Automobile : un exemple cruel de la guerre menée par les patrons contre la classe ouvrière

Εκτύπωση
novembre 2008

Le texte suivant est la traduction d'un article rédigé le 20 octobre dernier par les camarades de l'organisation trotskyste américaine The Spark sur l'offensive menée par le patronat contre les travailleurs de l'automobile aux États-Unis. Cet article est paru dans le n° 60 de la revue Class Struggle que publient ces camarades.

Après des mois de spéculations autour d'une possible faillite d'une ou plusieurs entreprises automobiles, en particulier GM ou Chrysler, l'atmosphère a changé après que le New York Times et le Wall Street Journal ont tous deux rapporté que GM pourrait être en train de conclure un accord avec Cerberus, le principal actionnaire de Chrysler. Le journal émettait l'hypothèse que GM mettrait la main sur Chrysler et sur une somme d'argent non précisée, tandis que Cerberus recevrait les parts de GM dans GMAC, ce qui lui donnerait la pleine propriété de la compagnie financière de GM. Selon le Times, Cerberus pourrait simplement abandonner Chrysler et recevoir les actions de GM en échange.

Juste avant que cette dernière rumeur ne se répande, l'action de GM avait plongé pour atteindre à peine plus de 4 dollars, son point le plus bas depuis 1949, représentant moins de 5 % de son prix de 2000, qui était alors de presque 94 dollars. La notation de ses obligations s'était effondrée au niveau des « obligations pourries ». Et la capitalisation de GM, la plus grande société automobile du monde, se chiffrait à seulement 3,9 milliards de dollars, un peu plus que la moitié de celle de Mattel, qui fabrique des automobiles et des camions... en jouets !

Aucune de ces rumeurs n'a véritablement surpris le marché - en tout cas pas les rumeurs de faillites, qui ne signifient pas la fin des entreprises. Comme l'ont montré les compagnies aériennes, les sociétés sidérurgiques et les équipementiers automobiles, la faillite est une arme ordinaire de l'arsenal des grandes sociétés dans la guerre qu'elles mènent contre la classe ouvrière.

Daniel Howse, un spécialiste du secteur automobile écrivant pour le Detroit News, expliquait : « GM, Ford et vraisemblablement Chrysler pourraient utiliser les tribunaux pour restructurer leurs opérations américaines encore plus radicalement qu'elles ne l'ont déjà fait. Les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail figurant dans les accords avec les syndicats seraient remis à plat, des marques pourraient disparaître et des réseaux de vente être rationalisés ; les contrats des fournisseurs pourraient être renégociés et le réseau des équipementiers recomposé. »

Dans la situation actuelle - où le marché du crédit est gelé et où l'économie fonce tête baissée dans une récession profonde, voire pire - la « fusion » avec Chrysler pourrait procurer à GM les mêmes armes qu'une faillite, les contraintes légales en moins. Et elle pourrait donner à GM un moyen rapide d'en finir avec la concurrence subie par quelques-uns de ses modèles les plus rentables. Par exemple, le pick-up Chevy Silverado de GM est en compétition avec le Dodge Ram de Chrysler ; les berlines à propulsion arrière de GM sont concurrencées par deux modèles de Chrysler. Posséder Chrysler permettrait à GM de mettre fin à la concurrence et de ramener brutalement la capacité de production du secteur au niveau des ventes.

Cette année, les ventes ont assurément été médiocres, les pires chiffres étant ceux du mois de septembre. Pour la première fois depuis février 1993, le total des ventes mensuelles est tombé sous le million d'exemplaires. Et toutes les entreprises ont été durement frappées : par rapport à l'an passé, les ventes de Nissan aux États-Unis ont chuté de 37 % ; celles de Ford de 35 % ; celles de Chrysler de 32 % ; celles de Toyota de 32 % et celles de Honda de 24 %. Ironiquement, GM, la cible de toute la spéculation, a affiché les « meilleurs » résultats, avec une baisse annuelle de « seulement » 16 %. J. D. Powers, qui suit le secteur automobile, a rédigé un rapport prévoyant un « effondrement immédiat » du marché global des véhicules en 2009.

