Italie - De la fin du gouvernement Prodi au retour de Berlusconi

Εκτύπωση
mai 2008

Pour la troisième fois depuis moins de quinze ans, c'est Silvio Berlusconi qui est sorti vainqueur des élections italiennes, les 13 et 14 avril, à la tête d'une coalition de son parti, rebaptisé Peuple des Libertés, avec la Ligue du Nord d'Umberto Bossi. Le magnat milliardaire de l'audiovisuel italien, entré en politique à la veille des élections de 1994 en fondant son parti, alors nommé Forza Italia, doit évidemment en grande partie sa fortune politique à sa fortune tout court, et c'est ce qui fait de son accession au gouvernement la démonstration, sans doute un peu trop voyante, que le pouvoir est, d'abord, le pouvoir de l'argent. Mais au fond, il doit au moins autant son succès à la politique de ses adversaires, les partis de gauche italiens, et à la façon dont, en gouvernant au service de la bourgeoisie, ils lui ont ouvert et rouvert la voie. Cela a encore été le cas pour le gouvernement de centre gauche de Romano Prodi, de 2006 à cette année 2008.

1994-2006 : les alternances Prodi-Berlusconi

Pendant pratiquement quarante-cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements italiens sont restés dominés par un grand parti du centre, la Démocratie chrétienne, lointaine héritière du Parti populaire catholique, fondé en 1919 par le prêtre Don Luigi Sturzo, avant d'évoluer vers la bipolarisation au début des années quatre-vingt-dix. L'éclatement des affaires de corruption en 1992-1993, en amenant l'écroulement de la Démocratie chrétienne, a alors ouvert la voie à une « Seconde République » sensée permettre l'alternance entre deux grands partis à vocation majoritaire.

L'un des candidats à ce rôle n'était autre que l'ancien Parti communiste italien. Débarrassé dès 1990 de l'étiquette communiste pour une vague étiquette « démocrate de gauche » (PDS - Partito democratico della sinistra), proclamant n'avoir plus rien à voir avec ses origines révolutionnaires et n'aspirer à rien d'autre qu'à être une version italienne des sociaux-démocrates ou autres travaillistes, il se déclarait ouvertement prêt à gouverner le pays pour le compte de la bourgeoisie, cherchant à rallier d'autres forces pour pouvoir devenir majoritaire.

Il fallait aussi remplir, à droite, le vide laissé par l'éclatement de la Démocratie chrétienne. C'est ce que fit Silvio Berlusconi, en lançant le parti Forza Italia, un peu à la manière des clubs de supporters du club de football qu'il présidait, l'Inter de Milan. Il n'en changea même pas le slogan, puisque son nom pouvait signifier au choix « la Force Italie » ou « Allez l'Italie ! ».

Malgré l'adoption d'une loi électorale substituant le vote majoritaire uninominal à la proportionnelle qui avait régné jusqu'alors, le bipolarisme recherché par la bourgeoisie italienne était pourtant loin d'être totalement accompli. À gauche, le PC transformé en PDS, puis en DS, eut encore à compter avec une fraction ayant refusé l'abandon de l'étiquette communiste et continuant à la revendiquer sous le nom de Parti de la refondation communiste. De même, au centre, les petits partis cherchant à tirer avantage de leur rôle charnière étaient loin de s'avouer vaincus. Enfin, à droite, le parti de Berlusconi avait affaire avec l'ancien parti néo-fasciste et surtout avec un nouveau venu, la Ligue du Nord d'Umberto Bossi.

Issue de l'ancienne Ligue lombarde, petit parti cultivant une mythologie médiévale et faisant d'ailleurs référence à son homonyme du Moyen Âge, la Ligue du Nord réussit à prendre son essor dans les années quatre-vingt-dix, un peu à la manière du Front national en France ou d'autres formations du même genre dans d'autres pays européens. En l'occurrence, Bossi mania une démagogie appropriée à la situation de l'Italie du Nord, axée pêle-mêle contre les Méridionaux ou contre les immigrés en général, et contre le poids de l'État central et ses impôts excessifs, dénoncés dans son slogan de « Rome la voleuse ».

Pour gagner les élections dans une telle configuration, une politique d'alliances s'avérait nécessaire. À droite, Berlusconi facilita l'intégration aux institutions de l'ancien parti néo-fasciste, dont le dirigeant Gianfranco Fini se déclara désormais « post-fasciste » et respectueux de la démocratie. Berlusconi s'allia par ailleurs à la Ligue du Nord et réussit ainsi à gagner les élections de 1994. Cependant, ce dernier allié s'avéra rapidement indocile. Il fit défaut à Berlusconi dès que, à l'automne 1994, celui-ci voulut faire passer une réforme des retraites impopulaire et affronta une grève générale. Berlusconi dut alors être remplacé par un gouvernement Dini qui, lui, fit passer la même réforme des retraites avec cette fois le soutien des syndicats et des partis de gauche.

