Afrique du Sud - La riposte ouvrière face au pourrissement du régime de l’ANC

Εκτύπωση
octobre 2010

On aura beaucoup évoqué l'Afrique du Sud à propos du Mondial, mais bien peu à propos des luttes sociales qui s'y déroulaient. Et pourtant l'année 2010 aura vu la plus puissante vague de grèves qu'ait connue le pays depuis la chute du régime raciste de l'apartheid, il y a seize ans.

Commencée avant le Mondial et à peine interrompue par la "trêve" qui l'a accompagné, cette vague de grèves a repris de plus belle après. La grand-messe du Mondial n'aura fait qu'aggraver le profond mécontentement des travailleurs face à un gouvernement prêt à gaspiller des milliards pour quelques matches de football, alors que la majorité de la population continue à vivre dans une abjecte pauvreté.

Qui peut s'étonner de ce que la colère des travailleurs monte contre ces politiciens de l'ANC (Congrès national africain), qui, sous la houlette du président Jacob Zuma comme sous celle de ses prédécesseurs, se sont montrés incapables d'améliorer l'infrastructure sociale et les conditions de vie des pauvres, mais très capables de s'enrichir et d'enrichir leurs proches ?

Par-delà les revendications économiques mises en avant, c'est cette colère qui s'est exprimée dans la vague de grèves de cette année. Et ce que cette vague a eu de remarquable, c'est qu'elle a balayé l'ensemble du pays, des plus grandes agglomérations aux plus petites villes, et qu'elle a vu des travailleurs du privé et du public joindre leurs forces spontanément, donnant ainsi un contenu réel à cette solidarité de classe si essentielle à la classe ouvrière pour aller de l'avant - un contenu bien différent de celui des incantations des leaders syndicaux sur la solidarité, d'où ne sort jamais rien.

Les raisons de la colère

C'est la question des salaires qui a été à l'origine de la plupart des grèves. Du fait de la montée du chômage, six personnes vivent en moyenne sur chaque salaire. Or l'inflation, déjà importante avant le Mondial, mais plus encore depuis, a réduit de façon importante leur pouvoir d'achat. C'est ainsi que les tarifs d'électricité, pour ne prendre que cet exemple, auront augmenté de 24,8% cette année, avec des augmentations similaires prévues pour les deux ans à venir !

Pour beaucoup, cette situation est devenue insupportable. Et cela d'autant plus maintenant qu'ils ont sous les yeux les stades du Mondial, preuves permanentes du gaspillage d'un patronat et d'une classe politique qui osent prétendre qu'il n'y a plus d'argent dans les caisses ! À quoi viennent s'ajouter les scandales révélant les rapines des politiciens au pouvoir, à leur profit et à celui de leurs familles.

Les pancartes manuscrites brandies par de nombreux grévistes tout au long de ces mois de grèves exprimaient bien la colère qui les animait. L'une d'elles, portée par un gréviste de l'hôpital Chris Hani Baragwanath de Soweto, disait par exemple : "L'argent du Mondial est tombé dans de mauvaises mains." Une autre dans une manifestation au Cap ajoutait : "Zuma, tes femmes ont vidé les caisses de l'État." Une autre enfin, arborée par de nombreux manifestants du Cap, résumait le sentiment général en disant simplement : "Ons is vol !" ("Y en a marre!" en créole afrikaaner).

Autre facteur de mécontentement omniprésent, celui du logement : ce n'est pas pour rien si, au nombre des revendications avancées dans la plupart des grèves, figurait celle d'une allocation-logement, en plus des hausses de salaire.