Grant Thornton Corporate Advisory and Restructuring Services (Conseil aux entreprises et services de Restructuration Grant Thornton) a récemment conseillé aux sociétés automobiles de fermer 3 800 points de vente, presque un sur cinq - représentant au total environ 190 000 employés - afin de maintenir le niveau de 2007 de ventes par concessionnaire. La fusion pourrait permettre à GM, selon les termes de Howes, de « rationaliser » les réseaux de vendeurs en taillant à la hache dans le réseau de Chrysler.

La société de capital-investissement Cerberus, de son côté, pourrait fort bien vouloir se débarrasser de Chrysler, une société automobile qu'elle avait achetée dans le but de la revendre avec profit, chose difficile à réaliser par les temps qui courent, où le marché du crédit est gelé.

Quelles que soient les opérations que les compagnies entreprendront, la faillite de GM, de Ford ou de Chrysler, un accord entre GM, Cerberus et Chrysler, un accord de fusion avec une autre compagnie automobile telle que Nissan, ou la simple poursuite des « restructurations » actuelles, cela ne fera qu'ajouter au désastre déjà entraîné par les profondes restructurations en cours dans le secteur automobile depuis les dernières décennies. Avec les suppressions d'emplois et les baisses de salaires continues, frappant tous ceux dont les emplois dépendent directement ou indirectement du secteur automobile, entraînant la ruine de villes entières du Michigan, de l'Ohio et de l'Indiana, les régions de production automobile ont déjà subi une récession durant la majeure partie des cinq dernières années. Et à présent, face à une crise toujours plus intense, toutes les entreprises sont décidées à passer à l'offensive en essayant de faire payer les travailleurs afin de se tirer d'affaire.

Les travailleurs ont toutes les raisons de riposter, de la manière la plus large possible, en utilisant toutes les armes à leur disposition, pour s'assurer de ne pas faire les frais de cette crise. Ils n'ont déjà que trop payé.

Mais rien ne pouvait être plus éloigné de l'esprit des dirigeants syndicaux que l'idée d'une riposte militante. Écoutons le président de l'UAW (le syndicat des travailleurs de l'automobile), Ron Gettelfinger, qui s'est contenté d'émettre quelques timides remarques : « Personnellement, je ne voudrais pas assister à quoi que ce soit qui se solderait par une fusion. Cela signifierait des suppressions d'emplois supplémentaires. » Mais, comme s'il n'imaginait pas une seconde que les suppressions d'emplois représentent précisément le cœur de la question, il s'est hâté d'ajouter : « Tant que nous n'en sommes pas à une vraie discussion, nous ne pouvons pas spéculer sur ce qui va arriver. Nous devons savoir quelle est la situation, et ensuite lui faire face. Nous avons fait beaucoup pour aider toutes ces entreprises à survivre. C'est là le seul sujet dont je sois prêt à discuter avec quiconque. »

L'hémorragie des emplois

C'est indiscutable : depuis des décennies, si l'on remonte jusqu'aux concessions chez Chrysler en 1980, qui ouvrirent une nouvelle ère pour les salariés de l'automobile dans ce pays, la direction de l'UAW a colporté le mensonge selon lequel les travailleurs devraient se sacrifier pour permettre la survie de leur entreprise et protéger ainsi leurs propres emplois. Ce fut, en fait, l'axe principal des politiques syndicales depuis 1980. Mais Ford, GM et Chrysler - que l'on appelait autrefois les « Trois Grands » - ont saigné les emplois.

Dans l'ensemble du secteur automobile, qui inclut les Trois Grands, mais ne s'y limite pas, on comptait juste un peu plus d'un million de salariés en 1979. En 2007, ils étaient 640 000, soit une baisse d'un tiers. Mais globalement, la production américaine s'est accrue, passant de 10,8 millions de véhicules en 1979 à plus de 12 millions en 2007, résultat d'un très fort accroissement de la productivité. De 1987 à 2006 par exemple, l'indice de productivité du Département du Travail, qui mesure le produit par heure, a grimpé de 119 % dans les usines d'assemblage et de 83 % chez les équipementiers. Le secteur de l'automobile a tout simplement perdu des emplois en raison du rapide accroissement de la productivité.

