Aux origines de la "bulle financière"

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13 novembre 1998

Voilà en tout cas quelles sont à l'heure actuelle les conséquences sociales de cette crise financière qui, dans le Sud-Est asiatique, s'est transformée en une crise économique tout court. Même si elle n'était, comme cela a été dit, qu'une crise locale, dûe aux dirigeants politiques de ces pays, cette catastrophe économique et sociale dans une région de plus de 400 millions d'habitants ne pourrait pas être sans répercussions sur l'économie du reste du monde. Et d'ailleurs on nous apprend maintenant que c'est bien le cas, ne serait-ce que parce qu'un certain nombre de sociétés occidentales qui exportaient sur les marchés du Sud-Est asiatique voient leurs débouchés se réduire.

Mais qui plus est, il est vite apparu que ce n'était pas qu'une crise locale. Ce qui a crevé en Asie du Sud-Est, c'est ce que l'on appelle une "bulle financière". Mais cette petite bulle financière en cachait d'autres de plus grandes dimensions. Car le système capitaliste d'aujourd'hui passe son temps à faire des bulles, et pas seulement en Thaïlande ou en Malaisie. La "bulle financière" est mondiale.

On nous dit assez que nous vivons à l'heure de la mondialisation, mais on nous dit moins ce que cela comporte de vraiment nouveau dans le fonctionnement de l'économie. Car s'il s'agit de dire que l'économie, la production des biens, la circulation des matières premières et des marchandises, sont un fait mondial, c'est aussi vieux que le système capitaliste, qui a établi sa domination sur la planète au point qu'aucun village, aucune terre la plus reculée qui soit, n'est plus resté en dehors du marché mondial et de la circulation mondiale des marchandises. Quant à l'exportation des capitaux à partir des pays impérialistes, les placements financiers en particulier auprès des Etats, c'est une des caractéristiques de l'impérialisme depuis ses débuts. Que l'on songe seulement au fameux emprunt russe, qui date de 1888 !

Ce qui en revanche est plus récent, c'est la déréglementation complète des marchés de capitaux. C'est le fait que, dans les années quatre-vingts en particulier, la plupart des Etats ont pratiquement abandonné les quelques moyens de contrôle qu'ils avaient. Les mesures de contrôle des changes qui pouvaient s'opposer un tant soit peu à la circulation des capitaux ont été abandonnées. Mais elles ont été abandonnées, justement, sous la pression des banques, des spéculateurs internationaux, de tous ceux qui possèdent d'énormes capitaux et veulent pouvoir les déplacer sans entrave d'une place financière à une autre.

Cette évolution ramène donc en réalité à une autre : le poids croissant du capital financier international depuis le début des années soixante-dix.

En effet, celles-ci ont marqué la fin des années d'expansion d'après la seconde guerre mondiale. L'économie n'a pas cessé d'un seul coup de croître, mais elle a crû moins vite, ne serait-ce que parce que la phase de reconstruction de l'après-guerre était terminée. La demande de biens de consommation commençait à se ralentir. Non pas que les besoins aient été satisfaits, même dans les pays impérialistes les plus riches, sans parler de l'extrême misère de la majeure partie sous-développée de la planète. Mais la production capitaliste ne s'intéresse qu'à la demande solvable. Or, cette demande solvable ne s'accroissait pas à un rythme permettant de maintenir le taux d'accroissement antérieur de la production, ne serait-ce que parce que le pouvoir d'achat des masses laborieuses n'augmentait que lentement, même dans les pays dits riches. La production de biens de consommation commençait à stagner, ce qui signifiait en amont une crise sérieuse pour la production de biens d'équipement. Le profit obtenu dans l'industrie en proportion du capital investi diminuait. Les capitalistes se détournaient donc de l'investissement industriel et recherchaient des investissements garantissant de meilleurs profits, et avec moins de risque.

Or au même moment, d'autres évolutions se produisaient, concernant notamment la monnaie américaine. Pendant les années d'après-guerre, le dollar s'était imposé comme référence universelle pour les autres monnaies, tant l'économie des Etats-Unis dominait toutes les autres. Ceux-ci pouvaient même garantir la convertibilité du dollar en or. Mais les énormes dépenses de la guerre du Viet-Nam, payées en dollars, avaient fini par augmenter les avoirs en dollars de la plupart des banques occidentales. Celles-ci cherchaient à replacer cet argent pour le faire fructifier, créant un marché des "eurodollars", des crédits en dollars émanant donc des banques européennes et échappant au contrôle de l'Etat américain. Le déficit croissant du budget américain, grevé par les dépenses militaires, conjointement à l'accroissement d'une masse incontrôlable de dollars placés à l'extérieur des Etats-Unis, finirent par ébranler la confiance dans le dollar. Une spéculation se développa contre la monnaie américaine.

En 1971, la banque centrale des Etats-Unis dut donc abandonner la convertibilité du dollar en or. Mais c'était enterrer la seule référence à peu près fixe pour les monnaies et les capitaux du monde entier. Les changes flottants se généralisèrent, c'est-à-dire en fait un régime de désordre monétaire, le cours des monnaies pouvant varier en permanence en fonction de l'offre et de la demande. Et cela ouvrait un nouveau champ presque illimité à la spéculation financière : on pouvait dès lors tenter de prévoir la hausse ou la baisse de telle monnaie et tirer un profit considérable du simple fait d'avoir converti son argent d'une monnaie dans une autre au bon moment.