À gauche, l'ancien PC devenu PDS mit sur pied l'alliance dite des « progressistes » pour les élections de 1994, remplacée ensuite par L'Olivier (L'Ulivo). Il chercha à regrouper avec lui les politiciens du centre prêts à accepter son soutien, ce qui fut très vite le cas du démocrate-chrétien Romano Prodi. Mais sur la gauche du PDS aussi, la fraction du Parti communiste maintenue sous le nom de Refondation communiste affirma sa disponibilité à soutenir l'alliance « progressiste », puis le gouvernement de L'Olivier.

C'est en effet L'Olivier qui gagna les élections de 1996, profitant non pas tant d'un déplacement de voix en sa faveur que du fait que la Ligue du Nord, cette fois, ne s'allia pas avec Berlusconi. Refondation communiste acceptant de se joindre à la majorité, l'Italie connut alors de 1996 à 2001 cinq ans de gouvernements de centre-gauche. Sous la présidence de Prodi d'abord, puis de Massimo D'Alema et de Giuliano Amato, l'ancien PC italien devenu PDS accéda pour la première fois à un gouvernement... donnant à celui-ci la possibilité de mener une politique d'austérité draconienne et de faire passer, avec l'aval des syndicats, les mesures de libéralisation du marché du travail réclamées par le patronat et généralisant la précarité. Si bien que, au terme de ces cinq ans, cette gauche gouvernementale était suffisamment discréditée pour que les élections de 2001 permettent le retour de Berlusconi, à la tête de la coalition dite Maison des libertés (Casa delle libertà) et comprenant de nouveau la Ligue du Nord.

Cette fois, ce deuxième gouvernement Berlusconi s'avéra assez solide pour durer cinq ans, jusqu'aux élections de 2006. Il ajouta à l'œuvre du gouvernement précédent son propre lot de mesures anti-ouvrières, de déréglementation du marché du travail et de cadeaux au patronat. Cependant ces cinq ans permirent à la gauche, retournée à l'opposition, de se refaire quelque virginité. Et ce fut de nouveau Prodi qui se présenta en 2006 contre Berlusconi, à la tête d'une coalition dénommée simplement L'Unione et allant jusqu'à Refondation communiste. Le dirigeant de ce parti, Fausto Bertinotti, justifia cet alignement derrière Prodi par la nécessité de se débarrasser à tout prix de ce gouvernement d'un milliardaire de l'audiovisuel, incarnation la plus cynique du pouvoir du capital et entachant gravement l'image internationale de l'Italie.

Le deuxième gouvernement Prodi

C'est donc essentiellement sur la base de l'anti-berlusconisme qu'un second gouvernement Prodi s'installa en avril 2006. Une victoire électorale acquise d'extrême justesse allait lui permettre de justifier d'autant plus la nécessité de serrer les rangs, au nom de la nécessité d'empêcher... le retour de Berlusconi. Il n'était cependant pas permis de nourrir la moindre illusion sur la politique qu'allait mener Prodi. Il disposait pour son retour du soutien ouvert de la Confindustria, la confédération patronale italienne. Celle-ci reprochait à Berlusconi, justement parce qu'il était patron lui aussi, de trop penser à ses propres intérêts et pas assez à ceux de l'ensemble du patronat. En revanche, elle savait par expérience qu'un Prodi, ancien grand commis de l'industrie d'État, architecte des privatisations, ancien président de la Commission européenne et expert en politiques d'austérité tant en Italie qu'à l'échelle de l'Europe, n'hésiterait jamais à appliquer la politique du grand patronat et, de plus, pourrait la faire passer dans la paix sociale, grâce au soutien des grandes confédérations syndicales et de l'ensemble des partis de gauche.

La Confindustria n'eut en effet aucune raison d'être déçue de Prodi... au contraire des travailleurs et des militants qui avaient pu nourrir un espoir que le retour d'un gouvernement « de gauche » allait marquer quelque rupture avec la politique anti-ouvrière du gouvernement précédent.

Prodi oublia très vite les quelques fausses promesses contenues dans le programme de L'Unione pour cette campagne électorale de 2006. En fait de lutte contre les « privilèges », il ne sut s'attaquer qu'à quelques catégories sociales plutôt liées électoralement à la droite et allant des chauffeurs de taxis aux pharmaciens et aux petits commerçants. Le décret Bersani, lancé au début de l'été 2006 et sensé « libéraliser » ces secteurs, souleva leurs protestations et eut évidemment l'approbation d'une partie du public de gauche. Mais il s'inscrivait au fond dans une politique bien classique des gouvernements dits de gauche : s'attaquer à quelques fractions de la petite bourgeoisie pour mieux cacher qu'ils ne s'attaquent pas à la grande. Car en revanche les privilèges, bien réels ceux-là, du grand patronat ne furent évidemment pas effleurés. Au contraire, on vit les profits patronaux exploser de plus belle.

Quant à satisfaire les attentes des salariés, Prodi avait promis, certes pas d'augmenter les salaires, mais d'introduire un mystérieux « coin fiscal » de 5 %, dégrèvement d'impôt sensé profiter tant au salarié qu'à l'employeur. De même, un paragraphe du programme de L'Unione promettait de « dépasser » la loi Biagi de 2003, une loi qui sous Berlusconi avait encore multiplié les contrats précaires. Mais les termes mêmes de ces promesses indiquaient l'imposture, et seule la caution des partis de gauche au programme de l'Unione pouvait leur donner quelque crédibilité auprès de l'électorat populaire.