Dans le même laps de temps, les pertes d'emplois chez les Trois Grands ont été bien supérieures : en 1979, il y avait environ 720 000 travailleurs chez GM, Ford et Chrysler. En 2007, ils étaient environ 180 000. En plus de la productivité, l'augmentation des importations et des délocalisations a joué un rôle dans cette réduction drastique des emplois. Mais l'évolution la plus importante, la vraie « restructuration » du secteur automobile, a été le transfert de la production depuis les usines possédées par les grandes entreprises vers celles des équipementiers, des sous-traitants et des fournisseurs, ce que l'on appelait les « fournisseurs de pièces détachées ». Et ce transfert s'est accompagné d'une dégradation considérable des salaires.

Baisser les salaires en démantelant les entreprises

Les équipementiers indépendants existaient bien avant 1979. En fait, dans une période bien plus lointaine, ils avaient pour la plupart été tout simplement absorbés par les Trois Grands, et transformés en producteurs « domestiques » des empires GM, Ford et Chrysler, Fisher Body n'en étant que l'exemple le plus connu. Une bonne partie des sociétés qui étaient restées indépendantes versaient des salaires inférieurs, mais dans les années soixante-dix, l'écart n'était pas aussi important qu'aujourd'hui. Et les équipementiers indépendants représentaient alors seulement environ 25 % de la production, une part bien moins importante qu'à présent.

À partir de la fin des années soixante-dix, les Trois Grands commencèrent à transférer pour de bon leur production depuis leur propres usines vers celles des équipementiers soi-disant « indépendants ». Pour l'essentiel, c'est Chrysler qui joua le rôle du pionnier en transférant certaines de ses opérations de presse à des entreprises qui existaient déjà, ou même qu'il contribua à faire naître en leur procurant ses propres presses. Durant plusieurs années, Chrysler externalisa graduellement ses fabrications de glaces, ce à quoi la direction de l'UAW ne s'opposa pas tant qu'elles allaient vers des entreprises à bas salaires qui acceptaient le syndicat. Ceci n'empêcha pas Chrysler d'en confier la plus grande partie, année après année, à Guardian Glass et à d'autres entreprises anti-syndicales. Dans le cas des presses ou des usines de glaces, les sous-traitants payaient des salaires environ moitié moindres que ceux des usines Chrysler où l'on accomplissait pour l'essentiel, voire exactement, le même travail.

En 1982, Ford transférera sa fabrication d'acier à une filiale qu'elle possédait à 100 %, Rouge Steel, à seule fin de menacer régulièrement de s'en débarrasser. Finalement, en 1989, Ford en fit une société indépendante dans laquelle elle conservait une participation et où des cadres de Ford figuraient parmi les investisseurs. Rouge Steel se déclara en faillite en 2003, uniquement pour être à nouveau rachetée. À chaque péripétie, la direction de l'UAW utilisait les menaces et les changements pour aider l'entreprise à arracher davantage de concessions aux salariés.

Le tournant majeur et le plus évident se produisit lorsque Chrysler transféra ses fabrications à Acustar, la baptisant filiale « indépendante » et se préparant alors à la revendre en totalité. Ayant rencontré une forte opposition dans ses usines, Chrysler laissa la direction du syndicat annoncer en 1988 que l'entreprise avait renoncé à son intention de vendre Acustar, tout en vendant quatre usines. Durant les cinq années qui suivirent, Chrysler continua tranquillement à vendre ou à fermer presque toutes les usines Acustar, et Acustar mourut d'une mort lente et discrète.

GM et Ford s'empressèrent de rattraper Chrysler. En 1992, GM proposa de céder 18 de ses usines. Certaines furent vendues, certaines fermées. Puis, en 1994, cinq usines GM furent achetées par un groupe d'investisseurs dirigés par un ancien vice-président de Chrysler, et rebaptisées American Axle Manufacturing. En 1994, GM mit sur pied son propre équipementier, Delphi, le conservant comme une filiale de GM pendant cinq ans durant lesquels la majorité de ses usines furent vendues ou fermées, et se débarrassant finalement des restes constitués en société indépendante en 1999, avec 55 000 salariés.

