Grèves et manifestations : la contestation ouvrière doit s’élargir

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novembre 2022

Depuis septembre, la France est traversée par une série de mobilisations comme elle n’en avait pas connu depuis la contestation de la réforme des retraites, à l’hiver 2019-2020.

Depuis des mois, de nombreux travailleurs expriment leur mécontentement sur les salaires, amputés par l’inflation. Officiellement à 6 %, en réalité plus élevée pour bien des familles populaires, la hausse des prix n’est pas compensée par celle des salaires. Dans de nombreuses entreprises, comme Stellantis, Dassault, Renault Trucks, Monoprix, Carrefour, des grèves de quelques heures ou de quelques jours ont eu lieu depuis la rentrée pour des hausses de salaire. Elles ont souvent coïncidé avec des négociations annuelles officielles, dont le calendrier est fixé par les directions d’entreprise. Ce sont en général les militants syndicaux qui lancent les appels à la grève, mais elles éclatent souvent à l’initiative des travailleurs du rang, à partir d’un atelier par exemple.

Dans les raffineries, ces grèves, à l’initiative de la CGT, ont été largement suivies, reconduites pendant plusieurs semaines, et elles ont eu un large impact à partir du début du mois d’octobre, de nombreuses stations-service étant à sec. Chez ExxonMobil, qui compte deux raffineries en France, à Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Maritime) et à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), la grève a commencé le 20 septembre. Le premier groupe pétrolier au monde a annoncé qu’il avait réalisé 23 milliards de dollars de profits au cours du premier semestre, soit autant qu’au cours de toute l’année 2022, et refusait d’augmenter les salaires de plus de 4 %. La grève a duré jusqu’au 13 octobre, soit 23 jours d’une grève très suivie. Entre-temps, les cinq raffineries de Total sont entrées dans la grève, à partir du 27 septembre. Le groupe Total a gagné 18,8 milliards d’euros au premier semestre et, alors que les salariés étaient sommés d’accepter une hausse des salaires de 3,5 %, inférieure à l’inflation, l’entreprise devrait verser à ses actionnaires quelque 10 milliards d’euros cette année : les actionnaires n’en ont jamais assez, c’est bien connu.

Les ouvriers des raffineries ont eu à faire face à un tombereau d’insultes, d’anathèmes et de mensonges : accusés de gagner 5 000 euros par mois, de prendre le pays en otage, d’empêcher les soignants voire les services de secours de travailler, tout ça parce qu’ils refusaient la dégradation de leur condition, alors que leurs patrons se gavent. La CFDT et la CGC, opposées à la grève, ayant signé un accord dans le dos des grévistes, le gouvernement, les journalistes et le dirigeant de la CFDT Laurent Berger les ont accusés de poursuivre la grève « malgré un accord majoritaire ». Les grévistes ont en réalité bénéficié d’un large soutien dans l’opinion ouvrière et, dans les files d’attente interminables aux stations-service, les journalistes étaient en peine de trouver des automobilistes qui leur jettent la pierre. Dans les manifestations du 18 octobre, la solidarité de nombreux travailleurs s’est exprimée. En fin de compte, les travailleurs d’Exxon et de Total ont obtenu des augmentations et des primes supérieures à ce que leurs directions voulaient initialement leur accorder. Et leur grève a eu le mérite de porter, au niveau de tout le pays, la question des augmentations de salaire et celle de la grève.

La CGT, la FSU, FO et Solidaires ont organisé deux journées nationales de grève et de manifestations interprofessionnelles, jeudi 29 septembre, puis, en réaction à la grève des raffineries, mardi 18 octobre. La grève des raffineries et l’attitude du gouvernement, qui réquisitionne des salariés, ont conduit les dirigeants de la CGT à changer de ton et à bousculer leur calendrier. Alors que depuis des mois ils restaient dans le ronron des négociations fixées par le patronat, branche par branche, et réclamaient au gouvernement du « dialogue social », ils ont appelé à la journée de grève à courte échéance et ont insisté pour que les structures de la CGT fassent le travail, lançant des appels à « se réunir », à « faire des assemblées » et à « décider de la grève ». Elle vient d’annoncer deux autres journées, les 27 octobre et 10 novembre. Qu’est-ce qui motive ce changement de ton ? D’abord le fait que, avec les réquisitions, le gouvernement marche sur les pieds des dirigeants syndicaux, et que la CGT veut lui montrer qu’il faut compter avec elle. Mais, surtout, elle veut apparaître comme le fer de lance d’un mécontentement qui se développe dans le monde du travail du fait de la flambée des prix. Face à la CFDT qui n’appelle quasiment jamais à la mobilisation, la CGT cherche à renforcer son image combative vis-à-vis des travailleurs qui n’acceptent pas qu’on leur fasse les poches. Si un mouvement de colère devait éclater, elle veut pouvoir en garder le contrôle, ce qui n’est possible que si elle apparaît du côté des grévistes. Enfin, il est possible que la direction de la CGT, accusée par son opposition interne d’être trop peu combative, veuille marquer les esprits à l’approche du congrès confédéral de mars 2023.

