Ukraine : une guerre russo-américaine et un tournant

печать
mai-juin 2022

La guerre en Ukraine, que Poutine voulait une guerre éclair en misant sur l’effondrement de l’armée et de l’État ukrainiens, entre dans son troisième mois. La forte résistance ukrainienne, armée et financée par les États-Unis, et dans une moindre mesure par leurs alliés européens, a contraint Poutine à changer ses objectifs. Cette guerre, avec son lot d’épisodes de barbarie et d’horreurs en tout genre, est en passe de rejoindre la longue liste des conflits apparemment sans fin qui ensanglantent des régions entières du globe. Parce qu’elle met directement aux prises, par Ukraine interposée, les États-Unis et la Russie, cette « puissance pauvre » où Poutine a restauré avec brutalité un pouvoir autoritaire que la décomposition de l’Union soviétique avait mis à mal, cette guerre apparaît de plus en plus comme ce qui pourrait devenir une étape vers une guerre généralisée.

Une forte résistance ukrainienne et l’activation d’un sentiment national

Avec sa vision d’ancien colonel du KGB, puis de dirigeant de la FSB, la police politique et les services secrets de la Russie post-soviétique, Poutine a visiblement cru à son propre discours télévisé du 22 février dernier. Après un long retour sur les conditions de la naissance puis de la disparition de l’Union soviétique, il y affirmait : « Aucun État stable n’a été établi en Ukraine. » Le chef du Kremlin s’est persuadé que la population ukrainienne, en particulier sa majorité russophone, allait accueillir ses chars et ses soldats comme des libérateurs, du fait des liens multiples qui l’unissent à la Russie depuis des générations et parce qu’elle subit depuis trente ans « la pauvreté, le désespoir, la perte du potentiel industriel et technologique », « l’effondrement de l’économie ukrainienne » ou encore « la corruption qui imprègne et corrode l’État ukrainien dans toutes les branches du pouvoir ». Non seulement il n’en a rien été, mais l’invasion russe a provoqué une réaction inverse : elle a renforcé un sentiment national ukrainien, et même l’a suscité là où il n’existait guère. En tout cas, elle a permis au gouvernement de Volodymyr Zelensky, passé pratiquement du jour au lendemain de représentant corrompu des oligarques ukrainiens au statut de héros de la résistance à l’envahisseur, de se targuer d’avoir tous les Ukrainiens avec lui, même si la réalité est sans doute différente, et pas seulement au sein des nombreuses minorités nationales que compte le pays. Toujours est-il que l’armée et les milices ukrainiennes, abondamment équipées et encadrées par l’Occident, ont trouvé ce qui leur avait manqué durant les huit années de guerre dans le Donbass : un certain soutien parmi la population. Ces forces ukrainiennes, qui avaient de ce fait un avantage sur celles du Kremlin, à défaut d’avoir la supériorité numérique et la même puissance militaire, ont tenu tête à celles de Poutine au point d’obliger ce dernier à retirer ses armées du nord du pays et à lever le siège de la capitale, pour se concentrer sur le sud-est du pays, sinon sur le seul Donbass.

Bien sûr, le gouvernement ukrainien a décrété la loi martiale et interdit à tout homme entre 18 et 60 ans de quitter le pays. Loin du regard des journalistes relayant la propagande de Zelensky, certains ont sans doute cherché à éviter l’incorporation dans les milices territoriales souvent encadrées par des ultranationalistes. Dans les premiers jours de la guerre, on a pu entendre des habitants de l’Est russophone qui fuyaient les zones de combat en disant : « Je n’ai pas peur des Russes, mais des fusils et des bombes. » De fait, beaucoup d’Ukrainiens ont des proches vivant en Russie, et forcément aussi parmi les fonctionnaires civils ou militaires russes. Deux mois après le début de l’offensive, des habitants du Donbass dénoncent encore les bombardements ukrainiens qui détruisent leurs maisons autant que les tirs russes.

Mais l’invasion décidée par Poutine, sa brutalité, les destructions d’immeubles d’habitation, d’hôpitaux ou de théâtres, les sièges meurtriers de grandes villes comme Marioupol ou Kharkiv (Kharkov, pour sa population quasi exclusivement russophone) et les actes de barbarie contre des civils désarmés ont creusé un fossé sanglant entre Russes et Ukrainiens. De ce point de vue, Poutine est le meilleur agent du nationalisme ukrainien. L’une des conséquences de son invasion militaire de l’Ukraine sera d’y avoir accru de façon durable le poids politique des dirigeants et des forces les plus réactionnaires, des officiers de l’armée et des chefs d’extrême droite de milices, comme le bataillon Azov, promu héros de la défense de Marioupol. Quand la guerre se terminera, en plus de son coût humain, des morts, des estropiés, des exilés, en plus de ses conséquences économiques, avec toutes les destructions d’usines, d’immeubles, d’infrastructures en tout genre, les travailleurs ukrainiens auront à affronter le poids politique d’un pouvoir d’État renforcé par la guerre, ainsi que de l’extrême droite nationaliste et raciste, que la guerre aura en quelque sorte légitimée, et, chapeautant le tout, la tutelle de l’impérialisme américain qui exigera de la population laborieuse un retour sur investissement pour les dizaines de milliards de dollars dépensés.

