France - La situation politique à l'approche de la campagne électorale

Εκτύπωση
Eté 2006

Villepin termine son année au plus bas dans les sondages et sa propre majorité au Parlement le soutient comme la corde soutient le pendu, en attendant, peut-être, qu'il tombe !

C'est peu dire que le gouvernement est un panier de crabes. Mais, pour le moment, ce que Villepin et Chirac perdent en crédit auprès de leur propre camp, c'est au profit de Sarkozy.

Il semblerait bien que Villepin survive jusqu'à maintenant à la tête du gouvernement parce que, tout déconsidéré qu'il soit, son départ n'arrangerait personne. Chirac devrait trouver un autre Premier ministre qui lui soit aussi lié que Villepin. Sarkozy, s'il cherche à transformer systématiquement chaque échec du chef du gouvernement en succès pour lui-même, n'a pas pour autant envie que Chirac lui impose l'alternative, ou de quitter son poste de ministre de l'Intérieur, avec le risque de ne plus pouvoir parer les coups de ses «amis» chiraquiens, ou de prendre la tête du gouvernement, au risque de se déconsidérer à son tour avant l'élection présidentielle.

Même les dirigeants du Parti socialiste ont intérêt à avoir face à eux un chef de gouvernement fragilisé pour se donner à bon compte des airs d'oppositionnels inconditionnels dans les joutes parlementaires.

En fait, ceux qui réclament le départ de Villepin, ceux qui se font le plus entendre, ce sont les députés de l'UMP dont la plupart ne l'ont jamais porté dans leur cœur. C'est qu'ils n'ont pas envie d'affronter les élections législatives avec ce boulet.

Le grand patronat, par la voix de Laurence Parisot, la présidente du Medef, vient de faire un bilan de l'année Villepin. Il ressemble à une oraison funèbre : «Depuis un an, nous avons connu une succession, voire une accélération de crises tout à fait préoccupantes pour la stabilité de notre pays, pour sa croissance économique et tout simplement pour le bien-vivre ensemble», a-t-elle déclaré sur LCI, en égrenant l'échec du «non» à la Constitution européenne, les émeutes des banlieues, les manifestations contre le CPE. Et, évidemment, Parisot n'apprécie pas, mais pas du tout que, par prudence devant les réactions des députés de sa propre majorité, le gouvernement retarde la fusion GDF-Suez qui a l'agrément du grand patronat. Parisot donne franchement dans la leçon au gouvernement en affirmant que, «une fois que la décision est prise, il n'y a pas pire que de ne pas la mettre en œuvre.»

Villepin survivra-t-il à l'été à la tête du gouvernement, ou pas ? Sur le fond, la question est sans intérêt. De fait, elle n'intéresse que Villepin lui-même et, accessoirement, les députés de l'UMP qui voudraient s'en débarrasser.

La déconsidération de Villepin avive et rend plus visible la confrontation des ambitions à l'intérieur de la droite qui marque la vie politique depuis plus d'un an. Si Villepin apparaît désormais hors course pour la présidentielle, et Sarkozy à peu près certain d'être investi candidat par l'UMP, il est concurrencé sur son centre par Bayrou et sur son extrême droite par Le Pen et Villiers.

À gauche aussi, ce qui continue à marquer l'actualité politique, ce sont les affrontements au sein même des partis, surtout dans le principal d'entre eux, le Parti socialiste. La rivalité entre la demi-douzaine de candidats à la candidature est de moins en moins feutrée.

Ségolène Royal est en tête dans les sondages, mais ce sont les adhérents, y compris récents, du Parti socialiste qui décideront, et les appareils respectifs des Fabius, Strauss-Kahn ou Jack Lang ne vont pas chômer cet été. Sans parler de Jospin qui vient de se mettre officiellement sur les rangs.

Même situation chez les Verts, entre Dominique Voynet et Yves Cochet, malgré les votes à répétition des militants. Mais seul le nom du candidat reste encore inconnu, pas le choix des Verts d'en présenter un.

Quant au Parti communiste, s'il a repoussé sa décision et continue sur le thème d'une candidature d'unité «antilibérale», il semble certain qu'il soit décidé à présenter Marie-George Buffet, sauf accord de dernière heure avec le candidat du Parti socialiste qui sera désigné en novembre.

