États-Unis : des élections en temps de crise

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novembre 2020

À l’heure où nous écrivons, deux semaines avant le scrutin du 3  novembre, il nous est impossible de prévoir le résultat de l’élection présidentielle américaine. D’autant que la bataille électorale pour occuper la Maison-Blanche de 2021 à 2024, faisant rage entre le président sortant, Donald Trump, qui porte les couleurs du Parti républicain, et l’ancien vice-président démocrate, Joe Biden, se joue avant tout dans quelques États-clés.

Un système électoral bien peu démocratique

En effet, dans ce pays, ce ne sont pas les plus de 250 millions d’électeurs potentiels qui choisissent le président, mais un collège électoral de 538 grands électeurs. Ils sont désignés par le vote populaire selon des règles particulières à chaque État, qui presque partout attribuent la totalité des grands électeurs de l’État au parti qui remporte la majorité simple lors du scrutin.

C’est ainsi qu’en 2016, alors que la participation était seulement de 55 % de la population en âge de voter, Trump, avec 63 millions de voix, a été battu lors du vote populaire par la démocrate Hillary Clinton qui en a obtenu 65,9 millions. Et pourtant 56,5 % des grands électeurs ont désigné Trump vainqueur.

Les partis démocrate et républicain mettent donc l’essentiel de leurs forces dans moins d’une dizaine d’États considérés comme indécis, où les électeurs sont soumis à un bombardement de publicités politiques à coups de centaines de millions de dollars.

De plus, les autorités de certains États ou comtés, généralement dirigés par le Parti républicain, s’ingénient à mettre des obstacles à l’exercice effectif du droit de vote des couches les plus pauvres de la population. En 2018, l’État de Géorgie a essayé de procéder à une révision de ses listes électorales pour en retirer 330 000 personnes.

La possibilité de voter en avance, ouverte deux mois avant le jour du scrutin, peut être limitée, comme au Texas où le gouverneur vient de décréter qu’un seul lieu par comté serait ouvert au dépôt des enveloppes électorales. Il suffit aussi d’un nombre de bureaux de vote réduit dans certains quartiers et localités pour que la file d’attente qui se forme le jour du vote soit dissuasive.

En Floride, un État-clé, d’anciens détenus ne peuvent récupérer le droit de voter qu’à condition qu’ils aient payé l’intégralité des dommages, intérêts et frais de justice auxquels ils ont été condamnés. Or le système judiciaire condamne des pans entiers de la jeunesse noire et pauvre, parfois pour des motifs qui ne conduisent presque jamais les membres des classes aisées en prison. Les anciens prisonniers sont bien souvent incapables de payer ces sommes. Ils sont traités comme les ouvriers anglais et français du 19e siècle mis à l’écart des élections par le suffrage censitaire. Toutefois une campagne spécifique de levée de fonds, essentiellement démocrate, devrait permettre à certains de payer ces sommes et donc de voter à l’élection présidentielle.

La législation fédérale de 1965 a eu beau lever les obstacles légaux au droit de vote des Noirs alors en révolte, certaines dispositions actuelles ressemblent à des tentatives de restaurer la ségrégation électorale.

La Cour suprême et le droit à l’avortement

Le récent décès de Ruth Bader Ginsburg, juge de la Cour suprême, souvent minoritaire face à ses collègues réactionnaires, permet à Trump et à la majorité républicaine actuelle au Sénat de nommer sa remplaçante à vie. Cela semble augmenter l’enjeu des élections de novembre, qui renouvellent aussi un tiers du Sénat, ainsi que la Chambre des représentants, onze sièges de gouverneurs d’État et de nombreux autres postes électifs, des shérifs aux responsables scolaires ou judiciaires.

Il se trouve que c’est la troisième juge à la Cour suprême, sur neuf, qui décède pendant les quatre ans de la présidence de Trump. Il a donc déjà nommé deux juges très conservateurs et vient d’en désigner une troisième de la même eau, qui sera très certainement confirmée dans ses fonctions avant qu’éventuellement un nouveau président et une nouvelle majorité au Sénat n’entrent en fonction en janvier prochain.