La brutalité d’une armée d’occupation

Le massacre de Boutcha, dans la région de Kiev, avec ces centaines de civils exécutés par la soldatesque russe, comme les témoignages de viols et d’enlèvements dans les zones occupées par les troupes du Kremlin ont été abondamment relayés par les médias occidentaux, infiniment plus discrets sur les exactions commises par les milices ukrainiennes contre de supposés espions ou traîtres. La mise en lumière de ces massacres a aidé les gouvernements occidentaux à conforter leur posture de prétendus démocrates combattant le dictateur Poutine et à justifier de nouvelles sanctions contre la Russie.

Poutine est incontestablement un « boucher », et depuis bien avant que Biden prétende le découvrir. De Grozny en Tchétchénie à Alep en Syrie, et tout récemment en intervenant contre les travailleurs au Kazakhstan, l’ex-agent du KGB Poutine a largement montré son mépris de la vie humaine, y compris celle des citoyens russes, notamment quand il s’agissait d’imposer coûte que coûte sa politique. L’armée de Poutine est l’héritière de celle de l’Union soviétique finissante, sous Brejnev puis Gorbatchev, une armée que gangrènent la corruption, une certaine gabegie, la pratique des sévices imposés aux conscrits… Lors de l’occupation de l’Afghanistan, entre 1979 et 1989, elle n’eut rien à envier à toutes les armées coloniales du monde : tortures et massacres de civils dans les villages sous prétexte de débusquer les rebelles ; cercueils de zinc rapatriant sans fin les corps des soldats sacrifiés dans une opération de pacification, une « guerre sans nom » ; vies brisées, blessures, traumatismes, invalidité, alcoolisme, addiction aux drogues et dépression pour les survivants qui ne s’en sont jamais remis.

Dans la guerre en Ukraine, les familles des marins disparus du croiseur Moskva ou celles des conscrits russes morts au combat ne sont ni mieux informées ni mieux considérées que ne l’avaient été celles des soldats disparus dans des embuscades ou des accidents en Afghanistan. Les atrocités commises contre les civils ukrainiens sont celles d’une armée occupant et assiégeant des zones habitées, se heurtant à l’hostilité d’une population que Poutine prétendait « libérer des nazis », arrêtée par une résistance plus forte que prévu et enrageant de devoir se replier.

Mais il faut une sacrée dose de cynisme aux dirigeants occidentaux pour se poser en colombes de la paix et réclamer la comparution de Poutine devant un tribunal international. Et pas seulement parce que les États-Unis, par exemple, refusent de reconnaître des tribunaux internationaux qui pourraient juger leurs militaires. Du Vietnam à l’Irak, de la Syrie à l’Afghanistan, toutes les guerres américaines se sont accompagnées de massacres de civils et d’atrocités. Pour sa part, l’armée française n’est pas en reste. Les huit années de la guerre d’Algérie, que les gouvernants d’alors qualifiaient – comme Poutine aujourd’hui – non pas de guerre mais d’opération de police, ont connu bien plus de représailles meurtrières contre des villages algériens, de viols, d’actes de torture, d’exécutions sommaires, de regroupements forcés dans des camps, de bombardements au napalm que de batailles rangées entre militaires. Au Rwanda, en 1994, l’armée française a soutenu jusqu’au bout les génocidaires hutus. Plus récemment, au Mali, elle a tué des civils et maltraité des villageois au point de devoir, haïe par la population, quitter le pays.

