La progression de l’extrême droite en Guadeloupe et en Martinique

打印
juillet-août 2022

Pour la première fois, un candidat du Rassemblement national (RN), ex-Front national (FN), le parti de Marine Le Pen, est parvenu au deuxième tour des élections législatives de juin 2022 en Guadeloupe.

Il s’agit du dirigeant du RN en Guadeloupe, Rody Tolassy, candidat dans la troisième circonscription. Battu au deuxième tour, il réalise néanmoins un très bon score de 47,88 % des suffrages exprimés, avec 11 393 voix, un nombre en augmentation de 174 % par rapport au premier tour, contre son adversaire, Max Mathiasin, candidat de la majorité macroniste (Ensemble), député sortant et réélu avec 52,12 % des suffrages exprimés et 12 402 voix. Ailleurs, le RN a aussi beaucoup progressé : 6,92 % des suffrages exprimés au premier tour dans la première circonscription (où il ne se présentait pas en 2017), 12,09 % dans la deuxième circonscription, contre 2,05 % pour le FN en 2017.

En Martinique, la progression est bien moindre mais reste considérable. Le RN y a plus que doublé son nombre de voix de 2017, passant de 916 à 1 990 voix, avec des candidats dans les quatre circonscriptions en 2017 comme en 2022.

On est donc bien loin de l’époque où des manifestations hostiles à cette même extrême droite empêchaient son chef, Jean-Marie Le Pen, d’atterrir à l’aéroport de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France. Contrairement à la dernière manifestation contre Marine Le Pen qui eut lieu le 26 mars 2022 en Guadeloupe, ces manifestations étaient à l’époque approuvées par la population. En quelques décennies, cette extrême droite a gagné une certaine implantation au sein des masses populaires de Guadeloupe. Et cela, au point d’être très largement en tête au deuxième tour de l’élection présidentielle en Guadeloupe et en Martinique, ainsi que dans tout l’outre-mer français, hors océan Pacifique, et en particulier à La Réunion, à Mayotte et en Guyane.

Cette progression suit la même courbe ascendante du FN puis du RN dans l’Hexagone depuis plusieurs décennies. La progression, quoique régulière, fut pendant longtemps plus rampante, plus sourde dans l’outre-mer, jusqu’à une augmentation soudaine aux dernières élections européennes puis au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2022.

Un petit historique de l’extrême droite en Guadeloupe

Cette flambée électorale du Rassemblement national n’est pas la première apparition politique de l’extrême droite en Guadeloupe. Dans les années 1980, elle s’était manifestée, sans être liée officiellement à l’ancêtre du Rassemblement national, le Front national, contre l’immigration dominicaine et haïtienne. Elle était alors emmenée par un agitateur béké de droite à la solde du patronat local (les békés sont les possédants issus des vieilles familles esclavagistes blanches). Il s’agissait de Raymond Viviès, décédé en 2002. Au début des années 1980, il appelait carrément à des pogroms contre les immigrés suite à l’assassinat d’une lycéenne par un immigré de la Dominique.

Puis Raymond Viviès a été élu sur la liste d’Ibo Simon, un autre agitateur de droite, en 1998 aux élections régionales.

Ibo Simon, un Noir, issu d’un milieu populaire pauvre, a fait une courte carrière politique avec les idées de l’extrême droite, en s’en prenant particulièrement à l’immigration haïtienne. Avec 8 % des voix, sa liste obtint des élus au conseil municipal de Pointe-à-Pitre en 1995. En 1997, il obtint plus de 14 % des suffrages à l’élection législative. Toujours à la surprise générale, sa liste obtint deux fois 7 %, et deux sièges, aux élections régionales. Et en 2001, à l’élection municipale, il progressait de façon spectaculaire à Pointe-à-Pitre avec 22 % des voix et mettait en ballottage le maire de Pointe-à-Pitre, réélu depuis 1965, le docteur Henri Bangou. Chroniqueur à Canal 10, une chaîne de télévision populaire, il en profitait pour soigner quotidiennement sa popularité.

Ibo Simon créa un parti : Gwadloup doubout. Il en fit une machine de guerre contre l’immigration haïtienne. Il lança des appels à incendier les magasins détenus par des Haïtiens en Guadeloupe, ce que firent à plusieurs reprises ses groupes d’action. Il prônait la violence physique contre les immigrés haïtiens. Ces agissements ont choqué une partie de la population.

Peu de temps après ces méfaits, une énorme manifestation de rue, de plusieurs milliers de personnes, à l’appel d’associations, d’organisations politiques de gauche, d’extrême gauche et de syndicats, permit d’intimider Ibo Simon et ses partisans. Petit à petit, ce dernier mit fin à ses activités et il sombre un peu dans l’oubli aujourd’hui.