L’élection de novembre est présentée, par les deux camps opposés qui veulent ainsi mobiliser leur électorat respectif, ainsi que par la plupart des commentateurs, comme la plus importante de l’histoire des États-Unis. Parfois avec une nuance : la plus importante après celle de Lincoln en 1859, qui avait été le détonateur d’une sécession et d’une guerre civile très meurtrière. Aux yeux de ceux qui ne voient la politique qu’au travers des institutions et ignorent que ce sont les masses qui font l’histoire, et de ceux qui, dans le monde, pensent que la politique internationale des États-Unis dépend de la personnalité qui occupe la Maison-Blanche, cela peut sembler vraisemblable. Mais ils se trompent.

Même si la Cour suprême a de larges attributions – comme arbitrer les recours en cas de contestation électorale, ce qui avait beaucoup aidé le républicain George W. Bush à devenir président en 2000 – elle peut être, comme le reste de l’appareil d’État, soumise à la pression d’un mouvement de masse. C’est ainsi qu’une majorité de juges conservateurs, nommés par des présidents républicains, avaient tout de même légalisé l’avortement en 1973 devant l’ampleur du mouvement féministe.

Mais le mouvement féministe a décliné depuis, et sur la question de l’avortement ce sont les courants réactionnaires qui sont à l’offensive depuis bien des années aux États-Unis. Ces derniers temps, plusieurs États dominés par les républicains ont mis de sérieuses barrières au droit effectif d’avorter.

L’inquiétude de nombre de femmes et de partisans du droit des femmes à disposer de leur corps est grande. Mais croire, comme le Parti démocrate le prétend, qu’il faut d’abord en passer par l’élection d’un président et d’un Sénat démocrates pour nommer des juges progressistes et faire ainsi basculer la Cour suprême – mais au bout de combien de dizaines d’années puisque les juges sont nommés à vie ? – est un piège électoral. Les droits des femmes, comme ceux des Noirs, ont été obtenus par les mobilisations de larges couches de la population, auxquelles la justice et le pouvoir politique ont été obligés de faire droit quand ils ne pouvaient plus agir autrement.

Trump : démagogie tous azimuts

En apparence, il n’y a pas deux hommes politiques aux styles plus dissemblables que Donald Trump et Joe Biden.

On ne présente plus Trump, homme d’affaires qui s’est lancé en politique en 2015 et occupe la Maison-Blanche depuis janvier 2017. À l’époque il avait dû remporter la primaire républicaine contre des rivaux tout aussi réactionnaires, mais n’allant pas autant à fond que lui dans la démagogie sécuritaire, raciste et sexiste qui semble plaire à une grande partie de l’électorat républicain. Cette année, le président sortant se représentant, il n’y a eu pas de primaire interne au Parti républicain, presque entièrement rangé derrière Trump. C’est ainsi que fin août, à la veille de sa convention, le Parti républicain s’est aperçu qu’il n’avait pas actualisé son programme depuis 2016, essentiellement basé sur la critique de la présidence d’Obama. Trump a balayé ce détail d’un revers de la main en déclarant qu’il était lui-même le programme républicain, ce qui a le mérite de ne pas être hypocrite…

L’élection de cette année, corsetée comme il se doit dans un duel institutionnalisé entre les deux partis bourgeois qui alternent au pouvoir depuis plus d’un siècle et demi, est en effet une sorte de référendum sur la présidence Trump. Il serait fastidieux de revenir ici sur cette présidence marquée par nombre de volte-face, scandales, mensonges grotesques, outrances et grossièretés.

