Cryptomonnaies : le capitalisme miné par la spéculation

Imprimer
mars 2023

En novembre dernier, la société FTX, la deuxième plate-forme mondiale d’échange de cryptomonnaies, a été déclarée en faillite. Son patron et fondateur, Sam Bankman-Fried, devenu multimilliardaire en quelques années et présenté jusque-là comme un génie de la finance 2.0 par une partie du gotha capitaliste, a été arrêté de façon spectaculaire aux Bahamas, où sa société était immatriculée. En quelques mois, c’est tout le secteur des cryptomonnaies qui s’est lui-même effondré comme un château de cartes, à l’instar de la plus connue d’entre elles, le bitcoin.

L’ensemble des actifs placés dans les différentes cryptomonnaies (ou crypto-actifs), dont l’apparition en tant que marché attirant une masse significative de capitaux avides de placements très rentables remonte à une dizaine d’années, a atteint son pic à l’automne 2021, à 2 900 milliards de dollars. Une somme certes astronomique, mais qui ne représentait alors que 0,4 % de l’ensemble des actifs financiers dans le monde. Un montant en outre très largement revu à la baisse depuis l’effondrement de la valeur du bitcoin et plusieurs scandales retentissants. Mais ce secteur n’en est pas moins un révélateur des tendances générales de la financiarisation et de la décomposition de l’économie capitaliste.

Un scandale après d’autres, révélateur du Far West financier

Arrêté, puis libéré après avoir versé une caution de 250 millions de dollars, le fondateur de FTX est accusé notamment d’avoir utilisé l’argent déposé par ses clients pour financer l’activité, et les placements hautement spéculatifs, d’Alameda, sa société de courtage et d’investissement basée aux Bahamas. Il lui est également reproché d’avoir maquillé la santé financière réelle de son entreprise : comme si la transparence et la vérité constituaient la base des marchés capitalistes.

Jusqu’en novembre dernier, Sam Bankman-Fried présentait sa plate-forme d’échange de cryptomonnaies comme l’affaire du siècle et gratifiait, dit-on, ceux qui n’y investissaient pas d’un « restez pauvres et amusez-vous bien ». Généreux donateur du Parti démocrate lors de la présidentielle de 2020 et de la récente campagne pour les élections de mi-mandat (avec 40 millions de dollars), il fut désigné par le magazine Fortune comme le nouveau Warren Buffet, l’un des capitalistes les plus riches et les plus influents de la planète.

La chute de FTX, fondé à peine trois ans auparavant, et qui voyait transiter chaque mois près de 90 milliards de dollars, n’est pourtant que le dernier épisode d’une série de faillites dans le secteur de la finance liée aux cryptomonnaies et, plus généralement, à la fintech, qui regroupe les sociétés qui développent des technologies numériques optimisant les opérations financières, c’est-à-dire les plus-values que les spéculateurs peuvent en tirer. Plates-formes d’échange de cryptomonnaies, sociétés assurant des paiements, des opérations d’affacturage ou de prêt, fonds spéculatifs (si tant est qu’il en existe qui ne le soient pas…), voire crypto-banques : on ne compte plus les sociétés qui ont disparu après avoir été portées au pinacle. À chaque fois, ce furent des centaines de milliers de clients qui se trouvèrent lésés et délestés de leurs avoirs. Dans ce monde de requins, c’est bien évidemment le menu fretin qui absorbe les à-coups des marchés.

Les monnaies virtuelles, dont FTX faisait son miel, reposent sur des technologies de cryptage développées grâce aux vastes capacités de calcul des ordinateurs. Source d’une intense spéculation entre détenteurs de capitaux, ces cryptomonnaies sont produites désormais par des machines puissantes dédiées à ces calculs. Ceux-ci nécessitent à leur tour une quantité croissante d’électricité. L’activité de création de ces cryptomonnaies est quant à elle connue sous le terme de minage, tandis que ses opérateurs sont désignés comme des mineurs, réunis aujourd’hui le plus souvent dans des « fermes » disposant de dizaines, voire de centaines de machines. Mais la comparaison avec les chercheurs d’or ne tient qu’en raison de la fièvre spéculative qui a accompagné cette activité depuis son apparition, avec ses poussées frénétiques des cours à la hausse et ses chutes non moins spectaculaires.

