Les soviets et le parti bolchévik

печать
7 novembre 1997

Trotsky, un des principaux dirigeants de la révolution de 1917, s'expliquant sur celle-ci, disait : "La bourgeoisie libérale, elle, peut s'emparer du pouvoir et l'a pris déjà plusieurs fois comme résultat de luttes auxquelles elle n'avait pas pris part : elle possède à cet effet des organes de préhension magnifiquement développés. Cependant, les masses laborieuses se trouvent dans une autre situation. On les a habituées à donner et non à prendre. Elles travaillent, patientent, aussi longtemps que cela va, espèrent, perdent patience, se soulèvent, combattent, meurent, apportent la victoire aux autres, sont trompées, tombent dans le découragement, elle courbent à nouveau la nuque, elles travaillent à nouveau. Telle est l'histoire des masses populaires sous tous les régimes. Pour prendre fermement et sûrement le pouvoir dans ses mains, le prolétariat a besoin d'un parti qui dépasse de loin les autres partis comme clarté de pensée et comme décision révolutionnaire".

Ce parti en Russie, c'était le parti bolchévik, moralement et entièrement préparé pour conduire le prolétariat à la conquête du pouvoir. Un parti qui avait fait profondément sienne la compréhension marxiste de l'évolution de la société, ce qui l'a rendu apte à discerner, même aux pires périodes de réaction ou de répression, les cheminements souterrains de la révolution. Un parti forgé dans de dures luttes pendant les 15 ans qui séparent l'apparition du parti bolchévik de la révolution ; un parti composé d'un nombre relativement faible de femmes et d'hommes, ouvriers mais aussi intellectuels, mais tous consacrant entièrement leur existence à la révolution sociale, et tous très liés aux masses ouvrières, dans lesquelles ils voyaient le seul levier pour transformer la société.

Il a fallu la conjonction de ces deux éléments, la maturité politique de l'ensemble du prolétariat et le parti bolchévik, pour que la révolution de février ne finisse pas par un coup d'état militaire pour lequel il y avait de nombreux candidats. Je cite ici le récit d'Albert Rhyss Williams, journaliste américain compagnon de John Reed, présent en Russie à cette époque : "Les masses russes étaient à ce moment "raisonnables". Elles laissèrent les bourgeois former leur "gouvernement provisoire"... Mais avant de retourner aux tranchées, aux fabriques, à la terre, elles créèrent à leur idée des organisations. Pour chaque usine de munitions, les ouvriers choisirent un des leurs en qui ils avaient confiance. Dans les fabriques de chaussures et dans les filatures, ils firent de même. Les briqueteries, les verreries et les autres industries suivirent l'exemple. Ces représentants élus directement par leurs pairs formèrent le Soviet, conseil des représentants des ouvriers.

Par le même procédé, les armées formèrent des Soviets des représentants des soldats et les villages, des Soviets des représentants des paysans... Les soviets étaient donc composés, non de politiciens bavards et ignorants, mais d'hommes qui connaissaient leur métier. De mineurs qui savaient ce qu'est une mine, de mécaniciens qui savaient ce qu'est une machine, de paysans qui savaient ce qu'est la terre, de soldats qui savaient ce qu'est la guerre, d'instituteurs qui savaient ce que sont les enfants. Les soviets se formèrent dans toute la Russie : dans chaque cité, chaque ville, chaque hameau et chaque régiment. Quelques semaines après l'écroulement de la vieille charpente tsariste, un sixième de la surface de la terre était doté de ces nouvelles organisations sociales. Dans toute l'histoire il y eut pas de phénomène plus frappant".