De la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la chute de l’Union soviétique, donc entre 1945 et 1991, le maintien de la domination des puissances impérialistes sur le monde, c’est-à-dire la répression des soulèvements anticoloniaux, la gestion des guerres locales engendrées par la misère, les rivalités pour l’accès aux matières premières, s’est traduit par une série de guerres toutes plus atroces les unes que les autres, et de fait par des guerres en permanence. Pendant des décennies, l’impérialisme a assis sa domination sur le monde en étroite complicité avec les chefs des bureaucrates au pouvoir à Moscou. Malgré toutes les tensions de la guerre froide, malgré les postures publiques des uns et des autres, les dirigeants occidentaux et leurs homologues staliniens avaient scrupuleusement respecté l’accord scellé en 1945 à Yalta, entre Roosevelt, Churchill, Staline et les puissances que chacun représentait, pour se partager les zones sur lesquelles chacune exercerait son contrôle et où elle maintiendrait l’ordre, c’est-à-dire empêcherait les opprimés de se révolter. C’était un accord entre brigands, à la fois concurrents et liés par des intérêts communs.

Dirigeants impérialistes et bureaucrates russes : des brigands enchaînés les uns aux autres

Par de multiples aspects, Poutine est un lointain héritier de Staline, le chef de la bureaucratie soviétique, dont il admire les méthodes à poigne et le nationalisme grand-russien. Staline a piétiné le droit des opprimés des nationalités qui peuplaient l’ancien Empire tsariste à choisir leur destin. Cela alors qu’au contraire, lors de la révolution d’octobre 1917 puis durant la guerre civile, Lénine et les bolcheviks avaient défendu les droits des nationalités opprimées, en faisant appel à la conscience de classe et à la mobilisation des exploités pour les souder en un combat commun contre les diverses classes privilégiées, de diverses nationalités, soutenues par les puissances impérialistes. Staline a bien vite remplacé la libre union établie en 1922 entre les peuples de l’ancienne Russie par une dictature centralisée de plus en plus personnelle contre tout le monde et par une russification forcée de fait des cultures nationales minoritaires. Il a déporté des peuples entiers et a utilisé les minorités nationales ainsi que les régions ou fractions de territoire où elles vivaient comme une monnaie d’échange dans ses tractations avec les États impérialistes.

Cela fit écrire à Trotsky en avril 1939, dans La Question ukrainienne, après le pacte germano-soviétique et le partage de la Pologne, qui concernait des millions d’Ukrainiens : « Il ne subsiste rien de la confiance et de la sympathie d’antan des masses d’Ukraine occidentale pour le Kremlin. Depuis la toute récente “épuration” sanglante en Ukraine, personne, à l’Ouest, ne désire plus devenir partie intégrante de la satrapie du Kremlin qui continue à porter le nom d’Ukraine soviétique. Les masses ouvrières et paysannes d’Ukraine occidentale, de Bukovine, d’Ukraine subcarpatique, sont en pleine confusion. Où se tourner ? Que revendiquer ? Et tout naturellement, du fait de cette situation, la direction glisse aux mains des plus réactionnaires des cliques ukrainiennes qui expriment leur “nationalisme” en cherchant à vendre le peuple ukrainien à l’un ou l’autre des impérialismes en échange d’une promesse d’indépendance fictive. »

Ces lignes semblent n’avoir pas pris une ride en plus de quatre-vingts ans. À l’époque, Trotsky ne s’alignait ni devant Staline, ni devant les nationalistes ukrainiens, ni devant « l’un ou l’autre des impérialismes ». Il ne proposait ni la livraison d’armes aux nationalistes ukrainiens ni une résolution de l’ancêtre de l’ONU, la Société des nations ! Il proposait une politique aux militants communistes révolutionnaires de l’époque, qu’ils militent en Ukraine, en Union soviétique, dans un pays voisin ou dans les États impérialistes. Il proposait une politique pour « les masses ouvrières et paysannes d’Ukraine », pas pour les Ukrainiens en général. Ce qu’il résuma dans la formule « Pour une Ukraine soviétique, ouvrière et paysanne unie, libre et indépendante ! » Il donnait ainsi comme perspective celle d’une révolution en Ukraine, dirigée par les exploités, libres et indépendants des bourgeois nationalistes, des puissances impérialistes et de la bureaucratie stalinienne. Une telle révolution, qui aurait sans doute été un exemple contagieux dans cette mosaïque de peuples qu’était et est encore l’Europe centrale, ne pouvait vaincre que dans le cadre d’une révolution européenne. C’était un programme et une politique pour des « marxistes révolutionnaires ukrainiens » que Trotsky exhortait à « se hâter [car] il ne reste que peu de temps ».