L’effondrement brutal de FTX se distingue cependant par ses effets collatéraux, à commencer par la faillite de plusieurs sociétés et la méfiance généralisée envers les actifs basés sur les cryptomonnaies. Certains analystes ont comparé ce risque de contagion à celui consécutif à la crise des subprimes en 2007-2008, alors que le système financier mondial avait été contaminé et paralysé par les actifs « radioactifs » contenant, directement ou indirectement, une certaine quantité de ces placements immobiliers hautement spéculatifs. La circulation actuelle des capitaux est si large et si rapide dans l’économie capitaliste qu’une contamination de cette nature est en effet tout aussi impossible à juguler que le franchissement des frontières par les virus.

Alameda Research, la firme des activités de trading de FTX, avait ainsi investi, par l’entremise de montages complexes, dans près de 500 entreprises appartenant aux diverses branches du secteur des cryptos : fermes de minage, le monde virtuel du métavers, les NFT (ces codes uniques certifiant à son détenteur la propriété d’un bien le plus souvent numérique, objet de collection, item d’un jeu vidéo, œuvre d’art, etc. eux-mêmes objet d’une spéculation délirante), ou encore le Web3, la possible future technologie Internet.

Mais d’autres secteurs supposés très porteurs avaient été ciblés par FTX : des start-up spécialisées dans les drones ou l’intelligence artificielle, des entreprises liées aux biotechnologies, des banques en ligne, ou encore des sociétés de jeux vidéo, dont l’essor attire inévitablement les spéculateurs. Des actions de deux sociétés d’Elon Musk, SpaceX et même une spécialisée dans la construction de tunnels (The Boring Company), complétaient son portefeuille.

Dans l’autre sens, de nombreuses sociétés avaient investi dans FTX. Parmi elles, Sequoia Capital, une société américaine de la Silicon Valley spécialisée dans l’incubation et le financement d’entreprises innovantes, qui gère près d’une centaine de milliards d’actifs, Temasek, un fonds souverain de Singapour, la caisse de retraite des enseignants de l’Ontario. Les plus grandes banques y avaient également placé des avoirs, dont Goldman Sachs, JPMorgan Chase et Wells Fargo, du côté américain, ainsi que la Deutsche Bank, HSBC, de même que les banques françaises BNP Paribas, le Crédit agricole, et la Société générale.

Dans la jungle capitaliste, aucune opportunité de faire fructifier ses capitaux n’est laissée longtemps de côté, ne serait-ce que pour se placer sur un créneau supposé porteur pour l’avenir ou pour empêcher qu’un concurrent ne s’y positionne et ramasse la mise avant vous. Cela s’observe de façon éloquente ces dernières années avec les placements opérés dans le secteur automobile autour des moteurs électriques ou de l’hydrogène. Dans le cadre du marché capitaliste, tout relève du pari, de la spéculation. Si l’expression « économie de casino » a été utilisée à son propos de longue date, il faudrait parler aujourd’hui de roulette russe, tant les risques peuvent s’avérer mortels, et ce bien au-delà des joueurs eux-mêmes.

Sans doute dans le but de rassurer les marchés, celui qui a été chargé de la liquidation du groupe FTX avait géré en 2001 la faillite retentissante aux États-Unis du producteur et courtier en énergie Enron, alors la 15e entreprise mondiale par sa capitalisation boursière. Il admet, en connaisseur, n’avoir lui-même jamais vu pareil échec.

Un échec qui, au fond, s’apparente à toutes les bulles spéculatives générées par l’organisation capitaliste de l’économie, depuis le krach des bulbes des tulipes au milieu du 17e siècle, contemporain de l’envol du capitalisme marchand dans les Provinces-Unies. On pourrait tout autant faire la comparaison avec l’envol puis la chute du prix des menhirs gaulois imaginés par les auteurs d’Obélix et Compagnie. Au 21e siècle, il existe même depuis quelques années des millionnaires pour acheter, on ne sait jamais, des terrains sur la Lune ou placer leur fortune dans les NFT. Car tout ce qui est numérisable, vidéo, image d’un parfum qui n’existe pas, action sportive, œuvre d’art, est désormais susceptible d’être transformé en NFT et mis en vente !

Nul ne sait si l’effondrement des cryptomonnaies et de FTX peut être aujourd’hui un élément déclencheur d’un nouveau krach, tant le capitalisme voit les crises se succéder les unes aux autres au point d’atteindre un état de crise permanente.