Jusqu'ici cependant, il semble que l'ex-Union de la gauche se présentera à la présidentielle presque aussi dispersée qu'elle s'est présentée en 2002.

Le Parti socialiste et son programme

La publication du programme politique du Parti socialiste participe déjà à la campagne.

À entendre ce qu'en disent les candidats à la candidature, ce programme, même s'il est désormais voté par les militants, ne les engage pas vraiment. Strauss-Kahn le dit ouvertement en affirmant que le programme d'un parti ne doit pas être le programme d'un candidat à l'élection présidentielle. Quant aux autres, le contrat doit servir, de «socle»pour l'un, de «cadre» pour l'autre, sans préciser ce qui pourrait être sur le socle ou dans le cadre, histoire de dire seulement qu'il ne les engage pas beaucoup.

Pourtant, s'engager sur ce programme ne serait vraiment pas le bout du monde.

Les 32 pages du texte sont saupoudrées d'adjectifs destinés à faire croire que le Parti socialiste veut «réussir ensemble le changement», comme l'affirme le titre du projet. L'innovation serait «encouragée», le pouvoir d'achat «stimulé», les services publics «confortés». Il y a une petite phrase en direction de chacun des futurs alliés de demain, des écologistes aux altermondialistes, en passant par le Parti communiste. Mais il n'y a pratiquement rien de concret pour les travailleurs, rien en tout cas qui puisse changer sensiblement leur sort.

Le programme a beau affirmer que «atteindre le plein emploi est possible à l'horizon 2012», le peu de mesures qu'il propose se limite à la «réactivation des emplois-jeunes» ou encore des «aides ciblées» pour «agir préventivement» contre les délocalisations. Et le texte d'affirmer : «Nous modifierons les cotisations patronales afin qu'elles cessent de pénaliser l'emploi.»

Pour le Parti socialiste, comme pour la droite, ce sont donc les prélèvements sociaux qui «pénalisent l'emploi», en clair qui lèsent le patronat, ce qui bien sûr serait la cause unique du chômage. Et de ce mensonge grossier présenté comme un diagnostic découle tout naturellement que la meilleure médication contre le chômage est de continuer à abaisser la part patronale des prélèvements sociaux.

De vieilles recettes que tous les gouvernements reconduisent en faisant semblant de les inventer, avec le succès que l'on sait : depuis un quart de siècle, le chômage reste catastrophique. Le chômage étant le principal problème social de notre époque, tout le reste n'est que phrases creuses ou promesses accessoires qui ne coûtent rien au patronat et ne changent rien pour la masse des travailleurs.

Contre la précarité, par exemple, le programme promet de supprimer le CNE, mais se tait sur les dizaines et les dizaines d'autres contrats précaires.

Le projet annonce l'abrogation de la loi Fillon sur les retraites, mais ne dit pas ce qu'il compte mettre à la place et se tait complètement sur la loi Balladur qui a imposé aux travailleurs du privé la même chose que la loi Fillon aux travailleurs du public.

Pourtant, les rédacteurs du projet savent manier la plume. S'ils l'avaient voulu, ils auraient pu affirmer clairement qu'ils s'engagent à revenir aux 37 ans et demi de cotisation et à supprimer toutes les mesures prises contre les retraités depuis quinze ans. Mais non ! Ils ne le disent pas parce qu'ils n'ont pas voulu le dire, c'est-à-dire s'engager le moins du monde.

Quant aux montants des pensions, les retraités doivent se contenter d'une formule du genre : «La pension devra s'approcher du Smic» ! La seule chose claire dans cette formulation, c'est que les pensions des retraités seront inférieures au Smic. Et, sans vouloir plaisanter, on peut même se demander si les pensions actuellement supérieures au Smic ne devront pas, elles aussi, s'en rapprocher !

Quant au Smic justement, avec la promesse de le porter «à au moins 1500 euros brut avant la fin de la législature», mesure phare, paraît-il, de ce programme, même un Chirac peut se permettre d'affirmer, en commentant le misérable coup de pouce du gouvernement à la hausse automatique du Smic qui la porte à 3,05%, qu'à ce rythme, le Smic sera au même niveau en 2012 que ce que promet le Parti socialiste. Et, bien entendu, pour Chirac comme pour le Parti socialiste, il s'agit de 1500 euros brut dont se déduisent les cotisations sociales. Pour le Parti socialiste comme pour la droite, seule la part patronale doit bénéficier des allégements sur les prélèvements sociaux, pas la part salariale.