Les plus chanceux parmi les pauvres ont une maison dite RDP, du nom du Programme de développement et de reconstruction de Mandela, qui devait construire trois millions de ces maisons. Seize ans après, à peine deux millions ont vu le jour. Qui plus est, elles sont connues pour la mauvaise qualité de leur construction (fondations souvent bâclées, parfois inexistantes) et des matériaux utilisés. Avec un toit en tôle, trois pièces minuscules, des toilettes et un évier, elles sont plus petites que les maisons construites jadis dans les ghettos noirs par le régime de l'apartheid ! Surtout, elles sont réservées à ceux qui peuvent les acheter, à un prix variant entre 6 000 et 9 600 euros, auxquels viennent s'ajouter les frais nécessaires pour les rendre habitables. Or même si ce sont des prix très bas par rapport à ceux du marché immobilier du pays, trouver un prêt hypothécaire pour financer un tel achat est très difficile, aussi bien pour ceux qui n'ont pas d'emploi régulier que pour nombre de salariés aux salaires trop bas.

Un cinquième de la population au moins vit dans des bidonvilles en tôle, où il fait trop chaud en été, trop froid en hiver et qui deviennent des passoires à la moindre pluie. Ces bidonvilles n'ont en général ni électricité, ni éclairage, hormis des bougies ou des lampes à paraffine. Ce dénuement a parfois des conséquences dramatiques, comme l'illustre, parmi tant d'autres exemples, cette information relevée dans la presse du 26 septembre, à propos d'un bidonville de Johannesburg : "Un incendie a dévasté le campement informel de Mangologolo, dans le quartier de Denver... Quatre personnes ont trouvé la mort dans l'incendie. Plus de 230 cahutes ont été entièrement détruites par le feu et 513 personnes se retrouvent sans logis." Car ces bidonvilles n'ont pas non plus d'eau - donc rien pour éteindre un feu. Seuls les plus anciens ont un robinet d'eau potable unique, devant lequel on fait la queue. Il n'y pas non plus de tout-à-l'égout, ni de sanitaires - sauf là où les habitants ont construit des latrines collectives de fortune. Quant aux ordures, elles ne sont jamais collectées par les municipalités qui disent que c'est aux résidents de le faire !

Tout en bas de l'échelle sociale, une catégorie croissante de la population la plus pauvre se retrouve parmi les back-yarders (littéralement : habitants d'une arrière-cour). Ceux-là louent une "boîte" (il n'y a pas d'autre mot pour décrire ces cubes en tôles ou en briques qui font plutôt penser à une cellule de prison qu'à une habitation), dans l'arrière-cour d'une maison RDP ou d'une cahute de bidonville.

En seize années de pouvoir, l'ANC aura présidé à une aggravation brutale des inégalités sociales. L'Afrique du Sud vient d'ailleurs tout juste de passer devant le Brésil au hit-parade honteux des pays les plus inégaux de la planète. L'apartheid social est bien vivant, auquel se superpose encore l'apartheid racial, dans la mesure où la minorité blanche continue à se tailler la part du lion dans ce qui se fait de mieux en matière d'éducation, de logement, de médecine et d'emplois.

Une étude effectuée récemment par COSATU est venue illustrer ce fait : "En 2009, 52 % des Africains étaient en activité, alors que le chiffre correspondant était de 68 % pour les Blancs. (...) On aurait raison d'affirmer que cette faible participation des Africains est due à la faible proportion de ceux d'entre eux qui ont un emploi. Parmi les Africains en âge de travailler (entre 15 et 64 ans), seuls 36 % ont un emploi, alors que le chiffre correspondant est de 65 % pour les Blancs."

La vague de grèves s'étend

C'est donc sur ce fond de mécontentement social et de colère contre le régime qu'a pris naissance et s'est amplifiée la vague de grèves actuelle. Il serait impossible de détailler ici toutes les grèves de cette vague. Nous nous limiterons donc aux plus importantes.

En fait, cette vague prit vraiment son essor en avril 2009, lorsque les salariés du transport routier arrachèrent, entre autres, une rallonge de 11 %, après huit jours d'une grève qui paralysa les livraisons. Ils furent suivis par des dizaines de milliers de travailleurs municipaux qui obtinrent une rallonge de 13 % après une grève nationale de cinq jours. En juillet eut lieu la première grève nationale du bâtiment jamais vue dans le pays, qui remporta une rallonge de 12 % après huit jours de grève. Le mois suivant, 4 500 ouvriers des communications firent grève pendant deux semaines, imposant l'annulation de mesures de suppressions d'emplois et une rallonge de 7,5 %. Finalement, en septembre 2009, les mineurs d'Impala (l'une des plus grandes mines de platine du pays, propriété de la multinationale Anglo-American) obtinrent 10 % après deux semaines de grève.

