Contribution au chapitre VII - Notre campagne (suite)

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Décembre 2006-janvier 2007

10 novembre 2006

Texte adopté par 98 % des délégués présents au congrès.

Retour vers le futur et une année qui sera sûrement électorale avec, peut-être, si le ciel le permet, souhaitons-le, des gerbes d'étincelles aux bons moments, aux bons endroits, pleins d'herbes sèches, voire d'explosifs.

Le texte mis en discussion par nos camarades de la fraction contient des critiques, implicites ou explicites, des dires, des écrits et des textes de la majorité. C'est, bien sûr, absolument leur droit de contribuer ainsi à une discussion que nous souhaitons tous.

Mais nous avons donc aussi le droit de soumettre un texte qui est un commentaire du leur. D'autant qu'ils ont eu l'avantage de publier leur texte après avoir eu un de nos écrits et avoir assisté au meeting de rentrée d'Arlette Laguiller.

Apparemment ces camarades pensent, comme d'autres peut-être, que nous préparons déjà le deuxième tour de la présidentielle alors que nous n'avons pas encore décidé ce que nous ferons au premier. Alors, non seulement ils se trompent, mais ils font sûrement état aussi de leurs propres préoccupations.

Ce texte nous suggère que, lors de notre campagne, nous ne devrons pas oublier la dénonciation du patronat, de l'exploitation etc., et cela sans concessions envers la droite et sans nulle concession non plus envers la gauche. C'est ce que nous faisons, nous disons, nous répétons et écrivons à longueur de temps. Ce texte nous conseille de faire ce que nous faisons déjà, et c'est donc avec satisfaction que nous constatons que ces camarades nous suivent sur notre terrain.

Il y est écrit que la plupart des travailleurs n'ont guère d'illusions sur la gauche. La plupart des travailleurs, nous ne savons pas, mais un grand nombre d'entre eux, surtout parmi ceux qui ont jusqu'ici voté à gauche, s'en font, comme ils s'en sont fait dans le passé. Ce n'est pas qu'ils en espèrent la lune, mais ils en espèrent du «moins pire», ce qui dans leur esprit comme en bon français, ne peut signifier que «du mieux».

Par contre, nous répéterons que l'essentiel de nos coups doit viser la droite, seule porte-parole du patronat actuellement au gouvernement et qui, à plat ventre devant le patronat et le Medef, s'empresse de légiférer sur ce qu'ils lui demandent et va même au devant. Mais en quoi dire cela signifierait que nous ne voulons critiquer ni la politique du PS ni celle du PC ou, plus précisément, leur politique commune ? Par contre, devrons-nous dire aux travailleurs et à l'électorat de gauche, que cela n'a aucune importance si, en la personne de Sarkozy, la droite est réélue ? Ce serait, à notre humble avis, un gauchisme imbécile autant qu'irresponsable.

Mais, en passant, puisqu'il faut être sans concession, pourquoi être tant troublés par le slogan que nous prévoyons pour les affiches «commerciales» ? Critiquer impitoyablement la gauche serait nécessaire mais la chatouiller serait donc impardonnable ! A moins qu'il faille critiquer le PS mais pas le PC. Et en quoi la LCR pourrait-elle se sentir concernée, elle qui se gausse des entrées en matière des meetings d'Arlette Laguiller ?

Ce texte comporte des expressions impossibles à ne pas relever comme : «On ne battra pas la droite, et encore moins sa politique, dans les urnes». Il n'est pas simple de répondre à qui veut faire, d'une phrase, deux coups. Car mélanger deux idées, deux objectifs dans la même phrase, n'est pas la meilleure façon de faciliter la discussion.

Mais ce n'est pas l'essentiel. Où et quand avons-nous dit que la gauche débarrasserait la société d'une politique anti-ouvrière et anti-populaire, c'est-à-dire en substance, du capitalisme ?

D'abord «battre la droite dans les urnes», c'est pourtant possible, on l'a vérifié à plusieurs reprises. Battre sa politique dans les urnes, ce serait peut-être possible, en votant massivement Arlette Laguiller ou, à la rigueur, Olivier Besancenot.

