Texte proposé par la fraction « Etincelle », qui a obtenu 3 % des voix des délégués présents au congrès
Les débuts de la présidence de Nicolas Sarkozy ont été à la mesure de son passé tout au service de la bourgeoisie, maire de Neuilly qui compte la plus forte proportion d'assujettis à l'impôt sur la fortune du pays, ministre du budget de Balladur, plusieurs fois ministre sous Chirac avant de lui succéder. Sa singularité est d'avoir, dès son premier 14 juillet, lancé un feu d'artifice de mesures anti-ouvrières : contre les salaires qui ne pourraient augmenter que par la surexploitation, contre l'emploi qu'il faudrait promouvoir en aidant les patrons à licencier et en supprimant chaque année quelques 20 000 fonctionnaires, contre la protection sociale en la rongeant par l'accroissement des franchises médicales et les déremboursements de médicaments, contre les retraites, contre le droit de grève avec l'institution du « service minimum » dans les transports... sans oublier la loi qui durcit les conditions d'entrée et de vie des immigrés, une fraction de la classe ouvrière dont la surexploitation par le patronat est ainsi facilitée. Série de sacrifices pour les classes populaires d'un côté. Arrosage de tout ce que la France compte de petits et grands patrons, d'actionnaires et de rentiers de l'autre, avec la multiplication des subventions auxquelles s'est ajouté un « paquet fiscal » de quelques 15 milliards d'euros. Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, Sarkozy ne s'est pas oublié lui-même en augmentant de 140 % son salaire.
Les premiers mois de Sarkozy et son premier ministre François Fillon ont donc été marqués par la volonté d'assommer en allant vite et tapant sur tout, leur stratégie étant d'attaquer tout le monde (dans les classes populaires) le plus rapidement possible et leur tactique d'égrener quand même les coups pour n'être confrontés qu'à des résistances isolées dont il faut à tout prix éviter la convergence.
Fort de son relativement bon score aux présidentielles (53 % des suffrages exprimés), Sarkozy s'est aussitôt « couvert » du côté gauche. On pourrait dire habilement si ce n'avait été aussi facile, tant il y a de ce côté de personnalités prêtes à retourner leur veste pour décrocher un poste : de Dominique Strauss-Kahn intronisé président du FMI par la grâce du président, à Bernard Kouchner aux ambitions sans frontières, en passant par Fadela Amara qui se prétendait naguère « ni pute ni soumise»(1), Martin Hirsch l'ex-président d'Emmaüs qui a trouvé meilleur toit ou encore Jacques Attali l'éternel « conseiller » du Président (dont la couleur de toute évidence, lui importe peu)...
La plupart des membres du Parti socialiste reste cependant « de gauche », du moins telle que cette gauche s'est montrée dans la campagne présidentielle : ouverte au centre ! Surtout en cette période de préparation fébrile des municipales 2008, où le PS peut espérer remonter un peu la pente et s'apprête à faire feu de tout bois, même s'il n'en trouve que du petit du côté de ce centre réduit en cendres par Sarkozy. Mais cette gauche limite sa protestation à quelques cris d'orfraie contre le « débauchage » politique ou contre un article (les tests ADN utilisés pour fermer les frontières au regroupement familial) effectivement inique... d'une loi qui l'est toute entière. Quelques-uns seulement (pas Hollande qui ne veut, pas plus que Sarkozy, de consultation sur le sujet) y ajoutent une pointe d'indignation contre la manière cavalière dont on entend imposer le traité européen... qu'un référendum avait pourtant déjà rejeté. Mais face aux mesures ou projets scélérats au sujet des retraites, des salaires, des heures supplémentaires, des licenciements ou des suppressions de postes, la faiblesse et la timidité des critiques cachent mal l'approbation tacite, voire clairement proclamée par certains à l'exemple d'un Manuel Valls, de la nécessité des « réformes ».