Finalement le fameux « coin fiscal » de 5 % fut réparti à raison de 3 % en faveur des entreprises et seulement 2 % en faveur des salariés, soit pour ceux-ci, dans le meilleur des cas, un bonus de pouvoir d'achat de quelques centaines d'euros par an, pratiquement insensible. Enfin, un accord sur « l'État social » conclu à l'été 2007 avec les syndicats permit de faire passer l'augmentation progressive de l'âge du départ à la retraite réclamée à grands cris par la Confindustria. En même temps, cet accord introduisait quelques modifications mineures de la loi Biagi revenant, surtout, à l'entériner.

Grâce à un referendum, organisé à leur manière en octobre 2007, les dirigeants syndicaux proclamèrent, sans qu'aucun contrôle soit possible, que cet accord sur « l'État social » était approuvé à 80 % par les travailleurs. Mais les sifflets qui les accueillirent lors d'une assemblée ouvrière à l'usine Fiat de Turin-Mirafiori, lorsqu'ils vinrent présenter l'accord, ainsi que le « non » à l'accord majoritaire dans les grandes usines, montraient sans doute bien plus sûrement les véritables sentiments des travailleurs.

Il faut ajouter, à ces capitulations attendues devant les désirs de la Confindustria et du patronat, les reculs du gouvernement Prodi face à toutes les pressions venues de sa droite, l'amenant à abandonner rapidement les quelques réformes de société envisagées. Ce fut le cas de la loi sur les « dico » (diritti delle coppie - droits des couples), version italienne du Pacs qui aurait établi les droits des couples non mariés, y compris éventuellement homosexuels. Cette velléité d'audace législative fit l'objet d'un tir de barrage de la part de l'Église et des nombreux groupements qui en sont le relais dans le monde politique italien. La détermination de la coalition de centre-gauche à faire passer les « dico » faiblit donc rapidement, jusqu'à la mise de côté du projet.

Enfin, dans le domaine de la politique étrangère, le contingent italien fut bien retiré d'Irak, comme cela avait d'ailleurs déjà été envisagé sous Berlusconi. Mais le gouvernement Prodi tint à compenser ce geste en réaffirmant par ailleurs l'engagement militaire de l'impérialisme italien. Non seulement la mission militaire italienne en Afghanistan fut reconduite, mais l'Italie se porta première volontaire, après la guerre israélo-libanaise de l'été 2006, pour l'envoi d'un contingent au Liban. Le prétexte était toujours bien sûr que l'Italie, pays pacifique, n'envoie à l'étranger que des forces de « maintien de la paix ». Mais il cachait bien mal la volonté du gouvernement Prodi d'affirmer son engagement au côté des États-Unis, et en même temps de revendiquer la part de l'impérialisme italien dans les marchés pouvant résulter de ces expéditions militaires.

Il faut encore ajouter, au passif du gouvernement Prodi, que toute velléité d'abroger la loi Bossi-Fini sur l'immigration, loi due au précédent gouvernement Berlusconi et particulièrement odieuse, disparut de l'ordre du jour gouvernemental, bien que cette abrogation ait fait partie du programme de L'Unione. Là aussi, avant même d'avoir cherché à combattre, Prodi capitula devant les campagnes de la droite et de la grande presse qui dénonçaient l'immigration clandestine, assimilaient les immigrés à des délinquants et toute attitude d'humanité à du « laxisme ». Pour finir, un assassinat commis dans la périphérie de Rome et attribué à un Roumain, à l'automne 2007, fut suivi d'une nouvelle campagne contre les immigrés. Les maires de grandes villes, le plus souvent à majorité de centre-gauche, adoptèrent des décrets autorisant les expulsions arbitraires. Un décret gouvernemental couvrit leur attitude, au nom de la lutte contre la « délinquance ».

Quelques mois plus tard, le scandale du traitement des ordures dans la région de Naples allait illustrer en revanche le laxisme, et même l'impuissance du gouvernement - et, pour être juste, de tous ses prédécesseurs - à l'égard de la délinquance de la camorra napolitaine et de son contrôle sur les décharges et le marché des ordures. Mais la camorra, comme les autres mafias, jouit de trop de complicités dans la classe possédante, et parmi les politiciens, pour que ceux-ci lui promettent les rigueurs de la loi de la même façon qu'aux immigrés sans papiers...

La « gauche radicale » otage du gouvernement

Au cours de la précédente expérience de centregauche entre 1996 et 2001, Bertinotti et Refondation communiste avaient tenté de faire pression sur la coalition pour obtenir d'elle quelques mesures sociales ou prétendues telles. À l'automne 1998, Refondation communiste avait retiré son soutien à Prodi lorsque celui-ci avait refusé de s'engager sur une loi instituant les 35 heures hebdomadaires, au prix d'ailleurs d'une scission du parti. Une fraction de Refondation communiste, le Parti des communistes italiens (PdCI), en maintenant son soutien à la coalition de centre-gauche, permit à celle-ci d'aller jusqu'au bout de la législature et obtint en retour des postes de ministres.