Et que signifient les promesses de «conforter les services publics» ou «d'améliorer le fonctionnement de l'Éducation nationale», notamment en rendant «obligatoire la scolarisation dès l'âge de trois ans», si on ne donne pas à l'Éducation nationale les moyens pour embaucher le nombre d'instituteurs nécessaires afin que les écoles maternelles ne soient pas de simples garderies surchargées, comme actuellement ?

Dans les 32 pages du programme, il n'y a pas la moindre promesse de puiser sous quelque forme que ce soit dans les énormes profits patronaux ou dans les revenus du capital pour financer un peu mieux l'Éducation nationale, la santé publique et l'ensemble des services publics utiles à la population.

Le programme du Parti socialiste annonce que «nous modifierons le taux d'impôt sur les sociétés». Là encore, les mots sont soigneusement choisis pour ne pas s'engager. On parle de «modifier», et pas d'«augmenter», alors que l'impôt sur les bénéfices est au taux de 33%, bien inférieur aux 50% appliqués sous De Gaulle ou Giscard. Même pour les entreprises pétrolières dont le projet constate «les super-profits», il n'est question que d'un «prélèvement exceptionnel» !

Derrière le vide sidéral de ce programme, il y a cependant une continuité politique. Le Parti socialiste ne veut prendre aucun engagement devant l'électorat populaire quant à sa politique au gouvernement. Ni directement, ni même indirectement, par le biais d'une autocritique claire des années de la gauche au gouvernement. Examiner publiquement quelles sont les mesures du gouvernement d'Union de la gauche qu'il n'aurait pas fallu prendre, et quelles sont celles qu'il aurait fallu prendre et qui n'ont pas été prises, pourrait passer pour un engagement pour le futur.

Le Parti socialiste entend incarner l'alternative électorale face à la droite, mais pas sur la base d'une politique réellement différente par rapport à celle-ci; pas sur la base d'engagements concrets, fussent-ils limités, en faveur de sa base électorale constituée, dans son écrasante majorité, de salariés; mais en misant simplement sur la déconfiture du pouvoir de droite actuellement en place. L'alternative incarnée par l'UMP, d'un côté, ou le Parti socialiste, de l'autre, ressemble à l'opposition démocrates-républicains aux États-Unis et fonctionne de la même manière.

Malgré son nom qui reflète encore ses liens lointains avec le mouvement ouvrier, le Parti socialiste n'est même plus un parti réformiste, au sens de vouloir des améliorations pour les salariés, à l'intérieur du système capitaliste. Les différences entre le Parti socialiste et les partis de droite se limitent à une différence de langage, à des positions moins réactionnaires sur quelques sujets de société comme, dans le passé, la peine de mort ou, aujourd'hui, l'attitude par rapport à certaines catégories opprimées ou discriminées.

Le Parti socialiste, lorsqu'il a eu l'occasion de gouverner, l'a toujours fait en gérant loyal du capitalisme. Aujourd'hui, même dans l'opposition, il évite toute promesse, tout engagement qui pourrait l'opposer aux intérêts du grand patronat.

Aussi ceux qui prétendent vouloir et surtout pouvoir faire pression sur le Parti socialiste pour l'amener à rompre avec la politique qu'il a menée sous Mitterrand puis, plus récemment, pendant les cinq ans du gouvernement Jospin, sèment des illusions qui déboucheront de nouveau, comme en 2002, sur la déception et la démoralisation des classes populaires.

P.C.F. : marchander au mieux son alignement derrière le P.S.

«Pour un rassemblement antilibéral», tel était le titre de l'appel lancé au mois de mai par Marie-George Buffet et explicité dans les colonnes de L'Humanité-Dimanche quelques jours après l'appel. Marie-George Buffet y insiste sur «la possibilité de rompre avec le libéralisme dominant» ou encore «il est possible de prendre un autre chemin», pour conclure : «Nous avons toutes les armes pour entretenir le souffle du 29 mai et changer enfin vraiment l'année prochaine la vie de notre peuple.»

