Le rôle des monnaies

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Avril 1999

Cela fait bien longtemps déjà, depuis le milieu et surtout la fin du XIXe siècle, que ce qu'on appelle le marché capitaliste, c'est-à-dire le commerce des marchandises, se fait à l'échelle mondiale et qu'il est international.

Jusqu'au début de ce siècle, celles des monnaies nationales qui pouvaient servir de moyens de paiement internationaux étaient basées sur l'or et, pour prendre l'exemple du franc, il s'agissait du franc-or, dont la valeur était calculée en milligrammes d'or, de même que le dollar, la livre sterling et les autres principales monnaies des grands pays impérialistes d'Europe.

Au début de la Première Guerre mondiale, le franc basé sur l'or a été supprimé.

La Deuxième Guerre mondiale a porté un coup terrible à toutes les monnaies, en particulier européennes. Même celles qui étaient stables jusque-là ont eu recours massivement à la planche à billets pour financer les dépenses militaires.

A l'issue de cette guerre catastrophique avec son cortège majeur de destructions des infrastructures économiques de l'Europe, chemins de fer, chantiers navals, sidérurgie, mines, routes, ponts, sources d'énergie, etc., pour tous les pays d'Europe l'inflation galopante fut la règle car tous les Etats européens imprimaient des billets sans compter pour payer leurs dépenses.

Seule la monnaie américaine, le dollar, restait convertible en or, les autres monnaies n'étant pratiquement plus acceptées comme moyen de paiement dans le commerce international. Seuls les Etats qui détenaient des dollars pouvaient importer quoi que ce soit venant de l'étranger.

Rien qu'en France, les investissements de l'Etat pour aider la bourgeoisie française à reprendre son essor, baptisés "reconstruction", ont entraîné d'énormes déficits budgétaires. Lors des années 1946 et 1948, l'inflation a dépassé 60 %. L'année 1947 n'a pas atteint ce chiffre mais n'en était pas loin.

Pour les travailleurs, c'était une course sans fin, infernale, entre leurs salaires et les prix, les salaires étant, bien entendu, toujours en retard sur les prix et le patronat payant donc les salariés en monnaie de singe.

Le volume de billets émis par la Banque de France a été multiplié par six de 1945 à 1948. Cela pour des échanges de biens qui n'étaient pas supérieurs en volume et, en tenant compte qu'aucun de ces billets n'était thésaurisé, justement à cause de l'inflation, on mesure ce que pouvait être cette dernière.

L'inflation a pu être jugulée dans les années 50, mais le franc ne valait plus grand chose sur le plan international. S'il valait encore à peu près 7,5 milligrammes d'or en 1945, il n'en valait qu'un peu plus de 2 en 1958. Cela à cause des frais de la "reconstruction" au profit de la bourgeoisie, de ceux de la guerre d'Indochine et de la guerre d'Algérie.

C'est en 1958 que De Gaulle, revenu au pouvoir après douze ans où il s'était tenu en "réserve de la République", instaura le "franc lourd", le "nouveau franc", valant 100 francs précédents. Mais ce nouveau franc était toujours subordonné au dollar, monnaie dans laquelle sa valeur était principalement exprimée. Bien que De Gaulle essayât, à partir de 1959, d'échanger en or celles des réserves que la Banque de France détenait sous forme de dollars.

Mais dix ans plus tard, en 1968, les Etats Unis eux-mêmes finirent par avoir trop fait fonctionner leur propre planche à billets à cause des frais de la guerre du Vietnam. Les réserves en or des USA ne purent alors plus suffire, même de loin, à garantir tous les dollars émis.

C'est pourquoi, en 1971, Nixon fut obligé de décider la fin de la convertibilité du dollar en or et, en 1973, ce furent la fin de l'étalon-or et le début de la "flottaison" des monnaies entre elles. Elles n'eurent plus de garantie fixe et stable et elles devinrent l'enjeu et le support de spéculations forcenées.

Evidemment, cela n'arrangea pas le commerce international car dès que des commandes d'avions, de navires, de locomotives, de construction d'usines, demandent des mois, voire des années pour être réalisées, le fournisseur ne sait pas réellement combien il va toucher au terme de son contrat. C'est même vrai pour ce qu'on appelle les "matières premières" agricoles qui sont souvent achetées par des industriels de l'agro-alimentaire avant que les récoltes soient effectives.

Oh, bien sûr, on instaura des organismes nationaux et internationaux chargés d'assurer une sorte d'assurance sur le dos des contribuables pour les exploiteurs, mais la variation des monnaies était quand même un frein considérable pour le commerce international, commerce dont aucun pays ne peut se passer.

Les Etats-Unis sont ceux qui s'en sortirent le mieux car une grande partie, en fait la majeure partie, de leur commerce, n'est pas internationale mais se fait à l'intérieur des frontières de leur immense pays et la majeure partie de ce qu'ils produisent est consommée par les habitants des USA qui ont, collectivement, le plus fort pouvoir d'achat du monde.

Mais, pour les pays européens, il n'en allait pas de même et ils commencèrent par essayer de limiter les variations de parité entre leurs monnaies pour, au moins, préserver le commerce entre eux de ces variations.

C'est comme cela que six pays d'Europe créèrent d'abord, en 1972, le "serpent" monétaire (les cours de leurs monnaies variant entre elles dans la limite de 2,25 %), puis l'Ecu comme unité monétaire commune, qui fit ses preuves, après une période de dislocation consécutive à la crise pétrolière et monétaire de 1973, lorsque le système monétaire européen, ou SME, fut instauré, en 1979. C'est l'Ecu qui, peu à peu, démontra son efficacité et qui permit d'envisager la possibilité d'une monnaie unique en Europe.

Mais il n'y avait pas pour les puissances industrielles d'Europe que le problème monétaire, si important qu'ait été celui-ci.