Sarkozy et ses ministres ont inclus également dans leur « kit » gouvernemental la neutralisation des syndicats et associations (en particulier écologistes), en les engluant dans une ribambelle de « concertations ». Il y a beaucoup de salons où l'on cause, ceux de l'Elysée, ceux de Matignon, ceux des secrétariats et sous-secrétariats des ministères, ceux d'une multitude de « commissions » ad hoc, sans oublier ceux du patronat... au point que François Chérèque de la CFDT, qui se pose en meilleur partenaire pour toute négociation (mais il n'est pas le seul !), a pu se plaindre d'être acculé par un calendrier trop chargé. Les dirigeants syndicaux se sont obséquieusement prêtés à ce jeu d'entretiens et de consultations. Tour à tour Chérèque pour la CFDT, Jean-Claude Mailly pour FO, Bernard Thibault pour la CGT ont fréquenté les antichambres de l'Elysée, avant même l'intronisation du nouveau président, la plupart se félicitant d'y avoir trouvé de « l'écoute ». Et ces discussions dans l'atmosphère feutrée des salons, sur le marché du travail, sur la fonction publique, sur la fusion Unedic-ANPE et bientôt sur la représentativité syndicale ou le financement des syndicats auxquels les appareils (en particulier celui de la CGT) semblent attacher quelque importance, sont les activités premières de ces syndicalistes, menées très loin des préoccupations des travailleurs et encore plus loin de leur contrôle. L'intégration des syndicats aux multiples rouages de l'Etat est certes déjà une longue histoire, mais elle prend une nouvelle tournure en France après le lent mais spectaculaire déclin du Parti communiste et ses sursauts, jamais bien durables, de combativité. N'y aurait-il vraiment plus de « grain à moudre » ? Pour les travailleurs, il ne se négocie plus effectivement que des reculs, y compris une multitude d'accords d'entreprises ou de branches en retrait sur le Code du travail. Mais pour les appareils syndicaux qui ne vivent plus des cotisations de leurs membres, il semble qu'il reste beaucoup de « grain » sinon de « blé » à tirer des moulins à paroles qui font leur quotidien.
L'attaque contre les « régimes spéciaux » de retraite, préparée de longue date et finalement lancée à la mi-octobre, illustre tout particulièrement la politique de Sarkozy et Fillon : cibler une catégorie en tentant de neutraliser les autres, voire les dresser contre la première. Ici étaient visés de prétendus privilégiés (qui ne le sont en rien tant pour la plupart le montant de la retraite est bas) au nom de l'équité, sans même dissimuler que cet « alignement » est le prélude à une nouvelle et proche détérioration pour tous, le nombre d'annuités nécessaires pour une retraite dite « pleine » devant à nouveau augmenter à partir de 2008, pour passer à 41 ans, puis à 42 ans... Nul doute que l'équipe au pouvoir veut battre en brèche la résistance d'une catégorie de travailleurs réputée syndicalisée et combative (1995 est encore dans les mémoires), en l'isolant. Nul doute qu'elle veut ensuite utiliser cette victoire comme un coin pour attaquer tous les autres travailleurs. Nul doute même que Sarkozy se verrait bien dans le rôle de Reagan et Thatcher qui ont forgé leur réputation d'intransigeance contre la classe ouvrière (et poursuivi ensuite leur offensive contre la population) sur la victoire remportée sur des catégories résistantes et organisées de travailleurs, les contrôleurs aériens pour le premier, les mineurs de charbon pour la seconde.
Les cheminots, électriciens et gaziers, agents de la RATP et d'autres entreprises de transport urbain ont démarré le combat, en répondant massivement à l'appel des fédérations syndicales le 18 octobre. Une minorité a montré sa volonté de le continuer les jours suivants en répondant à l'appel d'une minorité de ces fédérations, Sud et FO. Le soutien des milieux populaires comme la participation spectaculaire des cheminots, toutes catégories confondues et jusqu'aux cadres, tous âges confondus et jusqu'aux plus jeunes nouvellement arrivés, a sans doute été une surprise pour tous ceux qui misent sur la division. Certainement pas des meilleures pour Sarkozy. Mais pas forcément des meilleures non plus pour les directions syndicales qui, confrontées à la forte attente d'une suite au mouvement, viennent d'annoncer une nouvelle journée le 14 novembre et le dépôt pour cette date d'un préavis national de grève « illimitée » et « reconductible de 24 heures en 24 heures ». Des syndicats de l'Edf-Gdf (FO et CGT) se joignent à l'appel et ceux de la RATP disent envisager de le faire.
Pour éviter le piège d'une grève dure et longue d'une seule catégorie (par exemple les cheminots aujourd'hui) qu'un isolement risquerait de vouer à l'échec, il est absolument nécessaire que ceux qui engagent le combat soient conscients que la défense des retraites (« régime spécial » comme « général »), ou des salaires ou de l'emploi, du public comme du privé, est absolument liée (ceci étant vrai aussi des autres combats sociaux, celui des victimes de l'amiante ou encore celui des mal-logés par exemple) ; nécessaire donc qu'ils entrent en lutte avec une volonté et des objectifs qui soient attirants pour l'ensemble des travailleurs. C'est à cette nécessaire condition, même si elle n'est pas suffisante, que d'autres pourront se décider à rejoindre leur lutte.
