Iran – États-Unis : la menace d’une guerre généralisée

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février 2020

Les tensions militaires croissantes au Proche-Orient ont transformé cette région en une gigantesque poudrière. Et en faisant assassiner un des plus hauts responsables militaires iraniens par un drone de l’armée américaine, le président des États-Unis Donald Trump a pris le risque d’enclencher une réaction en chaîne guerrière.

Le général Ghassem Solei­mani, qui a été visé par le missile américain, commandait depuis plus de vingt ans les troupes d’élite de la Force Al-Qods chargée des opérations militaires extérieures et de renseignement du régime iranien. Soleimani était lié au plus haut dirigeant politique et religieux d’Iran, le Guide de la révolution, Ali Khamenei.

Son assassinat a été considéré comme une énorme provocation et le pouvoir iranien a utilisé à plein la situation pour attiser le nationalisme et resserrer les rangs derrière lui en pointant du doigt l’ennemi américain. Mais sa réponse militaire s’est révélée, au bout du compte, très mesurée. L’Iran a lancé une vingtaine de missiles sur deux bases militaires irakiennes où se trouvent des soldats américains. Ces missiles n’ont fait aucune victime, notamment parce que le régime iranien avait pris soin de prévenir les autorités irakiennes juste avant.

Le régime iranien, de longue date dans le viseur des États-Unis

Depuis sa mise en place en 1979, le régime iranien est la bête noire des dirigeants des États-Unis. Car même si la dictature des mollahs s’est installée en étranglant l’élan révolutionnaire des masses iraniennes, elle a pris la place de celle du chah d’Iran qui était un des plus solides piliers de la domination des États-Unis dans la région, autant que l’est l’Arabie saoudite, si ce n’est plus.

Les dirigeants américains ont parfois cherché à abattre militairement ce régime. Ce fut le cas lorsqu’ils ont poussé le dictateur irakien Saddam Hussein à se lancer dans une guerre contre l’Iran, de 1980 à 1988, qui fut un véritable carnage pour les populations de ces deux pays. Parfois, les dirigeants américains se sont limités à des pressions économiques.

Lorsque Daech a instauré sa domination sur la Syrie et l’Irak, les États-Unis ont fait le choix de laisser jusqu’à un certain point les mains libres à l’Iran et à ses alliés militaires d’Irak, de Syrie et du Liban pour lutter contre l’organisation djihadiste. C’est à cette époque que fut signé l’accord sur le nucléaire iranien. Mais une fois Daech considérablement affaibli, les dirigeants américains ont cherché à empêcher l’Iran de profiter de ses victoires pour étendre son influence dans la région. Et les pressions économiques et politiques sont redevenues de plus en plus sévères. C’est avec l’élection de Trump que cela s’est enclenché. Mais l’hostilité au régime iranien est une constante de la politique des États-Unis depuis 1979, quel que soit le président en place.

Depuis deux ans, les sanctions économiques américaines, auxquelles les autres pays occidentaux se sont largement pliés, ont fait s’effondrer l’économie du pays. Ses exportations de pétrole, qui étaient sa première source de revenus, ont presque été divisées par cinq. Pour la population pauvre iranienne, les conséquences ont été dramatiques. Les prix moyens ont presque doublé. Et en novembre dernier, des émeutes survenues initialement contre des hausses des prix de l’essence ont touché plusieurs villes du pays. Elles ont été férocement réprimées. Il y eut plusieurs centaines de morts, peut-être plus de 1 500.

Dans ces conditions, après la provocation de Trump, le régime iranien n’a pas fait le choix d’une réponse militaire forte qui aurait impliqué le risque d’une fuite en avant vers un affrontement militaire avec les États-Unis et leurs alliés de la région, l’Arabie saoudite et Israël. Ni les États-Unis ni l’Iran n’auraient intérêt à une guerre, dont les conséquences seraient incalculables. Mais le rapport des forces est tel que les États-Unis ont pu se permettre cette provocation en obligeant le régime iranien à encaisser sans pouvoir réellement répondre.