Hélas, il n’y eut pas alors d’organisations, de partis marxistes révolutionnaires pour s’emparer de ce programme et proposer à la classe ouvrière de combattre sous ce drapeau. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale s’acheva, les gouvernants du monde entier, terrorisés à l’idée qu’elle accouche, comme la Première, d’une vague de révolutions qui menace de renverser le capitalisme, firent tout pour l’empêcher. Malgré l’antagonisme profond de leurs systèmes économiques, les dirigeants impérialistes anglo-saxons et Staline, le chef des bureaucrates, scellèrent donc une alliance contre les peuples et la classe ouvrière. Après avoir noyé sous les bombes des dizaines de grandes villes d’Europe, sous couvert de la libérer du nazisme, ils se partagèrent le continent pour assurer, chacun dans sa zone, un rôle de gendarme. En 1945 à Yalta, en Crimée, Roosevelt et Churchill, ces « grands démocrates chefs du monde libre et défenseurs des droits des peuples », entérinèrent l’intégration à l’Union soviétique de l’Ukraine occidentale, en plus d’une tranche de la Pologne et des trois pays Baltes, cela bien sûr sans qu’aucun de ces peuples ait son mot à dire. Staline assurait la police dans l’est de l’Europe, et les puissances impérialistes, États-Unis en tête, dans l’ouest du continent et le reste du monde. C’est ce repartage sur le dos des peuples que les dirigeants occidentaux fêtent tous les 8 mai, et les héritiers de Staline le 9 mai, date butoir que Poutine a fixée à son état-major pour conquérir l’ensemble du Donbass.

Cet accord a régenté le monde, dans le sang, pendant presque cinquante ans. L’effondrement de l’URSS fin 1991 et l’immense affaiblissement de l’État russe qui en a résulté ont changé la donne. Cela a aiguisé l’appétit des dirigeants occidentaux pour les richesses naturelles et le marché de l’ex-URSS. Depuis, les États-Unis n’ont cessé d’y avancer leurs pions, au désespoir de Poutine et des bureaucrates qu’il représente.

Une guerre de plus en plus américaine

La guerre qui ravage l’Ukraine, que les classes populaires ukrainiennes et russes paient au prix fort, n’est donc pas seulement une agression du dictateur du Kremlin contre un voisin plus petit. Elle est le dernier épisode en date de trois décennies de pressions incessantes des États-Unis et de leurs alliés de l’Otan sur la Russie, pour réduire sa zone d’influence en faisant basculer dans la leur le maximum de territoires issus de l’URSS. À ce titre, l’offensive en cours déclenchée par Poutine s’inscrit dans une stratégie défensive de la Russie face à la poussée de l’impérialisme.

Mais, comme Roosevelt et Staline en leur temps, Biden et Poutine se comportent en bandits à la fois rivaux et complices. Malgré la campagne politico-médiatique du monde occidental qui présente Poutine comme un dictateur sanguinaire, les dirigeants impérialistes, s’ils cherchent effectivement à affaiblir la Russie, ne cherchent pas à se passer de celui qui la dirige. Ils ont besoin de son régime à poigne, qui assume un rôle irremplaçable de gardien de l’ordre mondial et de la stabilité sociale sur une portion de la planète, y compris au-delà des frontières de la Fédération de Russie. Ainsi, ils n’ont rien trouvé à redire quand, en janvier dernier, Poutine a envoyé ses parachutistes pour aider le dictateur du Kazakhstan à mater une révolte ouvrière. Il est significatif que, lorsque le président des États-Unis, venu à la fin mars passer en revue les troupes américaines stationnées en Pologne, a déclaré : « Cet homme ne peut pas rester au pouvoir », son entourage l’a immédiatement recadré, affirmant que le départ de Poutine n’était pas leur objectif. Mais en même temps, bien sûr, ils veulent un État russe suffisamment faible pour qu’il ne puisse pas entraver les affaires de leurs capitalistes ni contrer les manœuvres de leurs diplomates et services secrets dans cette même région. Le secrétaire d’État à la Défense, Lloyd Austin, l’a explicité le 24 avril, depuis Kiev : « Nous voulons maintenant voir la Russie affaiblie à un point tel qu’elle ne puisse pas recommencer des choses comme envahir l’Ukraine. »

Jusqu’à quel point les dirigeants américains veulent-ils affaiblir la Russie ? Que sont-ils prêts à concéder à Poutine, y compris sur le dos de l’Ukraine, qui fournit la chair à canon tandis que l’Amérique fournit les armes ? Le Kremlin a envahi l’Ukraine avec un objectif affiché : obtenir sa neutralité et la garantie que l’Otan n’y installera aucune base. Après avoir échoué à faire tomber Kiev et le gouvernement Zelensky, quel compromis Poutine est-il prêt à accepter ? La réponse à ces questions dépendra du rapport de force sur le terrain, de la réussite ou de l’échec de la nouvelle offensive russe centrée sur le Donbass. Pour les dirigeants américains, affaiblir la Russie, cela signifie prolonger la guerre en renouvelant les stocks de munitions et en augmentant encore les livraisons d’armes. Les États-Unis livrent désormais des chars, de l’artillerie lourde et des hélicoptères de combat pour un montant qui a atteint, depuis le 24 février, 3,7 milliards de dollars. Selon une responsable du Pentagone, Evelyn Farkas, l’Ukraine aurait désormais plus de chars en état de marche que l’armée russe. Pour elle, « les Russes sont affaiblis, il leur faut du temps et des conscrits pour se remettre, il est donc primordial de les frapper maintenant ». Propagande ou prétention, certains dirigeants américains en viennent à imaginer une victoire ukrainienne et le retrait des troupes russes du Donbass.