Cependant, le terreau social sur lequel a prospéré Ibo Simon, lui, n’a pas disparu. Il s’est même renforcé. C’est la pauvreté croissante, le chômage, les difficultés de toutes sortes qui engendrent au sein des couches populaires des réactions de rejet de l’immigré. Ce dernier devient le bouc émissaire de tous les maux sociaux. C’est le cas, du reste, dans pratiquement tous les pays du monde.

Les ravalements de façade du RN

Marine Le Pen aura réussi la dédiabolisation de son parti. Ce dernier n’apparaît plus comme ouvertement raciste. Elle a commencé son ravalement de façade en excluant du FN en 2015 son père, Jean-Marie Le Pen, lui qui n’était pas avare de propos ouvertement racistes. Le but était de se donner une image de parti plus respectable, de parti pouvant devenir présidentiel dans un contexte plus immédiat que ce qu’ambitionnait son père.

Aussi, la population ne croit plus à l’argument du racisme à opposer au RN, comme il y a vingt ou trente ans. Il y a peu d’exemples évidents pour le prouver aujourd’hui, même si les députés RN au Parlement européen ont refusé de voter la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Or c’était précisément, à l’époque, cet argument du racisme du FN qui motivait la colère de beaucoup de gens dans un pays à majorité noire, indienne et de couleur, où la population est, de par son histoire, particulièrement sensible au racisme.

Dans l’électorat du RN figure une partie du milieu colonial traditionnel blanc, petits et gros patrons, gendarmes, CRS, militaires blancs. Mais aujourd’hui, à côté de cette frange du milieu colonial, le peuple noir et indien est majoritaire dans l’électorat RN. Les candidats du RN ou FN, qui pendant longtemps étaient des Blancs, sont aujourd’hui des Noirs.

La responsabilité des grands partis officiels

À l’échelle de toute la France, comme à celle de la Guadeloupe et de la Martinique, depuis des années, face à l’aggravation de la situation des travailleurs et des couches populaires, les partis de gouvernement de gauche et de droite n’ont opposé aucune politique capable de redonner confiance aux masses populaires. Pire, ils ont parfois, par démagogie populiste, repris les arguments xénophobes de l’extrême droite contre l’immigration, pour flatter une partie de la population anti-immigrés.

En Guadeloupe, Félix Proto, l’un des dirigeants du Parti socialiste local, avait même fait liste commune avec Ibo Simon à l’élection municipale de Pointe-à-Pitre en mars 2001 !

Pendant que s’accroissait la pauvreté dans les couches populaires, ces partis ont sans cesse servi une soupe de plus en plus grasse au grand patronat. Du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de Hollande au « quoi qu’il en coûte » de Macron, des milliards d’argent public sont déversés dans les coffres-forts des grosses sociétés.

À l’élection présidentielle de 2022, cette politique a conduit une majorité d’électeurs à se tourner vers les opposants à Macron, en Guadeloupe comme en Martinique ainsi que dans l’île de La Réunion et en Guyane. Au premier tour de la présidentielle, c’est Mélenchon qui arriva largement en tête aux Antilles, avec 56,16 % des suffrages exprimés en Guadeloupe et 53,10 % en Martinique. Au deuxième tour, Mélenchon éliminé, l’électorat s’est alors tourné massivement vers le seul opposant à Macron en lice : Marine Le Pen, qui remporta 69,60 % des suffrages exprimés en Guadeloupe et 60,87 % en Martinique. Le nombre de voix de Marine Le Pen a été multiplié par 2,8 en Guadeloupe et par 2,4 en Martinique par rapport au deuxième tour de la présidentielle de 2017, où le nombre de voix Le Pen avait déjà plus que doublé par rapport au premier tour.

Ce succès à la présidentielle a donc incontestablement joué comme propulseur aux élections législatives, où les candidats du RN ont pu surfer sur la vague et augmenter leurs scores par rapport à 2017, au point que l’un d’entre eux est parvenu au deuxième tour en Guadeloupe.

Les raisons du vote RN en Guadeloupe et en Martinique

Un certain nombre d’électeurs ont sans doute voté par adhésion à certaines idées prônées par le RN, en ce qui concerne sa lutte anti-immigrés, reprochant au gouvernement son laxisme face à l'arrivée de réfugiés Haïtiens en Guadeloupe et en Martinique. Mais ils ne constituent pas la majorité des électeurs RN. La majorité nourrit surtout une grande colère contre Macron et son gouvernement.

C’est une colère contre la dégradation générale des conditions de vie : chômage, manque d’eau, services publics défaillants, obligation vaccinale sur une population largement hostile à la vaccination, et qui s’accompagne de la suspension de nombreux salariés de la santé, sans salaire depuis bientôt un an.