Mais la trajectoire parcourue en quelques années par le bitcoin, la principale d’entre elles en circulation, est une autre illustration de cette économie de plus en plus folle et hors de contrôle.

Le bitcoin : de la fièvre de « l’or numérique » à la débâcle

L’essor du bitcoin est concomitant de la crise financière mondiale provoquée par l’effondrement du marché des subprimes.

Lancé en octobre 2008 par un mystérieux spécialiste de cryptographie, agissant sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, le Livre blanc du bitcoin avait jeté les bases d’un système de devise électronique. La première particularité de cette dernière était d’être créée à travers le processus même la sécurisant, via un système appelé la blockchain (chaîne de blocs en français), nécessitant des calculs mathématiques complexes et de plus en plus élaborés par des ordinateurs placés en réseau. La seconde était de se passer de toute banque centrale et de tout intermédiaire financier pour valider les échanges, de façon à garantir leur anonymat et une sécurité presque totale grâce à des algorithmes de cryptage. Un fonctionnement par conséquent très différent des systèmes existants, sous l’égide des banques, de monnaie mobilisable par voie électronique attachée il y a quelques années à certaines cartes de paiement (genre Moneo), porte-monnaie électronique rechargeable ou paiement sans contact.

La première utilisation monétaire de ce système crypté en 2009 permit l’achat de… deux pizzas, payées en bitcoin. En février 2011, son cours atteignit la parité avec le dollar. Mais cette innovation représentait pour nombre de capitalistes, et aussi pour des acteurs du crime organisé et des trafics en tout genre qui partagent leurs pratiques, la perspective alléchante d’un système monétaire échappant très largement aux banques privées et centrales. Pour celles-ci, c’était au contraire une menace sur leurs prérogatives et sur le contrôle, même relatif, que les États exercent depuis toujours sur la création monétaire. De l’achat d’une pizza, la spéculation avait ouvert bien d’autres horizons.

S’ouvrait alors la possibilité d’essor d’une monnaie partiellement indépendante des États et du système bancaire, mais assurant des fonctions essentielles : être un moyen d’échange sécurisé et à faible coût, constituer un instrument d’épargne et de réserve de valeur. Et le risque de déstabilisation pour les institutions bancaires publiques et privées restait toutefois limité tant que l’émission des cryptomonnaies demeurait un phénomène marginal.

Mais, au fil des années, la fièvre du bitcoin et de ses concurrents, l’Ether, Tether, USD Coin, Cardano, Solana… (on en compte aujourd’hui plus de 1 500) a attiré un nombre croissant de capitaux et leurs usages se sont diversifiés. Dès 2014, un universitaire d’Harvard avait pu, une année durant, régler presque toutes ses dépenses en bitcoins. En 2017, une entreprise japonaise proposa à ses 4 000 salariés de les payer partiellement dans cette cryptomonnaie.

À un tout autre niveau, des levées de fonds ont commencé à être opérées par les grandes entreprises ou le secteur financier. Le canton suisse de Zoug, célèbre pour sa fiscalité accommodante envers les grandes fortunes, est vite devenu un des acteurs importants de ce type d’opérations, au point d’être dénommé la Crypto-Valley. Quant à la Bourse du commerce de Chicago, principale place boursière mondiale consacrée aux matières premières, elle mit sur pied le premier marché à terme libellé en bitcoins, s’ouvrant ainsi des possibilités très étendues. L’usage des cryptomonnaies reçut enfin une sorte d’agrément officiel de la Fed, la Banque centrale américaine, qui les déclara « légitimes ». Fin 2021, Éric Adams, le nouveau maire de New York, avait même déclaré qu’il recevrait ses trois premiers salaires en bitcoins et entendait faire de sa ville « le centre de l’industrie des cryptomonnaies ».

Le bitcoin semblait en passe de s’imposer comme une monnaie banale, mais pourvue d’une technologie permettant la création d’un système d’échanges ou de transactions automatisé. Le patron de la banque ­JPMorgan, qui avait qualifié le bitcoin de fraude et menacé ses traders de les licencier dans la seconde en cas d’échange de cryptomonnaies, faisait plutôt figure d’exception, notamment aux États-Unis. En janvier 2021, le géant mondial de la gestion d’actifs BlackRock n’avait-il pas autorisé deux de ses fonds à acheter des produits dérivés basés sur elles ? En mars de la même année, PayPal permettait de convertir en ligne les crypto­actifs acquis via sa plate-forme de paiement en ligne dans la monnaie de son choix pour régler ses achats. Deux mois plus tard, la banque d’affaires Goldman Sachs affectait une de ses équipes à l’achat et à la vente en bitcoins. C’était une réponse à l’une de ses concurrentes, Morgan Stanley, qui avait déjà lancé trois fonds d’investissement en cryptomonnaies.