Pour les élections de 2006, la coalition de L'Unione se prémunit donc contre d'éventuelles surenchères à gauche. Cette fois, tant Refondation communiste que le PdCI devinrent membres de L'Unione et en acceptèrent la discipline après que des « primaires », à l'automne 2005, avaient désigné Prodi comme chef de la coalition. En retour, après la victoire de L'Unione aux élections d'avril 2006, Bertinotti se vit offrir le poste de Président de la Chambre des députés, succès qu'il dédia alors « aux ouvrières et aux ouvriers » ! Mais c'était surtout un moyen de neutraliser son parti et Bertinotti lui-même, avec son consentement bien sûr.

Ainsi engagés à faire preuve de loyauté envers la coalition au pouvoir, Refondation communiste et le PdCI, ainsi parfois que les Verts et une fraction des DS, furent réduits tout au plus à des protestations. Aucun d'entre eux n'avait sans doute l'illusion de pouvoir changer la politique du gouvernement, mais chacun cherchait au moins à s'en démarquer lorsque les mesures gouvernementales heurtaient trop ouvertement les aspirations de son électorat et de sa base. Refondation communiste et le PdCI pouvaient même parfois crier victoire, pour peu que leur intervention ait permis d'infléchir, même de façon infinitésimale, une décision impopulaire. Mais en fait, en brandissant toute apparence de résultat pour tenter de justifier leur participation gouvernementale, ils en accentuaient le côté dérisoire.

Globalement, ces quelques pressions venues de la gauche de la coalition s'avéraient en fait impuissantes alors que les pressions venues de sa droite, elles, obtenaient le plus souvent gain de cause. Il n'en fallait cependant pas plus pour que la droite, et à sa suite une grande partie de la presse, dénoncent un gouvernement qui, selon elles, était l'otage d'une « gauche radicale »... qui ne l'était pourtant guère.

Si le gouvernement Prodi finit par tomber, le 24 janvier 2008, après avoir été mis en minorité au Sénat, ce fut sans que cette « gauche radicale » y soit pour quoi que ce soit, mais parce que le petit parti centriste des Populaires-Udeur (Union des démocrates pour l'Europe) de Clemente Mastella lui avait retiré sa confiance.

Que Mastella n'ait pas été un allié très sûr pour la gauche, cela n'avait pourtant pas de quoi surprendre. Ce politicien du Sud, fortement suspect de liens avec la mafia, avait été ministre du Travail dans le premier gouvernement Berlusconi, mais son parti s'étant rallié à L'Unione pour les élections de 2006, cela lui avait valu rien moins que le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement Prodi. Le poste était bien utile pour un homme comme Mastella qui, depuis son ministère, faisait son possible pour contrer les tentatives d'indépendance des juges et leurs enquêtes sur la corruption. Cependant ses manœuvres à la tête de l'appareil judiciaire ne réussirent pas à éviter qu'un juge l'implique dans une enquête sur des faits de concussion et décide d'assigner à domicile sa propre femme, présidente du Conseil régional de Campanie (la région de Naples). C'est alors, jugeant inadmissible d'être mis en cause et estimant que la majorité de centre-gauche ne lui manifestait pas la solidarité voulue, que Mastella démissionna de son poste. Après quoi il retira la confiance de son parti à la coalition et provoqua la chute de Prodi.

L'affaire démontrait du même coup que la vraie faiblesse de ce gouvernement ne tenait pas tant à l'attitude de la « gauche radicale » qu'au fait de dépendre de politiciens centristes de ce type, prêts à tourner leur veste sans aucun remord. Pourtant, c'est au nom de la solidarité gouvernementale avec de tels citoyens au-dessus de tout soupçon et autres bons catholiques en odeur de mafia, que la prétendue « gauche radicale » avait accepté pendant deux ans de manger son chapeau et de brader les intérêts ouvriers. Il ne fallait pas, se justifiaient-ils, mettre le gouvernement en difficulté par des exigences exagérées et risquer ainsi de provoquer le retour de Berlusconi. Mais un Mastella, lui, pouvait permettre ce retour pour bien moins que ça !

Les élections anticipées et le retour de Berlusconi

La chute du gouvernement Prodi et l'organisation des élections législatives anticipées, qui se sont donc tenues les 13 et 14 avril 2008, ne prenaient pas le monde politique italien par surprise. Au sein de L'Unione, les DS s'y préparaient depuis de longs mois, ayant décidé de créer un parti plus vaste grâce à l'unité avec le regroupement centriste dit de la Marguerite, lui-même issu du regroupement de plusieurs partis du centre, dont la fraction démocrate-chrétienne « de gauche » de Prodi.

