France - Politique syndicale et mobilisation de la classe ouvrière

Εκτύπωση
octobre 2005

L'actualité récente a été marquée, d'une part, par la journée d'action du 4octobre, appelée par l'ensemble des organisations syndicales, d'autre part, par la grève de la SNCM qui a duré plus de vingt-quatre jours et qui a en quelque sorte focalisé autour d'elle, directement, la grève des travailleurs du Port de Marseille et, indirectement, la grève des transports publics de cette ville.

Pour ce qui est de la journée d'action du 4octobre, la principale constatation qu'on peut en faire est que les confédérations syndicales ont fait le minimum. Cette journée d'action «interprofessionnelle» a été organisée presque sept mois après celle du 10 mars. Même en comptant les deux mois de congés d'été, c'est bien long pour montrer une quelconque détermination. Toutes les confédérations syndicales y ont appelé, leurs chefs se sont congratulés de l'union ainsi réalisée. Mais aucune d'entre elles, pas même la CGT, n'a annoncé, la journée du 4 octobre, la suite qu'elle comptait donner à cette journée. Après non plus, d'ailleurs !

De temps en temps, une information parvient à l'opinion publique sur telle réunion ou telle autre où la question d'une nouvelle journée d'action aurait été envisagée. Pour les instances dirigeantes de chaque confédération, c'est «à l'étude», comme on a l'habitude de dire dans les ministères ou au parlement quand on veut éluder une question ou repousser une échéance.

Certains aspects ont fait que la journée d'action du 4 octobre n'a pas été une reproduction à l'identique du 10 mars : les manifestations semblent avoir été plus amples dans un certain nombre de villes de province -il est vrai que la plus importante d'entre elles était celle de Marseille où la grève de la SNCM a contribué à augmenter le nombre de participants. Par ailleurs, il semblerait qu'il y ait eu un peu partout une participation de travailleurs d'entreprises privées aux manifestations plus importante que le 10 mars.

Mais tout cela, sur la base d'une mobilisation qui, pour être un succès relatif, n'a pas touché les gros contingents des travailleurs.

Ce que l'on peut en dire en tout cas, c'est que les travailleurs ont, une nouvelle fois, répondu présents à l'appel des organisations syndicales. Et ils l'ont fait au moins au même niveau que le 10 mars. Ce qui signifie au moins que les multitudes de coups reçus pendant ces six mois, de la part aussi bien du gouvernement que du grand patronat, n'ont pas découragé ceux qui sont venus. Pas plus que ne les ont découragés l'attentisme des confédérations syndicales pendant sept longs mois, ni le fait qu'aucune suite n'a été annoncée. Pourtant, les participants étaient en droit de se poser la question : à quoi peut bien servir une journée d'action sans lendemain ? Personne ne pouvait être naïf au point de penser qu'une seule journée, ressemblant à celles que les confédérations avaient l'habitude d'organiser dans le passé à chaque rentrée, pourrait faire reculer un gouvernement particulièrement hostile aux travailleurs.

L'autre événement, la grève de la SNCM, a donné, dans un secteur certes limité, un exemple de détermination. Il faut dire que l'événement qui l'a déclenchée était une véritable provocation de la part du gouvernement, tellement cynique, tellement méprisant vis-à-vis des travailleurs, qu'il ne semble pas avoir envisagé un retour de bâton.

En effet, en passer par le préfet pour annoncer que la SNCM allait être privatisée, avec 400 licenciements à la clé, ne pouvait être ressenti que comme une provocation. D'autant plus que l'heureux bénéficiaire du cadeau du Premier ministre -ami personnel de celui-ci !- n'a que 35 millions d'euros à débourser alors que tout le monde s'accorde à estimer à 450 millions d'euros la valeur des actifs de la SNCM -dix navires, des immeubles de bureaux dans le centre de Marseille, etc. De surcroît, le gouvernement pousse l'amabilité jusqu'à faire payer par l'État, c'est-à-dire par les contribuables, toutes les dettes de l'entreprise et même à prendre en charge les frais de la réduction des effectifs.

Un fonds de spéculation étant fait pour spéculer, derrière l'expression syndicale plus ou moins bien adaptée d'«absence de projet industriel», il y a la crainte légitime que l'acquéreur, Butler, démantèle l'entreprise et la vende bateau par bateau, immeuble par immeuble.