Ce n'est guère pourtant l'orientation des directions syndicales. Ni celles qui prônent la grève dure mais sur des objectifs catégoriels. Ainsi chez les cheminots, Sud ou FO ne semblent guère avoir insisté pour que la nouvelle grève coïncide avec la journée du 20 novembre déjà annoncée pour les enseignants et agents de l'Education nationale, les personnels hospitaliers, les employés de tous les ministères... Ni celles qui insistent sur l'unité mais pour limiter les mouvements dans le temps, comme la CGT qui, pour refuser de reconduire la grève le 19 octobre, s'est justifiée par la préoccupation que les grévistes ne restent pas seuls et donc attendent une future échéance syndicale plus rassembleuse. Les mêmes responsables fédéraux de la CGT semblent n'avoir pas plus milité pour une action commune avec les fonctionnaires le 20 novembre, et ne mettent pas davantage maintenant l'accent dans leur propagande sur la communauté d'intérêts des divers secteurs. Au contraire, certaines de leurs structures insistent sur la nécessité de mettre à l'ordre du jour les revendications les plus locales possibles, celles précisément auxquelles d'autres travailleurs, voire des cheminots d'autres secteurs, auraient le plus de mal à se sentir associés !
Le refus des directions syndicales de situer le conflit dans un cadre plus général que celui des retraites, va de pair avec leur propension à admettre qu'il y aurait nécessité à « réformer ». Ainsi chez les cheminots il y aurait bien « un problème des retraites », qu'il faudrait donc « négocier ». Sur quoi ? Comment ? Le nombre d'annuités ? Les décotes ? La FGAAC, syndicat corporatiste de roulants, s'est déjà essayée à ce jeu pour aboutir à présenter comme une victoire le départ des conducteurs... à 55 ans au lieu de 50 ans. À juste raison le gros des travailleurs ne voit pas aujourd'hui ce qu'il y a à négocier. Mais toutes les fédérations qui ont déposé à nouveau un préavis pour la grève du 14 novembre, de continuer à réclamer qui une « table ronde » avec le gouvernement, qui des négociations avec la direction de la Sncf, qui tout ça à la fois... en évoquant la possibilité, en cas de « bougé » du côté de ces instances, d'un retrait du préavis.
Aucune direction syndicale, celle de la CGT qui se flatte de représenter les intérêts de tous les travailleurs pas plus que les autres, ne met clairement le doigt sur la mystification de la prétendue nécessité de « réformer ». Il n'y a pourtant pas de « problème des retraites », pas de problème lié à l'accroissement de l'espérance de vie ou du prétendu fossé entre le nombre d'« actifs » et celui des retraités, mais seulement un énorme manque à gagner pour les caisses sociales du fait que le chômage et la stagnation des salaires amenuisent les rentrées de cotisation. C'est bien parce qu'il y a une hémorragie d'effectifs dans la fonction publique et des vagues de licenciements dans le privé, c'est bien parce qu'il y a stagnation si ce n'est baisse des salaires, que les caisses sociales se vident et ne peuvent plus assurer les protections sociales, de retraite comme de santé. Sans parler des dizaines de milliards d'euros que Sarkozy et son équipe, comme leurs prédécesseurs, ont puisées dans ces caisses pour en faire cadeau au patronat. Il découle donc de la situation la nécessité de mettre les luttes entamées, aujourd'hui par les cheminots, demain par d'autres, sous l'enseigne de la riposte de l'ensemble du monde du travail, pour un programme dont les grandes lignes pourraient être les suivantes :
- augmentation générale d'au moins 300 euros de tous les salaires, retraites et indemnités,
- pas touche aux retraites des régimes spéciaux, ni aux autres, et au contraire assurer « l'équité » par le retour aux 37,5 ans de cotisation pour tous,
- interdiction de tous les licenciements dans le privé, en particulier dans les entreprises et leurs filiales qui font des profits,
- interdiction de toutes les suppressions de postes dans la fonction publique et au contraire embauches massives dans les écoles, les hôpitaux, les transports, l'accueil de la petite enfance,
- contrôle des travailleurs sur tous les comptes et détournements de l'Etat en faveur du patronat, sur tous les comptes, les bénéfices et les fraudes des entreprises, et réquisition des super dividendes (actions ou autres stock-options) au bénéfice des classes populaires.
La récente grève de quelques jours des hôtesses de l'air et stewards d'Air France, dont beaucoup de jeunes très déterminés, pour une augmentation de leurs salaires et une amélioration de leurs conditions de travail, montre à sa façon combien les travailleurs sont prêts à réagir si et quand on les appelle à le faire. Comme bien des travailleurs de petites entreprises du privé dont des colères de quelques jours contre les bas salaires ont éclaté ces derniers mois. À Air France, la tactique syndicale dure mais « particulariste » est d'autant plus regrettable que la lutte concernait la question on ne peut plus générale des salaires, qui plus est sur des plate-formes aéroportuaires de Roissy ou Orly où travaillent des dizaines de milliers de travailleurs qui ont les mêmes difficultés de fin de mois. La crainte d'une contagion était pourtant la plus grande menace qui pouvait être brandie contre Air France, surtout dans le climat social monté d'un cran avec la mobilisation des cheminots, des électriciens et gaziers et bientôt des fonctionnaires.