Cette année, la première grève de grande envergure eut lieu à Transnet (entreprise étatique qui englobe le réseau ferré, les ports et une partie du transport routier). Après trois semaines de grève qui paralysa l'import-export, le gouvernement recula, cédant une rallonge de 11 %. En juin, les travailleurs d'Eskom (monopole d'État de l'électricité) obtinrent une rallonge de 9 % et une allocation-logement de 162 euros par mois, simplement en menaçant de faire grève pendant le Mondial.

Puis ce fut au tour de la métallurgie. Le 11 août, à l'appel du syndicat de la métallurgie NUMSA, les 20 000 ouvriers des sept constructeurs automobiles du pays (Ford, Nissan, Toyota, BMW, VW, Daimler, GM) se mirent en grève illimitée pour une rallonge de 15% (contre les 7% offerts par le patronat), le paiement à 100% du chômage technique, la semaine de 40 heures sur cinq journées de huit heures et le paiement de congés maternité. Une autre de leurs revendications était l'abolition des "courtiers du travail", équivalents locaux des agences d'intérim européennes, grâce auxquels le patronat s'offre une main-d'œuvre précaire, corvéable à merci et à des salaires dérisoires.

Après huit jours d'une grève qui paralysa totalement la production, l'organisation patronale du secteur finit par céder une rallonge de 10 % pour cette année et 9 % pour chacune des deux années à venir. Qui plus est, elle s'engagea à cesser de recourir aux "courtiers du travail" à compter du 1er janvier 2011 et, en attendant, à étendre la couverture retraite et santé des travailleurs permanents aux travailleurs précaires.

Une semaine plus tard à peine, NUMSA appelait les 7 000 ouvriers des usines de pneus - Dunlop, Bridgestone et Continental - à la grève illimitée pour des augmentations de 11 %, 12 % et 14 % sur les trois années à venir, soit plus du double de ce que le patronat proposait. À l'heure où nous écrivons, cette grève vient d'entrer dans sa cinquième semaine.

Le 1er septembre, NUMSA lançait une "troisième vague", englobant cette fois 70 000 ouvriers des équipementiers et de la distribution automobiles, ainsi que ceux des stations-service. Après deux semaines de grève, les grévistes obtenaient une rallonge de 9 à 10 %, au lieu des 6 % initialement proposés par le patronat. Les salariés les plus mal payés du secteur (les caissiers de station-essence) obtenaient une rallonge de 35 %. Et le patronat prenait les mêmes engagements concernant les "courtiers du travail" que dans les usines automobiles.

Dans les mines, où les ouvriers gagnent entre 340 et 420 euros par mois (pour un coût de la vie équivalent à celui de la France), le mécontentement éclatait également. La mine de titane d'Exarro Sands, dans la province du Kwazulu-Natal, fut paralysée par une grève de douze jours. À Richards Bay Minerals, une autre mine de titane exploitée conjointement par les trusts BHP Billiton et Rio Tinto, les 1 700 mineurs firent une grève de sept jours. À Northam Platinum, "la seule entreprise de production intégrée de platine totalement indépendante, appartenant et contrôlée par des Africains et cotée en Bourse", selon sa description officielle, 8 000 ouvriers en sont à leur quatrième semaine de grève à l'heure où nous écrivons, pour une rallonge de 15 % et une allocation mensuelle de 360 euros destinées à leur permettre de vivre hors des baraquements de la mine. Et ce mouvement devrait bientôt s'étendre aux mineurs de l'exploitation géante de fer de Kumba.