Quant à la chasser réellement au sens abusif de se débarrasser d'une politique anti-ouvrière et anti-populaire, ce que voudraient et comprendraient, paraît-il, les électeurs qui sont sensibles à cette formule ou l'emploient, cela nous étonne dans ce texte. En effet, deux chapitres plus haut, on y affirme que la plupart des travailleurs n'ont aucune illusion sur la gauche, n'ont pas grand espoir dans ce qu'elle pourrait leur apporter, manifestent peu d'intérêt pour les primaires socialistes. Ce qui, en passant, est un argument peu convaincant car personne ne s'y intéresse.

Et qui croit donc cela et qui le dit parmi nous ? A l'heure actuelle, les banques font de la publicité pour des prêts à faible taux d'intérêt. Nos camarades font mieux, car ils nous prêtent des idées absolument gratuitement.

Si l'on veut raisonner sérieusement, il faut être capable de discerner les fondements de la société, mais il faut être capable aussi de ressentir les sentiments des masses ou des classes populaires.

Qui, aujourd'hui, dans les classes populaires françaises, dans la gauche et même parmi nous ne ressent pas une once de satisfaction devant la gifle reçue par Bush aux élections du Congrès et du Sénat ?

Qui n'a pas été heureux de la gifle reçue par Chirac, voire par le PS, lors du «non» au référendum sur la constitution européenne ? Bien sûr les partisans du «non», sauf nous, ont présenté cette réponse comme un «non» aux méfaits de l'Europe et ceux qui les ont crus sont aujourd'hui déçus. Mais quand même, au-delà de la déconvenue de Chirac, nous préférons que ce carcan législatif pour les dix pays récemment intégrés- à l'exception de la Pologne- ait été rompu même si ces pays restent économiquement dominés.

Prenons encore le CPE. On pourrait lui appliquer le même raisonnement que celui de nos camarades sur le plan électoral. Le gouvernement a connu un revers notable, mais est-ce que cela changera réellement la situation des jeunes sur le marché du travail ? Bien sûr que non, car le dernier mot sur leur emploi revient encore à la bourgeoisie et au patronat.

On pourrait énumérer toutes les victoires, réelles ou supposées, dont se targuent bien des gens, parfois en les considérant comme des révolutions, voire des «insurrections» et qui ne sont, dans cette société tant qu'on ne l'aura pas changée, que momentanées, incomplètes, voire totalement illusoires.

Mais parfois elles sont quand même des victoires morales ou des satisfactions sentimentales. Il n'est que voir nombre d'articles de la LO sur des petits mouvements dans les entreprises dont la conclusion est souvent «les grévistes n'ont pas obtenu satisfaction (ou pas entièrement satisfaction) mais ils sont contents de s'être défendus» !

Cela compte aussi !

Et même si nous ne savons pas quel sera l'état d'esprit des classes populaires au mois d'avril prochain, nous ne pouvons pas rejeter l'hypothèse qu'elles seraient désespérées si Sarkozy était élu. Si c'est la gauche qui l'est, les désillusions seront pour plus tard, même si elles sont sévères et pas sans conséquence.

Pour démontrer qu'on ne peut pas «battre la droite dans les urnes», ce texte nous offre un calcul arithmétique sur les alternances droite-gauche, leur cohabitation et les élections présidentielles modifiées par les législatives en voulant montrer que ce sera toujours ainsi.

Mais l'arithmétique à elle seule, ne remplace ni le raisonnement, ni l'histoire. La vérité est que, depuis longtemps, chaque fois qu'une élection législative a suivi de près une élection présidentielle, la Chambre des députés a été de la couleur du président. Cependant, le problème était que le président était élu pour sept ans et la Chambre des députés pour cinq, il pouvait, à un moment ou à un autre de son mandat, se trouver face à une Chambre hostile, obligé, comme Bush aujourd'hui, de cohabiter. Mais, au moins, lorsque cela se passait au lendemain de son accession à la présidence, il avait une arme constitutionnelle de taille entre les mains.