Le Parti communiste ne fait pas mystère, en même temps, de sa volonté de faire voter au deuxième tour pour le candidat du Parti socialiste quel qu'il soit. Mais tous ses arguments politiques tournent autour de l'idée que, plus nombreux seront ceux qui voteront pour le (ou la) candidat(e) d'un «rassemblement antilibéral» au premier tour, plus cela fera «bouger toute la gauche», dans un sens «antilibéral» bien entendu.

Argument qui a été démenti de longue date ! Lorsqu'en 1981 Mitterrand intégra des ministres communistes dans le premier gouvernement de sa présidence, l'électorat du Parti communiste dépassait encore les 15%. Les ministres du PC n'ont eu pour autant aucune influence sur la politique gouvernementale, ils n'ont fait que la cautionner. Le Parti communiste en a payé le prix, avec son électorat qui s'est réduit comme peau de chagrin, d'élection en élection. Mais le prix payé par les travailleurs a été encore plus lourd. Voir des gouvernements de gauche présentés comme le seul espoir, comme le seul débouché politique du point de vue des intérêts des classes populaires, mener une politique anti-ouvrière a stérilisé les luttes défensives et démoralisé les travailleurs et les militants syndicaux.

Les propos politiques de Marie-George Buffet en 2006 sont moins crédibles encore que ceux de Marchais en 1981.

Et invoquer en faveur de cette politique tout à la fois le succès du «nonde gauche» au référendum sur la Constitution européenne et la mobilisation victorieuse contre le Contrat Première Embauche ne rend pas la démarche plus crédible. Il faut «rassembler toutes les énergies antilibérales pour bouleverser le fond. Ce n'est pas une douce folie. Ce n'est pas du vent : le 29 mai 2005, c'est cela que nous avons fait ensemble. Et nous avons gagné. Tout cela ne peut pas rester lettre morte. Il y a devant nous une chance historique et des attentes immenses», affirme l'appel de Marie-George Buffet.

Une «chance historique», rien de moins ! Là encore, les mots sont trompeurs, à commencer par «libéralisme» et «social-libéralisme» désigné comme l'ennemi que le Parti communiste prétend combattre, y compris lorsque cela vient de la gauche. Des mots suffisamment vagues pour ne plus rien signifier, au point qu'un Laurent Fabius peut s'élever contre «la dictature du libéralisme en Europe» !

Et puis, tout de même : en tant que ministre dans le gouvernement Jospin, Marie-George Buffet est restée silencieuse pendant cinq ans et a cautionné cette politique, sans même mettre sa démission en balance pour obtenir des modifications. Alors, tous ces discours, toutes ces poses «antilibérales», ne peuvent que tromper ceux qui lui feraient confiance. Les préoccupations de la direction du Parti communiste sont bien plus terre à terre que les phrases ronflantes de Marie-George Buffet sur la «chance historique».

Il reste au Parti communiste 22 députés à l'Assemblée nationale, dont la réélection dépend du soutien ou pas du Parti socialiste. Il y a les élus dans les Conseils régionaux, dans les Conseils généraux, il y a les municipalités dirigées par le Parti communiste ou partagées avec le Parti socialiste, grâce à l'entente du Parti communiste avec le Parti socialiste. Le poids de ces postes et de ces positions pèse bien plus dans les choix du Parti communiste que le vent des discours de Marie-George Buffet.

Le Parti communiste semble avoir fait le choix de présenter sa candidate au premier tour de la prochaine élection présidentielle, au lieu de s'effacer devant le candidat du PS dès le premier tour, ce qui serait une chance de plus pour qu'il y ait un candidat de gauche au deuxième tour. Comme en 2002 -et pour les mêmes raisons ! Mais pas pour incarner une autre politique. Car enfin, en 2002, le Parti communiste sortait de cinq ans au sein d'un même gouvernement d'Union de la gauche où le PS et le PC avaient mené la même politique.

La seule raison d'une candidature PC à la présidentielle, c'est d'afficher sa différence et tenter de créer un meilleur rapport de force électoral, pour mieux marchander dans les négociations pour les législatives, puis les municipales. Et de toute manière, les voix que le Parti communiste obtiendra au premier tour sur un langage qui se veut radical seront apportées au candidat du Parti socialiste qui, s'il devenait président de la République, ne serait évidemment pas tenu par les positions du Parti communiste.