Il faut toutefois noter qu’une partie de la base électorale de Trump, encore aujourd’hui, est constituée de travailleurs peut-être sensibles aux préjugés racistes, mais aussi écœurés par la prétention du Parti démocrate à parler au nom des classes populaires tout en menant au pouvoir la politique de la bourgeoisie. Ces travailleurs prêtent l’oreille au nationalisme tapageur d’un démagogue qui prétend sauver des emplois et relocaliser la production aux États-Unis en dressant des barrières douanières, alors que l’économie américaine a grandi en s’internationalisant tout au long de sa domination mondiale amorcée il y a plus d’un siècle.

Ce piège fonctionne d’autant plus que le thème de la stigmatisation de l’étranger – hier le Japon, aujourd’hui la Chine, le Mexique, et même le Canada – comme l’ennemi de l’emploi américain, dédouanant ainsi la grande bourgeoisie, a été largement déployé par les appareils syndicaux depuis longtemps, ainsi que par des courants politiques se situant à la gauche du Parti démocrate comme celui autour de Bernie Sanders.

Évidemment la politique réellement menée par le gouvernement de Trump est totalement en faveur du grand patronat, des banques et des géants de l’Internet. Pour ne prendre qu’un exemple, la réforme fiscale de 2017 a baissé le taux officiel de l’impôt fédéral sur les bénéfices des entreprises de 35 % à 21 %.

Pendant qu’il joue la division de la classe ouvrière à coups de clins d’œil racistes, Trump flatte les préjugés sociaux de la petite bourgeoisie en prétendant être l’incarnation et le défenseur du « rêve américain », un mythe sur la liberté d’entreprendre et de devenir riche. Trump prétend être un entrepreneur à succès, ce que dément visiblement son dossier fiscal qui laisse apparaître pas mal de pertes lui permettant de payer dix fois moins d’impôts fédéraux qu’un instituteur ou qu’une infirmière.

En réalité la petite bourgeoisie ne trouve pas son compte dans la politique de Trump : ce sont les plus grandes entreprises qui sont aidées par l’État américain à passer le cap de l’aggravation brutale de la crise cette année, pas les plus petites. Mais cette petite bourgeoisie, nombreuse dans ce pays riche, est la cible électorale des diatribes présidentielles récurrentes sur le socialisme supposé de Joe Biden et du Parti démocrate.

Biden : un autre style au service de la même classe

Pourtant Biden, qui joue sur ses origines modestes comparées à la fortune de Trump, n’a rien du gauchiste qu’essaye de dépeindre son adversaire.

Il a été sénateur de 1973 à 2009. Dans les années 1970, il s’est opposé au busing, c’est-à-dire au fait que des enfants noirs puissent aller en bus dans des écoles essentiellement blanches, où l’éducation était de meilleure qualité que dans celles de leurs quartiers défavorisés.

Biden peut bien avoir pris comme candidate à la vice-présidence Kamala Harris, une sénatrice noire, cela ne peut pas faire oublier que dans les années 1990 il a été un des promoteurs du durcissement judiciaire et de l’allongement des peines de prison, qui ont mené tant de jeunes Noirs derrière les barreaux.

Puis, en tant que vice-­président d’Obama de 2009 à 2017, il a géré les conséquences de la crise de 2008 au mieux des intérêts des grandes firmes capitalistes, au moment où tant de travailleurs perdaient leur emploi et leur maison. Biden a partagé la responsabilité d’une politique qui a tellement déçu qu’un Trump a pu surgir et s’emparer de la présidence.

Biden en est conscient et fait des efforts pour promettre une vie meilleure aux travailleurs s’il parvient à remplacer Trump à Washington. Mais il ne faut pas gratter beaucoup pour que Biden montre qu’il est beaucoup plus sensible aux pressions réactionnaires qu’à celle exercée par l’aile gauche des démocrates. Lors du premier débat télévisé, fin septembre, lors d’un des rares moments politiques de cette foire d’empoigne, Biden a tenu à réagir car Trump l’accusait d’être un jouet dans les mains de l’extrême gauche : « J’ai battu [Bernie Sanders] à plate couture », lors des primaires. Ajoutant, dans une symétrie presque parfaite avec l’identification de Trump au Parti républicain : « Je suis le Parti démocrate en ce moment. La plateforme du Parti démocrate est ce que j’ai en fait approuvé. » Dans ce même débat, Biden a tenu aussi à prendre ses distances avec le discours écologiste de la gauche démocrate qui met en avant un Green New Deal, programme pourtant bien loin d’être révolutionnaire puisqu’il s’agit de promouvoir des investissements publics pour faire émerger un capitalisme vert.