La réaction des travailleurs a été immédiate. Ils ont fait preuve de suffisamment de combativité pour que le gouvernement commence à reculer. Il a libéré ceux du Syndicat des travailleurs corses (STC) qui occupaient le navire Pascal-Paoli, en abandonnant toute poursuite contre la plupart d'entre eux, les quatre responsables mis à part, alors que la veille encore, le gouvernement agitait à leur encontre la menace de vingt ans de prison pour détournement de navire. Puis deux ministres, celui des Transports et celui de l'Économie, ont daigné aller à Marseille pour négocier.

Devant la détermination des grévistes, le gouvernement a cédé sur le projet de privatisation complète. Il a annoncé que l'État maintenait une participation de 25%. Puis, pour accréditer l'idée que les travailleurs de la SNCM n'ont rien à craindre, on a augmenté la participation des salariés à 8%, puis à 9%, en annonçant qu'au total (participation de l'État plus celle des salariés), cela fait plus d'un tiers des actions et des votes et qu'il existe donc une minorité de blocage. Argument qui vaut ce qu'il vaut parce qu'une «minorité de blocage» ne bloque rien qui concerne les travailleurs, en particulier pas les plans de licenciements. De plus, les travailleurs qui étaient en train d'affronter la direction alors que l'État était actionnaire à 100% ne peuvent certes pas espérer plus de protection avec une participation à 25%. C'est, malgré tout, un recul du gouvernement par rapport à ses projets d'origine. Cela en a été un autre que de partager en deux les actions cédées au privé en ajoutant, à Butler, la Connex, filiale de Védior, ex-Vivendi, histoire de pouvoir dire que, derrière la privatisation, il y avait un «projet industriel» et pas seulement une revente spéculative.

Mais, en même temps que ces reculs, le gouvernement et la direction de la SNCM ont brandi la menace d'un dépôt de bilan se traduisant cette fois-ci par le licenciement des 2200 travailleurs de l'entreprise. Menace relayée par tous les médias qui ont propagé l'idée qu'il n'y aurait pas le choix, que «l'intransigeance» des grévistes conduirait l'entreprise à la fermeture et ses travailleurs à l'ANPE. Mais c'est précisément cette détermination qui a permis aux travailleurs d'obtenir ce qu'ils ont obtenu.

Bien sûr, les travailleurs n'ont pas pu faire reculer complètement le gouvernement. Butler et l'ex-rival Vivendi pourront prendre les commandes de la SNCM, et les promesses de non-démantèlement de l'entreprise et de pas de licenciements secs ne valent que ce que valent les promesses d'un patron. D'autres grèves seront sans doute nécessaires pour les faire respecter. Mais il n'était pas au pouvoir de la grève d'une seule entreprise, restée isolée, de changer complètement le rapport de forces avec le gouvernement. Les travailleurs de la SNCM ont cependant démontré devant l'ensemble des travailleurs que la lutte peut payer.

Il n'est pas dans notre propos de discuter ici de la tactique de la CGT locale, ni de ses objectifs et de sa façon de diriger la grève, ni de sa façon, fort contestable, d'organiser la reprise (la CGT était le seul syndicat qui a eu du poids dans la grève, avec le syndicat nationaliste STC. Quant à FO, on ne l'a vue apparaître que pour appeler à reprendre le travail).

Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que les travailleurs de la SNCM n'ont pas trouvé auprès de la confédération le soutien qu'ils auraient dû y trouver.

En engageant leur combat, les travailleurs de la SNCM bénéficiaient de la sympathie de la majorité de l'opinion publique et probablement de la quasi-totalité de l'opinion publique ouvrière. Il y a certes une marge entre la sympathie et la solidarité, et un soutien plus actif ou, plus encore, la volonté de rejoindre ceux de la SNCM dans le combat contre la provocation du gouvernement ou, plus généralement, contre les licenciements et les privatisations. Mais le fait est que la confédération CGT n'a pris aucune initiative dans ce sens. Nombre de militants de la classe ouvrière ont pourtant été sensibles à la combativité et à la détermination dont les travailleurs de la SNCM ont fait preuve.

