budget européen soit en cessation de paiement. Il suffit que le gouverneur de la Banque de France remette en cause les règles de fonctionnements de la BCE (...), que la France fasse défaut sur sa dette publique, pour que le système mondial s'effondre. Un gouvernement français a donc toute latitude pour désobéir de façon maîtrisée aux traités, directives et règlements européens odieux qui détruisent notre société (...) »

Le rédacteur de ce paragraphe oublie juste de noter que si le ministre du Budget et le gouverneur de la Banque de France ont un tel pouvoir, c'est parce que la construction européenne n'est pas le simple fait du « modèle capitaliste allemand », mais le fruit d'un compromis (laborieux) entre les bourgeoisies des principaux pays capitalistes d'Europe, en premier lieu celles d'Allemagne, du Royaume-Uni et de France, et que toute la politique élaborée est en fait collectivement la leur.

Pour quel objectif faudrait-il utiliser la menace budgétaire ? Pour désobéir aux traités (mais attention, de « façon maîtrisée ») ! Ainsi donc, le problème serait d'abord et avant tout de renégocier le traité de Lisbonne, le traité « qui les contient tous ». Ce traité serait, avec le « modèle capitaliste allemand », « fauteur de crise. Il interdit de limiter les mouvements de capitaux (...) il impose le libre-échange en refusant toute mesure protectionniste (...) il est le moteur du dumping social en Europe ». Ce traité est un traité entre brigands, c'est certain. Mais retirer aux brigands une de leurs armes ne leur retire pas leur pouvoir de nuisance, ni le reste de l'arsenal à leur disposition. Ils ont d'ailleurs pillé la planète et exploité les peuples pendant des décennies sans avoir ce traité à leur disposition... La lutte du PG (et des autres) contre les traités doit être considérée comme ce qu'elle est : une diversion politique qui permet de développer un discours nationaliste tout en exonérant la classe dominante de ce pays de ses responsabilités.

De la démocratie et de la « souveraineté » du peuple

« Les institutions européennes ne garantissent pas un contrôle démocratique sur le fonctionnement de l'Union européenne. Elles ont confisqué le pouvoir au peuple au profit d'une oligarchie (...) Dans ces instances non-élues, le peuple n'a pas son mot à dire, au contraire des groupes de pression qui défendent à coup de millions les intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général. Ce qui devrait être interdit. » Il est certain que les institutions européennes n'ont pas été faites pour être contrôlées démocratiquement. Elles ont été faites pour être livrées aux « intérêts particuliers » des industriels et des financiers, car elles ont été construites à leur demande et à leur initiative. Quant à réclamer l'interdiction des groupes de pression, c'est prendre les électeurs pour des naïfs. Car il n'y a qu'en expropriant les capitalistes qu'on ruinera leur puissance sociale et qu'on mettra fin au lobbying ouvert (tel qu'il se pratique dans les couloirs des institutions européennes) ou masqué (tel qu'il se pratique partout ailleurs) sur le pouvoir politique. Des institutions véritablement démocratiques sont incompatibles avec un système de classe, où la fortune se concentre en quelques mains et où la misère est le lot de la grande majorité. La seule revendication qui pourrait permettre de faire un pas dans le sens d'un contrôle démocratique des institutions est la révocabilité des élus. Mais cette revendication ne sera mise en application que par un pouvoir ouvrier, comme la Commune de Paris de 1871 sut le faire.

L'« écosocialisme » du PG, le renouveau de quel socialisme ?

Tout en chassant sur les terres de l'extrême droite, le positionnement politique du PG est celui de la gauche de la gauche. Il cherche donc aussi à rassembler les électeurs des Verts, du PCF, les électeurs de gauche qui sont critiques vis-à-vis de la société capitaliste, en en déplorant les excès sans pour autant la remettre en cause. Pour eux, l'argumentation est la suivante : « II n'est plus possible de réformer l'UE. L'heure est à une refondation totale de l'Europe. (...) il faut rendre à l'égalité, la liberté et la laïcité leur rôle moteur et conjuguer socialisme et écologie dans un projet écosocialiste. »

L'écosocialisme du PG se veut un « projet global », un projet de société. Un projet bien à la mode à la gauche de la gauche puisqu'il a contaminé y compris une partie du NPA, qu'il est fourre-tout et que chacun peut y mettre ce qu'il veut. « L'écosocialisme est un nouveau projet politique réalisant la synthèse d'une écologie nécessairement anticapitaliste et d'un socialisme débarrassé des logiques du productivisme. Il permet ainsi la jonction des grands courants de la gauche dans un nouveau paradigme politique. » [[Premier manifeste des assises - 18 thèses pour l'écosocialisme - 6 février 2013.]]. Les écosocialistes veulent « renouveler le socialisme », mais le socialisme de Mitterrand, pas celui de Marx et de Lénine : « Le socialisme a toujours visé l'émancipation de la personne humaine. Elle passe par le partage de la richesse, la démocratisation du pouvoir et l'éducation globale de chaque femme et chaque homme. Ce programme est toujours le nôtre. Mais nous savons dorénavant que l'émancipation ne peut être atteinte par la croissance sans fin : l'écosystème qui rend la vie humaine possible ne le permet pas. Ce constat oblige à définir un nouveau modèle de progrès en rupture avec le système capitaliste. (...) Cette nouvelle conscience et son programme d'action sont l'écosocialisme. Ses méthodes sont la radicalité concrète, la planification écologique et la révolution citoyenne. »