À l’échelle du pays, Les manifestations auraient rassemblé respectivement 118 500 et 107 000 manifestants selon la police, 250 000 et 300 000 selon la CGT. Les manifestants n’étaient pas forcément les mêmes d’une journée à l’autre. Certains secteurs, la SNCF et l’enseignement professionnel par exemple, étaient plus mobilisés le 18 octobre. Sans être massives, ces mobilisations montrent qu’une partie des travailleurs veulent en découdre, tandis que d’autres attendent de voir. De son côté, la Nupes a organisé dimanche 16 octobre une marche « Contre la vie chère et l’inaction climatique », qui aurait rassemblé 30 000 personnes à Paris, mais dont les objectifs sont de renforcer la gauche parlementaire pour lui permettre, un jour, de revenir aux affaires et de gérer à son tour les affaires de la bourgeoisie.

Pour l’instant, il s’agit de luttes éparses pour des augmentations de salaire, notamment dans les raffineries ainsi que dans quelques autres secteurs, par des grèves ou des débrayages. C’est à travers ces premières luttes que les travailleurs peuvent parvenir à la conscience du fait qu’il leur faut généraliser leurs luttes. Le mécontentement voire l’angoisse de ne plus pouvoir s’en sortir sont réels dans les classes populaires. Et les travailleurs ont de plus en plus de raisons de contre-attaquer, alors que l’inflation progresse chaque mois et qu’une nouvelle crise financière menace. La grande bourgeoisie, épaulée par le gouvernement, n’a qu’une seule politique : faire payer la crise aux travailleurs. Le gouvernement Macron a engagé de nouvelles attaques, dont une réforme de l’Assurance chômage qui va dégrader l’indemnisation des sans-emploi. Et il prépare une réforme des retraites qui vise à repousser l’âge de départ à 64 puis 65 ans. Quant aux capitalistes, ils sont déterminés à abaisser les salaires réels, pour préserver et augmenter leurs profits et les dividendes distribués aux actionnaires. Les représentants de la bourgeoisie contribueront peut-être ainsi à transformer le feu qui couve aujourd’hui en un véritable incendie.

Les militants révolutionnaires doivent préparer les travailleurs qui les entourent à la perspective que le regain des luttes débouche sur la construction d’une véritable force collective susceptible d’inverser le rapport de force entre les travailleurs et le patronat. Une telle force ne se construit pas à l’Assemblée nationale, ni même dans des marches d’opposition à Macron, comme celle que la Nupes a organisée. Elle se construit dans les entreprises, à partir de la mobilisation des travailleurs, à partir de leur détermination à lutter. La grève des raffineries a montré combien les travailleurs pouvaient peser sur la vie sociale et politique quand ils se mettaient en grève.

C’est ce bras de fer qu’il faut préparer. Avec les travailleurs qui veulent se défendre, il faut discuter d’une politique de lutte : que revendiquer et comment s’organiser pour mener la lutte ? Des revendications peuvent unifier les travailleurs dans un même mouvement : des augmentations uniformes de salaire de 300, 400 euros ; leur indexation sur les prix, sous le contrôle des travailleurs ; un minimum de 2 000 euros net pour toutes et tous. Mais se mettre d’accord sur les revendications n’est pas encore suffisant. Les grèves du passé, et celle de Total, nous le montrent : même quand la détermination et la combativité sont au rendez-vous, des appareils syndicaux peuvent s’opposer aux luttes. Il faut donc militer pour des grèves déterminées et pour leur élargissement à l’ensemble du monde du travail. Il est tout aussi vital de militer pour que les travailleurs contrôlent effectivement leurs luttes, sans s’en remettre aux directions syndicales. Ils doivent être les dirigeants de leur propre mouvement, en réu­nis­sant des assemblées de grévistes et en élisant des comités de grève.

25 octobre 2022