C'est ainsi que Mitterrand, en 1981, à sa première élection, se trouva face à une chambre de droite encore en place (pour deux ans). Qu'à cela ne tienne, il a dissout l'Assemblée et les législatives qui suivirent donnèrent une majorité non seulement à la gauche, mais à un Parti socialiste hégémonique. La droite fut donc écartée du pouvoir, «chassée» pour cinq ans.

Mais au terme de ces cinq ans, les gouvernements socialistes s'étant un peu déconsidérés, les législatives normales amenèrent une nouvelle Chambre de droite, ce qui entraîna une cohabitation pendant deux ans.

En 1988, la droite, déconsidérée en deux ans, ne put empêcher la réélection de Mitterrand qui réutilisa, à nouveau, l'arme de la dissolution qui lui donna une majorité moins homogène qu'en 1981, mais de gauche quand même. Il fut de nouveau tranquille pour cinq ans, jusqu'aux législatives de 1993 où la droite réoccupa la majorité des bancs, imposant encore une cohabitation. En effet la Constitution, autant que la situation politique, ne permettait pas une nouvelle dissolution.

En 1995, Chirac fut élu et il avait alors encore, pour trois ans, une Chambre, élue en 1993, à sa botte. Mais la droite se déconsidérait vite.

Alors par un calcul qu'on ne peut qualifier de génial, Chirac a dissout l'Assemblée en 1997, un an avant son terme, peut-être en espérant que le discrédit ne serait pas encore suffisant pour que la majorité lui échappe. Mauvais calcul, la gauche fut majoritaire !

Sept ans après sa première élection, vint l'année 2002 où Chirac fut brillamment réélu grâce à la gauche. La Chambre de 1997 avait alors cinq ans et les élections législatives eurent lieu, sans besoin de dissolution, immédiatement après la présidentielle et donnèrent, comme jusque-là, une majorité de la même couleur que le président.

Avant la présidentielle, les stratèges politiques, de droite et de gauche, avaient décidé de raccourcir le mandat présidentiel de sept ans à cinq ans, afin de faire systématiquement coïncider les élections présidentielle et législatives sans qu'il soit nécessaire de recourir à la dissolution. Sauf accident, car le président conserverait, en cas de besoin, l'arme à un coup de la dissolution. Il faudra donc attendre au moins les législatives de 2007 pour voir si les stratèges auront eu raison et si la Chambre sera automatiquement à l'image de l'Elysée.

L'arithmétique se limitant aux soustractions et additions peut donc à peine décrire superficiellement le passé, mais ne permet pas du tout de reporter sur l'avenir exactement les mêmes schémas.

Ce que nous disons par ailleurs, c'est que, dans la campagne à venir, -ce qui ne signifie pas nécessairement dans notre profession de foi, nos tracts ou nos affiches- nous devrons affirmer et maintenir une distinction politique et sociale avec tous les partis et courants qui ne se situent pas sur le terrain de la lutte de classe. Cela signifie aussi nous distinguer de ceux qui entretiennent des illusions sur différents mouvements ou objectifs vagues, comme l'altermondialisme, l'écologie, et quelques autres vocables dont nous parlons souvent. Nous ne ferons pas, répétons-le, des affiches ou des tracts pour cela, mais nous devons dire, si cela vient dans nos discussions individuelles, ce qui nous sépare de ces milieux et pourquoi nous ne devons ni ne voulons être avec eux, même si, par solidarité, nous soutenons certains de leurs combats.

Nous avons le plus souvent considéré que dans les élections importantes nous devons avoir, dans la mesure de nos moyens et des possibilités offertes par la situation, une apparition indépendante. Mais l'exception, s'il y a, ne doit pas être la règle. Si, par exemple, nous faisions une alliance avec la LCR dans cette élection présidentielle, où si nous en avions fait une dans la précédente, nous devrions faire et nous aurions dû faire un compromis, ce qui signifie renoncer à une partie de notre programme pour adopter en partie celui de la LCR et accepter qu'elle nous tende sa main gauche en même temps qu'elle tendait ou tendrait sa main droite aux divers courants qu'elle aime tant.

