France - Contexte électoral et épreuve de force sur le CPE-CNE

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mars 2006

Bien que les élections soient dans quinze mois, elles dominent pratiquement l'actualité politique. Par la présidentielle, bien sûr, mais celle-ci conditionne les législatives, organisées dans la foulée, et la répartition des 577 places de députés, autant de fiefs dont dépendent bien d'autres places et sinécures.

Autant dire que l'horizon électoral de 2007 sera de plus en plus au centre des préoccupations tant des milieux politiques que des médias... à moins que des mouvements sociaux viennent perturber leur belle mécanique déjà en marche.

Pour le moment, les grandes manœuvres, les petites bagarres et les tractations se déroulent principalement à l'intérieur de chacun des deux camps qui s'opposeront en 2007. La droite est dominée par la rivalité Sarkozy - Villepin. Bayrou n'a guère de chance de se hisser au niveau du candidat que se donnera l'UMP, quel qu'il soit, mais, en revanche, l'habileté avec laquelle il jonglera sur le thème qu'il est différent de ses compères de la majorité sans l'être tout en l'étant, conditionne le nombre de places de députés que l'UDF espère décrocher.

À gauche, une demi-douzaine de candidats sont en concurrence pour obtenir l'investiture du Parti socialiste, sans qu'aucun d'entre eux ne s'impose pour le moment. Les Verts en sont au même stade, occupés, eux aussi, à départager les cinq candidats à la candidature, sans parler de celle de Bové qui, lui, ne semble pas avoir envie d'être le candidat des seuls Verts. Quant au Parti communiste, qui semblait partagé entre ceux qui voulaient que le parti présente un candidat à la présidentielle et ceux qui auraient préféré qu'il s'efface devant le candidat du Parti socialiste, sans parler de ceux qui auraient préféré un candidat unique sur la gauche du Parti socialiste, il s'oriente apparemment vers la présentation de sa propre candidate mais attend le mois de mars pour officialiser sa décision. À moins que ce ne soit dans l'attente d'un candidat socialiste désigné avec lequel il sera possible de passer un accord, pour un candidat unique de la gauche... et pour un bon partage des circonscriptions aux législatives qui suivront.

Mais si aucun des partis de l'ex-Gauche plurielle n'a encore terminé sa "campagne présidentielle" interne, ils ont su se retrouver tous ensemble, le 8février. Une première depuis l'échec cuisant de Jospin en 2002.

Pas grand-chose n'est sorti de cette réunion si ce n'est le fait de se retrouver. Mais c'était cela, paraît-il, l'essentiel. Même si les Verts ont commencé par minauder avant d'accepter d'y venir, même si le Parti communiste a tenu à souligner qu'il n'était pas question d'y discuter d'un programme commun de gouvernement, pour tous, c'était un premier pas pour reconstituer un nouvel avatar de "l'Union de la gauche" ou de la "Gauche plurielle". Ils savent tous qu'ils ont besoin les uns des autres, si ce n'est pour la présidentielle, du moins pour les législatives, et surtout qu'ils ont tous besoin du Parti socialiste dont le soutien est indispensable aux autres pour s'imposer dans un nombre significatif de circonscriptions. Dans ses vœux à la presse, fin janvier, Hollande a placé haut la barre des exigences du Parti socialiste, en posant à ses partenaires de l'ex-Gauche plurielle la question: préfèrent-ils avoir leurs propres candidats au premier tour, au risque qu'au second se reproduise ce qui s'est passé en 2002, ou acceptent-ils un candidat unique, désigné bien entendu par le Parti socialiste, en échange de la garantie d'avoir les vingt députés minimum nécessaires pour la constitution d'un groupe parlementaire ?