Le 24 septembre enfin, les 27 000 travailleurs de la chaîne de supermarchés populaires Pick'n Pay se sont à leur tour mis en grève illimitée pour les salaires et une réduction du temps de travail, et contre l'usage des "courtiers du travail". Cette dernière revendication a, depuis, été reprise par la confédération COSATU elle-même, qui a annoncé une manifestation nationale à ce sujet pour le 7 octobre.

Pour conclure sur cette vague des grèves dans le secteur privé, il faut ajouter que, contrairement à ce qui se passe si souvent, il ne s'agit pas de grèves où les travailleurs attendent chez eux que les leaders syndicaux appellent à la reprise. Partout on a pu voir les grévistes se montrer en force, sur les piquets de grève et dans des manifestations - même lorsque celles-ci étaient interdites par les tribunaux, avec ce que cela implique d'arrestations et d'affrontements avec les forces de répression.

Grève sans précédent dans le secteur public

Pour importante qu'ait pu être la vague de grèves du secteur privé, c'est quand même celle du secteur public qui, à partir du 18 août, a le plus marqué la vie politique du pays, à la fois par le nombre des grévistes évalué à 1,3 million, et par le fait qu'elle constituait un acte de défiance ouvert envers la politique de l'ANC au pouvoir.

Car ce contre quoi les grévistes du public se battaient, au-delà des mêmes problèmes de salaire et de précarité que leurs camarades du secteur privé, c'était aussi l'incurie scandaleuse du régime qui laisse s'effondrer l'infrastructure sociale en la privant de financement, tout en permettant à ses dignitaires de se servir à pleines mains dans les caisses de l'État.

Cette incurie est particulièrement spectaculaire dans la santé publique. Sans doute la montée du sida a-t-elle pesé lourdement sur le système de santé. Mais c'est surtout le manque de fonds et de personnel, sans parler de l'incompétence des responsables administratifs, qui a conduit à une situation catastrophique au fil des années. Aujourd'hui, seuls ceux qui ont de quoi payer les tarifs pratiqués par les hôpitaux et cliniques du secteur privé peuvent bénéficier de soins décents. Mais ce n'est pas le cas de l'écrasante majorité de la population.

Après l'accession de Zuma à la présidence, en 2009, beaucoup de gens pensèrent que les choses s'amélioreraient, en particulier après la nomination d'un nouveau ministre de la Santé, Aaron Motsoaledi, qui annonça le lancement de programmes destinés à compenser le gâchis catastrophique laissé par la négation officielle du sida sous le précédent régime du président Mbeki.

Mais ces annonces restèrent en grande partie sur le papier et le peu qui fut fait arriva trop tard. Aujourd'hui, on estime que 40 000 postes sont vacants dans les hôpitaux, à quoi s'ajoute une pénurie des fournitures les plus élémentaires - pansements, seringues et autres - sans parler des médicaments indispensables au traitement du sida, des antibiotiques, etc. Du coup, des malades meurent constamment faute de soins élémentaires. Le personnel hospitalier a beau courir dans tous les sens, il n'arrive jamais à en faire assez ne serait-ce que pour assurer le minimum - et le ras-le-bol s'accumule.

Les établissements scolaires ne sont guère en meilleur état que ceux de la santé. Le chaos administratif qui règne dans l'Éducation nationale est tel qu'il arrive que les enseignants doivent travailler sans être payés. La qualité de l'enseignement n'a cessé de se dégrader, en grande partie pour des raisons matérielles. Un rapport sur les écoles primaires de la province d'Eastern Cape souligne, par exemple, l'absence de toilettes et autres installations sanitaires. Il parle de salles de classe dépourvues de mobilier, de portes et de fenêtres, et rapporte comment il arrive que les écoliers doivent aller boire au ruisseau voisin. Quant aux enseignants, ils ne sont peut-être pas les plus mal payés dans le secteur public mais, en bas de l'échelle, ils ne gagnent pas plus de 600 à 720 euros par mois.