D'ailleurs, en 2002, sur le plan des résultats, nous avons fait le bon choix lorsque nous avons refusé une campagne commune autour de la candidature d'Arlette Laguiller. Il a mieux valu, en effet, que nous nous présentions séparément car nos scores totalisés ont atteint presque 10%, ce qui n'aurait sûrement pas été le cas avec une candidature commune. Et, dans l'élection qui se profile à l'horizon, ce sera exactement le même problème.

C'est pourquoi Arlette Laguiller a écrit à Olivier Besancenot qu'elle était satisfaite que la LCR ait décidé de le présenter et que nous souhaitions vivement qu'il puisse le faire. Mais c'est pourquoi elle a précisé aussi qu'il n'était pas question d'une candidature commune où nous devrions mêler nos affirmations, nos axes, nos propositions, ou essayer de trouver une ligne intermédiaire et sinueuse entre tout cela.

Il est évident qu'une grande partie de l'électorat de gauche affirme, depuis cet été et encore actuellement, ses préférences pour la gauche, que ce soit le PS ou le PC, ou encore la gauche unie. Nous verrons le jour du scrutin si cela se confirme. Ce serait, paraît-il, sans grand espoir de la part de ces électeurs. Peut-être ! Mais «sans grand espoir» signifie «espoir» quand même.

On peut agir avec des illusions ou agir sans ! La question ce n'est donc pas tant l'importance des illusions que, quand le moment sera venu, quel choix feront finalement les électeurs avec ou sans illusion. Voteront-ils à reculons ou les yeux dans les yeux des candidats, la question n'est pas là, mais est : pour qui voteront-ils, même et surtout si c'est uniquement affectivement et, en fait, pour la plupart avec des illusions ? Dans les mois et les semaines qui précèdent la campagne, c'est-à-dire aujourd'hui, pour qui ont-ils envie de voter ?

Que l'électorat de gauche emploie des expressions comme «battre la droite» ou «chasser la droite» et que nous les citions, sans vouloir engager une campagne publique de réfutation, ne veut pas dire que nous les reprenions à notre compte. Faire semblant de croire que nous le faisons, est puéril. Cependant, nous ne dirons pas que la gauche et la droite sont des «clones» ainsi que l'écrivent nos camarades, c'est-à-dire qu'elles seraient absolument identiques, car elles ne le sont ni dans la tête des électeurs ni dans celle de la bourgeoisie grande ou petite, ni tout à fait en réalité. Ces partis politiques sont des boutiquiers qui ont le même patron mais pas la même clientèle. Cela fait qu'ils se ressemblent autant mais pas plus qu'un restaurant trois étoiles et un bar-tabac qui auraient le même propriétaire. Nous en avons plus à dire actuellement contre la droite que sur la gauche. Ce qui ne veut pas dire que nous ne critiquerons pas et la gauche, et la droite, dans notre campagne, tout en dénonçant leur politique présente. Cela, tout en dénonçant la mainmise totale du patronat sur la société et, surtout, en expliquant en long et en large que les femmes et les hommes politiques qui tiennent le devant de la scène ne sont que des acteurs ou même des marionnettes qui cachent le grand patronat qui tire les ficelles, soit dans la coulisse soit, plus ouvertement, au fond de la scène, selon les périodes.

Par ailleurs, même si nos écrits et nos dires, d'aujourd'hui et depuis déjà plusieurs mois, ne reprennent pas la formule de «plan d'urgence» c'est parce que beaucoup d'autres l'emploient, ainsi qu'une partie, le plus souvent déformée, de son contenu.

En revanche, nous nous attachons, depuis des mois, à populariser la nécessité d'un contrôle sur ceux qui dominent l'économie, c'est-à-dire, de fait, toute la société. Pour cela nous insistons aussi souvent que possible sur le fait que la population, les travailleurs doivent contrôler les comptabilités des entreprises et, en particulier, des grandes. Et pas seulement leur comptabilité, mais leurs projets à court et à long termes et pour cela, que la population doit mettre son nez, c'est-à-dire ses yeux et ses oreilles, dans les conseils d'administration.

