Guadeloupe - Réapparition de la xénophobie anti-haïtienne

Εκτύπωση
septembre 2005

Nous publions ci-dessous un article rédigé par nos camarades de Combat ouvrier, organisation trotskiste militant aux Antilles.

Au début de l'année 2005, la Guadeloupe a connu une réapparition du phénomène de xénophobie qui s'était déjà manifesté dans une période située entre 1990 et 2002. Ibo Simon, qui avait été le principal promoteur de ces campagnes xénophobes anti-haïtiennes pendant quelques années, avait été condamné pour ses propos racistes mais aussi pour une tentative de viol sur une jeune femme. Mis hors-jeu, privé d'antenne et de mandats politiques, on ne l'entendit plus pendant quelque temps. Mais d'autres margoulins de la même espèce n'ont pas résisté à la tentation d'exploiter le filon qui avait propulsé Ibo Simon comme élu dans les assemblées locales.

Les nouveaux xénophobes disposent d'une petite station de radio qui déverse des propos mensongers, orduriers et xénophobes contre les Haïtiens. Il faut noter cette fois l'apparition d'une pétition qui circule depuis plusieurs mois dans l'île, dénonçant pêle-mêle l'immigration clandestine en général, les difficultés économiques, le chômage... En réalité, elle est particulièrement dirigée contre les immigrés haïtiens vivant ou fraîchement arrivés en Guadeloupe. Pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd'hui, il est nécessaire de faire un retour en arrière.

La triste aventure d'Ibo Simon

Au cours des années 1990 à 2002, un animateur de télé (Canal 10), nommé Ibo Simon, s'était particulièrement illustré en diffusant jour après jour des propos racistes, méprisants pour la population guadeloupéenne. Mais, en même temps, il déversait des tombereaux de propos xénophobes contre les Haïtiens immigrés en Guadeloupe. Cet animateur, sponsorisé par un politicien, Raymond Viviès -aujourd'hui décédé- réactionnaire de droite, issu d'une famille békée (descendants des colons blancs), gros possédant de terres et magasins, avait trouvé "l'astuce" qui consistait à renvoyer à ses téléspectateurs une image d'eux-mêmes très dévalorisée. Ce qui lui avait valu dans la population, lui-même étant noir, une réputation de quelqu'un "qui nous dit nos vérités", qui ne craint pas de voir "les défauts des Nègres" et de les dénoncer. Il passait des heures, sur une télévision privée, à dénigrer "les Nègres", affirmant que "les Nègres sont incapables de tout", "n'ont rien inventé", ne sont pas sérieux... , etc., vomissant tout un tas de propos racistes et dévalorisants que son compère béké blanc n'aurait jamais pu tenir sans risque à sa place.

Curieusement, il obtint un certain succès populaire, car cela ressemblait à de l'autodérision et, au début, une grande partie de la population et même des militants de gauche (socialistes, communistes ou indépendantistes) prirent cela pour une sorte de charge sans conséquence, étant donné que celui qui tenait ces propos était lui-même noir.

Mais par la suite, il apparut clairement qu'il s'agissait là d'une attitude politique systématique, destinée ou aboutissant à détruire la confiance en soi d'une population noire déjà marquée par son passé d'oppression. Elle est en effet sortie de l'esclavage, puis du travail forcé, dans la deuxième moitié du 19e siècle. Depuis, et jusqu'à aujourd'hui, la majeure partie de la haute administration et des postes de décision du privé est aux mains d'une minorité blanche. Les tenants réels du pouvoir aux Antilles sont désignés en France, à sept mille kilomètres, par un pouvoir qui a colonisé ces îles depuis le 17e siècle.

L'entreprise d'Ibo Simon visait à justifier ce "pouvoir blanc" et à démontrer sa légitimité. C'est lui qui devait commander des Noirs incapables, tandis que lui-même Ibo Simon, plus capable que la masse noire, se posait en chef des Noirs, sorte de larbin grotesque des Blancs, servant d'intermédiaire entre eux et la population noire !

