Les profits spéculatifs détournent les capitaux de la production

Εκτύπωση
14 mars 1997

Tout cela va donc dans le sens d'un gonflement des marchés financiers et d'une instabilité accrue !

Et puis, le plus grave, c'est que toute une partie du capital disponible des entreprises industrielles est aspirée par ces opérations financières plus lucratives que les investissements productifs à long terme. Les grandes entreprises se sont d'ailleurs équipées d'un département financier, voire d'une salle de marchés, à l'égal des banques.

INTEL, le fabricant de microprocesseurs, a réalisé depuis 1990 un profit de près d'un milliard de francs grâce à un produit financier créé par son département d'ingénierie financière.

Renault, par exemple, a gagné ces dernières années beaucoup plus d'argent dans ses spéculations financières que dans la construction de voitures. En 1995, Renault a perdu 1,7 milliards de francs avec sa branche automobile et gagné 3 milliards avec sa branche financière.

Il est bien sûr possible d'en perdre, l'actualité l'a montré. Mais, les pertes subies n'éloignent pas les grandes entreprises des marchés financiers. Entre 1982 et 1989, la part des capitaux disponibles des entreprises françaises consacrée aux acquisitions financières est passée de 3 à 35 % tandis que celle consacrée à l'investissement productif s'est réduite de 76 à 47 %.

Un marché monétaire international mais instable

Mais le marché monétaire international a beau être mondialisé, il n'en est pas plus rationnel pour autant. La valeur des monnaies les unes par rapport aux autres, subit des changements dont la brutalité n'a rien à voir avec l'économie réelle, même si les choses se rétablissent par la suite. Par exemple, en 1979, le dollar est descendu brutalement à 4 F ; en 1985 il est monté à 10 F ; alors qu'entre temps, comme aujourd'hui, sa valeur tournait autour de 5 F. Quel lien y a-t-il entre de telles fluctuations et les rapports économiques de l'époque, entre la France et les Etats-Unis ?

Et cette instabilité monétaire et financière peut avoir des conséquences tragiques pour la vie quotidienne de la population. Ainsi la crise du peso mexicain, en 1994-1995, a engendré la suppression de 700 000 emplois et la baisse des salaires d'un tiers en un an, accompagnées d'un renchérissement colossal du coût de la vie. De même la dévaluation de 50 % du franc CFA décidée par la France a eu des conséquences dramatiques pour la population pauvre des pays africains de la zone franc.

Les monnaies n'étant plus reliées à une marchandise commune comme l'étalon or, certains économistes, humoristes ou déboussolés, ont proposé comme étalon une marchandise existant sous la même forme dans presque tous les pays du monde : il s'agissait du "Big Mac". En comparant par exemple son prix aux Etats-Unis et son prix en France, ils ont conclu que le taux de change réel du dollar était de 6,80 F et que le dollar à 5,50 F est donc actuellement sous-évalué.

Mais voilà qu'aujourd'hui le Big Mac, ainsi promu référence internationale des biens de consommation, est secoué lui aussi par l'instabilité : Mac Donald vient en effet d'abaisser aux Etats-Unis son prix de 75 % pour faire concurrence à Burger King !

Le Big Mac ne vaut donc pas mieux comme instrument de mesure que comme nourriture !

La contradiction entre le caractère national des monnaies et l'internationalisation grandissante des déplacements de capitaux est plus aiguë que jamais. Elle est source de dangers graves pour l'économie mondiale. Le fait qu'une grande partie des profits fait gonfler la bulle inflationniste des placements financiers fait planer sur le monde la menace d'un krach généralisé qu'aucun pays ne pourra maîtriser individuellement. Sauf peut-être par un repliement catastrophique sur lui-même.

Concurrence étrangère, délocalisations : ne pas se tromper d'ennemi

Mais le problème n'est pas de réglementer la spéculation. Il est de combattre le système capitaliste lui-même.

Même chose avec la concurrence. Du Parti communiste à Le Pen, nombreux sont ceux qui dénoncent la concurrence étrangère, et en particulier asiatique, qui obligerait des entreprises à fermer leurs portes, ici en France, et aggraverait le chômage.

C'est là que l'utilisation des mots comme mondialisation et autres Maastricht n'est pas neutre. Il s'agit de rendre responsables d'autres peuples, d'autres travailleurs, des difficultés qui frappent la classe ouvrière et de faire croire aux travailleurs qu'ils auraient des intérêts communs avec leurs propres exploiteurs, pour résister à la concurrence étrangère.