Le fait est que le cœur du programme économique de Biden est : « Achetez américain. Fabriquez américain avec des emplois américains. » Ce qui le situe sur le même terrain que le « Rendre sa grandeur à l’Amérique » de Trump.

Car si Trump et Biden ont incontestablement un style différent, s’adressant chacun à un électorat assez différent, ce sont tous les deux des hommes de la bourgeoisie. Trump est un grand bourgeois lui-même. Biden a derrière lui près d’un demi-siècle d’une carrière politique au service du capital.

La bourgeoisie américaine ne s’y trompe pas. Elle finance aussi bien les républicains que les démocrates. Et largement. À ce jour, le budget des deux candidats à l’élection présidentielle est déjà de 3,16 milliards de dollars. Si on rajoute les budgets cumulés de toutes les autres campagnes électorales qui se déroulent en ce moment, allant de l’élection des shérifs à celle des sénateurs et des gouverneurs, on atteint 7,2 milliards, somme dépassant déjà le précédent record des élections de 2016. Il est possible que d’ici le 3 novembre l’ensemble des dépenses de campagne dépasse 10 milliards…

D’où vient cet argent ? À peine plus d’un cinquième vient de petits donateurs qui ont fait des dons de moins de 200 dollars (environ 170 euros). Le reste est financé par la bourgeoisie, grande et petite. Surtout grande : millionnaires et milliardaires sont les véritables arbitres des élections. Ce sont les seuls vraiment intéressés aux résultats. Un appui financier aux élus leur assure une proximité avec tous les niveaux de l’appareil d’État.

La crise sanitaire et économique

Depuis le début de l’année le pays est plongé dans la crise sanitaire mondiale du Covid-19. Comme sur n’importe quel autre enjeu, Trump a dit et tweeté tout et son contraire à ce sujet. Sa seule ligne politique a été de dire le contraire des démocrates sur la pandémie, donc de mobiliser son électorat en minimisant le danger. Ainsi l’État fédéral n’a pas eu de politique sanitaire à l’échelle du pays, laissant à chaque gouverneur d’État le soin de prendre des décisions… ou pas.

Le bilan est effroyable : plus de 210 000 décès à ce jour. Ce taux est de 64 décès pour 100 000 habitants, supérieur au taux observé en France de 48 pour 100 000. Ce sont, à classes d’âge comparables, les habitants des quartiers pauvres, les Noirs, les immigrés, en fait les travailleurs qui payent le plus lourd tribut à cette hécatombe.

Les incertitudes qu’a fait peser l’épidémie, quand elle s’est répandue hors de Chine au premier trimestre 2020, ont servi de déclencheur à une brusque aggravation de la crise économique larvée qui couvait sous les indices flatteurs de la Bourse de Wall Street.

Fin mars, dans l’élan d’une rare quasi-unanimité, Trump, la majorité républicaine et la minorité démocrate du Sénat, ainsi que la majorité démocrate et la minorité républicaine de la Chambre des représentants, ont adopté des mesures (Cares Act) destinées à sauver le château de cartes qu’est l’économie capitaliste. Elles se sont alors chiffrées officiellement à 2 000 milliards de dollars, soit 2,5 fois plus qu’il y a douze ans quand la bulle spéculative des subprimes a éclaté. En réalité toutes les mesures d’aide à la bourgeoisie se montent au moins à 3 000 milliards et, peut-être le double.