Et puis, le régime iranien pouvait penser y trouver son compte. Après les explosions sociales contre la vie chère du mois de novembre dernier, l’assassinat de Soleimani était l’occasion d’exacerber le sentiment d’unité nationale. Et les funérailles organisées dans tout le pays en l’honneur du martyr ont attiré des foules considérables. Le geste de Trump était d’une certaine manière un cadeau à la dictature religieuse.

Mais un événement est venu compromettre ce calcul des dirigeants iraniens. La nuit même où ils lançaient des missiles contre les bases militaires irakiennes où se trouvaient des contingents américains, leur propre armée a abattu par erreur un avion de ligne qui transportait 175 passagers et membres d’équipage, en grande majorité des Iraniens et des binationaux canado-iraniens.

Après avoir nié pendant plusieurs jours, le régime a dû avouer sa responsabilité, ce qui a déclenché une vague d’indignation dans tout le pays. Des rassemblements antirégime dénonçant le pouvoir avec des slogans comme « Mort au tyran ! » ont eu lieu dans la capitale Téhéran et dans des villes de province. La presse s’est fait le relais de cette indignation, titrant à l’adresse du gouvernement : « Excusez-vous ! Démissionnez ! » Même un journal progouvernemental titrait : « Impardonnable ». Et, compte tenu de la situation de grave crise économique dans le pays, il est possible que cela relance la contestation sociale.

Les menaces de guerre et de krach financier

Mais l’assassinat de Soleimani commandité par Trump a eu des conséquences bien au-delà de l’Iran. Son annonce a fait chuter les places boursières mondiales et inquiété tous les chefs d’État des grandes puissances.

Sur le fond, parce que cette provocation pouvait avoir des conséquences incalculables. Toutes les puissances régionales sont sur le pied de guerre ou déjà carrément engagées dans des guerres locales. L’Iran a envoyé des troupes en Irak et en Syrie et a des liens étroits avec les milices du parti religieux chiite Hezbollah au Liban. La Russie a envoyé plusieurs milliers de soldats en Syrie. La Turquie a envahi le nord de la Syrie pour en chasser les milices kurdes et vient d’envoyer plus de mille soldats en Libye. L’Arabie saoudite mène sa guerre terriblement meurtrière au Yémen. Israël a récemment bombardé des sites militaires iraniens en Syrie. Et les États-Unis ont plus de trente mille hommes répartis dans plusieurs bases militaires du Golfe, dont plus de 5 000 en Irak. Le Proche-Orient est au bord d’une guerre généralisée.

Ces tensions se sont aussi répercutées dans le domaine économique. Dans cette région où est produite une part très importante du pétrole mondial, et où les bruits de bottes n’ont jamais cessé depuis plus d’un siècle, toute poussée de fièvre guerrière réveille « le spectre d’un choc pétrolier » comme l’a titré à sa une le quotidien économique Les Échos.

D’un côté, les capitalistes craignent pour les capacités de production de pétrole qui pourraient être détruites dans cette région, notamment là où des firmes américaines ont récemment investi, comme en Irak. Ils craignent également les conséquences éventuelles d’un blocage du détroit d’Ormuz, entre la péninsule arabique et l’Iran, détroit par lequel passe 20 % de la production mondiale de pétrole. De l’autre, ils se rassurent en disant que des pays du Golfe ou la Russie pourraient augmenter leur production de pétrole pour compenser.

Mais dans une situation économique mondiale hautement instable, où la spéculation a pris une ampleur gigantesque et où les capitaux peuvent se déplacer à la vitesse de la lumière, la moindre mauvaise nouvelle peut déstabiliser un secteur comme celui du pétrole et, par réaction en chaîne, faire plonger toute la finance mondiale. La crise économique est fondamentalement la cause des tensions politiques et militaires à l’échelle mondiale. Mais en retour, ces tensions peuvent aggraver la crise économique et faire s’effondrer les marchés financiers.

Une allumette comme celle que Trump a craquée pourrait déclencher un embrasement guerrier aussi bien qu’un krach financier. Mais ce n’est que l’amorce. La menace vient de l’état de décomposition et d’instabilité dans lequel se trouve le système capitaliste dans son ensemble.

15 janvier 2020