Notons que Marine Le Pen, à la présidentielle, et ses candidats, aux législatives, ont réclamé avec force la réintégration des travailleurs de la santé suspendus, s’attirant les votes de bon nombre d’entre eux ainsi que ceux de certains travailleurs et militants syndicaux opposés à l’obligation vaccinale.

Beaucoup parmi le petit peuple pauvre qui vote RN ont été aussi choqués par les propos de Macron disant qu’il a bien « envie d’emmerder les non-vaccinés ».

Pour la majorité des électeurs RN de Martinique et de Guadeloupe, c’est donc surtout cette colère contre Macron qui explique leur vote en faveur du RN. Il était perçu par une partie de la population comme le moyen d’exprimer leur colère dans les urnes. D’autant que, dans la troisième circonscription de Guadeloupe, le candidat devancé au premier tour par le candidat du RN, puis vainqueur au deuxième tour, Max Mathiasin, apparenté Modem à l’Assemblée nationale, est un allié et un soutien de Macron.

Que la colère d’une partie de la population se reporte en majorité, par défaut, sur l’extrême droite montre bien l’inexistence ou la faiblesse d’autres partis ou candidats pouvant capter cette colère. Et notamment l’inexistence d’un parti communiste révolutionnaire, notre groupe, présent dans les quatre circonscriptions de Guadeloupe et les quatre de Martinique, demeurant bien trop faible.

Lorsque des luttes ouvrières et populaires, offensives et larges, menées consciemment par les travailleurs, auront créé les conditions favorables à l’émergence d’un parti ouvrier révolutionnaire, alors les conditions seront réunies pour qu’il puisse capter la colère des masses. Faute de quoi, les illusions que se font les travailleurs et les classes populaires sur les politiciens de la bourgeoisie demeureront fortes, jusqu’à voter pour leurs pires ennemis.

Le Rassemblement national est un parti bourgeois populiste qui utilise les difficultés des travailleurs et des classes défavorisées pour accroître son audience. Mais il ne les appelle pas à se battre contre le grand patronat car au fond il soutient ce dernier. Ses dirigeants ne s’en prennent jamais aux grosses fortunes. Marine Le Pen, millionnaire, est même l’une d’entre elles.

C’est un parti truffé de racistes, de nostalgiques du nazisme, de suprématistes blancs. Il a des ramifications dans la police et dans l’armée. Si demain il parvenait au pouvoir, il tenterait de mettre au pas, y compris physiquement, la classe ouvrière qui se bat. Ce type de parti a déjà existé dans le monde dans les années 1920 et 1930. En Allemagne, le Parti national-socialiste est parvenu au pouvoir et dix ans plus tôt en Italie le parti de Mussolini. En France, il y eut les Croix-de-Feu, la Cagoule, l’Action française et bien d’autres.

Les travailleurs et les membres des classes populaires qui votent RN se tirent une balle dans le pied. Ils votent contre leurs propres intérêts et pour leurs pires ennemis.

La tâche des militants communistes révolutionnaires de notre courant est de combattre les idées d’extrême droite présentes au sein des masses opprimées en lui opposant une politique de lutte de classe révolutionnaire.

À cette fin, un travail patient d’explication s’impose, pour faire renaître la conscience de classe parmi les travailleurs et les pauvres. Mais rien ne remplacera les luttes de masse conscientes et offensives du mouvement ouvrier. C’est au cours de ces luttes que les travailleurs se feront une idée plus claire de leurs faux amis du RN, car ces derniers apparaîtront plus ouvertement alors comme des politiciens au service du grand patronat.

La progression du RN dans les urnes est un revers pour les travailleurs de Guadeloupe et de Martinique, comme dans l’Hexagone. Elle est l’expression d’un recul du mouvement ouvrier dans une période marquée par la crise et la décadence du monde capitaliste à l’échelle mondiale. Elle est donc propice à l’apparition de toutes sortes d’aventuriers de la politique. Ces partis et ces hommes qui mettent au ban de l’humanité une partie d’entre elle parce qu’immigrée ne peuvent représenter l’avenir, ni en Martinique, ni en Guadeloupe, ni ailleurs.

L’avenir est du côté de ceux qui les combattent au nom de l’ensemble des travailleurs et de leurs intérêts de classe : Martiniquais, Guadeloupéens, Haïtiens, Dominicains, Arabes, Africains, aux côtés de leurs frères exploités d’Europe, d’Asie et d’Amérique et de toute couleur de peau, membres d’une seule classe ouvrière.

Sur les deux îles de Guadeloupe et Martinique, c’est le combat que mènent les communistes révolutionnaires de Combat ouvrier.

22 juin 2022