Même si ni le Parti communiste ni les Verts ne vont jusqu'à accepter de disparaître complètement à la présidentielle -encore que ni l'un ni les autres ne se sont engagés sur un choix définitif-, "l'alternative" que le Parti communiste se propose de construire pour "battre la droite et réussir à gauche", comme le proclame son nouveau slogan, ne pourra se réaliser qu'avec, c'est-à-dire derrière, le Parti socialiste. Le Parti communiste ayant abandonné depuis longtemps toute politique de lutte de classe, n'ayant nullement pour orientation d'imposer par la mobilisation de la classe ouvrière les objectifs indispensables aux travailleurs, il n'a rien d'autre à proposer comme but ultime de toute son activité politique que la conquête d'une majorité de gauche à l'Assemblée et un gouvernement issu de cette majorité. Mais l'arithmétique parlementaire a ses lois. Le scrutin majoritaire les accentue encore. La "construction d'une alternative", fût-elle précédée ou accompagnée de forums de discussions à la base et de palabres au sommet, ce ne sont que des mots pour masquer la logique politique impérieuse qui poussera, une fois de plus, le Parti communiste derrière le Parti socialiste. Et ce dernier, s'il parvient aux commandes, mènera la même politique que Mitterrand ou Jospin, en ne laissant au Parti communiste que le rôle de comparse.

Voilà la seule certitude, tout le reste n'est que marchandages.

La perspective des élections de 2007 ne marque cependant pas seulement les manœuvres proprement politiques. Elle est présente aussi, en filigrane, dans les mesures prises par le gouvernement comme dans les gestes politiques de l'opposition.

Avec sa loi sur l'immigration qui va rendre plus difficile la vie des travailleurs immigrés, Sarkozy reste positionné sur l'image qu'il essaie de se forger depuis plusieurs années et dont il pense qu'elle pourra séduire une partie de l'électorat d'extrême droite.

Villepin, lui, qui a un temps de retard sur Sarkozy dans la conquête de l'UMP et de son appareil, est engagé dans une course pour occuper le devant de la scène, en multipliant les gestes démagogiques tous azimuts, les uns visant la frange centriste de l'électorat de droite, les autres destinés à démontrer qu'en matière de "volontarisme" pour imposer des "réformes", c'est-à-dire des mesures contraires aux intérêts des classes populaires, il n'a rien à envier à son rival. Le Contrat nouvelles embauches, puis le Contrat première embauche eux-mêmes sont surtout des mesures électorales. Les deux types de contrats vont globalement dans le sens des souhaits du grand patronat d'assouplir ou de supprimer les quelques rares contraintes légales ou administratives du Code du travail qui protègent juridiquement les salariés. Mais le CNE en particulier, qui concerne les entreprises de moins de vingt salariés, est destiné aux fantassins du patronat, à cette bourgeoisie petite et moyenne qui constitue le socle de l'électorat de droite, sensible à tout geste qui conforte son droit d'embaucher et de licencier en paix, sans que l'État et la loi s'en mêlent.

La "loi sur l'égalité des chances", dont le texte sur le CPE est un amendement, contient d'autres mesures contre les travailleurs, en particulier les jeunes, comme l'apprentissage à 14 ans et le travail de nuit dès 15 ans. Autre saleté de la loi: le "contrat de responsabilité parentale" qui permet de suspendre le versement des allocations familiales aux parents d'enfants turbulents.

Le choix de l'article 49-3 pour la faire passer était parfaitement superflu puisque l'UMP est majoritaire à l'Assemblée. En outre, l'amendement concernant le CPE avait déjà été voté. Mais l'utilisation de l'article 49-3 était destinée à stopper la petite guérilla d'amendements lancée par la gauche et, dans la rivalité avec Sarkozy, à donner à Villepin l'image d'un homme de décision capable d'imposer ses choix.

À en juger par l'évolution des sondages, il n'est pas dit que, même sur le plan électoral, l'opération CPE soit rentable pour Villepin. Mais, là encore, cela ne concerne que la carrière politique du Premier ministre. Les conséquences seront d'une autre nature pour le gouvernement si, après tant de mesures anti-ouvrières, le CPE se révélait être la mesure de trop, celle qui cristallise tous les autres mécontentements.

Le CPE, comme la façon de l'imposer en utilisant l'article 49-3, a donné matière à des effets de manche dans le petit monde parlementaire.