Ce sont des arguments contraires aux réalités. D'abord, l'arrêt du commerce international paralyserait complètement la production.

De plus, la concurrence de produits provenant des pays asiatiques peut d'autant moins être tenue pour responsable du chômage que ces produits ne représentent en France que 10 % des importations totales. Et de surcroît, ces pays doivent en contrepartie acheter aux entreprises françaises des produits de consommation, des biens d'équipement, voire du matériel militaire.

Et même si on considère l'ensemble des importations françaises, elles sont inférieures aux exportations.

Au point que certains ont calculé en termes strictement arithmétiques que la différence entre les deux entraîne un solde positif de plus d'un million d'emplois. Mais c'est un calcul, comme bien d'autres, qui n'est pas forcément fondé.

Ce qui est nuisible, c'est la concurrence elle-même, le marché capitaliste lui-même qui, de toutes façons, se joue des frontières.

Les délocalisations sont-elles responsables du chômage ?

D'autres encore dénoncent comme une menace les délocalisations vers les pays dont les salaires sont bas. Mais les capitaux qui vont s'investir dans les pays à bas salaires sont en réalité très faibles. La moitié d'entre eux concernent des secteurs comme les mines et les services (tourisme, banques, assurances, hôtellerie) qui par nature ne sont pas des délocalisations d'entreprises venues d'ailleurs. Une autre partie de ces investissements est utilisée pour produire des marchandises destinées au marché local ou régional. Sans compter tous ceux qui sont placés à court terme dans un but purement spéculatif.

Les capitaux concernant de véritables délocalisations sont minimes et concernent les secteurs du textile, de l'électronique grand public ou des services comme le traitement informatique ou la saisie de données de comptabilité.

De tous les investissements directs de la France à l'étranger entre 1985 et 1992, seuls 3 % ont concerné des investissements manufacturiers dans les pays à bas salaires.

Le Japon a délocalisé une partie importante de sa production dans les pays asiatiques de sa zone, dans le but essentiel de contourner les restrictions que les autres pays, les Etats-Unis en particulier, mettaient à l'importation de produits "made in Japan".

Bas salaires et investissements

Toute une propagande mensongère insiste sur la concurrence des bas salaires dans les pays où le coût de la main-d'oeuvre est 30 à 35 fois moins élevé que dans les pays riches. Mais la productivité du travail compte tout autant que les coûts salariaux car si, dans le même laps de temps, un travailleur mieux payé fabrique, pour des raisons d'équipement ou de compétence, plus de richesses qu'un travailleur mal payé, l'avantage du bas salaire devient très relatif pour les capitalistes.

Sans compter les désavantages et les coûts supplémentaires qu'occasionnent le manque d'infrastructures, de routes sûres, de transports adaptés, la corruption du régime ou l'instabilité politique.

S'il était vrai que les bas salaires constituent une attraction irrésistible, il y a bien longtemps que les pays les plus pauvres seraient devenus les premiers pays industriels du monde et Haïti, à la porte des Etats-Unis, serait certainement une gigantesque base industrielle destinée à approvisionner le marché américain.

Les capitaux se concentrent dans les pays riches

Or, loin de se ruer sur les pays pauvres les capitaux ont tendance à s'en éloigner : la part totale des investissements directs à l'étranger détenue par des pays sous-développés était d'un tiers, soit 33 %, dans les années 60 ; d'un quart, soit 25 %, dans les années 80 ; et elle est maintenant d'un cinquième, soit 20 %.

Le fait que les investissements à l'étranger se tournent un peu plus ces dernières années vers certains pays sous-développés d'Asie ou d'Amérique latine peut d'autant moins inverser la tendance que ce sont pour une bonne partie des capitaux spéculatifs placés à court terme et qu'une autre partie de ces prétendus investissements consiste à transformer les créances détenues dans ces pays en actions des entreprises et des services publics que l'Etat privatise.

En fait, l'essentiel des exportations de capitaux des pays impérialistes se dirige vers d'autres pays impérialistes et le chômage vient de ce qu'en cette période de crise, les capitaux s'investissent très peu dans la production, que ce soit dans leur pays d'origine ou à l'étranger. Alors, le seul problème, c'est de ne plus laisser le grand capital diriger l'économie.