Ainsi naquit au printemps 2007 le Parti démocrate. Il s'agissait de constituer à partir des DS et de la Marguerite un parti d'inspiration vaguement réformiste, ayant vocation à devenir majoritaire et à gouverner l'Italie en alternance avec la droite berlusconienne.

Parmi les pères de cette énième tentative d'aller vers un système politique bipolaire se trouvait Walter Veltroni. Dirigeant des DS, venu de l'ancien Parti communiste, maire de Rome, Veltroni s'était affirmé depuis longtemps favorable à la transformation de l'ancien PC en rien moins qu'une imitation du Parti démocrate américain, le fin du fin de la démocratie selon Veltroni. La création du Parti démocrate apparaissait comme l'aboutissement final de son projet, et au cours de « primaires » tenues en octobre 2007 Veltroni fut choisi comme leader du nouveau parti, devant donc être son candidat au poste de Premier ministre en cas de nouvelles élections.

Et en effet, face à la droite regroupée derrière Berlusconi, ce ne fut pas Prodi décidément trop usé, mais Veltroni et le Parti démocrate qui tentèrent de se présenter comme une alternative. N'osant même pas revendiquer le bilan du gouvernement sortant, mettant en avant un programme indigent en matière sociale, ponctué de slogans aussi vides que « on peut le faire » (si può fare), ils tentèrent en se montrant les plus modérés possible de disputer à Berlusconi l'électorat du centre. En même temps, décidé à ne pas donner prise à l'accusation d'être l'otage de la « gauche radicale », Veltroni proclama qu'il refuserait toute alliance avec celle-ci, et que pour ces élections d'avril 2008, le Parti démocrate « courrait seul ».

En fait, ce choix fait par Veltroni ôtait par avance toute possibilité de victoire à une coalition de gauche, la privant d'emblée des voix de la « gauche radicale ». Il est vrai que Veltroni, par des appels au « vote utile », cherchait à inciter ses électeurs à passer du vote pour le PdCI ou pour Refondation communiste au vote pour le Parti démocrate, mais cela ne pouvait pas être suffisant. Le choix de Veltroni était, semble-t-il, de profiter de ces élections, non pas tant pour empêcher une victoire de Berlusconi estimée désormais inévitable, que pour s'affirmer comme le leader d'une alternative à celui-ci. Veltroni se déclarait prêt à gouverner l'Italie « comme un pays normal », comme il allait le répéter sans cesse au cours de la campagne électorale. Il faut comprendre par là qu'il voulait être l'homme pouvant gouverner comme le souhaite le grand patronat, et prêt à « réformer » le pays, selon le mot à la mode, en se gardant des surenchères à droite et surtout de celles venant de gauche.

Ce choix mettait en difficulté la « gauche radicale » ainsi soudainement débarquée de l'alliance veltronienne, malgré somme toute ses bons et loyaux services au gouvernement Prodi. La fin prévisible de la coalition de centre-gauche l'obligeait, pour ne pas risquer d'être éliminée par le barrage des 4 % de voix nécessaires pour être représenté à la Chambre, à constituer une alliance. Faute de mieux, on parla de la « cosa rossa » (la chose rouge) pour désigner ce projet de constituer une sorte de gauche du centre-gauche regroupant le PdCI, Refondation communiste, les Verts ainsi que la Gauche démocratique (SD - Sinistra democratica), fraction des DS qui autour de Fabio Mussi venait de refuser de se fondre dans le Parti démocrate. Mais pour finir, la « cosa rossa » n'ayant pas eu le temps de voir le jour, c'est sous le nom de « gauche arc-en-ciel » (sinistra arcobaleno) que cette alliance allait se présenter aux élections d'avril.

Pendant que Veltroni se montrait le plus modéré possible, tentant même de démentir que le Parti démocrate soit un parti « de gauche », les leaders de la « gauche arc-en-ciel », après s'être compromis pendant deux ans au gouvernement, tentèrent alors le temps d'une campagne de retrouver quelque allure radicale. Bertinotti, après deux ans de quasi-silence à la présidence du Parlement, retrouva soudain quelques accents pour dénoncer la mainmise du capital et des puissances d'argent ou pour prendre la défense des travailleurs mal payés et des précaires. Mais visiblement il était trop tard pour redresser la barre.

L'écroulement de la « gauche radicale »

Contrairement aux présentations résumées de la presse, le résultat des 13 et 14 avril ne traduit pas un véritable succès électoral de Berlusconi, mais plutôt celui de la loi électorale en vigueur pour ces élections. Cette loi, mise en vigueur pour ses propres fins par Berlusconi peu avant les élections de 2006, avait rétabli la proportionnelle, mais en l'assortissant d'un seuil de 4 % des voix pour être représenté à la Chambre. Elle y ajoutait une incitation à constituer des coalitions de partis, ainsi qu'une « prime de majorité » attribuant d'office 55 % des députés à la coalition obtenant la majorité, même relative. Cette loi, qui avait tourné en 2006 à l'avantage de Prodi grâce à un écart d'à peine 25 000 voix, a tourné cette fois à l'avantage de la coalition de Berlusconi.

