Portugal : un gouvernement anti-austérité plébiscité par le patronat

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février 2019

Depuis octobre 2015, le Portugal est gouverné par António Costa, chef du Parti socialiste (PS). Minoritaire au Parlement, le PS gouverne avec le soutien, sans participation gouvernementale, des députés du Parti communiste portugais (PCP) et du Bloco de Esquerda (Bloc de gauche), parti formé en 1999 par le regroupement de plusieurs groupes, dont les trotskystes portugais liés au Secrétariat unifié. Aujourd’hui, le Portugal ayant retrouvé un taux de croissance positif, le chômage ayant reculé en même temps que le déficit public, certains présentent la politique du gouvernement portugais comme une « voie de gauche » pour sortir de la crise sans imposer une violente austérité à la population. Il faut un bel aveuglement social pour parler ainsi.

Lors des élections d’octobre 2015, la coalition de droite conduite par Passos Coelho, au pouvoir depuis l’année 2011 où il avait mis en œuvre une politique très dure d’austérité et de réduction des droits des travailleurs, était arrivée en tête mais sans majorité absolue. Le PS, alors dans l’opposition, avait légèrement progressé. Entre-temps, il avait changé de tête pour faire oublier les affaires de corruption de son précédent dirigeant, José Sócrates, et surtout sa responsabilité directe dans l’élaboration de la politique antiouvrière mise en œuvre par la droite. Baisse de 3 à 10 % du salaire des fonctionnaires, passage de la TVA à 23 %, augmentation de l’impôt sur le revenu et de multiples taxes ou tarifs comme celui de l’électricité, baisse des cotisations patronales, suppression des 35 heures pour allonger le temps de travail, suppression de quatre jours de congés pour les salariés, licenciements dans la fonction publique, etc. : toutes ces mesures d’austérité ont été pour l’essentiel conçues en 2010, quand le PS de Sócrates était au pouvoir, avant d’être appliquées puis durcies par Passos Coelho et la droite. Comme en Grèce à la même époque, ces mesures avaient été prises au nom de la lutte contre le déficit public et le surendettement de l’État, en échange d’un prêt d’urgence de 78 milliards d’euros, sous l’égide de la Troïka (FMI, Union européenne et Banque centrale européenne) mais avec la complicité active du personnel politique portugais, droite et gauche étroitement associées, pour le bonheur du patronat.

Accords avec le PCP et le Bloc de gauche

Mais en 2015, le nouveau chef de file du PS, l’ancien maire de Lisbonne António Costa, craignant sans doute de connaître le sort tragique du Parti socialiste grec, le Pasok, n’a pas voulu apporter les voix de ses députés à Passos Coelho. Il a choisi de négocier des accords politiques avec le Parti communiste et le Bloc de gauche, pour former un gouvernement minoritaire, avec leur soutien au Parlement mais sans participation au gouvernement. Ces deux partis avaient regroupé 20 % des voix, récupérant une partie des anciens électeurs du PS. Le Bloc avait axé toute sa campagne sur la dénonciation de l’austérité, du diktat de la Troïka et des institutions européennes, réclamant l’annulation de la dette et la sortie de l’euro. Le PS, lui, ne s’était démarqué qu’à la marge du programme de la droite, sans contester la nécessité de réduire le déficit public et réclamant, comme elle, des « assouplissements » du marché du travail. C’est pourtant le Bloc qui prit l’initiative d’un accord avec le PS. Ses dirigeants le présentèrent comme un moyen de mettre le PS face à ses responsabilités, de donner « une réponse d’urgence avec des mesures d’urgence » apportant « une stabilisation de la vie des gens, un soulagement pour les retraités, un redémarrage des salaires, la protection de l’emploi et plus de justice fiscale »[1].