Au milieu des années quatre-vingt-dix, Ford se lança dans des manœuvres similaires, transférant une partie de ses fabrications à Lear, qui réorganisa alors rapidement la production pour devenir une société spécialisée dans tous les éléments intérieurs des véhicules, ce qui permit à Ford d'éliminer effectivement la majeure partie de cette production de ses propres usines. En 1997, Ford regroupa la plupart des usines de pièces détachées qui lui restaient dans Visteon, une division interne, et s'en débarrassa en en faisant une société indépendante en 2000, avec ses 24 000 salariés. « Indépendante », peut-être l'était-elle, mais Visteon et Lear construisirent toutes les deux un nouveau siège social en plein dans le quartier possédé par Ford à Dearborn (Michigan), juste à côté des bâtiments du siège social de Ford.

Aussitôt que Delphi et Visteon furent devenues autonomes et que Lear eut récupéré la fabrication de tout l'intérieur des véhicules, elles se mirent toutes les trois à se débarrasser de leurs usines et de leurs salariés. Elles allaient devenir des tuyaux servant à évacuer le travail hors des Trois Grands.

Le syndicat protesta faiblement contre ces changements, obtenant à chaque accord un engagement de la part des sociétés de restreindre « l'externalisation » ainsi que des promesses d'utiliser des sous-traitants qui soient de « bonnes entreprises citoyennes », c'est-à-dire qui entretiennent une « relation positive avec l'UAW » ainsi qu'il était stipulé dans l'accord Chrysler de 1996. Rien de tout cela n'enraya l'hémorragie des emplois de GM, Ford et Chrysler, pas plus que la rapide décrue des adhésions au syndicat dans le secteur automobile. Pour donner rapidement une idée de ce déclin, l'UAW a perdu les deux tiers de ses membres entre 1979 et 2007, passant de 1 528 000 à 465 000.

Un manège infernal qui éjecte usines et travailleurs

Quelle que soit la fraction de la production de pièces détachées délocalisée à l'étranger, la plus grande partie en a été transférée aux équipementiers des États-Unis, qui sont divisés en une vaste multitude de petites usines et sociétés, qui fusionnent, scissionnent, font faillite, se redressent d'une faillite, se font racheter, en rachètent d'autres, et ainsi de suite. En 2003, la Federal Reserve Bank de Chicago découvrit qu'il existait 3 416 usines d'équipementiers indépendants rien qu'aux États-Unis, dont la grande majorité était possédée par de très petites entreprises qui ne produisaient pas directement pour les constructeurs automobiles, mais pour d'autres équipementiers dans la chaîne menant aux usines d'assemblage.

À titre d'exemple de la lame de fond qui a déferlé sur le secteur des équipementiers, on peut citer l'usine Machining and Forge à New Castle, dans l'Indiana. Durant 62 ans, de 1925 à 1987, elle avait appartenu à Chrysler. En 1987, elle devint une usine Acustar ; elle retourna à Chrysler en 1989, et en 2002 fit partie d'une joint-venture avec Metaldyne, entreprise qui avait été elle-même formée à partir d'une joint-venture entre Masco Tech, Simpson Industries et Global Metal Technologies - celle-ci ayant été séparée de Dana Corporation lors de la faillite de cette dernière. À chaque changement de propriétaire, les travailleurs de chacune de ces sociétés durent subir des amputations de leurs avantages sociaux et / ou de leurs salaires.

Tout cela eut comme résultat final un transfert considérable de travail et d'emplois depuis les usines à salaires élevés des Trois Grands vers les équipementiers pratiquant des salaires bien inférieurs. Au début des années soixante-dix, les usines d'équipementiers indépendants représentaient seulement environ 25 % des emplois de production. Une étude menée en 2001 par le département de la recherche de l'UAW estimait qu'après la récession du début des années quatre-vingt - durant laquelle ce transfert prit réellement forme - environ 40 % des opérations américaines de fabrication s'étaient déplacés vers les équipementiers indépendants, ce chiffre grimpant à 50 % au début des années quatre-vingt-dix et à 60 % en 2000, Delphi et Visteon exclues. Après que Delphi et Visteon soient devenues autonomes, ce chiffre s'est encore accru, plusieurs sources estimant à 70 % ou davantage le pourcentage de la production américaine désormais réalisée par les équipementiers.