Il finit par dévoiler quelques-uns de ses objectifs réactionnaires et annonça qu'il voulait créer une organisation dont les membres porteraient un uniforme et obéiraient au doigt et à l'œil au chef. Cette organisation aurait notamment comme objectif d'intervenir dans tous les conflits sociaux pour maintenir l'ordre en Guadeloupe. En particulier il fit des offres de service aux patrons, en expliquant qu'il pourrait intervenir sur les grèves de façon à les empêcher de durer et de "bloquer l'économie de la Guadeloupe", qu'il était prêt, avec son organisation, à obliger des grévistes à reprendre le travail.

Mais c'est sur le thème anti-haïtien qu'Ibo Simon trouva un certain écho dans certains milieux petits-bourgeois ou déclassés, qui exprimaient déjà individuellement, de façon isolée, ces idées fumeuses et réactionnaires contre l'immigration clandestine et contre les Haïtiens particulièrement. Il put aussi rassembler autour de lui de nombreux soutiens actifs qui furent ensuite utiles lors de sa participation à différentes élections.

C'est d'abord ce milieu qui se trouva très satisfait, conforté dans ses préjugés, lors des diatribes d'Ibo Simon contre les Haïtiens, dans des émissions télévisées qui duraient parfois plus de deux heures, et chaque jour ! Il déversait, jour après jour, ses mensonges, ses insanités xénophobes contre les Haïtiens, appelant parfois ouvertement à des actes de violence contre eux. Appels qui eurent dans deux ou trois cas un début de réalisation. Deux magasins d'Haïtiens furent incendiés et une famille d'immigrés fut expulsée de son logement (c'était d'ailleurs des Dominiquais et non pas des Haïtiens). Les crapules responsables de ces actes étaient-elles ou non partisans d'Ibo Simon, on ne le sut jamais avec certitude, mais étant donné qu'il avait lui-même lancé des appels publics et précis en ce sens, c'est avec juste raison qu'on lui en attribua la paternité au moins morale.

Ibo Simon fit ensuite plusieurs tentatives plus ou moins cohérentes pour constituer autour de lui une organisation des "ibobiens et ibobiennes" tel qu'il les nommait lui-même. Il finit par constituer un parti politique pour aller aux élections, qui s'appela "Gwadloup Doubout" (Guadeloupe debout). Ce parti, grâce à sa popularité montante, lui permit d'attirer et de regrouper un certain nombre de politiciens de droite, de notables de la place, cadres, pharmaciens, propriétaires de salle de gym, petits restaurateurs, qui voulaient rentrer dans un courant qui semblait marcher vers le succès.

Sa participation aux élections fut pour lui une réussite et surprit les partis classiques de droite et de gauche. C'est ainsi qu'il fut élu, en 1995, conseiller municipal de Pointe-à-Pitre avec 8% des suffrages. Aux législatives de 1997, il progressa encore et atteignit les 14, 5% des suffrages, puis il entra au Conseil régional, en 2001, avec une liste qui fit 7%. Enfin, lors des dernières municipales de mars 2001, il obtint un spectaculaire 22% à Pointe-à-Pitre, après avoir contraint le maire sortant, ex-communiste, à un deuxième tour.

Il faut bien comprendre que, tout en étant l'expression des opinions et des intérêts de milieux bien précis de la petite bourgeoisie pauvre ou en difficulté, Ibo Simon réussit aussi à toucher des couches plus populaires de pauvres, voire des travailleurs dégoûtés par les trahisons répétées des partis officiels. C'est ce qui explique aussi son succès électoral.

Il se sentit de plus en plus important et porté par tout un milieu de petits possédants, de gens déclassés, de réactionnaires xénophobes. Cependant, sa campagne haineuse et raciste prit une telle proportion qu'elle provoqua la réaction d'une partie de la population. Des gens de gauche, des syndicats, certains militants dits de la"société civile", organisèrent une riposte publique contre la xénophobie et le racisme, en appelant à une manifestation qui fut un succès, faisant descendre dans les rues de Pointe-à-Pitre plus de 6000 personnes. Ce qui fut une des plus grosses manifestations depuis longtemps.