On ne voit pas ce qui pourrait faire penser que nous aurions l'arrière-pensée de cesser de le faire, sous cette forme ou une autre, lors de notre campagne.

Que les travailleurs ne feront pas l'économie de la lutte, il n'est pas nécessaire de nous en convaincre et nous l'avons dit et redit bien des fois depuis des mois.

Mais c'est justement pour être en situation de leur donner des raisons de voter pour Arlette Laguiller que nous ne leur disons pas actuellement, et sans doute pas dans la campagne, que la gauche est l'égale, la copie conforme de la droite. Un vote pour l'extrême gauche peut être une menace pour la gauche plus que pour la droite, tout comme le vote pour Le Pen l'a été plus pour la droite que pour la gauche. C'est une question de concurrence.

Nous ne disons plus, et nous ne le dirons sans doute pas lors de notre campagne, que ce vote serait un «avertissement», car c'est un terme que nous avons beaucoup utilisé et qui, de plus, a été galvaudé par d'autres.

La bourgeoisie qui, elle, a une véritable conscience de classe, surtout la grande, préfère tous comptes faits la droite à la gauche, lorsque la classe ouvrière ne se bat pas et qu'elle ne l'inquiète pas au point d'avoir besoin de la gauche. Nous, nous savons que la gauche au pouvoir ne fera pas faire aux travailleurs l'économie des luttes, nous le disons constamment et le dirons aussi d'une façon ou d'une autre dans la campagne. Ceux de nos camarades qui croient discerner dans ce que nous disons actuellement un semblant de complaisance ou de compromis se croient capables de lire dans les pensées, voire dans les arrière-pensées. Mais même entre les lignes ils ne trouveront rien de semblable. C'est eux-mêmes qu'ils trompent en jouant aux psychanalystes qui sauraient fouiller les consciences et les subconscients.

Autre problème. Si nous n'en sommes pas au deuxième tour de la présidentielle, nous en sommes encore moins à préparer un plan de campagne pour les législatives qui la suivront.

Envisager une alliance aux législatives avec la LCR est plus que prématuré. Bien qu'elle ne soit pas à rejeter a priori, prévoir une telle alliance est impossible actuellement à concevoir et à imaginer. Il faudrait penser que la LCR ne rechercherait pas aux législatives, comme depuis des années et des années, des alliances avec tous les mouvements fantômes et les ombres fugaces qu'elle imagine influents en les baptisant mouvements «sociétaux».

C'est pourquoi nous ne mènerons pas notre campagne contre la LCR, mais nous tenons cependant, pour préserver l'avenir, à affirmer notre identité, celle de notre candidate face aux candidates et aux candidats du PCF, du Parti socialiste et de la LCR. Ils ne sont, ni les uns ni les autres, vraiment et entièrement dans le camp des travailleurs et nous tenons à le dire parce que c'est défendre un point de vue de classe. Ce n'est pas polémique ! Cela c'est la LCR qui nous le dit souvent. Quand elle nous critique, c'est une discussion fraternelle, quand nous répondons à ses critiques, c'est de la polémique !

Nous ne ménagerons pas nos critiques vis-à-vis de la gauche, mais nous devrons plus encore critiquer la droite. Nous ne mènerons pas campagne contre la LCR, mais nous ne cacherons pas ce qui nous en distingue.

Nous considérons la candidature d'Olivier Besancenot, tant qu'il ne réussit pas à s'associer avec les altermondialistes, les écologistes et autres, comme une contestation, pas toujours exprimée mais de fait, du PS et du PC. C'est pourquoi il serait justifié d'additionner nos scores, mais uniquement pour cela et nous ne dirons pas qu'il est indifférent de voter Besancenot ou Laguiller.