Tout le reste, le «rassemblement antilibéral», «donner toute sa place à la dynamique populaire antilibérale», n'est que discours électoraux.

Que Marie-George Buffet se présente en tant que candidate du Parti communiste ou qu'elle se présente au nom d'un «rassemblement antilibéral» ne change rien à sa démarche.

Marie-George Buffet n'est cependant pas la seule à vouloir incarner un fumeux «rassemblement antilibéral». José Bové vient, à son tour, de se mettre officiellement sur les rangs en annonçant sa candidature. À part sa marque de fabrique spécifique -le moratoire sur les OGM et l'opposition au réacteur nucléaire EPR-, le langage de José Bové ne diffère guère de celui du Parti communiste : la même exaltation de «la dynamique électorale» censée être portée par «la victoire du non au référendum» ou par «la mobilisation populaire victorieuse contre le CPE», jusqu'à l'exclamation dans les colonnes du Monde : «Dans les urnes et dans la rue, imposer de nouvelles orientations dont le fondement soit de combattre réellement le chômage, de redonner espoir à toute une génération et d'en finir avec l'exclusion sociale ! »

Mais comment atteindre ces objectifs ? Là-dessus, un silence génétiquement non modifié !

Et, surtout, rien de concret pour les travailleurs. Ceux-ci ne font partie des -rares- préoccupations de José Bové que comme sujets à plaindre. Rien contre le système capitaliste et l'État qui le protège. Pour José Bové, comme pour le Parti socialiste et le Parti communiste, le changement, c'est par l'intermédiaire de l'État que cela passe, à condition de bien voter. Si José Bové agrémente le langage politique de la gauche réformiste de quelques expressions de son cru, c'est bien le même langage, pas même réformiste, et c'est aussi la même démarche. Car il n'y a guère de doute qu'au deuxième tour, il compte lui aussi faire voter pour le candidat du Parti socialiste.

Les déboires de la LCR, de l'unité factice à la course après des «alliés» qui se dérobent

Mais dans la nébuleuse que certains nomment «le rassemblement antilibéral» et d'autres «la gauche de la gauche», et dont Marie-George Buffet comme José Bové ambitionnent d'être le candidat à la présidentielle, il y a la Ligue communiste révolutionnaire. Elle aussi, elle ambitionnait de fédérer «à gauche de la gauche».

La Ligue communiste révolutionnaire s'est lancée, dès que le référendum sur la Constitution européenne a été annoncé, dans une politique unitaire en direction de cette gauche de la gauche artificielle, dont la seule base politique unificatrice est le vote «non». Les dirigeants de la Ligue communiste révolutionnaire ont trouvé beaucoup de plaisir à se retrouver, pendant la campagne référendaire, meeting après meeting, aux côtés de Marie-George Buffet ou de Jean-Luc Mélenchon, sans parler des représentants d'une multitude d'associations diverses ayant également appelé à voter «non». Après le «non» au référendum, on les a vus tenter de prolonger ce qu'ils ont appelé «la dynamique du non de gauche» dans différents comités qui ont regroupé de moins de moins de participants. Ils se sont flattés du climat de collaboration qui s'était établi selon eux entre les militants de la Ligue communiste révolutionnaire et ceux du Parti communiste. Ils ont répété à leurs côtés les mêmes discours ronflants sur la victoire du 29 mai ou celle de la mobilisation contre le CPE, qui exigeraient un débouché politique lors des élections de 2007.

Dans une «tribune» publiée dans L'Humanité-Dimanche du 24mai2006, Olivier Besancenot écrivait que, «lors de ces mobilisations, nous avons lutté ensemble. Nous avons appris à nous connaître. Nous avons gagné. La question aujourd'hui est de pouvoir construire un débouché politique à toutes ces luttes, qui permette d'aboutir à une véritable alternative en rupture avec toutes les politiques libérales menées par la droite ou la gauche quand elle était au pouvoir.»