Parallèlement, devant l'émoi suscité par les propos débridés et de plus en plus violents d'Ibo Simon, différentes autorités se sentirent obligées d'intervenir, d'abord le Conseil supérieur de l'audio-visuel (CSA), puis la justice elle-même, des associations haïtiennes et anti-racistes ayant également porté plainte. Aussi bien Ibo Simon que le propriétaire de la télévision Canal10 furent traduits et condamnés en justice et le CSA exigea un changement de comportement de Canal 10 et la cessation des propos racistes d'Ibo Simon. Ces condamnations l'écartèrent de l'antenne.

Condamné par la suite, pour une affaire de viol, à une peine infamante, il fut privé de ses droits civiques pour plus de deux ans et perdit tous ses mandats politiques. L'homme, ne bénéficiant plus de la télévision et ne pouvant plus répandre son venin parmi des milliers de gens, se révéla finalement incapable de faire fonctionner l'organisation qu'il avait proclamée avec tant de fanfaronnade.

La baudruche Ibo Simon s'était dégonflée et pendant des mois on n'entendit plus parler ni de lui ni de xénophobie anti-haïtienne, en tout cas pas au degré où il l'avait portée.

Les successeurs d'Ibo Simon en crapulerie xénophobe

Ibo écarté, il s'en est trouvé d'autres pour tenter de récupérer son magot électoral. Le nommé Yoyotte, propriétaire d'une radio "libre", se lança hardiment dans la course, aidé d'une ex-candidate aux régionales, Mme Octavie Losio (représentante du parti Nofrap), malheureuse avec ses 2%, mais dont l'ambition était restée intacte.

Nos deux aventuriers reprirent donc le flambeau d'Ibo Simon en lançant une pétition anti-Haïtiens. Il s'est même trouvé quelques entreprises où la pétition a circulé.

On l'a vu circuler parmi les ouvriers agricoles, parmi les agents du CHU de Pointe-à-Pitre, principal hôpital de Guadeloupe. Le syndicat CGTG de cet hôpital, soutenu par une grande partie des agents du CHU, a réagi vivement en dénonçant cette pétition et son caractère xénophobe et raciste et en dénonçant l'opération politique des deux margoulins qui cherchent à récupérer la base électorale d'Ibo Simon pour gagner des postes d'élus. Les auteurs de la pétition affirment sur leur site Internet - sans qu'on puisse le prouver- qu'elle a recueilli plus de 34000 signatures !

Les réactions contre les menées de Yoyotte et contre la pétition xénophobe

Toute cette affaire a provoqué débats et discussions dans la population, mais aussi dans les organisations politiques et syndicales.

Différentes personnalités connues ont aussi réagi contre cette nouvelle campagne xénophobe menée sur la radio de Yoyotte. Une contre-pétition fut lancée par des gens dits "de la société civile", regroupés dans un Groupe de réflexion sur la société de la Guadeloupe (GRSG). Ce groupe publia, le 27 février 2005, une lettre ouverte aux présidents et aux élus des assemblées locales pour dénoncer la campagne xénophobe. D'autres individus réagirent dans la presse par des déclarations, des prises de position.

Sous les pressions contraires des xénophobes et des gens choqués par toute cette campagne anti-immigrés, les élus des deux assemblées, régionale et départementale, à majorité socialiste, se réunirent en Congrès, le 15 avril 2005, comme la loi d'orientation pour l'Outre-mer, datant de Jospin, les y autorise. Ils débattirent donc publiquement, devant la télévision, du problème de la xénophobie, mais en réalité surtout de l'immigration clandestine.