C'est pourquoi aussi nous pensons, disons et dirons peut-être que, si les travailleurs veulent chasser la droite en votant pour la gauche PS-PC, il faut qu'ils lui posent des conditions. Nous dirons sans doute ou peut-être, mais plus tard, qu'un des moyens de le faire serait de voter pour Arlette Laguiller qui, elle, représente réellement un point de vue de classe, c'est-à-dire avant tout le camp des travailleurs. Si les suffrages qu'elle recueille sont très importants, dans la situation actuelle, ce serait une preuve qu'une partie des électeurs veut chasser la droite sans faire confiance à la gauche. Une preuve et plus une supposition gratuite. Dire cela sous cette forme, n'est pas ambigu et ce n'est ni encourager des illusions, ni partager des préjugés qu'il est gratuit d'attribuer aux travailleurs.

Nous sommes évidemment convaincus, et cela depuis longtemps, -mais qui peut penser le contraire- qu'on ne peut pas compter sur les organisations syndicales réformistes pour préparer ou essayer d'impulser un mouvement d'ensemble des travailleurs, et encore moins compter pour cela sur la gauche politique. Et cela ni en période électorale ni en période post-électorale même si la droite l'emporte et surtout si la gauche est victorieuse. Les dirigeants syndicaux sont, comme tous les réformistes, pour la stabilité sociale et ils sont, comme le PS et le PC, dans le camp de la bourgeoisie, même s'ils sont, vis-à-vis d'elle, des avocats respectueux du monde du travail. Nous rappeler tout cela avec insistance est quelque peu à côté de la plaque, car cela revient à nous conseiller doctement ce que nous faisons depuis toujours.

C'est pourquoi nous ne comprenons pas comment nous pourrions, comme le texte le conseille, nous adresser, pour généraliser des mouvements sociaux, au fantôme de la gauche politique et syndicale.

Bien sûr, il y a aussi le conseil de tenter de nous adresser directement aux couches populaires (ce que nous faisons en permanence dans les entreprises) tout en proposant d'agir ensemble aux militants et organisations partageant les mêmes objectifs, avec en premier lieu la LCR. L'un des problèmes, et il est de taille, c'est que nous nous retrouvons rarement sur les mêmes terrains avec des militants de la LCR et, quand c'est le cas, nous ne partageons bien souvent ni les objectifs ni même les moyens d'action. Parler «d'alliés potentiels» à ce propos et à propos des autres tient du rêve éveillé. Ceux avec lesquels nous nous rencontrons le plus souvent sont des militants syndicalistes honnêtes, mais qu'on ne peut qualifier de «gauche syndicale» car ils sont le plus souvent réformistes et guère enclins à tenter de généraliser les luttes, sans compter qu'elles ne sont pas toujours généralisables. Evidemment cela peut changer, y compris brutalement, lors de conflits sociaux qui les radicaliseraient.

D'un autre côté, il semblerait que nos camarades valorisent excessivement certains aspects du mouvement de la jeunesse étudiante et lycéenne contre le CPE et, en particulier, des divers organes comme la coordination étudiante qui tentaient de le diriger.

Ce mouvement a gagné des sympathies d'une partie des salariés, mais d'une petite partie. Il ne faut pas avoir un point de vue trop partiel. Quant aux syndicats, ils ont été obligés de lui donner une suite, mais ô combien modeste et sans être pour quoi que ce soit dans le recul du gouvernement.

Les confédérations syndicales n'ont en rien été obligées de suivre. Elles ont considéré qu'il était de leur avantage démagogique de soutenir ce mouvement, sans risque pour elles. Il ne pouvait pas déboucher sur une contestation révolutionnaire ni sur un mouvement d'ensemble du monde du travail, donc c'est tout à fait le genre de chose qu'elles peuvent soutenir sans que la bourgeoisie leur en veuille en quoi que ce soit.