En effet, non seulement Berlusconi se présentait à la tête d'un nouveau parti, le PdL (Peuple des Libertés) issu de la fusion de Forza Italia et de l'Alliance nationale, mais aussi comme le leader d'une coalition englobant d'une part la Ligue du Nord d'Umberto Bossi, d'autre part le MPA (Mouvement pour l'autonomie) ou Ligue du Sud. Cette façon de s'annexer toutes les voix possibles d'un bout à l'autre du pays a été efficace. Le PdL n'a finalement recueilli qu'un nombre de voix assez comparable à celui que ses composantes avaient recueilli en 2006, et c'est en fait la Ligue du Nord de Bossi qui a progressé, passant de 4,58 % des voix en 2006 à 8,30 % en 2008. C'est ce qui permet à la coalition berlusconienne d'arriver en tête (avec 46,81 % des voix pour l'élection de la Chambre des députés) et ainsi d'obtenir les 55 % de députés lui donnant la majorité à la Chambre. Le résultat est analogue au Sénat, dont l'élection a lieu en même temps et comporte également l'attribution de primes de majorité, calculées cette fois régionalement.

Il faut préciser aussi qu'un des alliés centristes de Berlusconi en 2006, l'UDC, lui faisait défaut cette fois-ci. Ce parti, l'Union du centre de Pier Ferdinando Casini, tentative de ressusciter la Démocratie chrétienne, avait en effet décidé de « courir seul ». Il tire son épingle du jeu avec 5,62 % des voix (contre 6,76 % en 2006) et à peine moins de députés (36 au lieu de 39).

Du côté de la gauche, le Parti démocrate de Veltroni n'avait constitué une coalition qu'avec un parti, l'Italie des valeurs » (IdV) de l'ex-juge Di Pietro, connu pour avoir conduit les enquêtes sur la corruption du personnel politique dans l'affaire dite des « mains propres » des années quatre-vingt-dix. Et au sein de cette coalition, tandis que le Parti démocrate recueille un pourcentage de voix comparable à ce que recueillaient ses composantes en 2006, c'est surtout l'IdV qui progresse, passant de 2,06 % en 2006 à 4,37 % en 2008.

Ces élections ne sont donc pas vraiment un succès du bipolarisme recherché aussi bien par Berlusconi que par Veltroni, bien d'accord pour tenter d'en faire un choix entre eux deux, et entre eux deux seulement. Non seulement l'UDC se maintient, mais au sein des deux coalitions, ce sont la Ligue du Nord d'une part, l'IdV d'autre part, qui progressent. Il faut ajouter qu'une liste d'extrême droite, la Droite-Flamme tricolore, se présentant indépendamment de la coalition berlusconienne alors que le PdL avait annexé sur ses listes la petite fille du Duce Alessandra Mussolini, a réussi à recueillir 2,42 % des voix.

En revanche, le fait notable est bien l'écroulement de la « gauche arc-en-ciel » qui tentait, dans ces élections, de sauver la mise de la soi-disant « gauche radicale ». En effet, en 2006, Refondation communiste, le PdCI et les Verts totalisaient 3 898 394 voix (10,22 %), alors qu'en 2008, la « gauche arc-en-ciel » sensée regrouper ces trois partis n'a plus recueilli que 1 124 418 voix (3,08 %), soit moins que les 4 % nécessaires pour être représentée au Parlement. Les partis de la « gauche de la gauche » apparaissent ainsi comme les seuls à avoir, dans ces élections, été nettement désavoués par leur électorat, payant et pour le bilan du gouvernement Prodi, et pour leur propre politique.

Que sont devenues les voix des partis de la « gauche arc-en-ciel » ? Il faudra une analyse électorale approfondie pour le dire précisément. On peut cependant constater qu'une partie de ces voix est certainement allée aux deux listes d'extrême gauche (Parti communiste des travailleurs et Gauche critique), présentes pour la première fois et qui totalisent 376 067 voix (1,03 %). En tenant compte de ce 1,03 %, il reste cependant encore pour l'ensemble des partis de la « gauche arc-en-ciel » une perte de près de 2 400 000 voix et de 6 points de pourcentage à expliquer.

Une partie de cette perte est sans doute due aux abstentions et aux votes nuls, dont l'augmentation est notable, la participation électorale étant passée de 83,62 % en 2006 à 80,51 % en 2008 (chiffres du ministère de l'Intérieur italien, excluant la région à statut spécial du Val d'Aoste). Une partie des électeurs de la « gauche arc-en-ciel » a peut-être aussi répondu aux sirènes du « vote utile » prôné par Veltroni. Mais comme le signale la presse italienne, une partie notable des classes populaires fait désormais défaut tant à la « gauche arc-en-ciel » qu'au Parti démocrate de Veltroni, se tournant vers la Ligue du Nord en Italie du nord, ou tout simplement vers le PdL berlusconien en Italie du sud.