Depuis deux mois, les dirigeants américains répètent qu’ils ne sont pas en guerre contre la Russie, mais leur Congrès a voté une enveloppe d’aide militaire à l’Ukraine supérieure au budget annuel de la Défense de ce pays. Outre des armes et des instructeurs, ils fournissent à l’armée ukrainienne renseignements et appui logistique. Tous ceux, y compris à l’extrême gauche, qui réclamaient des armes pour l’Ukraine ont donc été entendus au-delà de leurs espérances… par les chefs du Pentagone eux-mêmes !

Maintenir une perspective révolutionnaire et internationaliste

Nul ne connaît l’issue de la guerre en cours. Même si les dirigeants américains ne veulent pas d’une guerre frontale, qui se transformerait de fait en troisième guerre mondiale, même s’ils n’ont aucune envie de renverser Poutine, l’euphorie engendrée par le retrait des armées russes du nord du pays et des environs de Kiev, ainsi que l’intensification de leur soutien militaire à l’Ukraine, peuvent déclencher un engrenage qu’ils ne maîtriseront pas.

Même si la guerre en Ukraine cesse assez vite et ne devient pas une nouvelle guerre sans fin, elle a déjà ouvert, pour de multiples raisons, économiques, militaires, politiques, une nouvelle période, dramatique et incertaine, pour toute l’humanité.

Les peuples ukrainien et russe, qui sont bien sûr en première ligne, ne seront pas les seuls à payer le prix de ce conflit engendré par l’impérialisme. Aux destructions qui ravagent l’Ukraine, aux morts qui frappent le peuple ukrainien, mais aussi des familles russes, aux pénuries, au chômage croissant et aux sacrifices que subissent déjà les classes populaires en Russie, s’ajoutent le spectre de la famine pour des dizaines de millions de femmes et d’hommes des pays pauvres, dont la vie, au sens premier du mot, dépend du prix du blé que les spéculateurs font flamber. Les sanctions prises contre la Russie, les départs d’entreprises occidentales, la fermeture plus ou moins définitive du marché russe, les menaces sur l’approvisionnement en gaz de nombreux pays européens, dont l’Allemagne, première puissance industrielle du continent, se traduiront par une intensification des rivalités entre groupes capitalistes, avec derrière eux leurs États, pour se partager les marchés et les profits. Ces rivalités, dans une économie déjà en crise, viennent déjà intensifier la guerre sociale que les capitalistes mènent contre les travailleurs.

Le doublement des budgets militaires annoncé par plusieurs pays européens, signifie autant de milliards qui manqueront cruellement pour les hôpitaux, les écoles, les transports publics, etc. La guerre en Ukraine est déjà utilisée à grande échelle par de nombreux pays pour embrigader la population derrière le nationalisme ou, une variante, « la défense des valeurs démocratiques », pour militariser les esprits, pour justifier le retour du service militaire. Nationalisme, militarisme, avec comme corollaire le renforcement de l’emprise sur toute la société d’une extrême droite qui en fait son drapeau et son programme de mise aux pas des exploités, cette menace ne concerne pas que l’Ukraine, mais les travailleurs dans tous les pays.

Face à ces menaces guerrières, en 2022 comme en 1939, il n’y a qu’une seule voie, étroite, pour éviter une catastrophe annoncée. Il faut maintenir une perspective politique : celle du renversement du capitalisme par la seule classe qui en a la force collective, sans en avoir aujourd’hui la conscience, la classe des exploités, la classe des travailleurs, de celles et ceux qui font tourner toute la société. Face aux nationalistes et aux souverainistes de toutes les variantes, il faut maintenir le drapeau de l’internationalisme, le drapeau rouge du mouvement ouvrier, celui de la révolution socialiste mondiale. Cette perspective est ténue, car portée par trop peu de femmes et d’hommes. Mais c’est la seule qui peut permettre à l’humanité de profiter enfin des immenses possibilités qu’elle est capable de mettre en œuvre.

28 avril 2022