L'axe des interventions de droite comme de gauche fut surtout de réclamer que "l'État prenne ses responsabilités"pour appliquer les lois contre l'immigration clandestine. Pour tous ces gens-là, il fallait prendre en main le problème avant tout pour éviter d'être électoralement débordés par les xénophobes anti-Haïtiens, et que se reconstitue un parti xénophobe identique à celui qui avait fait le succès d'Ibo Simon. Ils ne veulent surtout pas que, à l'instar de Ibo Simon, Yoyotte crée un nouveau parti qui vienne les gêner sur le terrain électoral. Ils se souviennent bien que la montée d'Ibo Simon avait eu pour résultat de gêner la gauche (mise en ballottage du maire de gauche de la principale ville, Pointe-à-Pitre, en 2001 !). À noter qu'Ibo Simon gênait aussi la droite vis-à-vis de laquelle il cultivait son indépendance, en la critiquant souvent.

Tout en reconnaissant que l'immigration était la conséquence d'une situation économique et politique insupportable en Haïti, les élus de gauche au Congrès reprirent à leur compte les poncifs à la Rocard : "La Guadeloupe ne peut pas accueillir toute la misère de la Caraïbe", "il ne faut pas faire preuve d'angélisme et penser qu'il n'y a pas de problème".

Ils prétendirent hypocritement que, si on veut combattre les xénophobes, il faut aussi combattre l'immigration clandestine et ceux qui l'organisent. Le président du Conseil régional se fendit même d'une déclaration émue sur l'intention du Conseil régional d'acheter, sur ses fonds propres -ce qui, dit-il, est "un grand sacrifice"- et non sur ceux de l'État, une vedette rapide pour patrouiller autour des îles de Guadeloupe, afin de pourchasser les clandestins.

Tous ces élus, au lieu de prendre une position claire et énergique pour combattre sans ambiguïté les menées xénophobes, ne serait-ce que par un souci de respect élémentaire de la dignité humaine, ont préféré, par manque de courage, par veulerie politique, se placer sur le même terrain que les xénophobes.

En agissant de cette façon, les élus du Congrès et sa majorité de gauche socialiste ont légitimé les xénophobes, tout en faisant mine de s'opposer à eux.

Ils réclamèrent même que l'État mette en application les lois en vigueur contre les immigrés clandestins, contre ceux qui ne sont pas en règle, sur le droit de résidence, sur la reconduite aux frontières !

Visiblement, Victorin Lurel et Jacques Gillot, présidents socialistes des deux assemblées régionale et départementale, soucieux surtout de couper l'herbe sous les pieds de Yoyotte, reprenaient à leur compte les récriminations contre l'immigration clandestine. Ce qui évidemment ne pourra, à l'avenir, qu'encourager ces xénophobes.

À l'inverse, pas un mot ne fut prononcé sur la nécessité d'organiser un accueil décent, humain, pour des gens qui sont chassés par la misère et l'insécurité qui règnent en Haïti. Ni sur celle de défendre leurs droits face à des patrons qui abusent de leur situation en les payant plus mal encore que les autres salariés.

La "gauche" guadeloupéenne n'est certes pas pire que la gauche de l'Hexagone qui a montré, lorsqu'elle était au pouvoir, sur la question des sans-papiers ou des permis de séjour, que les travailleurs immigrés ne pouvaient pas compter sur elle. Mais elle ne vaut pas mieux non plus.

Qui sont ces xénophobes...

Remarquons encore que, pour les besoins de leur opération politique, les xénophobes mentent et déforment les faits. Certains affirment qu'il y a des milliers d'Haïtiens qui déferlent sur les côtes de Guadeloupe ! On a même entendu le chiffre de 80000, repris sans commentaire par un journaliste de RFO (RADIO TV France Outre Mer) !

Ceux qui crient à "l'invasion des étrangers" oublient que c'est le patronat qui, depuis des décennies, a fait immigrer des travailleurs dits "étrangers" pour les besoins des récoltes ou pour briser des grèves. Cela remonte pratiquement à l'abolition de l'esclavage, après 1848, lorsque les Noirs ex-esclaves ne voulaient plus aller se faire exploiter dans les grandes plantations. Le déficit de main-d'œuvre fut tel que les autorités coloniales au service des patrons organisèrent l'arrivée massive de travailleurs "engagés" ou sous contrat, pris en Afrique, en Inde et même au Japon.