Non seulement ce manège infernal, année après année, a réduit drastiquement le nombre des emplois les mieux payés des Trois Grands, mais il a également entraîné des suppressions d'emplois dans les usines des équipementiers eux-mêmes. Dans les usines du Midwest, 128 000 emplois ont été perdus rien qu'entre 2000 et 2006, soit 26 % de l'emploi total. La plupart de ces usines produisent pour Ford, GM et Chrysler. Mais même dans le Sud, où la majorité de la production est destinée aux usines des constructeurs étrangers, dont la production s'est accrue, 53 000 emplois ont été perdus, soit 15 % du total. Et ces suppressions d'emplois sont intervenues avant l'effondrement des ventes.

Utiliser la menace du chômage pour baisser les salaires

Ayant abaissé le coût du travail en externalisant la majeure partie de leur propre production, Delphi, Visteon et Lear ont ensuite entrepris de réduire les salaires dans leurs propres usines, le plus souvent en instaurant une seconde grille des salaires pour les travailleurs récemment embauchés. En 2000, American Axle diminua les salaires d'embauche de près de la moitié dans deux de ses usines. En 2004, elle étendit cette baisse à ses autres usines, tandis que Delphi et Visteon imposaient une seconde grille pour les nouveaux embauchés dans toutes leurs usines. En l'occurrence, ainsi que dans presque toutes les situations où une seconde grille (voire davantage) des salaires a été acceptée par le syndicat, les dirigeants syndicaux vendirent ces accords comme un moyen pour les salariés déjà embauchés de protéger leurs propres emplois et leurs propres salaires, un prétexte qui se révéla bientôt purement mensonger. En 2007, Delphi entreprit de diminuer les salaires des travailleurs plus anciens pour les ramener approximativement au niveau de la nouvelle grille d'embauche. En 2008, American Axle fit de même.

À peine Delphi, Visteon et American Axle avaient-ils entrouvert la porte aux diminutions de salaires, que GM, Ford et Chrysler s'y engouffraient. En 2007, la direction de l'UAW aida les trois compagnies à imposer un accord qui comprenait une grille spéciale pour les nouveaux embauchés.

En fait, il existait déjà deux ou même trois grilles dans ces usines, le syndicat ayant de plus en plus accepté « l'externalisation » des emplois vers des sous-traitants à bas salaires qui effectuaient le travail à l'intérieur des mêmes usines. Par exemple, le complexe industriel Jeep de Chrysler à Toledo était formé de trois équipementiers différents qui géraient différents secteurs de la principale usine d'assemblage, en payant des salaires bien inférieurs. À l'intérieur de l'usine de camions Ford à Dearborn, il existait des « travailleurs temporaires » payés à des salaires inférieurs, et d'autres embauchés sous-payés par un sous-traitant, qui travaillaient à côté des salariés ordinaires de Ford. À l'usine d'assemblage de Chrysler à Belvidere, on avait mis sur pied une équipe entière qui accomplissait exactement le même travail que les deux autres équipes, mais à un salaire inférieur. Et à l'usine GEMA construite par Chrysler, Mitsubishi et Hyundai en 2004 à Dundee dans le Michigan, on avait fondu toutes les classifications, y compris les métiers qualifiés, en une seule classification fourre-tout, moins bien payée que les emplois de production dans les usines traditionnelles.

Mais avec l'accord de 2007, tout cela devint officiel : les salaires et les avantages sociaux des nouveaux embauchés à Ford, GM et Chrysler devenaient bien inférieurs, ce qui pour les compagnies réduisait le coût du travail pour les nouveaux embauchés à moins d'un tiers du niveau précédent, c'est du moins ce dont un porte-parole de GM se vanta au téléphone auprès d'analystes de Wall Street juste après la signature de l'accord.