Deux accords séparés furent conclus, l’un avec le Bloc, l’autre avec le PCP. Costa s’engageait à augmenter le salaire minimum de 5 % par an, pour le faire passer de 505 euros brut mensuel (payé sur 14 mois) en 2015 à 600 euros brut mensuel (payé sur 14 mois) en 2019, à cesser le gel des pensions, à rétablir les quatre jours fériés volés par Passos Coelho. Il s’engageait à réduire diverses taxes instaurées les années précédentes, à ne pas réduire les cotisations patronales pour la Sécurité sociale et à abandonner des projets visant à faciliter encore plus les licenciements. Il s’engageait aussi à revenir sur la privatisation amorcée des transports publics de Lisbonne et Porto et de la compagnie aérienne TAP. Dans l’autre sens, il s’engageait vis-à-vis du président de la République à poursuivre la réduction du déficit public, à respecter les engagements pris auprès des créanciers de l’État et à rester dans la zone euro. Ce programme tranchait avec celui mis en avant par le PS quelques semaines plus tôt, pendant la campagne électorale, et avec celui des partis socialistes au pouvoir dans différents pays. Il sonnait agréablement aux oreilles des classes populaires, appauvries par des années d’attaques ininterrompues. Il était pourtant bien modeste, bien moins ambitieux par exemple que celui de Mitterrand en 1981 ou même celui de Hollande en 2012, même si les deux n’ont pas mis longtemps à renier leurs promesses. Formulé dans un contexte de crise, où le patronat et ses mandataires portugais comme européens exigent toujours plus d’austérité, le programme du PS semblait voué à être rapidement piétiné, comme l’avaient été les promesses d’Alexis Tsipras en Grèce quelques mois plus tôt.

Trois ans plus tard, ni le Bloc ni le PCP n’ont retiré leur soutien au gouvernement Costa. Celui-ci se flatte d’avoir tenu ses promesses et répète : « Nous avons prouvé qu’il était possible de tourner la page de l’austérité sans sortir de l’euro. » Qu’en est-il ?

Un redressement économique pour la bourgeoisie

Comme le journal économique français Les Échos (1er février 2018) saluant « le redressement du Portugal, […] devenu l’une des économies les plus prometteuses d’Europe », certains économistes peu avares de superlatifs parlent du « miracle portugais ». Le taux de chômage officiel est passé de 17,5 % en 2013 à 8 % en février 2018, tandis que le taux de croissance de l’économie avait atteint 2,7 % en 2017, au-dessus de la moyenne européenne. Si la dette publique représente toujours 130 % du PIB, le déficit public annuel est passé sous le seuil des 2 %, malgré la recapitalisation de deux banques menacées de faillite. Le Portugal a été sorti de la procédure de déficit public excessif de l’Union européenne et les agences de notation ont réévalué sa notation. Tous ces résultats ont valu à António Costa, bon élève de la classe euro, les félicitations du commissaire européen Pierre Moscovici !

Pour le patronat, portugais ou étranger, les affaires sont florissantes. Et pas seulement dans le secteur touristique, qui a profité du recul du tourisme en Tunisie et fait flamber les prix de l’immobilier à Lisbonne et Porto. Le Portugal attire des constructeurs ou équipementiers automobiles, comme Renault, PSA, Faurecia, des spécialistes de mécanique de précision pour l’aéronautique ou des constructeurs comme le français Mecachrome ou le Brésilien Embraer, et de multiples start-up comme Farfetch, champion des ventes de luxe en ligne. Des entreprises portugaises exportent vers l’Europe et la Chine ou sous-traitent pour des groupes comme Ikea. Les exportations du Portugal sont passées de 30 % du PIB en 2010 à plus de 40 % en 2018. Le gouvernement Costa est aux petits soins pour les patrons : « Les services publics de l’emploi cherchent à anticiper, pour savoir de quels effectifs j’aurai besoin d’ici six mois, et avec quelle formation concrète, pour qu’ils puissent adapter leurs modules en fonction de la demande et raccourcir le time to job », comme le racontait ébahi le patron de l’usine Mecachrome installée à Évora à une journaliste des Échos. Mais ce qui attire les patrons, écrivait cette journaliste, c’est « une main-d’œuvre qualifiée, polyglotte, formée et fiable, dans un environnement culturel et géographique agréable » et plus encore « un coût du travail bas avec un smic à 650 euros » (Les Échos, 1er février 2018). Autrement dit, pour les capitalistes, le Portugal offre des travailleurs qualifiés sous-payés, comme dans l’Europe de l’Est ou au Maghreb, mais avec une administration et des infrastructures plus performantes, dans un cadre de vie plus sûr et plus agréable pour les dirigeants des entreprises.