Au 20e siècle, lors des grèves des ouvriers de la canne, des ouvriers agricoles d'autres îles, le plus souvent venant de la Dominique, l'île voisine, furent engagés pour briser ces grèves.

Aujourd'hui encore, dans la canne, très officiellement, des petits planteurs affirment qu'on ne peut pas faire la récolte dans les zones où ne peuvent passer les machines à couper, sans l'apport des ouvriers agricoles haïtiens.

Le Groupe de Réflexion (GRSG) a publié dans sa Lettre ouverte quelques chiffres pour donner une idée plus exacte de la situation des immigrés et tenter d'enrayer la campagne de mensonges, de désinformation de Yoyotte, chef de file des xénophobes. Nous citons :

"D'après l'INSEE (Institut national de statistiques et d'études économiques), l'actuelle population de la Guadeloupe se chiffre à 444000 habitants. Certains citoyens, au gré des élucubrations, prétendent que la Guadeloupe serait envahie par des immigrés clandestins haïtiens, au nombre de 20000, 30000, 40000..., voire plus.

Pourtant, le Service des Immigrés de la Préfecture de Basse-Terre consulté, donne les chiffres suivants pour l'année 2004 : 27000 immigrés en situation régulière, résidant en Guadeloupe, soit 6,2% de la population, se répartissant comme suit : 12 433 Haïtiens (2,8%), 6 805 Dominiquais (1,5%), 2 397 Dominicains (0,53%), etc. Parmi les 12 433 Haïtiens officiellement déclarés, environ 9 933 résidents sont titulaires de la carte de séjour, et 2 500 sont demandeurs d'asile. Le Service d'immigration de la Préfecture de Basse-Terre estime que les Haïtiens en situation irrégulière seraient au nombre de 3000. Donc, nous voyons bien que nous sommes loin de cette vision d'apocalypse décrite et entretenue par certains, vision qui laisserait croire à un envahissement sauvage de la Guadeloupe. Il est clair qu'il s'agit là d'amplifier les sentiments de peur et d'insécurité des Guadeloupéens pour des raisons non avouables."

Tous ces chiffres sont donc très différents des mensonges assénés par des Yoyotte et autres "iboïstes".

Mais ces gens, qui sont si virulents envers des Haïtiens ou d'autres Antillais venant d'autres îles de la Caraïbe, ne se préoccupent jamais du nombre de gens venant de plus loin, de France ou d'autres pays d'Europe, pour s'installer en Guadeloupe. Il n'y a d'ailleurs probablement pas de statistiques particulières les concernant.

Il n'y a évidemment pas à opposer le droit des uns à celui des autres. Que des travailleurs venant de France viennent aux Antilles, cela semble aujourd'hui normal à la population antillaise, que des Haïtiens puissent y venir et y travailler devrait l'être encore plus.

C'est quand même une situation aberrante et en tout cas injuste que des gens habitant la même région géographique, liés par une histoire en grande partie commune du fait de leur origine africaine et du passé esclavagiste, soient considérés par les Yoyotte et autres xénophobes, mais aussi par les autorités de tutelle de la Guadeloupe, comme des "étrangers" en Guadeloupe alors que celles et ceux qui viennent d'une métropole située à 7000 km de là peuvent s'installer librement et tenter de réussir.

Les organisations de travailleurs, les syndicats et les organisations politiques qui se réclament des idées de la classe ouvrière doivent évidemment dénoncer et combattre une telle aberration, héritage de l'époque coloniale et conséquence de la domination du capitalisme dans cette région comme ailleurs.

En cultivant les préjugés de certains en Guadeloupe, en les amplifiant, les xénophobes agissent de façon totalement irresponsable et cynique. Ils poussent en fait à ce qu'éclatent des incidents violents qui, un jour ou l'autre, pourraient aller jusqu'à des affrontements entre pauvres.