C'est en avril dernier que les syndicats du secteur public - qui organisent non seulement les travailleurs de la santé et de l'éducation, mais aussi ceux de l'administration pénitentiaire, de la justice, des services d'immigration, ainsi que les policiers et les militaires - avaient déposé leurs revendications auprès des organismes gouvernementaux. L'ensemble des syndicats (incluant à la fois les syndicats affiliés à COSATU et des syndicats dits "indépendants") revendiquaient une rallonge de 11 %, une allocation-logement de 100 euros par mois et l'extension à l'ensemble des salariés du public d'un système d'assurance médicale dont certains bénéficient déjà (il n'y a pas d'équivalent de la Sécurité sociale en Afrique du Sud).

Après six semaines de négociations, la rallonge proposée par le gouvernement était passée de 5,2 % à 6,5 % (à valoir à compter du 1er juillet), plus une allocation-logement de 70 euros par mois, mais rien de concret pour le reste. Arrivés à ce stade, les syndicats avaient eux-mêmes réduit leurs revendications à une rallonge de 8,5 % à valoir à compter du 1er avril et une allocation-logement de 100 euros mensuels. Mais après une ultime tentative de conciliation, le 29 juin, il devint évident que le gouvernement ne céderait plus de terrain.

Dans un premier temps, les syndicats organisèrent une campagne de manifestations et de grèves limitées. Le gouvernement tenta l'intimidation en interdisant une grève de 48 heures qui devait avoir lieu dans la police et l'administration pénitentiaire, le 30 juillet, sous prétexte qu'il s'agissait de "services essentiels". Par la suite, après le début de la grève du secteur public, le syndicat organisant ces personnels, POPCRU, se vit même interdire par les tribunaux d'exprimer son soutien aux grévistes, sous peine de poursuites.

Comme le gouvernement ne manifestait toujours aucune intention de céder du terrain, les syndicats affiliés à COSATU finirent par se résoudre à appeler à la grève illimitée à compter du 18 août. Le principal syndicat "indépendant" du secteur public, l'Association du secteur public (PSA), leur emboîta le pas.

Ce jour-là, personnels hospitaliers, médecins, enseignants, officiels des services de l'immigration et de justice, se retrouvèrent en grève aux quatre coins du pays. Certains travailleurs qui n'étaient pas sûrs d'être vraiment concernés par la grève s'étaient rendus au travail dans leur T-shirt rouge de NEHAWU (syndicat majoritaire dans la santé, le personnel non enseignant de l'éducation et celui des services sociaux) - au cas où - et se joignirent aux piquets de grève.

Sans doute la participation à la grève ne fut-elle pas partout totale. Les autorités de certaines provinces, comme celle de Western Cape, prétendirent que la plupart des écoles et des hôpitaux y fonctionnaient. Vrai ou faux, l'hystérie dont devaient faire preuve la presse et la classe politique tout au long de la grève fut la preuve la plus évidente de sa puissance.

La grève fut particulièrement solide dans la province de Gauteng, où se trouve Johannesburg, qui est aussi, et de loin, la plus peuplée du pays. Ce fut d'ailleurs là que se produisirent les plus violents affrontements entre la police et les grévistes. Au deuxième jour de la grève, la police attaqua le piquet de grève de l'hôpital Chris Hani Baragwanath, à Soweto, avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Une gréviste fut sérieusement blessée lors de cette attaque. Au troisième jour, le gouvernement annonça son intention de réintroduire les "tribunaux d'urgence" déjà utilisés durant le Mondial pour administrer une justice sommaire, mais cette fois dans le but officiel de "sanctionner les hooligans et les grévistes". Déjà la veille, dans la province de Kwazulu-Natal, 51 grévistes de la santé avaient été arrêtés et inculpés pour "violence publique".