Bien malin celui qui voit dans ce langage une différence avec celui tenu par Marie-George Buffet ou par José Bové. À deux mots près cependant : l'expression «gauche antilibérale», préférée par Marie-George Buffet ou José Bové, est bien souvent remplacée, dans les discours ou les écrits de la Ligue communiste révolutionnaire, par «gauche anticapitaliste». Mais cela ne rend pas la démarche meilleure. Au contraire. Car c'est une façon de faire croire que le Parti communiste ou la gauche du Parti socialiste ou la nébuleuse réformiste qui ne se retrouve ni dans le Parti communiste ni dans le Parti socialiste seraient porteurs d'un quelconque «anticapitalisme» ! Cela revient à tromper l'électorat de gauche, et plus particulièrement les jeunes et les travailleurs.

Oh, bien sûr, la Ligue communiste révolutionnaire ne cesse d'interpeller le Parti communiste à l'approche des élections sur le thème : «Unité de la gauche anticapitaliste ou alliance électorale avec le Parti socialiste, il faut choisir.»

Mais c'est encore une tromperie. Comme si le choix du Parti communiste, sans parler des autres, n'était pas fait ! Comme si, entre ses milliers d'élus, dus en grande partie aux accords avec le Parti socialiste -la Ligue communiste révolutionnaire attribue elle-même 10000 élus au Parti communiste- et la collaboration avec la Ligue communiste révolutionnaire, le Parti communiste pouvait hésiter ! Et, plus profondément encore, comme si le Parti communiste était réellement ce parti opposé au capitalisme que la Ligue communiste révolutionnaire veut voir en lui ! Cela ne peut pas relever de la naïveté. C'est un calcul politique qui, en plus d'être générateur d'illusions, est dérisoire.

Un calcul politique qui, pendant les quelque dix-huit mois qu'ont duré la campagne pour le «non» puis son prolongement artificiel, a mis «l'unité» à l'actif de la Ligue communiste révolutionnaire et de sa politique. Calcul à courte vue

Il y a un an, la Ligue communiste révolutionnaire nous a proposé de nous associer à sa démarche politique en nous invitant à débattre à son université d'été, en sa compagnie et celle de Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet et Francine Bavay, des Verts, «sur les perspectives de la gauche anticapitaliste en France après la victoire du non». Nous lui avons alors envoyé une lettre pour expliquer les raisons pour lesquelles nous n'avions pas l'intention de participer à ce débat et de contribuer ainsi à faire croire que les deux anciens ministres présents du gouvernement Jospin étaient porteurs d'un quelconque anticapitalisme.

Outre la critique politique de la démarche de la Ligue communiste révolutionnaire, nous en avons souligné le caractère dérisoire : «Ces alliés, le PCF et la gauche de la gauche, vous abandonneront dès que la direction du Parti socialiste posera ses conditions à une éventuelle alliance, c'est-à-dire en offrant quelques circonscriptions aux uns et aux autres, voire quelques promesses de fauteuils de ministre, assortis de quelques strapontins, à répartir entre la «gauche du non», le PCF et les Verts. Il est peu vraisemblable que, dans ce panier de crabes, il y ait la moindre place pour vous. Ce que d'ailleurs, pensons-nous, vous ne souhaitez heureusement pas vraiment» -affirmions-nous dans cette lettre. Pour ajouter que, «à un moment ou à un autre, s'ils ne se débarrassent pas de vous, vous devrez bien prendre vous-mêmes l'initiative de la rupture. Évidemment, vous n'aurez pas à chercher beaucoup de raisons. Mais ce qui risque quand même de vous faire apparaître comme ceux qui ont brisé l'unité. En attendant, vous y gagnez, pensez-vous peut-être, d'être considérés par des militants et sympathisants du PCF, et peut-être aussi par une partie de ceux du PS, comme unitaires, comme partisans de la gauche, et que cela vous vaut un certain coefficient de sympathie. Mais si vous vous contentez de cela, si cela est votre seul but, il y aura un moment où vous ne serez guère plus avancés.»