Les Yoyotte, Ibo Simon et autres n'ont pas forcément créé les sentiments xénophobes existant en Guadeloupe. Comme partout ailleurs, ce sont des sentiments réactionnaires, fondés sur les divers préjugés qui existent naturellement dans la petite bourgeoise conservatrice. Ils sont bien sûr amplifiés quand la situation sociale et économique se dégrade et peuvent aussi contaminer des milieux de travailleurs salariés.

Les discours officiels parlent toujours, dans lesdits DOM, de "créations d'entreprises" pour lutter contre le chômage. Il s'en crée des centaines, voire des milliers et il s'en détruit autant car sur les quelque 40000 entreprises privées de Guadeloupe, plus de la moitié n'ont pas de salariés et plus des trois quarts ont moins de 5 salariés. Ces milieux-là, constitués de petits commerces, de services, de transports ou d'entreprises de construction, ont du mal à vivre.

Ce n'est pas étonnant dans une situation où le chômage s'établit autour des 27% de la population active, avec plus de 23000 Rmistes subvenant comme ils peuvent aux besoins de plus de 67000 personnes sur une population totale de 440000 personnes (tous chiffres de 2003).

Dans un tel contexte, nombre de pauvres, de déclassés, ne retrouveront plus d'emplois. Les petits-bourgeois en difficulté sont concurrencés non par des Haïtiens, comme on le leur dit ou comme ils font mine de le croire, mais par de grands groupes de construction, des supermarchés d'alimentation, d'habillement, de bricolage, etc., par des magasins franchisés (supérettes, Huit-à-Huit, etc.) qui ne sont pas à la portée des plus pauvres !

Toute cette masse de déçus, de mécontents, d'aigris, est la proie facile des préjugés et des démagogues qui les manipulent et les utilisent pour leurs desseins politiciens.

Il faut persister à dire la vérité et notamment à expliquer que les mouvements de population qui touchent Haïti sont provoqués par des situations économiques et politiques résultant des agissements colonialistes et des pillages exercés, depuis des siècles, par les grandes puissances comme la France et les États-Unis d'Amérique. La première colonisa pendant des siècles Haïti et s'enrichit du travail de centaines de milliers esclaves africains, l'autre occupa Haïti pendant plusieurs dizaines d'années et contrôla sa vie politique et économique pendant tout le XXe siècle, pour permettre ainsi à une petite classe de privilégiés haïtiens ou venant d'ailleurs de détourner à leur profit toutes les richesses et tout le produit du travail des ouvriers et paysans haïtiens, et cela jusqu'à aujourd'hui.

... Et quelle position favorable aux intérêts des travailleurs faut-il défendre face à eux ?

Seuls les militants et les organisations liés à la lutte et aux problèmes des travailleurs peuvent avoir une attitude juste et conséquente, jusqu'au bout, face à ces problèmes d'immigration.

Il ne s'agit pas de minimiser les prises de position d'autres personnes, de ladite "société civile".

Nous ne mettons en doute, par exemple, ni la sincérité, ni l'engagement des membres du GRSG, dont nous avons cité un extrait de la Lettre ouverte. Mais par certains côtés, aussi bien le GRSG que d'autres anti-xénophobes ont en commun de compter sur l'État pour intervenir et proposent des solutions du genre :

"... Il convient de réguler l'immigration clandestine qui fournit une main-d'œuvre à bas prix sur un marché illicite... Conscients que la défense des frontières est une compétence régalienne de l'État, nous vous demandons (...) d'attirer l'attention des ministères concernés pour que soient mises en place les procédures tendant à contrôler le réseau de contrebande de l'immigration irrégulière." (Citations du GRSG - 27-2-005)

Mais justement le problème n'est pas là, les propres chiffres cités du GRSG le prouvent !

La campagne des xénophobes se moque complètement de la réalité ! Ils veulent utiliser des peurs, des préjugés, les renforcer s'il le faut, mais seul leur but politicien les intéresse. Dénoncer une prétendue immigration clandestine massive n'est qu'un moyen commode de se constituer, à peu de frais, une base électorale captive !