Des miettes et la précarité pour les travailleurs

Pour les travailleurs, le redressement portugais n’a rien d’un miracle. Costa a certes respecté formellement les principaux points de l’accord signé en 2015 avec le Bloc et le PCP. Le salaire minimum a bien été augmenté pour atteindre 600 euros brut par mois (sur 14 mois) au 1er janvier 2019, mais il reste l’un des plus bas en Europe de l’Ouest. Si les fonctionnaires titulaires sont officiellement revenus aux 35 heures en juillet 2016, ils doivent se battre partout pour les faire respecter, et les contractuels, très nombreux, restent aux 40 heures. En octobre 2017, les fonctionnaires se sont mis en grève pour exiger l’alignement entre les CDD et les CDI, la titularisation des contractuels et des augmentations de salaire. Leurs salaires ont perdu 14 % depuis 2009. En mars 2018, les enseignants ont fait quatre jours de grève pour exiger la restitution complète de leur ancienneté, gelée depuis plus de neuf ans. Pendant plusieurs mois au printemps, les travailleurs de la santé ont fait grève pour des augmentations de salaire de 150 euros, l’embauche en CDI et le retour réel aux 35 heures. Costa avait promis de titulariser les précaires employés par l’État, mais ils ne le sont qu’au compte-gouttes et doivent se battre contre les blocages de toute sorte. Pour les anciens, les pensions de retraite ont été réévaluées mais elles restent misérables : 275 euros par mois pour le minimum vieillesse. Un Portugais sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté.

S’il est indiscutable que le taux de chômage a sensiblement baissé, c’est d’abord parce que la population active a fortement diminué suite à l’émigration massive de sa jeunesse. Sur les 10 millions d’habitants, dont moins de 5,6 millions d’actifs, depuis 2009 plus de 100 000 jeunes, souvent diplômés, quittent le Portugal chaque année. En août dernier, Costa a annoncé qu’il offrait une réduction de la moitié de leur impôt sur le revenu à ceux qui accepteraient de revenir s’installer au Portugal. Par ailleurs, les emplois créés sont, plus encore qu’en France, des emplois précaires et sous-payés.

Costa a maintenu les pires dispositions de la loi sur le travail instaurée en 2012, qui aggravait la flexibilité et facilitait les licenciements. En particulier, cette loi avait étendu le statut des recidos verdes, une version portugaise de l’autoentrepreneur qui doit payer lui-même ses cotisations et dont le contrat peut être rompu du jour au lendemain sans préavis, car c’est un contrat commercial entre deux entreprises, et pas un contrat de travail. Malgré quelques changements dans la réglementation, Costa n’a rien fait pour imposer réellement aux patrons de transformer en CDI les multiples contrats abusifs de type recidos verdes. Il s’est fermement opposé à ses alliés du PCP ou du Bloc quand ils ont tenté de modifier la loi sur le travail, trouvant sur ces questions le soutien des députés de la droite. Quand ces débats ont eu lieu au Parlement, provoquant début 2018 une petite crise politique, Saraiva, l’actuel président la Confédération de l’industrie portugaise, et Van Zeller, son prédécesseur, ont rendu hommage à Costa car, « dans ces discussions, il ne s’est pas laissé emballer par le gauchisme du Bloc » et « il n’a pas voulu céder davantage au PCP et aux syndicats ».

Confronté à la grève du personnel des hôpitaux, qui ne se contentait plus de bonnes paroles, Costa a de nouveau manœuvré. Refusant d’augmenter le budget de la santé en utilisant les fonds structurels européens, comme le réclamaient le PCP et le Bloc, il a négocié et obtenu le soutien des députés de la droite pour faire passer ses réformes. Comme l’a déclaré avec admiration dans la presse le patron de la chaîne portugaise de supermarchés, Pingo Doce : « [Costa] a une capacité de négociation, construction de consensus, peut-être unique au Portugal en ce moment. »

L’hommage du patronat à Costa

Ces hommages répétés des hommes du patronat au Premier ministre portugais suffisent à juger la politique de Costa. Le soutien du PCP et du Bloc à ce gouvernement PS, présenté par leurs défenseurs comme un moyen « d’améliorer les conditions des travailleurs et de faire un pas en rupture avec la politique d’austérité menée par les gouvernements précédents »[2], lui a surtout donné un état de grâce pendant deux ou trois ans. Ce soutien lui a permis de faire oublier la politique passée de son parti et de faire patienter les classes populaires avec quelques mesures concrètes et beaucoup de promesses. Pendant ce temps, il a profité d’une situation économique particulière, sans attaques spéculatives des marchés financiers à la différence de la Grèce de 2010 à 2015, pour permettre au patronat d’utiliser à fond les réformes antiouvrières instaurées par ses prédécesseurs. En faisant du Portugal une zone économique attractive, avec des travailleurs qualifiés mais précaires et sous-payés, il a profité de la reprise économique pour réduire le chômage et alimenter davantage les caisses publiques. Mais c’est le patronat qui profite de la réduction du déficit budgétaire comme de l’embellie économique.