Eh bien, le moment est venu ! Lors de sa conférence nationale des 24 et 25 juin 2006, la Ligue communiste révolutionnaire a choisi, à 58% des votes des délégués, d'annoncer la candidature d'Olivier Besancenot à l'élection présidentielle. Ce qui a évidemment déclenché une réaction de Marie-George Buffet : «C'est une décision regrettable», et celle-ci d'ajouter dans une interview au Parisiendu 26 juin 2006 : «La Ligue communiste révolutionnaire s'est mise en dehors du rassemblement. Encore une fois, je le regrette. Mais je n'ai pas envie de renoncer et de trahir l'espoir de ceux qui se sont battus lors du référendum du 29 mai. J'appelle d'ailleurs les militants de la Ligue à œuvrer avec nous pour faire gagner la gauche l'an prochain.» Bien sûr, Marie-George Buffet est hypocrite car elle savait dès le début que la façade unitaire ne résisterait pas aux impératifs électoraux. Mais elle est en droit de penser que sa charge contre la Ligue communiste révolutionnaire, rendue responsable de la rupture de l'unité, sera partagée par tous ces militants du Parti communiste que la Ligue communiste révolutionnaire s'était flattée d'avoir appris à connaître. Et ce que Marie-George Buffet a exprimé en termes diplomatiques autant qu'hypocrites, L'Humanité du lendemain s'est chargée de l'exprimer de façon brutale sous le titre «Un coup à l'espoir d'une candidature unitaire», en citant le responsable d'un collectif unitaire : «Cette déclaration» -celle de la candidature d'Olivier Besancenot- «me fait l'effet d'un coup de poignard dans le dos.» Et les réserves annoncées par la Ligue communiste révolutionnaire, sa déclaration de vouloir continuer à participer «au comité d'initiative nationale sur les candidatures unitaires antilibérales avec la volonté d'aboutir», sa promesse, si ces «débats unitaires» sont couronnés de succès, qu'Olivier Besancenot retirera sa candidature, ne pèsent pas bien lourd. Elles prouvent seulement que, devant l'échec patent de sa démarche politique, la Ligue communiste révolutionnaire veut faire croire qu'elle ne l'abandonne pas,ne serait-ce que pour ne pas prendre à contre-pied ceux de ses propres militants ou sympathisants qui y avaient cru.

Olivier Besancenot sera donc, comme Arlette Laguiller, candidat à la prochaine élection présidentielle. Cela a déjà déclenché l'ire de L'Humanité sur les «candidatures de témoignage». Comme si Marie-George Buffet avait plus de chances d'être élue ou d'être présente au second tour qu'Olivier Besancenot ou Arlette Laguiller ! Mais il est vrai qu'on ne peut même pas considérer la candidature de Marie-George Buffet comme une candidature de témoignage. Car de quoi témoignerait-elle, si ce n'est de son alignement derrière le Parti socialiste ?

Du côté de l'extrême gauche, Arlette Laguiller et Olivier Besancenot incarnent des politiques différentes. Olivier Besancenot défend une politique visant à construire «un débouché politique aux luttes» en rassemblant des organisations, des associations, des individus, plus réformistes les uns que les autres, même s'ils se démarquent du Parti socialiste. Tandis que la candidature d'Arlette Laguiller vise à populariser, avec les possibilités que donne la campagne présidentielle pour s'adresser à l'ensemble du pays, des objectifs qui ne peuvent pas être atteints par le vote et dans les urnes, mais dont il est nécessaire que la classe ouvrière fasse les objectifs de ses luttes futures.

Il n'est pas possible de changer réellement le sort de la classe ouvrière, de mettre fin au chômage, à l'anarchie et au gaspillage de l'économie capitaliste, à l'aggravation des inégalités, sans que les entreprises, les banques, la vie économique, soient soumises au contrôle des travailleurs, des consommateurs et de la population.

Il faudra une crise sociale majeure, l'action collective avec un haut niveau de conscience de toute la classe ouvrière pour que ces objectifs puissent être imposés. Mais populariser ces objectifs, les faire comprendre, montrer en quoi la situation catastrophique de la classe ouvrière comme les difficultés quotidiennes des travailleurs découlent de la dictature absolue exercée par les groupes capitalistes sur l'économie et demander à l'électorat populaire d'exprimer qu'il fait siens ces objectifs, c'est certainement ce qu'il y a de plus important à faire dans cette élection.

Les calculs, les alliances électorales, les compromis pour les obtenir, ce ne sont que mensonges, tels que ceux dont les travailleurs ont trop souffert depuis vingt-cinq ans.

29 juin 2006