Cela peut paraître étrange qu’au pays du libéralisme économique, avec un Parti républicain au pouvoir qui a fait de la diminution de l’intervention de l’État dans l’économie un de ses axes politiques depuis longtemps, on assiste à un interventionnisme débridé. Ce n’est un paradoxe qu’en apparence car le capitalisme avançant en putréfaction, hoquetant de crise en crise, n’a jamais autant eu besoin partout de la béquille étatique. La bourgeoisie américaine est subventionnée, depuis longtemps et de plus en plus. Les pertes de son économie sont socialisées et se reportent sur les services utiles à la population (santé, éducation, etc.) qui sont sacrifiés. Mais les profits restent privés et aboutissent sur les comptes des grands bourgeois.

Ce plan a aussi alloué une somme forfaitaire de 1 200 dollars en une fois, soit un tout petit peu plus de 1 000 euros, par personne gagnant moins de 75 000 dollars annuellement, les couples touchant une somme double, plus 500 dollars par enfant. Les dizaines de millions de travailleurs privés subitement de leur emploi en ont eu bien besoin.

Très rapidement le nombre de nouvelles inscriptions pour bénéficier des allocations chômage est monté à 30 millions fin avril. Toutefois des millions d’autres travailleurs n’ont pas pu s’inscrire car le système était engorgé ; tandis que d’autres, ne remplissant pas les conditions pour être indemnisés, ne se sont même pas inscrits[1].

Le taux de chômage officiel est ainsi passé de 4 % d’une population active d’environ 160 millions de personnes à 15 % en quelques semaines. Puis il est redescendu à 8 % aujourd’hui. Mais les licenciements continuent : par exemple Disney se débarrasse en ce moment de 28 000 salariés dans ses parcs d’attractions américains.

Le montant et la durée des allocations chômage varient selon les États. En début d’année ils étaient en moyenne de 378 dollars par semaine pour un maximum de 26 semaines. Le Cares Act a étendu cette durée de 13 semaines et a augmenté leur montant de 600 dollars par semaine. C’est l’aveu que les allocations chômage habituelles ne permettent pas de vivre dignement. Cette mesure fédérale exceptionnelle n’a concerné qu’une période de quatre mois, d’avril à juillet 2020. Depuis, le coup de pouce a été réduit à 400 dollars par semaine, dont 100 sont financés par les États uniquement s’ils le souhaitent.

Tout cela n’a pas empêché que dès le printemps de nombreuses familles de travailleurs, incapables de rembourser leur emprunt immobilier ou de payer leur loyer, se retrouvent menacées d’être expulsées de leur logement, rappelant les conséquences dramatiques de la précédente crise aigüe du capitalisme en 2007-2008.

Des queues interminables se sont formées pour l’aide alimentaire, 38 millions de personnes s’en retrouvant dépendantes.

Des tensions politiques bien au-delà des joutes électorales

Cette crise effroyable se traduit par des tensions politiques dont la campagne électorale n’est qu’un pâle reflet.

En juin dernier, un vaste mouvement antiraciste s’est développé après le meurtre filmé du Noir George Floyd par un policier blanc de Minneapolis. Ce type de meurtre raciste est une réalité assez fréquente aux États-Unis. Depuis 2013, des manifestations répondent régulièrement à ces exactions policières. Mais en 2020 ce mouvement a pris une plus grande ampleur[2] : une quinzaine de millions de personnes ont manifesté en mai, et certains continuent quotidiennement jusqu’à présent comme à Portland, en Oregon.

Ces protestations ont donné naissance à Black Lives Matter (les vies des Noirs comptent), une mouvance bien plus qu’une organisation avec un programme bien défini. Les idées mises en avant par les manifestants sont assez diverses : il y a des démocrates qui veulent avant tout le départ de Trump, des gens qui veulent une réforme de la police ou même son abolition. Il y a même une milice noire armée qui défile de son côté. Certains parlent de révolution, mais sans contenu de classe précis.

Des millions de gens, des Noirs mais aussi des Blancs, beaucoup de jeunes, se mobilisent autour de la question raciale. Ils affrontent les polices antiémeutes, celles du gouvernement fédéral de Trump ainsi que celles des municipalités et des États, notamment ceux administrés par les démocrates.