Paradoxalement, celles-ci circulaient alors à la fois dans les secteurs à la pointe des techniques financières dernier cri et dans certains pays parmi les plus pauvres, comme le Vietnam, le Nigeria, le Kenya, le Ghana voire le Tchad, où le secteur bancaire est souvent défaillant et très coûteux. Au Venezuela, où l’hyperinflation avait enlevé toute valeur à la devise nationale, c’est le gouvernement lui-même qui s’est lancé dans l’achat d’équipement pour miner, en accordant au passage à une partie des fonctionnaires et des militaires parmi les plus fidèles de quoi accroître leurs revenus.

Deux pays (le Salvador en septembre 2021 et la République centrafricaine en avril 2022) ont même proclamé que le bitcoin devenait leur monnaie officielle, proclamation qui est restée largement sans effet sur la circulation monétaire effective.

Il y a moins d’un an, certains journaux se demandaient encore si l’on paierait « bientôt sa baguette en bitcoins ? », et imaginait celui-ci « en voie de conquérir la planète financière » (Le Monde diplomatique, février 2022).

Mais, si les cours du bitcoin ont flambé de façon exponentielle durant des années, et encore de plus de 150 % en 2021, puis ont atteint leur plus haut historique de 68 991 dollars, ils se sont effondrés depuis, tel le prix des menhirs d’Obélix, pour retomber autour de 16 000 euros. L’Ether, la deuxième capitalisation des cryptomonnaies, pourtant moins dépendant des coûts de l’électricité, s’est effondré de la même manière de 82 % en un an. Même celles dont le cours est théoriquement adossé à des devises, notamment au dollar, et qui sont réputées plus stables, d’où leur nom (stable coin), ont connu la même déroute. Des licenciements par milliers frappent le secteur des cryptoactifs, à l’instar de Coinbase, une plateforme d’échange qui a supprimé 2 000 emplois ces six derniers mois.

Le minage… miné par l’explosion des coûts de l’énergie

L’explosion des prix de l’énergie et l’obligation d’un recours à des volumes croissants d’électricité pour miner les cryptomonnaies, et plus particulièrement le bitcoin, s’ajoutant à la chute des cours de ces cryptomonnaies, le minage de nouveaux bitcoins a perdu sa rentabilité.

Le bitcoin, dont les thuriféraires prétendaient qu’il était par nature décentralisé, voire démocratique, n’a pas échappé à la tendance générale à la concentration dans l’économie capitaliste. D’importantes sociétés ont émergé, dont certaines cotées en Bourse. Le temps où des geeks minaient dans leur salon comme d’autres mettaient au point des programmes informatiques au fond de leur garage appartient à un passé révolu. Les experts estiment qu’une ferme de minage de bitcoins, pour être rentable, nécessite aujourd’hui des millions voire des dizaines de millions de dollars d’investissement en matériel informatique. En novembre 2021, au maximum de sa cotation, 42 % des richesses en bitcoins étaient dans les mains de 0,01 % des propriétaires de compte. Le secteur a suivi la même trajectoire que celui d’Internet, présenté à sa naissance comme le vecteur d’une démocratisation sans limite, et qui est très vite passé sous la coupe de grands groupes financiers, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), dont l’avidité et la puissance ne sont plus à démontrer.

Pour faire tourner ces énormes fermes, leurs propriétaires recherchent les pays où ils peuvent disposer d’une puissance électrique la moins chère possible. On estime en effet qu’au moins 75 % des revenus des mineurs servent à régler leurs factures d’énergie.

Dans plusieurs pays, dont plusieurs anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, en Malaisie mais aussi en Iran, les activités de minage ont ainsi provoqué de multiples pannes sur les réseaux ces dernières années. La plus récente a frappé en janvier 2022 l’Azerbaïdjan, où le chauffage urbain, les pompes à eau, les feux de circulation ont cessé de fonctionner et des aéroports ont dû fermer. Ce pays, où les multinationales des hydrocarbures ont massivement investi à l’ombre de la dictature, était devenu en quelques années le deuxième au monde pour le minage du bitcoin. Mais son réseau n’était pas capable de supporter une telle surchauffe. En coupant l’accès à l’Internet en janvier 2022, le président Tokaïev avait en outre entraîné l’arrêt momentané de ces fermes et la chute du cours du bitcoin de près de 12 % en une seule journée !