Il ne faut pas non plus se faire d'illusions ou en répandre sur le rôle, dans ce mouvement, des militants d'extrême gauche. Ils ont pris le mouvement spontané en marche et ils ont fait des pieds et des mains pour en être à la tête, pas toujours d'une façon aussi démocratique qu'ils le proclamaient. Mais ils n'en ont même pas été réellement à la tête. Ils ont occupé les tribunes comme Lamartine le balcon de l'Hôtel de Ville en février 1848, et, pour cela, manœuvré quelquefois comme des bureaucrates chevronnés, que ce soient les militants des syndicats étudiants ou ceux des organisations d'extrême gauche. Ils ont souvent occupé les tribunes en passant des accords, des compromis, des coalitions pour en écarter d'autres, de façon pas toujours honnête et justifiée, comme cela s'est vu de leur part ou de celle de leurs prédécesseurs, dans tous les mouvements étudiants, enseignants ou lycéens depuis 1968. Ils croyaient ainsi, pensaient-ils, prendre la direction du mouvement.

Les coordinations, les comités anti-CPE n'ont pas impulsé grand-chose ni dirigé grand-chose. Ils n'ont agi que lorsque le mouvement était déjà parti de certains endroits (en fait, d'un seul endroit) et déjà en train de se répandre. L'imagination aidant, on peut penser qu'à partir de cela, ils ont continué à propager le mouvement. Ce serait certes déjà très bien. Mais lorsqu'on examine leur rôle réel, on s'aperçoit qu'ils ont bien souvent emboîté le pas à ce que voulaient ceux qu'ils prétendaient diriger, même lorsqu'il s'agissait d'actions imbéciles. Bloquer des trains en gare, des péages d'autoroutes, voire d'autres actions aussi puériles, c'est certes plus facile et gratifiant à leurs yeux, puisque la presse en parle, que d'aller s'adresser aux travailleurs des entreprises voisines (ce qui s'est fait mais bien plus rarement). Les travailleurs en grève et les militants syndicaux font d'ailleurs souvent la même chose. En un mot, ces dirigeants, étudiants ou pas, ont bien souvent plus suivi que dirigé, ce qui s'appelle, en termes techniques, de la démagogie. Romain Rolland nous a décrit Jean-Christophe enfant voulant jouer au magicien. Devant des nuages que le vent poussait sur sa gauche, il criait : «Nuages, allez à droite !» en agitant une baguette, magique évidemment. Mais les nuages têtus, n'obéissaient pas et Jean-Christophe, beaucoup moins têtu, finit, toujours en agitant sa baguette, par s'écrier : «Nuages, allez à gauche !». Heureux de se voir enfin écouté par la nature, il se considéra alors comme un grand magicien (lire, un grand dirigeant). C'est un exemple, quoique sympathique, de suivisme démagogique même si c'est pour se plaire à soi-même plus que pour plaire aux autres.

Mais comment estimer qu'une question est susceptible de mobiliser les classes populaires ? Une fois qu'une lutte a démarré comme pour le CPE, c'est peut-être possible de chercher à l'étendre, mais quand rien ne bouge nulle part comme pour le CNE, où étaient les stratèges, les devins et les pythonisses ?

Et faudrait-il créer, avec nos «alliés potentiels», en permanence, des comités anti-quelque chose, voire des comités de lutte qui seraient alors des comités de vigilance ou de prévoyance ou encore des vigies pour foyers sous la cendre ?

Vouloir être en tête d'un mouvement dès le départ, toute l'histoire des révolutions ou des grèves importantes montre que ceux qui ont initié le mouvement, ou plus exactement qui en ont été à la tête au départ, n'ont pas toujours été, loin de là, ceux qui l'ont conduit au maximum de ses possibilités.

Il serait, certes, satisfaisant moralement que des révolutionnaires soient à l'origine d'une explosion sociale, bien que toute l'histoire passée nous montre que ce n'est ni fréquent ni indispensable. Mais il est très vrai aussi, on peut le lire dans le texte de nos camarades, que personne ne peut prévoir quand et où les conditions d'un mouvement seront réunies à nouveau. Et s'il est si important d'être à l'origine de la flammèche qui mettra le feu aux poudres, comme on ne peut rien prévoir ni sur les poudres, ni sur le lieu, ni sur l'heure, on ne peut qu'en conclure qu'il faudra être à la fois partout, tout le temps !

10 novembre 2006