Le quasi-doublement des voix de la Ligue du Nord est d'autant plus sensible que la progression est concentrée sur moins de la moitié nord du pays, où les résultats de la Ligue du Nord peuvent atteindre et dépasser localement les 30 % des voix. En outre, autrefois surtout cantonné aux villes petites et moyennes et aux campagnes de la Lombardie, autour de Milan, ce vote s'est étendu dans les régions du Nord, gagnant le Piémont, la Vénétie, voire la Ligurie et l'Émilie-Romagne et permettant à la Ligue du Nord d'obtenir de bons résultats dans de nombreuses petites villes ouvrières autrefois considérées comme « rouges ». Le quotidien Corriere della Sera cite le résultat de Sesto San Giovanni, banlieue ouvrière milanaise longtemps considérée comme une des plus « rouges » d'Italie : tandis que la Ligue du Nord y dépasse les 10 %, la « gauche arc-en-ciel » voit ses voix divisées par trois, passant de 15,86 % à 5,17 %, et le PdL berlusconien dépasse largement le PD de Veltroni. Enfin, le même quotidien note aussi que « au Sud, les banlieues votent PdL ». Ainsi à Naples, si le quartier bourgeois du Vomero n'a voté qu'à 43 % pour le PdL berlusconien, ce pourcentage dépasse les 50 % dans nombre de quartiers périphériques.

Le Parti démocrate de Veltroni pense sans doute avoir réussi un de ses paris, se positionnant comme la possible alternative de gauche à Berlusconi tout en se libérant des pressions possibles de la « gauche arc-en-ciel » ou de ses avatars. Il peut estimer avoir imposé son hégémonie sur la gauche de façon indiscutable, en réduisant à la portion congrue la fraction de la gauche s'affirmant encore communiste. Cependant, il peut constater aussi que les électeurs qui quittent la « gauche arc-en-ciel » ne votent pas tous pour autant pour le Parti démocrate. Celui-ci ne leur donnant guère de raisons de voter pour lui, ils s'échappent vers d'autres partis, y compris de droite, ou bien vers l'abstention. Ainsi, tandis que la droite réussit visiblement à mobiliser son électorat, la politique de la gauche aboutit au contraire à démobiliser le sien, quant elle ne le rejette pas vers l'autre camp.

La comparaison vient évidemment à l'esprit avec le PS français qui a réussi, peu à peu, à réduire l'influence du PCF. Comme au PS français, ce résultat pourrait poser au PD italien autant de problèmes qu'il n'en résout : les voix de Refondation communiste, comme celles du PCF, étaient les voix d'une partie des couches populaires, nécessaires pour permettre à la gauche de constituer une majorité. Elles manqueront désormais au PD, tout comme elles manquent au PS français.

Vers la gouvernabilité ?

Pour Berlusconi comme pour Veltroni, ces élections d'avril 2008 devraient marquer un pas de plus vers la « gouvernabilité » de l'Italie, telle qu'elle résulterait de l'installation d'un bipolarisme résumant la vie politique à l'alternance entre deux partis à la politique très semblable, comme les conservateurs et les travaillistes britanniques, ou bien les démocrates et les républicains américains. C'est un vieux souhait régulièrement formulé par les dirigeants italiens, mais dont la réalisation effective semble reculer sans cesse. Cette fois, le consensus existe entre Berlusconi et Veltroni pour décider ensemble d'un système électoral permettant à chacun de dominer son camp, l'un à gauche et l'autre à droite. Mais cela aussi est un vieux projet, que les réformes successives du système électoral depuis quinze ans n'ont pas encore réussi à réaliser. Il est permis de douter qu'il réussisse vraiment cette fois-ci.

En effet, si Veltroni a réussi à dominer sa gauche, il n'a pas encore réussi à imposer son hégémonie au centre, y compris à l'Italie des Valeurs présente dans sa propre coalition et qui, renforcée, posera certainement ses conditions. Il en sera de même de l'UDC au centre, prête à marchander son appui sur sa droite comme sur sa gauche. Enfin, Berlusconi lui-même ne peut ignorer que, dans sa propre coalition, c'est d'abord la Ligue du Nord qui s'est renforcée et qui, elle aussi, s'est déjà montrée, et pourrait se montrer de nouveau, un allié indocile.

Le bipartisme parfait dont rêvent Veltroni et Berlusconi est donc encore loin d'être réalisé, si tant est qu'il puisse exister. La raison n'en est pas seulement que les différentes cliques politiciennes ne tiennent pas à sacrifier leurs intérêts particuliers, leurs postes et sinécures, au nom de la « gouvernabilité » de l'Italie. Il y a là, aussi, des raisons structurelles : la Ligue du Nord reflète, sinon les aspirations indépendantistes, du moins les intérêts particuliers de toute une classe de petits et moyens entrepreneurs du Nord. Désireux de payer moins d'impôts à l'État central et de pouvoir s'affranchir de toute réglementation, ils ne voient pas la nécessité d'accepter les normes et les choix faits par les grands groupes capitalistes. Ayant réussi à gagner une partie des votes populaires, la Ligue du Nord peut se sentir d'autant plus forte pour tenter d'imposer ce qu'elle nomme « le fédéralisme fiscal », et accepter d'autant moins la discipline du gouvernement Berlusconi. Et par ailleurs celui-ci est aussi soumis à un grand nombre d'autres pressions venant des différentes couches de la bourgeoisie, y compris celles venant de la bourgeoisie du Sud, voire de la mafia ou de la camorra.