Passons sur Bayrou qui a choisi le CPE pour se démarquer de la politique gouvernementale en affichant une "fibre sociale" alors que l'UDF fait partie de la majorité de droite et qu'au cours des trois ans passés, ce parti a voté des lois qui allaient à l'encontre des intérêts des classes populaires.

Mais, outre le Parti communiste qui, dès le début, a milité pour le retrait du CPE et du CNE, le Parti socialiste lui-même s'y est mis.

La réunion de l'ex-Gauche plurielle, le 8 février, a donné au Parti socialiste l'occasion de se poser en chef de file des partis qui s'opposent au CPE. Un moyen d'apparaître aux yeux de l'électorat de gauche comme un parti défendant les intérêts des salariés sur un point précis et ponctuel. C'est une des rares mesures du gouvernement à propos de laquelle le Parti socialiste a affirmé, par la bouche de son premier secrétaire, François Hollande, que, s'il arrivait au pouvoir, il l'annulerait.

Bien sûr, en mettant en cause le CPE, le Parti socialiste se garde bien de mettre en cause la précarité. Parmi les dizaines et les dizaines de lois, de décisions, qui, au fil des ans, ont officialisé des contrats de travail précaires, il y en a autant, sinon plus, qui ont été inventées par le Parti socialiste lorsqu'il dirigeait le gouvernement.

En outre, s'il refuse le CPE, le Parti socialiste propose à la place un "contrat de sécurité formation" qui assurerait aux entreprises qui accepteraient d'embaucher en CDI un jeune sans qualification, la prise en charge intégrale par l'État des frais de formation. Un "emploi aidé" de plus donc, ajouté aux 2500 autres recensés dans un rapport tout frais du Conseil d'orientation pour l'emploi. Des "emplois aidés" qui rapportent à l'employeur mais qui coûtent cher au budget de l'État et à la Sécurité sociale qui les financent. Le montant total de ce que coûtent ces emplois aidés, aidés pour les patrons, dont l'efficacité pour lutter contre le chômage est nulle, est estimé à une somme colossale comprise ente 30 et 60 milliards d'euros !

En guise d'action, le Parti socialiste en reste à la distribution d'un tract unitaire, accompagné d'une pétition qui demande le retrait du seul CPE. La pétition affirme que "portée par des centaines de milliers de citoyen(ne)s, elle obligera le Parlement à en débattre à nouveau". Le Parlement à majorité de droite serait sans doute touché par la grâce et, sous le poids du papier, abrogerait le CPE.

Pour dérisoire que soit l'engagement du Parti socialiste sur le "terrain social" et fort de ses arrière-pensées électorales, ses prises de position pèsent dans le climat. Pas le petit cirque parlementaire de la motion de censure ! Mais les prises de position du Parti socialiste, via les médias ou les tracts ou encore celles des organisations de la jeunesse scolarisée qu'il influence, font, dans une certaine mesure, contrepoids à la débauche de propagande orchestrée par le gouvernement pour expliquer les charmes du CPE. Tant mieux si cela contribue à faire comprendre largement en quoi cette loi ne changera rien au chômage mais représente une étape de plus dans la démolition de toute la législation un tant soit peu favorable aux travailleurs. Tout cela contribue cependant à donner aux salariés et aux jeunes le sentiment qu'exiger le retrait du CPE est légitime.

Sa participation présente à l'agitation contre le CPE n'engage pas nécessairement le Parti socialiste au cas où 2007 se traduirait par un changement de majorité. En 1997, alors dans l'opposition, Jospin s'était donné la peine d'aller à Bruxelles pour participer à une manifestation syndicale unitaire contre la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde. On sait ce qu'il advint, une fois Jospin devenu chef de gouvernement.

L'engagement de l'ensemble des formations de la gauche gouvernementale a été relayé par les prises de position des confédérations syndicales. Elles ont été concrétisées d'abord par les manifestations du 7 février appelées par la plupart des confédérations syndicales et par les organisations d'étudiants et de lycéens. Ces manifestations ont mobilisé entre 200000 et 300000 personnes au total dans différentes villes du pays. La jeunesse scolarisée y était largement représentée. Mais, parmi les travailleurs, ce sont essentiellement les militants syndicaux qui se sont déplacés.