Et puis, comment ne pas se souvenir que peu après le déclenchement de la grève, Thibaut était reçu à Matignon, échangeant avec Villepin une poignée de mains et déclarant qu'il existait des «marges pour la négociation». La rencontre avait certes été prévue de plus longue date, mais les grévistes étaient en droit de s'attendre à un peu plus de solidarité...

La principale critique à l'égard de la direction de la CGT (et, à plus forte raison, des autres confédérations syndicales) n'est cependant pas là.

La CGT peut montrer localement plus ou moins de combativité, plus ou moins de détermination dans les grèves défensives qui ont lieu dans le pays et qui auront immanquablement lieu dans la période à venir. Mais il est évident que le rapport de forces avec le gouvernement et avec le patronat ne peut être changé qu'à l'échelle de tout le pays et par une lutte majeure.

Que cela ne se déclenche pas en appuyant sur un bouton est une banalité. Mais cette banalité sert aux directions syndicales, du moins à celles qui verbalement ne nient pas la nécessité de la lutte, d'excuse pour ne rien faire dans le sens de la préparation. Or, la confédération CGT, pas plus que les autres, n'a pour objectif et pour préoccupation de préparer cette mobilisation de la classe ouvrière. En d'autres termes, de faire en sorte que chaque initiative, chaque journée d'action, chaque grève interprofessionnelle soit conçue pour avancer dans cette perspective-là.

Si l'on veut que les travailleurs hésitants rejoignent les luttes, il faut qu'ils aient confiance dans la détermination de ceux qui ont commencé. Il faut qu'avant même de s'engager dans une journée de grèves et de manifestations, les travailleurs sachent qu'elle sera suivie par une autre, à suffisamment brève échéance, pour que ceux qui n'ont pas été convaincus de participer à la première soient entraînés dans la seconde. Il faut que les participants puissent mesurer la mobilisation à chaque étape et constater eux-mêmes que le mouvement s'élargit d'une journée à l'autre.

Lors de la journée du 4 octobre, par exemple, on a noté la présence de travailleurs appartenant à des entreprises privées. Chacun sait qu'il est plus difficile pour les travailleurs de ces entreprises de se mettre en grève pour pouvoir participer aux manifestations que pour des enseignants ou des travailleurs des transports publics. Mais la minorité combative d'une entreprise privée qui a participé à la journée du 4 octobre et qui en est revenue réconfortée par le nombre de manifestants, que pouvait-elle dire aux autres ? Que pouvait-elle proposer à ceux qui ne s'étaient pas rendus à la manifestation mais qui avaient apprécié que quelques-uns de leurs camarades le fassent : attendre un futur appel hypothétique dans trois ou six mois ?

Que la direction confédérale de la CGT n'ait pas naturellement cette volonté ni même ce type de préoccupation, il n'y a pas vraiment à s'en étonner. Elle est tout aussi réformiste que les autres confédérations et ne souhaite qu'être la partenaire dans les négociations avec le patronat et avec le gouvernement.

Mais la CGT, ce n'est pas seulement son bureau confédéral. C'est aussi le syndicat qui regroupe le plus grand nombre de travailleurs et, aussi, les travailleurs les plus combatifs. La politique de négociation prônée par tous les syndicats, CGT comprise, ne peut aboutir, sans rapport de forces, qu'à contresigner ce qui correspond aux désirs du patronat et du gouvernement. Ce sont les travailleurs qui peuvent pousser les directions à aller plus loin qu'elles ne le souhaitent, parce que les événements, la gravité des coups du gouvernement et du patronat les convainquent que cette politique de négociation est au mieux inefficace et en réalité nuisible.

Mais l'attitude des directions syndicales reflète la politique de la gauche pour qui l'unique perspective de changement est électorale et réside dans le remplacement du gouvernement de droite par un gouvernement de gauche.

La direction actuelle de la CGT se flatte d'avoir pris ses distances avec le PCF. Mais il y a bien des façons pour une confédération syndicale de servir de «courroie de transmission» pour un parti politique, et pas seulement celle qui caractérisait dans un passé de plus en plus éloigné les relations entre le PCF et la CGT. La CFDT et FO en savent quelque chose depuis bien longtemps en se faisant le relais des gouvernements de gauche parmi les travailleurs -quand elles n'ont pas été tentées de jouer le même rôle auprès d'un gouvernement de droite ! - tout en protestant de leur «indépendance» par rapport aux partis.