Pour toutes ces raisons, il n'est pas sûr que la bourgeoisie italienne trouve dans la période qui vient la « stabilité » dont elle rêve. Et il est vrai qu'à l'exception de la période de la dictature fasciste, cette stabilité, au fond, n'a jamais été vraiment réalisée. Au fond, elle est liée au manque d'homogénéité des couches dirigeantes elles-mêmes, dans un pays dont l'unité économique et politique n'a jamais été vraiment atteinte et qui l'est d'autant moins aujourd'hui. Et pour peu que la crise financière mondiale s'aggrave encore, les réactions des différentes fractions de la bourgeoisie pourraient ressembler à du chacun pour soi.

Après la « gauche arc-en-ciel »

Devant un résultat qui est évidemment un désaveu, Bertinotti a annoncé dès le soir du 14 avril qu'il renonçait à ses fonctions de dirigeant de Refondation communiste. Mais c'est bien la politique qu'il a menée qui est en cause. Bien sûr, il peut incriminer le Parti démocrate et la façon dont, depuis des années, les dirigeants de ce qui fut le grand Parti communiste italien se sont employés à effacer progressivement tout ce qui, dans leur identité politique, pouvait évoquer la lutte de classe et la défense des intérêts des travailleurs. Mais au fond, depuis la création de Refondation communiste en 1991, et tout en continuant à s'affirmer communistes, ses dirigeants et ceux du PdCI ont accompagné, à quelques pas de distance seulement, l'évolution des DS, puis du PD.

La « Refondation communiste » n'a jamais été une rupture avec la politique réformiste qui avait été celle du vieux parti stalinien jusqu'à sa transformation en PDS en 1990. En fait, elle n'en a été qu'une réédition un peu décalée, amenant le parti de Bertinotti à accepter la participation à des gouvernements de centre-gauche qui allaient, inévitablement, décevoir les attentes des travailleurs. Le leader de Refondation a seulement cherché à manifester son originalité en se découvrant, selon les circonstances, « mouvementiste », puis pacifiste, en reconnaissant des mérites au Pape ou bien en déclarant vouloir rompre avec une « culture de violence » qui, selon lui, serait présente dans le mouvement ouvrier, et faire l'éloge de la non-violence. Il s'est employé lui aussi à dénaturer méthodiquement ce qui restait d'identité communiste chez ceux qui, en 1991, avaient refusé de suivre l'évolution de la majorité du PC italien vers un parti de gauche bourgeois.

Dans une tardive autocritique à la télévision italienne, le soir des élections, Bertinotti a regretté que Refondation communiste, se réduisant à un parti d'opinion, « ait un peu trop déserté les portes des entreprises », laissant ainsi le champ libre aux démagogues de la Ligue du Nord. C'est certainement une réalité, mais qui fait partie de la politique choisie par Bertinotti à la tête de Refondation communiste. Les travailleurs italiens n'ont pas seulement été trahis par d'anciens dirigeants communistes qui, pressés de devenir des dirigeants bourgeois comme les autres, ont bradé le mouvement ouvrier et se sont servi de l'appui de dirigeants syndicaux prêts à toutes les collaborations pour faire passer des politiques anti-ouvrières. Ceux-là mêmes qui, face à cette évolution du vieux PCI au PD, ont prétendu maintenir une orientation communiste, se sont bien gardés de chercher à la traduire en actes.

Au contraire, les dirigeants de Refondation communiste et du PdCI ont apporté leur soutien, fût-il honteux et réticent, à la démarche des précédents. Ils le payent aujourd'hui, plus cher encore que les dirigeants du PD ne le payent eux-mêmes. On pourrait se contenter de dire que c'est bien fait si, au-delà d'eux-mêmes, le bilan de leur politique n'était pas encore plus lourd pour la classe ouvrière et pour ses perspectives politiques. Car c'est visiblement toute une fraction des classes populaires qu'ils ont rejetée ainsi vers les démagogues de la Ligue du Nord ou les tenants de Berlusconi.

Les travailleurs ont malheureusement constaté, par leur propre expérience, dans un pays où le mouvement ouvrier a une forte tradition, que les grandes organisations qui en sont issues ont tout simplement cessé de défendre leurs intérêts, y compris souvent les plus élémentaires. Mais la classe ouvrière, elle, reste face à la nécessité de défendre ses salaires, ses conditions de vie, sa dignité, contre toutes les attaques qui viendront de Berlusconi ou de n'importe quel autre, comme elles sont venues du gouvernement de centre-gauche et bien sûr du patronat.

Et pour cela, les travailleurs n'ont aucune raison de se sentir démoralisés par l'échec de ces partis de gauche qui ont abandonné leurs intérêts. Mais ils ont au contraire toutes les raisons de faire confiance à leurs propres forces, car ils ont tous les moyens de lutter sur leur terrain de classe.

21 avril 2008