Depuis la volte-face du pouvoir azerbaïdjanais, qui entend, après d’autres pays, contrôler cette activité en imposant des taxes, puis l’éclatement de la guerre en Ukraine, les États-Unis apparaissent comme le principal refuge des grosses entreprises de minage.

De la fièvre à la gangrène ?

En quelques années, les cryptomonnaies sont ainsi passées de l’espoir d’un nouvel El Dorado au krach. En 2014, Ben Bernanke, le patron de la Réserve fédérale américaine, expliquait qu’elles pouvaient « être porteuses de promesses à long terme, si les innovations favorisent un système de paiement plus rapide, plus sûr et plus efficace ». Lors d’une audition au Sénat en juillet 2021, un de ses successeurs, Jerome Powell, fit le constat qu’elles avaient « complètement échoué à devenir un système de paiement ». Le 30 novembre dernier, la BCE, par l’intermédiaire de deux de ses conseillers, est allée plus loin encore, évoquant à propos du bitcoin un crypto­actif à caractère presque exclusivement spéculatif devant à court terme « prendre le chemin de l’insignifiance ».

Nul ne peut prédire en réalité le devenir des cryptomonnaies, dont la technologie présente nombre d’intérêts aux yeux des capitalistes. De plus en plus d’États, dont la Chine l’année passée, en ont partiellement ou totalement interdit l’utilisation comme la commercialisation dans la période récente. Mais les États eux-mêmes ont mis à l’étude les projets de cryptomonnaies. Et, dans le sillage des cryptoactifs, la finance dite décentralisée (ou DeFi), un système alternatif qui permet d’accéder sans délai à des services financiers sans avoir à en passer par les banques, et avec des coûts largement réduits, a elle-même pris son essor. On peut aussi désormais spéculer à l’intérieur du métavers, ce monde virtuel qui attire de plus en plus de capitaux. Mais, faute d’investir dans sa propre économie et dans son avenir, une partie de la bourgeoisie en est réduite à s’inventer un monde sans crise et sans lutte des classes. Pour l’anecdote, l’un des auditeurs qui avaient validé les comptes douteux de FTX se targuait d’être le premier cabinet à avoir son siège dans le métavers.

Ce qui pose problème aujourd’hui à la bourgeoisie est le facteur d’instabilité extrême du secteur des cryptoactifs, qui menace le système financier et la façon dont il s’est développé en s’affranchissant en partie du pouvoir que les banques ont imposé sur l’économie. Dans une économie où l’instabilité est déjà généralisée, toute secousse peut s’avérer mortelle. D’autant que d’autres bulles spéculatives se forment déjà dans le secteur des jeux, des NFT, du métavers, comme si, privés de leur drogue, les spéculateurs se tournaient vers une autre.

Et si les États demeurent totalement incapables de réguler leur économie et ses contradictions, ils tentent de leur fixer certaines limites en tant que garants de l’intérêt général de leur bourgeoisie respective. Dans ce cadre, le pouvoir d’émission de la monnaie et du crédit a depuis toujours constitué l’une de leurs armes économiques majeures, en même temps qu’un instrument de propagande politique. Mais, quand le volume cumulé des dettes, publiques et privées, atteint des montants stratosphériques, lorsque les actifs financiers, quelle que soit la monnaie ou la cryptomonnaie dans laquelle ils sont libellés, explosent en demeurant sans rapport ou presque avec l’évolution de la sphère productive, l’impuissance des classes dirigeantes éclate au grand jour. La phase actuelle de la crise économique, avec le retour d’une inflation forte, y compris au sein des principales puissances impérialistes, et les tensions internationales qui en sont une des traductions et des accélérateurs, la décuple encore. Cette situation met à nu le fait que ce sont les rapports de force entre ces puissances qui déterminent l’issue de la guerre économique et sa transformation engagée en véritable guerre.

Ce que les révolutionnaires doivent mettre à l’ordre du jour, c’est l’instauration d’un contrôle ouvrier sur l’économie, prélude à la mise en place d’une économie planifiée, seule à même d’en finir avec le formidable gâchis financier, technique et social que représente le capitalisme.

Le 17 février 2023