Une vague "citoyenneté européenne" sans aucun contenu

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Avril 1999

Outre l'Union économique et monétaire, Maastricht faisait mine d'avancer sur la voie de l'intégration politique. C'est d'ailleurs dans ce traité de 1992, mais oui, que sont apparues les premières références, certes purement formelles, aux "droits de l'homme...".

Le traité a aussi créé une "citoyenneté européenne" : "Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un Etat membre". Cette citoyenneté se résume à peu de choses : la liberté de circulation et d'installation sur le territoire de l'Union, pas seulement pour les travailleurs en activité, mais aussi, rendez-vous compte, pour les étudiants et les retraités (et encore, sous des conditions de ressources et de logement, en général) ; le droit de pétitionner devant le Parlement de Strasbourg ; enfin, les ressortissants des pays communautaires ont le droit de voter et de figurer sur des listes de candidats dans leur pays d'accueil au sein de l'Union, moyennant certaines conditions de résidence, lors des élections européennes. Pour les élections municipales, c'est prévu aussi en principe, mais aucun texte, en tout cas pour ce qui concerne la France, n'est encore intervenu pour organiser concrètement les conditions d'exercice de ce droit pour les citoyens européens résidant en France.

Et ceux qui viennent, à l'origine, d'un autre pays que les Quinze, même s'ils résident en Europe depuis dix ou vingt ans, ou plus, ne sont pas concernés. La "citoyenneté européenne" est bien mesquine !

Ce qui n'empêche pas les polémiques entre "fédéralistes" et "souverainistes" de se déchaîner, lorsque des élections sont en vue, sur les nations et l'Europe, etc.

Ne pas attendre la satisfaction des revendications démocratiques des institutions de la bourgeoisie, pas plus au niveau de l'europe que dans chaque état

Cette année, une nouvelle demande a vu le jour, dans le but de réformer et d'améliorer les institutions européennes. De l'UDF au PS, on réclame une Constitution européenne. On voudrait donner un coup de peinture pseudo-démocratique à cet appareil supranational auto-proclamé, pour lui donner au moins une vague légitimation. Ainsi, dans un document électoral intitulé "Vers une nouvelle Europe", présenté par François Bayrou, l'UDF propose "l'élaboration d'une Constitution européenne, qui définira les droits et devoirs fondamentaux des citoyens européens", etc. Le Parti socialiste prépare une convention "Nation-Europe" pour la fin du mois de mars. Dans une contribution intitulée "Pour une République sociale européenne", la Gauche socialiste propose une "Constitution européenne", qui devrait donner au Parlement le pouvoir d'"investir après chaque élection et de censurer le gouvernement européen", de voter des lois et d'adopter "un vrai budget"... La direction du PS se montre évidemment moins audacieuse : tout en réclamant une réforme des institutions, elle se contenterait volontiers des textes fondamentaux existants pour fonder cette "Constitution européenne"...

Mais une "Constitution européenne" ne serait pas plus démocratique que n'importe quelle constitution bourgeoise de n'importe quel Etat de l'Europe.

De toute façon, pour les milieux capitalistes dirigeants, cela ne fait pas partie des choses sérieuses, qui sont les critères financiers, budgétaires, monétaires, le pacte de stabilité des prix, objectif de la Banque centrale européenne. Le reste, c'est l'affaire des politiciens. Si les agitations bruxelloises ou strasbourgeoises occupent le devant de la scène, elles servent surtout à amuser la galerie.

Comme font partie du décorum les exigences posées pour l'entrée de nouveaux membres dans l'Union, en matière de droits de l'homme et de fonctionnement parlementaire interne. Ce ne sont que des prétextes ! Car si c'était vraiment pour faire pression sur des régimes autoritaires et répressifs pour les contraindre à se démocratiser quelque peu, on pourrait le concevoir. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, ce n'est pas là-dessus que les conditions d'adhésion se fondent, dans la réalité. Quand les principaux Etats de l'Europe des Quinze parlent de n'admettre que les pays qui respectent les droits démocratiques, ce qu'ils ont en tête, c'est la possibilité de refuser aux petits Etats postulants les moyens de protéger leur économie et de leur imposer leurs diktats.

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ils s'en moquent éperdument ! Par exemple, les puissances européennes, après avoir encouragé ceux qui poussaient à l'éclatement de la Yougoslavie, ont parlé d'autonomie du Kosovo... mais se sont prononcées contre son indépendance, comme si c'était à Paris, à Bonn ou à Londres de déterminer quelle doit être la destinée de ce peuple. En fait, les grandes puissances démontrent tous les jours qu'elles n'ont rien à faire du droit des Kosovars, comme de ceux de tous les peuples de l'ex-Yougoslavie, ou des droits du peuple kurde... A quel titre, d'ailleurs, les dirigeants britanniques oppresseurs et massacreurs en Irlande, ou les dirigeants français complices de génocide au Rwanda et d'innombrables massacres à travers l'Afrique, pourraient-ils donner des leçons en la matière ?

L'Europe capitaliste se targue d'avoir instauré la libre circulation des hommes, des marchandises, des services et des capitaux. La libre circulation des hommes est censée avoir été l'objectif des accords de Schengen, de 1985. D'où la suppression des contrôles aux frontières intérieures. Mais celle-ci est assortie de la mise en place d'une surveillance renforcée aux frontières extérieures de "l'espace Schengen". Les frontières n'ont donc qu'été déplacées... et renforcées.

Ces accords sont entrés théoriquement en vigueur dix ans plus tard, en 1995, dans 7 pays, puis 8, puis 9 actuellement. Ils ont été intégrés dans le traité d'Amsterdam et leurs règles doivent s'appliquer dans toute l'Union, progressivement. Pendant une période de cinq ans encore, les décisions à ce sujet ne peuvent être prises qu'à l'unanimité. Chaque Etat entend rester maître de son appareil policier et de l'établissement de ses fichiers. Ce qui n'empêche pas la collaboration policière, comme on le voit encore entre les polices française et espagnole contre les nationalistes basques. Et ce qui n'a pas empêché les Quinze de se mettre d'accord sur une liste de pays dont les ressortissants doivent obtenir un visa pour pénétrer dans l'Union européenne, ou encore sur la règle selon laquelle lorsqu'un droit d'asile a été refusé à quelqu'un dans un pays, ce quelqu'un ne peut faire sa demande dans un autre pays de l'Union.

L'Europe capitaliste se bâtit comme une forteresse, cernée par des boat people, refoulés brutalement ou accueillis et renvoyés policièrement, sur l'Oder et la Neisse, dans l'Adriatique et le canal d'Otrante, dans la Méditerranée entre la Tunisie et l'ilôt italien de Lampedusa, ou bien encore dans le détroit de Gibraltar.

Et finalement l'image la plus concrète que renvoie cette Union européenne au plan supranational est celle des... "eurocharters" d'expulsés.