Il était évident, avec cette « incitation » donnée aux trois compagnies, que celles-ci tenteraient d'embaucher de nouveaux travailleurs moins payés - et ce, même au milieu d'une récession comme celle que nous vivons aujourd'hui. C'est bien ce que fit GM, en créant une troisième équipe aux salaires inférieurs, à Lordstown dans l'Ohio, alors même qu'elle supprimait des emplois dans d'autres usines de l'État.

Les entreprises automobiles n'attendent pas que les choses suivent leur cours, en particulier lorsqu'elles sont confrontées à une brutale chute des ventes, ce qui signifie qu'elles licencient des salariés, pas qu'elles embauchent. Au début de 2008, elles firent toutes trois un effort particulier pour que les travailleurs de leurs usines acceptent des primes de départ ou des retraites anticipées. GM proposa un « accord » à chacun de ses 74 000 ouvriers représentés par l'UAW ; Ford fit la proposition à l'ensemble de ses 54 000 salariés ; et Chrysler à 21 000 de ses 45 000 employés. N'étant pas parvenues à obtenir suffisamment de réponses positives, elles ont réitéré leurs offres, ou les ont élargies. La direction du complexe de Ford Rouge a récemment convoqué les travailleurs les plus âgés, les obligeant à assister à une réunion avec leur chef et à se rendre ensuite au local syndical pour entendre un discours sur la prime de départ ou la retraite, utilisant ainsi le syndicat pour l'aider à leur forcer la main, encore un autre moyen d'assurer la « survie » de l'entreprise ! Et dans le contrat de 2007, les trois sociétés se sont vu octroyer les moyens de diminuer les indemnités de chômage des travailleurs licenciés au cas où ceux-ci refuseraient une mutation vers d'autres usines, quelle que soit la distance - un moyen vicieux de faire en sorte que la plupart d'entre eux prennent la prime de départ ou démissionnent.

En d'autres mots, durant des décennies, le flux ininterrompu d'emplois hors des Trois Grands en direction des équipementiers « indépendants » à bas salaires, puis ensuite à plus bas salaires encore, est venu frapper en retour les travailleurs de GM, de Ford et de Chrysler eux-mêmes, les poussant dehors afin que les nouveaux salaires au rabais puissent être imposés un peu partout aussi vite que possible.

La coupe claire dans les salaires et les avantages sociaux ne s'est pas arrêtée aux compagnies automobiles. L'UAW a régulièrement brandi le spectre de la concurrence avec les constructeurs étrangers. En réalité, voici la manière dont la concurrence a joué en ce qui concerne les salaires : sitôt que l'UAW eut négocié les baisses de salaires pour les nouveaux embauchés chez GM, Ford et Chrysler, Honda annonça qu'il appliquerait la même grille salariale au rabais pour les nouvelles embauches dans ses propres usines.

Telle est l'amère signification de l'aimable et innocente annonce récemment faite par Joe Hinrichs, un vice-président de Ford, au Wall Street Journal : « Nous pensons que l'accord actuel nous donne les outils dont nous avons besoin pour continuer à restructurer nos affaires. Nous avons des discussions hebdomadaires, si ce n'est quotidiennes, avec l'UAW. Ils connaissent l'état de nos finances et savent de quoi Ford a besoin pour gagner. »

Ou, pour le dire de manière plus directe, la direction de l'UAW a joué un rôle essentiel dans les « succès » de Ford, lesquels étaient très simplement fondés sur une exploitation accrue des travailleurs.

La politique de la direction syndicale ne porte pas l'entière responsabilité de la destruction des conditions de vie des travailleurs de l'automobile. Mais sa politique consistant à défendre la « compétitivité » des Trois Grands n'a ouvert aucune perspective aux travailleurs pour affronter la volonté de ces sociétés géantes de réduire le coût du travail, que ce soit au moyen d'authentiques diminutions de salaire, de l'intensification du travail, de l'externalisation des emplois de société en société, ou de la faillite et des fusions.