Les militants de différentes organisations agissant au sein de la classe ouvrière, ceux de la CGTG, ceux de Combat ouvrier, ceux de l'UGTG (syndicat indépendantiste majoritaire en Guadeloupe), ont pris clairement position contre cette campagne xénophobe et contre ce facteur de division et d'affaiblissement qu'elle représente pour la classe des travailleurs.

Ces organisations ont pris une position claire favorable aux travailleurs haïtiens, réclamant que ceux-ci soient traités, payés, protégés socialement, comme n'importe quel travailleur de Guadeloupe. C'est la seule attitude qui représente l'intérêt des travailleurs de toutes origines.

Les travailleurs conscients de Guadeloupe savent bien que les mêmes gens qui s'en prennent aux Haïtiens sont aussi ceux qui se mettent en avant lors des luttes des travailleurs pour hurler à la "destruction de l'économie de la Guadeloupe par les grévistes" ! Ce sont les mêmes qui font cause commune avec les patrons et se retrouvent dans les médias aux côtés des représentants du Medef pour appeler à la limitation du droit de grève.

Il serait évidemment choquant et tout à fait contraire à leurs intérêts que les travailleurs de Guadeloupe apportent leur aide, volontaire ou non, au développement d'une campagne xénophobe orchestrée et entretenue essentiellement par des petits possédants en mal de réussite économique et par des arrivistes politiques. Une telle attitude inconséquente risquerait immanquablement de se retourner contre leurs propres luttes. Il faut chercher, dans les organisations ouvrières et autour d'elles, à en convaincre en permanence les travailleurs les moins conscients, les plus désinformés par la propagande xénophobe.

Il ne s'agit pas seulement d'une attitude morale face à une injustice, bien que s'opposer aux propos ou actions xénophobes relève d'une élémentaire attitude de dignité humaine. Toute personne ayant le sens de cette dignité ne peut que s'opposer à de tels agissements et propos.

Mais il y va aussi des intérêts fondamentaux des travailleurs. Car de tout temps, il s'est trouvé des gens, plus ou moins alimentés ou instrumentalisés par le patronat, pour tenter de diviser les rangs des travailleurs en agitant des préjugés de race, d'origine ethnique ou nationale. Et il a toujours été nécessaire et vital pour ceux qui se réclament de la lutte et des idées de la classe ouvrière de combattre ces tentatives et d'engager les travailleurs à ne pas se laisser abuser et diviser par ces gens.

L'accroissement du nombre global de travailleurs de Guadeloupe, grâce à l'apport des arrivants haïtiens, ne peut que renforcer leur poids social face à un patronat qui, lui, se moque des nationalités, des origines ethniques ou des frontières. Les capitaux du Béké Hayot ou du groupe Carrrefour sont implantés aussi bien en Martinique, en Haïti, à Saint-Domingue ou à La Réunion à l'autre bout de la terre !

De même, les travailleurs de Guadeloupe n'ont aucun intérêt à laisser certains patrons sous-payer les salariés haïtiens, ou les priver de leur droits sociaux, de la protection sociale, etc. Contre cela, il y a déjà eu des grèves menées dans les plantations de banane notamment, et avec succès. C'est cette voie-là, celle de la lutte, celle de l'action énergique et sans faille contre les injustices, les actes de discrimination des patrons, qui est la bonne. Car en se dressant tous ensemble contre les patrons, les travailleurs sauront mieux que par mille discours discerner où se trouvent leurs intérêts, qui sont leurs vrais amis, leurs vrais alliés dans la lutte contre l'exploitation.

C'est en agissant de cette façon qu'on réduira la marge de manœuvre des racistes, xénophobes et autres margoulins réactionnaires de tout poil, et qu'on les empêchera de nuire et de répandre leur marchandise avariée au sein des entreprises et parmi les travailleurs.

29 août 2005