La division de l'Europe, résultat de l'histoire

Εκτύπωση
24 avril 1998

Les débats auxquels donne lieu l'instauration de la monnaie unique européenne ne sont que les derniers en date des conflits d'intérêts qui tantôt opposent les bourgeoisies des pays d'Europe, et tantôt leur donnent des intérêts communs face à celles des autres pays du monde et notamment des autres grands pays impérialistes, c'est-à-dire les Etats-Unis et le Japon. Ce n'est qu'une étape de l'histoire laborieuse de la construction européenne, cette entreprise jamais achevée par laquelle les bourgeois de France ou d'Allemagne, d'Italie ou de Grande-Bretagne, tentent désespérément de surmonter le handicap que constitue, face à leurs concurrents, la division du continent en Etats aujourd'hui trop petits.

Cette division est le résultat d'une histoire complexe et tourmentée, de tout un passé qui aujourd'hui pèse, sans pour autant que les bourgeois européens réussissent à s'en affranchir.

L'idée d'une unité européenne n'est pourtant pas récente. Elle est inscrite dans la géographie de ce continent aux dimensions somme toute réduites, et dans l'histoire de ses peuples qui les lie les uns aux autres de mille et une façons.

Cette unité a même à plusieurs reprises eu une certaine réalité. Ne parlons pas des formes qu'elle a prises dans l'Antiquité, avec l'Empire romain, et à certains moments du Moyen-Age, car il s'agissait d'une unité superficielle, purement politique. La révolution française de 1789, en faisant passer sur tout le continent un vent de liberté, éveilla dans tous ses peuples une aspiration commune à se débarrasser de l'oppression. Elle commença à faire voler en éclats des frontières qui, le plus souvent, n'étaient que les limites de tel ou tel fief féodal, et les armées révolutionnaires furent souvent accueillies en libératrices. Mais après l'épisode de l'Empire, qui a unifié par la force, sous le règne de Napoléon, une vaste partie du continent, la vieille Europe divisée en fiefs par ses classes possédantes rétrogrades connut encore un répit d'un demi-siècle et plus.

L'idée d'une unité européenne circulait néanmoins. Au début du 19e siècle, ce fut le socialiste utopiste Saint-Simon qui imagina de "rassembler les peuples d'Europe en un seul corps politique en conservant à chacun son indépendance nationale". Puis le républicain italien Mazzini imagina une fédération des républiques européennes. Même Victor Hugo, au cours de la révolution de 1848, déclara dans une envolée qu'un jour viendrait "où l'on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d'Amérique, les Etats-Unis d'Europe, se tendant la main par-dessus les mers".

Mais l'idée de l'unité nationale, de la constitution de nations en surmontant l'émiettement hérité de l'époque féodale, était portée par la force sociale de la bourgeoisie montante. Cette idée reposait sur les fondements solides du développement capitaliste et de la nécessité, pour chaque bourgeoisie, de se constituer un marché national. Ce marché national devait être débarrassé des obstacles à la circulation des marchandises hérités du passé. Mais il devait être aussi protégé, à l'extérieur, de la bourgeoisie concurrente.

La bourgeoisie pour son développement avait besoin de constituer des Etats nationaux, même si elle le faisait par différentes voies. Dans le cas de pays comme l'Allemagne et l'Italie, cela ne se fit pas par la voie révolutionnaire comme en France. Quitte à le faire avec retard, cela se fit d'en haut, sous le contrôle des monarques, par des compromis entre intérêts bourgeois et féodaux et en se méfiant par dessus tout de l'intervention des masses populaires. Cela se fit aussi dans le cadre de rivalités entre les puissances européennes, la France par exemple s'opposant à l'unité allemande ou ne soutenant un peu l'unité italienne que pour affaiblir l'Autriche.

L'Europe qui sortit des convulsions politiques du 19e siècle fut donc une Europe divisée entre ces Etats rivaux. Mais si le développement de la bourgeoisie se plaçait à l'intérieur des différents cadres nationaux tracés par les frontières partageant le continent, c'était dès le début une limite et cela devint très vite un corset trop étroit.