C'est la survie même des travailleurs qui est en jeu

Les presque trois décennies qui nous séparent de 1979 ont vu le massacre complet des salaires et des emplois des travailleurs de l'automobile - en tout cas, des emplois les mieux payés, qui étaient associés aux ex-Trois Grands. De nos jours, les emplois sont de plus en plus mal payés et précaires, l'arbitraire dans les petites entreprises ayant balloté les travailleurs d'employeur en employeur, alors même que le secteur automobile engrangeait globalement durant toutes ces années des masses considérables de profit. Sur les vingt-neuf années écoulées depuis 1979, GM a déclaré des bénéfices pour 22 d'entre elles, bénéfices qui s'élèvent à un total de 81 milliards de dollars. Ford a déclaré dix-neuf années de bénéfices, pour un total de 87 milliards.

Où cette masse de profit est-elle partie ? En fumée, apparemment, puisque les entreprises sortent aujourd'hui des chiffres afin de démontrer qu'elles se trouvent dans une situation désespérée. Tout ce profit s'est évanoui, de même que les bénéfices tirés de la production automobile et qui ont été réalisés dans les filiales financières des compagnies, pour finir évaporés dans la folie spéculative de Wall Street.

Ces entreprises ont pressuré les salariés sans relâche pour qu'ils travaillent plus dur, pour qu'ils produisent davantage de richesses, à seule fin de verser des salaires mirobolants à leurs dirigeants, d'énormes dividendes et intérêts sur les obligations, et enfin de transférer le reliquat hors des entreprises. C'est révoltant.

À présent, en utilisant la menace de la crise économique et de nouvelles suppressions d'emplois, les entreprises vont se lancer dans des restructurations encore plus larges dans le but de prélever une part encore plus grande de la richesse produite par les travailleurs. Cette restructuration concernera les anciens Trois Grands, les constructeurs étrangers, les sous-traitants et les équipementiers. David Cole, président du Centre pour la Recherche automobile, et connu depuis longtemps comme un confident de GM, l'a clairement dit. Faisant allusion à la crise économique actuelle, il a fait savoir que GM « sent qu'il s'agit là d'une opportunité pour le secteur de réaliser des choses qui seraient difficiles à accomplir en temps normal », tout comme l'ouragan Katrina a donné à la bourgeoisie le moyen de « restructurer » la Nouvelle-Orléans pour la transformer en une ville habitée par des riches.

Dans cette situation qui empire progressivement, on peut être certain que la direction de l'UAW trouvera le moyen, comme le dit Gettelfinger, de faire bien d'autres choses afin d'aider ces entreprises. Une fois de plus, elle prétendra que c'est leur survie qui est en jeu. Non, ce qui est en jeu, c'est l'avenir et la survie de la classe ouvrière.

Pour défendre leur avenir, les travailleurs n'ont jamais eu d'autre moyen réel que d'entrer en lutte, une lutte entraînant de larges fractions de la classe ouvrière et qui n'ait pas peur d'ébranler la société capitaliste. Bien sûr, les salariés de toutes ces petites usines d'équipementiers sont désavantagés lorsqu'ils se dressent contre leur employeur, qui est soutenu par exemple par Delphi, lui-même soutenu par GM, lui-même soutenu par ses banques. Et il est également clair que l'existence de ces petites sociétés peut peser sur les possibilités des travailleurs des plus grandes. C'est précisément la raison pour laquelle les travailleurs ne peuvent se contenter de se battre isolés.

Dans la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui, d'une crise à l'autre, avec la possibilité réelle d'un effondrement auprès duquel la Grande Dépression semblera dérisoire, le seul espoir pour les travailleurs viendra de combats où ils se donneront pour objectif de se défendre eux-mêmes, sans égard pour le sort des compagnies. Dans une période aussi sombre que celle que nous traversons, les travailleurs, à travers tout le Michigan, l'Ohio et l'Indiana, avaient trouvé la voie lorsqu'ils s'étaient rassemblés à Flint en 1936-1937 pour affronter non seulement GM, non seulement les dirigeants de la ville et la police de Flint, mais aussi le gouverneur de l'État du Michigan et le président des États-Unis. Il ne s'étaient pas préoccupés de la légalité de la propriété de GM lorsqu'ils avaient arrêté le travail et l'avaient occupée pendant 44 jours. Il ne s'étaient pas préoccupés de la survie de GM, mais de la leur.

Les travailleurs, aujourd'hui, ne peuvent pas faire moins.

20 octobre 2008