Et voilà de nouveau le mécanisme en marche ! La campagne du «non» au référendum à peine terminée, le PCF est reparti vers la future campagne de la présidentielle et des législatives de 2007. Cette fois-ci autour de l'axe «prolonger la dynamique du non», majoritaire, comme chacun sait, grâce à la gauche du «non», certes, mais aussi avec l'apport de l'extrême droite du «non». Que les conséquences de la victoire du «non» au référendum aient été nulles du point de vue des travailleurs, que le gouvernement continue et aggrave sa politique anti-ouvrière sans évidemment «respecter le vote populaire» ne décourage pas le PCF de persévérer dans cette voie en continuant à tromper les travailleurs.

On pouvait considérer, à l'époque où la CGT a choisi son attitude par rapport à ce référendum, que le choix du «non», plus ou moins contre la volonté de Thibaut, partisan de ne pas prendre position, était dans une certaine mesure un geste contre la direction confédérale et sa politique. Mais cela donne maintenant à la direction du PCF l'occasion d'embarquer la CGT derrière ses manœuvres politiques au nom du vote «non».

Il est évidemment stupide de présenter la campagne du «non» comme une manipulation destinée à servir d'obstacle devant les luttes ouvrières. Si la classe ouvrière ne se sent pas en situation de se battre sérieusement et surtout de vaincre, c'est pour des raisons autrement plus profondes que le seul épisode du dernier référendum pour la Constitution européenne. Mais en revanche, présenter comme une victoire de la classe ouvrière la victoire du «non», alors que sans l'apport des votes venant de l'extrême droite, le «non» ne l'aurait pas emporté, est une escroquerie.

Toutes les manœuvres à gauche autour des prochaines élections contribuent à cette tromperie. La variante Union de la gauche le fait le plus clairement parce qu'elle accrédite non seulement l'idée que c'est par la voie électorale qu'on réussira le changement, mais aussi que c'est autour du PS. Mais, sur le fond, les différentes tentatives pour créer un regroupement «à la gauche de la gauche» ou, plus exactement, à la gauche du PS, présentant un candidat unitaire à la présidentielle, restent toujours dans la même perspective électorale.

Les promoteurs de cette tentative comptent sur la participation du PCF pour qu'un candidat«à la gauche du PS» soit un tant soit peu crédible. Mais l'épisode récent, commencé par un article du Monde qui décrivait l'opération comme étant en bonne voie et terminé le lendemain par un sec démenti de L'Humanité, montre le peu d'empressement du PCF à s'embarquer dans cette galère. La direction du PCF hésite manifestement entre présenter son propre candidat au premier tour et soutenir dès le premier tour un candidat du PS pour écarter la menace qu'au deuxième tour ne restent en lice qu'un candidat de droite et un candidat d'extrême droite, ou deux candidats de droite. Mais quel que soit son choix tactique du premier tour, au second, il se ralliera au candidat socialiste (que celui-ci soit issu du «non» ou du «oui» de «gauche»). Son ouverture «unitaire» tous azimuts pendant et après la campagne du référendum ne vise qu'à «ratisser large» pour la future mouture de l'Union de la gauche encore à marchander et, accessoirement, à se rendre désirable aux yeux de la direction du PS.

Toutes ces combinaisons n'éclairent pas, mais masquent le fait que la seule alternative politique pour les travailleurs n'est pas dans une nouvelle combinaison entre formations de gauche mais consiste à peser eux-mêmes directement sur la vie politique. La classe ouvrière ne pourra se défendre dans la guerre de classe, féroce, que lui mènent le grand patronat et ses représentants politiques qu'en menant, elle, sa propre guerre de classe. Bien des grandes luttes dans le passé ont eu lieu sous des gouvernements de droite et ces gouvernements ont dû reculer devant les actions d'ensemble de la classe ouvrière. Et la présence à la tête du pays d'un gouvernement dit de gauche ne constitue pas un avantage pour les travailleurs et ne remplace en rien la lutte.

15 octobre 2005