Au moment où les discussions parlementaires sur la réforme de la loi sur la flexibilité du travail provoquaient une crise entre le PS et ses alliés, Saraiva, le patron des patrons, espérait que « la législature tienne jusqu’à la fin, mais que le PS réussisse à se libérer, car il est trop souvent soumis à la gauche ». Il ajoutait : « S’il fait ce qu’il doit, le PS aura des conditions uniques pour moins dépendre de ces deux partis dans un futur proche ». Autrement dit, les représentants du patronat portugais ne souhaitent pas pour l’an prochain le retour au pouvoir de la droite, mais une majorité absolue pour le PS car, disent-ils, « les gouvernements du PS ont toujours été les meilleurs pour les entrepreneurs »[3].

Bloc de gauche et PCP : mouches du coche et cautions de gauche

Dans le numéro de l’été 2018 de la revue Inprecor (revue de la IVe Internationale qui se revendique de l’héritage trotskyste), trois dirigeants du Bloc de gauche membres de la IVe Internationale (Maria Manuel Rola, Adriano Campos et Jorge Costa), dont deux sont actuellement députés au Parlement portugais, font un bilan détaillé des trois années du gouvernement Costa qu’ils soutiennent. Ils affirment que c’est « l’expérience la plus importante de la transformation de la gauche portugaise durant les quatre décennies de démocratie au Portugal ». Ils dressent la liste des avancées sociales, économiques ou sociétales rendues possibles par leur accord, leurs « combats quotidiens » et les batailles politiques, sur le terrain parlementaire ou à travers des campagnes de presse, qu’ils ont menées face au PS, et le plus souvent perdues. On peut certes mettre au crédit du gouvernement Costa et du Bloc de gauche la mise en œuvre, dans un Portugal où l’Église catholique conserve une grande influence, de droits comme la gratuité de l’IVG, l’amélioration des droits des couples homosexuels ou le recours à la PMA, y compris pour des femmes célibataires ou lesbiennes, des droits qui sont en vigueur dans quelques pays et remis en cause dans d’autres.

Sur le terrain économique et social, les dirigeants du Bloc se placent dans la posture de dirigeants syndicaux très fiers d’avoir négocié, et parfois obtenu, des avancées pour les travailleurs, y compris, comble du radicalisme !, en s’appuyant sur des mobilisations collectives. C’est ainsi qu’ils présentent comme « une victoire majeure » une réforme des cotisations des travailleurs précaires indépendants. Que cette réforme soit un progrès pour les jeunes travailleurs précaires, « qui ont été les plus militants cette dernière décennie » selon les trois auteurs, c’est indiscutable. Mais ils le doivent avant tout à leur mobilisation plutôt qu’au bras de fer du Bloc et du PCP avec le PS. Les grèves récentes dans la fonction publique, dont l’une des revendications était justement d’imposer aux directions des administrations et au gouvernement de titulariser plus de 30 000 précaires dans les services publics, montrent que rien n’est acquis sans lutte et sans rapport de force.