Toutes les confédérations, même la Confédération générale des cadres, absente le 7 février, appellent à une journée nationale d'action pour le 7 mars. Oh, avec beaucoup de prudence ! FO a pris position pour que cet appel contienne également un appel à la grève, les autres confédérations restent pour le moment dans le vague bien que certaines fédérations CGT semblent s'orienter également vers l'appel à la grève, sans parler d'appels à débrayer dans des entreprises pour permettre de participer aux manifestations.

Il ne sert à rien de spéculer sur ce que pourra être l'ampleur de la participation à ces manifestations. Tous ceux qui militent dans le camp des travailleurs doivent évidemment tout faire pour qu'elles réussissent. Les confédérations syndicales n'ont, comme d'habitude, prévu aucune suite annoncée à l'avance. Mais une participation très importante est le meilleur moyen de les obliger à l'envisager.

Tout succès, même sur un point limité, même partiel, est important pour redonner aux travailleurs confiance en leur force.

Pour le moment, c'est la jeunesse scolarisée qui semble le plus mobilisée malgré une période où, du fait des congés scolaires étalés sur plusieurs semaines, les étudiants comme les lycéens ne sont pas dans la meilleure situation pour entrer en lutte. Dans les manifestations du 7 février, cette jeunesse scolarisée a représenté une partie importante des manifestants, entre un tiers et la moitié et, dans certaines grandes villes comme Lyon, Lille ou Rennes, la majorité. Par ailleurs, étudiants et lycéens ont continué à manifester dans un grand nombre de villes, se relayant en fonction des congés scolaires, avec des moments forts comme celui du 23 février, au moment où s'ouvrait au Sénat le débat sur la "loi sur l'égalité des chances". Bien que la plupart des académies fussent en vacances à cette date, plusieurs manifestations ont eu lieu à Paris, Toulouse et Rennes notamment. D'autres journées d'action, proposée par l'UNEF et par des assemblées universitaires, devraient avoir lieu, le 28 février en particulier. Le but affiché est de maintenir la mobilisation de la jeunesse scolarisée jusqu'à la date du 7 mars où elle pourra confluer avec les manifestations syndicales.

Quel sera l'effet de cette mobilisation des jeunes sur la classe ouvrière ?

Il est arrivé dans le passé -mai 68 en est le meilleur exemple- que l'agitation de la jeunesse scolarisée se révèle un facteur déclenchant pour la lutte de la classe ouvrière. Mais aucun automatisme n'existe dans ce domaine.

La classe ouvrière n'est pas dans la même situation qu'en mai 68. Et, si elle a plus de raisons encore qu'à l'époque de se défendre tant les attaques contre ses conditions d'existence sont continues, le poids du chômage est bien plus lourd aujourd'hui.

Mais, encore une fois, il ne s'agit pas de deviner l'avenir, il faut agir pour que, dans l'épreuve de force engagée par le gouvernement sur le CPE et le CNE, celui-ci soit contraint de reculer, comme l'ont été, en d'autres circonstances, Balladur en 1994 et Juppé en 1995.

Les révolutionnaires et leur agitation politique ne pèseront guère dans le changement de l'état d'esprit de la grande masse des travailleurs. Ces changements dans le sens d'un regain de combativité échappent dans une large mesure même à des organisations numériquement bien plus importantes et bien plus présentes partout dans les classes populaires.

Mais le succès dans une épreuve de force, fût-ce sur le point limité des CPE-CNE -et que les partis de la gauche réformiste comme les confédérations syndicales s'efforcent de délimiter du problème plus général de la précarité et de ses multiples autres formes- contribuerait plus à redonner le moral aux travailleurs que tous les discours. Ce ne serait pas encore automatiquement l'amorce de la contre-offensive indispensable des travailleurs, mais cela montrerait que les travailleurs, en faisant usage de leurs armes de classe, ont la capacité de faire reculer un gouvernement particulièrement réactionnaire.

24 février 2006