Il en va de même des conflits épars, qui ont éclaté contre les licenciements ou fermetures d'entreprise : chez EADS, qu'ont pillé ses responsables « initiés » de haute volée tandis que la firme licencie par milliers, chez Alcatel qui annonce à nouveau des milliers de licenciements, chez bien d'autres entreprises moins connues mais souvent aussi filiales de gros trusts mondiaux. Chez tous ceux-là en butte à la menace des licenciements, n'importe quel secteur entrant en lutte pourrait trouver non seulement des soutiens mais des alliés, encouragés à entrer en lutte à leur tour, parce qu'ils se sentiraient moins seuls. À condition bien sûr que les premiers à commencer le combat sachent montrer les liens de ce combat avec la lutte contre tous les autres volets de la politique de Sarkozy et du patronat.
C'est la situation qui exige, naturellement, une riposte d'ensemble. Ce que feront et jusqu'où iront les directions syndicales est encore imprévisible. L'élément nouveau de ces dernières semaines - celui qui les asticote et les pousse de l'avant à leur corps défendant - est la détermination à en découdre des cheminots et de quelques autres. Les militants révolutionnaires doivent consacrer toute leur énergie à ce que la volonté de se battre ne soit pas dévoyée dans les impasses « particularistes » ou catégorielles qui tentent sans doute bien des travailleurs mais sont surtout cultivées par des directions syndicales. Nous devons en particulier combattre cette idée fausse qu'en « noyant » ses revendications dans celles des autres, c'est-à-dire en se joignant à d'autres initiatives, on aurait moins de chances de gagner.
Il est probable que nous allions vers des journées d'action éparses, déjà annoncées pour certains secteurs, en même temps que des grèves « illimitées » dans le temps mais limitées à certaines catégories. Il faut que ceux qui commencent, d'une part placent leurs objectifs propres dans le cadre d'objectifs généraux à tous les travailleurs, d'autre part se tournent activement vers d'autres, les encouragent à les suivre. Le souvenir de la solidarité dans la lutte qui avait uni en 1995 cheminots, agents de la RATP, enseignants et autres travailleurs de la fonction publique, n'est pas si lointain. Cette fois, il faudra trouver aussi le contact, pour l'action commune, avec le privé. C'est le rôle des révolutionnaires de contribuer à ce que tout mouvement petit ou grand aille jusqu'au bout de ses possibilités, c'est-à-dire saisisse aussi la moindre occasion de rassembler autour de lui pour la riposte commune.
Mais c'est aussi le rôle des révolutionnaires de contribuer à l'organisation des travailleurs en lutte pour que ceux-ci se dotent de « structures » de décision propres, indépendantes des directions syndicales même si elles comptent évidemment dans leurs rangs les militants syndicaux, « assemblées générales » souveraines par secteurs et si possible « interservices », voire « interpro », comités de grève et coordinations à tous les niveaux. Et comme ceux-là naissent d'autant plus facilement qu'ils sont préparés dès aujourd'hui, partout où nous le pouvons il s'agit d'impulser comités de mobilisation ou « réseaux » regroupant les travailleurs conscients des tâches à accomplir et désireux d'y prendre part, indépendamment de leur appartenance ou non syndicale ou politique. Les directions syndicales n'avanceront que sous la pression de l'ensemble des grévistes. Et l'ensemble des grévistes ne réagiront correctement aux retournements de ces dernières et n'éviteront les pièges que s'ils sont organisés pour aller jusqu'au bout de leur détermination.
À plus long terme et si effectivement, ce que nous souhaitons, une riposte collective de toute la classe ouvrière enfle et s'organise contre Sarkozy et son gouvernement, et la classe capitaliste, l'irruption des travailleurs sera nécessaire à un tout autre niveau. Mais le contrôle nécessaire sur la marche des entreprises et leurs comptabilités, sur la provenance et le montant de leurs bénéfices et investissements, sur la destination et les conditions de ceux-ci, etc... ne pourra se faire, ou en tout cas s'installera d'autant mieux, que si au travers des luttes qui ont préparé la mobilisation générale, les travailleurs ont acquis l'expérience du contrôle de leur propre mouvement - c'est-à-dire se sont rodés à l'exercice de leur propre pouvoir.
Le 2 novembre 2007
(1)Ce texte étant de la fraction Etincelle, Lutte Ouvrière tient à se démarquer de cette formulation aussi stupide que machiste.