L’extrême droite se manifeste

Stimulée par les sorties presque ouvertement racistes du président et sa propagande contre le socialisme supposé de ses adversaires, la mouvance d’extrême droite a démonstrativement pris la rue. Au printemps, des milices armées ont manifesté bruyamment, jusqu’à l’intérieur de bâtiments publics, pour contester les mesures de confinement prises par des gouverneurs démocrates.

Cet été, ces milices se sont mobilisées pour faire échec au mouvement de contestation protestant contre les violences policières et les meurtres racistes. Elles bénéficient évidemment de sympathies parmi la police, voire de complicités : cela est apparu clairement le 25 août quand un milicien qui venait de tuer deux manifestants antiracistes à Kenosha, dans le Wisconsin, n’a pas été arrêté immédiatement.

Ce type de groupes armés a toujours existé. Le Ku Klux Klan et autres avatars anti-Noirs, antisémites ou fascistes ne sont pas chose nouvelle. Le dernier président démocrate était un Noir, Obama, ce qui était insupportable pour ces racistes.

Mais il y a clairement une résurgence sur fond de crise sociale et politique. Trump légitime et encourage ces groupes, laissant entendre qu’ils auront un rôle à jouer pour lui permettre de garder le pouvoir même s’il perd l’élection.

Cette mouvance peut trouver l’oreille de travailleurs qui se sont sentis trahis quand les démocrates étaient au pouvoir en prétendant être leurs amis ; ou par les appareils syndicaux plus occupés à la conservation de leurs petits privilèges en secondant le patronat qu’à mener la classe ouvrière au combat pour défendre sa peau.

Tout comme Trump qui cherche à en faire son électorat, l’extrême droite s’acharne à détruire le reste de conscience de classe des travailleurs qui tombent sous son influence. Elle défend la propriété privée, entretenant la confusion entre la propriété des capitalistes sur les grandes entreprises, base de la domination de cette minorité sur la société, et la maison que possèdent ou rêvent de posséder bien des travailleurs. Elle prétend défendre les fruits du travail acharné de ceux qui se lèvent tôt pour gagner leur vie, contre les anarchistes, socialistes ou communistes qu’elle voit partout dans les rues et dont le but serait d’offrir les richesses à ceux qui ne travaillent pas : les Noirs qui vivent des allocations étant leur cible favorite. Mais qui ne travaille pas et profite des richesses ? Les familles bourgeoises, que ces réactionnaires ne dénoncent jamais, ou alors uniquement lorsqu’ils sont plus proches des démocrates que des républicains.

La nécessité d’un parti de la classe ouvrière

Ce n’est pas en rabattant les travailleurs vers l’issue électorale présentée par le Parti démocrate de Biden que la menace de l’extrême droite sera conjurée. C’est en défendant ouvertement devant les travailleurs l’idée qu’ils ont en eux-mêmes la force pour stopper les attaques qu’ils subissent et pour contre-attaquer en disputant le contrôle de l’économie et de la société à la grande bourgeoisie.

Bien sûr il manque un parti communiste révolutionnaire pour organiser et mener ce combat à grande échelle. Il est rageant que les communistes révolutionnaires soient si peu nombreux à offrir une compréhension claire du rôle de l’État et une politique de classe en découlant à ceux qui se mobilisent contre les crimes racistes de la police.

La construction d’un tel parti est l’enjeu de la période. Si les élections du 3 novembre peuvent servir à quelque chose, c’est à affirmer cela.

20 octobre 2020

 

[1]      Sur la crise économique et sociale : « Les États-Unis, de la crise sanitaire à l’effondrement économique », Lutte de classe, n° 208, juin 2020.

 

[2]      Sur le mouvement antiraciste : « États-Unis : un vaste mouvement contre le racisme et les violences policières », Lutte de classe, n° 209, juillet-août 2020.