L'objectif du socialisme « écosocialiste » est l'émancipation de la « personne humaine ». Un objectif certes juste en soi. Mais le capitalisme est ainsi fait que l'émancipation de l'humanité ne peut se faire qu'au travers de l'émancipation des travailleurs, c'est-à-dire par la révolution sociale des opprimés, des exploités, s'opposant aux exploiteurs. Une émancipation que l'« écosocialisme » du PG élude soigneusement. Dans ce socialisme-là, il n'est ainsi pas question de l'expropriation des capitalistes, ni du contrôle des travailleurs sur les entreprises, mais on y discourt sur le « partage de la richesse, la démocratisation du pouvoir et l'éducation ». La méthode d'action n'est plus la révolution sociale, ouvrière, ayant pour objectif la propriété collective des moyens de production sous le contrôle démocratique des travailleurs, mais « ses méthodes sont la radicalité concrète, la planification écologique et la révolution citoyenne ». Les promoteurs de l'écosocialisme ont en fait soigneusement vidé le socialisme de Marx de tout contenu révolutionnaire, de tout contenu de classe et de toute notion de lutte de classe. Il est vrai qu'ils sont de cette famille qui se dit encore socialiste, mais qui a trahi et rompu avec le marxisme il y a tout juste 100 ans, en 1914, et qui depuis a fourni à la bourgeoisie, de Blum à Mitterrand, plusieurs générations de loyaux gestionnaires. Ces socialistes-là reprochent à Hollande, leur descendant direct, d'avoir rompu avec Mitterrand et d'être devenu « social-libéral », c'est-à-dire en fait de gouverner sans fards pour le compte des riches, alors que Mitterrand et Blum y mettaient, quelquefois, les formes. Une querelle de famille en quelque sorte, mais d'une famille bien étrangère au mouvement ouvrier et au marxisme.

Quant à la « radicalité concrète » écosocialiste, elle sert en fait à exprimer un programme électoral de gouvernement, dans le cadre du système capitaliste. Ainsi « les aides aux entreprises seront soumises à des règles strictes (dans le cadre de la "planification écologique" et de la "règle verte", NDLR). Elles seront modulées en fonction du niveau des exigences sociales et environnementales qu'elles respecteront (réduction des temps partiels imposés, des écarts de salaire par exemple). Le pôle financier public fournira un crédit bonifié aux entreprises pour l'emploi, la formation, la recherche et le développement sur critère d'utilité sociale et environnementale des investissements et de la production. Nous soutiendrons les politiques d'investissements des entreprises vers les innovations industrielles aux productions utiles. Nous favoriserons la relocalisation des activités et les circuits courts de distribution. Nous renforcerons la présence de l'État dans le capital d'entreprises stratégiques pour leur sauvegarde et leur développement. »[[ http : //www.lepartidegauche.fr/arguments/legislative/industrie-reponse-jean-luc-... , etc. Ainsi, ce ne sont pas tant les subventions au patronat qui gênent les écosocialistes du PG, mais la manière dont elles sont distribuées.

Combattre la politique du PG pour ce qu'elle est

Le devoir des communistes révolutionnaires est de dire la vérité, qui consiste à qualifier le Parti de gauche de parti bourgeois à la recherche d'une voie vers le pouvoir. Cela n'empêche pas de participer à des manifestations communes, quand c'est possible. Ce fut le cas le 1er décembre 2013 lors de la manifestation parisienne contre la hausse de la TVA. Mais les communistes révolutionnaires ne doivent pas apporter leur caution politique à ce genre de parti. Ils doivent au contraire se donner les moyens de dénoncer la nature de sa politique : du radicalisme de façade, du réformisme mâtiné de nationalisme sous prétexte de ne pas laisser ce terrain au FN, une politique démagogique qui, en fait, renforce le poison nationaliste et chauvin dans la société.

Il y a aussi une autre question. Dans quelles circonstances Mélenchon pourrait-il accéder au pouvoir « avant 2017 » ? Pourquoi Hollande lâcherait-il un Ayrault ou un Valls pour un Mélenchon ? Il faudrait en fait probablement des conditions semblables à celles de 1936, lorsque le patronat a pressé Blum de prendre le pouvoir en France, ou lorsque Caballero, leader du Parti socialiste espagnol, gouverna l'Espagne républicaine du Front populaire. Des circonstances de crise sociale et politique et une radicalisation des travailleurs telles que la bourgeoisie aurait besoin d'un recours en la personne d'un personnel politique ayant suffisamment l'oreille des travailleurs pour jouer les pompiers, éteindre l'incendie social comme le firent Blum et Caballero en leur temps, chacun à sa manière. Un tel recours serait donc un obstacle sur le chemin des luttes ouvrières. C'est pourquoi ceux qui se situent dans le camp des travailleurs doivent dès à présent combattre politiquement ce genre de courant, se démarquer nettement de l'« opposition de gauche » en l'identifiant pour ce qu'elle est, une option possible pour la bourgeoisie.

8 mai 2014