Les auteurs de l’article le savent parfaitement, mais ils retournent cet argument pour justifier leur soutien au PS. Ils écrivent : « Ce mouvement donne tort à tous ceux qui prétendent que l’accord passé entre les partis de gauche et le PS empêche ou limite le mouvement social. C’est précisément le contraire : comme beaucoup de travailleuses et travailleurs savent que le gouvernement est plus vulnérable à la pression sociale et que les partis de gauche sont leurs alliés, les victoires de leurs mobilisations leur apparaissent possibles. » Si des travailleurs se sont mis en lutte cette année, c’est d’abord parce qu’ils ne supportent plus leurs salaires dérisoires et la précarité de leur situation, alors que les profits patronaux sont à la hausse, que la croissance économique est positive, que le gouvernement se gargarise d’avoir contenu le déficit public. Et s’ils ont été patients durant les deux premières années du gouvernement Costa, c’est aussi parce que les chefs de la gauche, ceux du Bloc et du PCP, ont présenté ce gouvernement comme un allié des travailleurs. Quant à « la vulnérabilité de ce gouvernement à la pression sociale », les chefs du patronat sont bien plus près de la vérité quand ils constatent que Costa « ne s’est pas laissé entraîner par les gauchistes du Bloc ». Les dirigeants du Bloc décrivent eux-mêmes comment le PS a été « vulnérable aux intérêts des capitalistes internationaux » en annulant une taxe sur les bénéfices des entreprises de l’énergie qu’ils croyaient avoir fait voter quelques mois plus tôt, après l’intervention du gouvernement chinois, propriétaire d’entreprises énergétiques portugaises. Il est significatif que les dirigeants du Bloc évoquent la pression des capitalistes chinois, mais pas celle des patrons portugais. Pour eux, les malheurs des classes populaires viennent toujours de l’extérieur, et en premier lieu de l’Union européenne et de ses institutions, qui restreignent la souveraineté du Portugal et entravent la démocratie.

Pas de place pour le réformisme dans un capitalisme en faillite

Les dirigeants du Bloc de gauche se définissent comme des militants du socialisme et dénoncent le système économique et social actuel. Ils se disent contre le système, mais ne cherchent qu’à le réformer dans le cadre des institutions parlementaires. Toute la plaidoirie de ces avocats des pauvres en faveur de « l’expérience portugaise » est destinée à prouver qu’en soutenant Costa, ils ont permis d’améliorer le sort des classes populaires, de faire pression sur le PS pour qu’il respecte ses promesses, résiste aux pressions patronales et se préoccupe d’améliorer les conditions de vie des travailleurs et des pauvres. S’ils évoquent le mouvement social, s’ils font appel à la lutte et à la mobilisation des travailleurs, c’est pour appuyer les propositions de lois qu’ils soumettent au Parlement d’un État entièrement sous le contrôle de la bourgeoisie.

Si le sort des classes populaires portugaises ne s’est pas trop dégradé depuis 2015, c’est un peu en raison des choix politiques du gouvernement Costa et beaucoup du fait de la conjoncture économique que le pays vit depuis trois ans. La bourgeoisie portugaise ou étrangère, qui fait des affaires très profitables au Portugal, a laissé Costa distribuer quelques miettes aux travailleurs. Mais, dans une économie capitaliste en crise, instable, sous la pression de masses financières toujours plus grandes à la recherche d’un placement ou d’une opération spéculative, cela ne peut pas durer très longtemps. Il suffit d’une attaque spéculative contre les taux d’intérêt du Portugal pour que la bourgeoisie et ses représentants portugais ou européens présentent la note aux travailleurs, exigeant davantage d’austérité et de nouveaux sacrifices dans les services publics utiles à la population. Ni au Portugal, ni en France, ni ailleurs, il n’y a de place pour une politique réformiste telle qu’elle a été longtemps incarnée par les partis de gauche aspirant au pouvoir. Que les têtes et le langage de la gauche réformiste aient été renouvelés par l’arrivée d’anciens trotskystes n’y change rien.

Les travailleurs doivent se préparer moralement et politiquement à cette guerre de classe sans merci que leur livre la bourgeoisie. Défendre les intérêts politiques des travailleurs, c’est leur faire prendre conscience qu’ils devront arracher à la bourgeoisie sa propriété sur les grandes entreprises et les banques ; c’est leur faire prendre conscience qu’aucune « bonne loi », aucun « bon gouvernement » ne protégera leurs droits et leurs conditions d’existence tant qu’ils n’auront pas pris eux-mêmes la direction de la société, en s’appuyant sur leurs propres organes de pouvoir pour renverser l’État des capitalistes. Ceux qui prétendent le contraire leur préparent de nouvelles déceptions et de nouveaux sacrifices.

21 décembre 2018

 

[1]     Francisco Louçã, membre de la direction du Bloc de gauche et du Secrétariat unifié de la IVe Internationale, dans un article publié dans Inprecor (revue du Bureau exécutif de la IVe Internationale) en décembre 2015.

 

[2]     Article de Léon Crémieux publié le 13 février 2018 sur le site de l’Anticapitaliste, le journal du NPA.

 

[3]     Francisco Van Zeller, ex-président de la Confédération de l’industrie portugaise au journal Negocios, le 2 mars 2018.