Dès le début du mouvement, les médias et le gouvernement menèrent une violente campagne contre les grévistes de la santé, les accusant de "laisser mourir les patients" en paralysant les services d'urgence. Bien sûr, c'était un mensonge, et pas seulement parce qu'il y avait en général une minorité d'infirmières et de médecins qui n'étaient pas en grève, mais surtout parce que dans bien des cas les grévistes prenaient eux-mêmes en charge les urgences. Et puis, après tout, le gouvernement n'était-il pas responsable de la grève ? N'était-ce pas à lui d'organiser les urgences en imposant aux richissimes groupes hospitaliers du pays, tels que le trust Netcare, auxquels il avait fait tant de cadeaux fiscaux, de les assurer gratuitement ?

Au lieu de cela, le gouvernement fit appel à l'armée. C'était en fait le véritable but de sa campagne médiatique : justifier l'occupation des hôpitaux par la troupe, sous prétexte d'y remplacer les grévistes par le service médical de l'armée. Moyennant quoi les hôpitaux furent encerclés, et parfois occupés, par des Casspirs, ces blindés légers qui servaient jadis au régime de l'apartheid à réprimer les ghettos noirs. Au total, 57 hôpitaux furent ainsi occupés par l'armée.

Le 26 août, neuvième jour de la grève, de grandes manifestations de grévistes eurent lieu dans toutes les grandes villes du pays. Ce jour-là COSATU annonça que ses syndicats affiliés dans les mines, la métallurgie et les services municipaux appelaient à une grève de solidarité de 24 heures pour le 2 septembre et qu'ils comptaient "paralyser" le pays. De leur côté, les deux syndicats de soldats défiaient le gouvernement en prenant position contre l'usage de l'armée dans la grève. L'un d'entre eux déclara dans un communiqué : "Les conditions sociales et économiques des soldats sont encore bien pires que celles des enseignants et des infirmières. Nous appelons nos membres à ne pas se comporter en briseurs de grève."

Pendant ce temps, une partie des médias, subissant sans doute la pression de la sympathie du public pour les grévistes, commençait à découvrir l'état lamentable du système de santé. La campagne médiatique contre les grévistes fut contrée par des interviews d'infirmières et de médecins sur certaines radios, dans lesquelles ceux-ci racontaient comment les patients mouraient en tout temps par manque de ressources, ajoutant que si quelqu'un devait être traité d'"assassin", ce n'était pas les grévistes - comme l'avait dit le ministre de la Santé - mais le ministre lui-même et son département, pour son incapacité à fournir à la santé publique les moyens nécessaires pour remplir sa fonction. Et chaque fois revenaient des références aux milliards que les ministres avaient su trouver pour le Mondial et aux magouilles financières qui leur permettaient de se remplir les poches.

Les enseignants furent eux aussi la cible d'une campagne de calomnies, pour oser abandonner les élèves de terminale au moment où ils allaient passer leur bac. Mais ils ne manquèrent pas de répondre que si, aux yeux du gouvernement, les classes pouvaient être suspendues pour la durée du Mondial - sans que cela apporte rien à l'éducation des élèves - c'était pure hypocrisie que de leur reprocher de les suspendre durant la grève, alors que ce qui était en cause, c'était la qualité de l'enseignement, au travers des salaires et des conditions de travail des enseignants !

Au quinzième jour de la grève, le ministre des Services publics, Richard Baloyi, céda finalement du terrain - proposant 7,5 % de rallonge à valoir à partir du 1er avril et une allocation-logement de 87 euros par mois - tout en geignant que "bien sûr, nous devrons emprunter cet argent".

L'organisation de la reprise par les appareils

Le 2 septembre, les manifestations eurent lieu comme prévu dans les principales villes. En revanche, les grèves de solidarité annoncées pour ce jour-là par la direction de COSATU furent annulées sans explication. Dans les jours qui suivirent, les leaders des syndicats de la santé (NEHAWU) et des enseignants (SADTU) organisèrent des assemblées de délégués dans chaque province. Ils eurent la surprise de voir les propositions gouvernementales rejetées en bloc. Le quotidien City Press rapporta comment le 6 septembre, lors d'une telle assemblée de militants de la province de Gauteng, les leaders de NEHAWU furent chassés par les militants en colère, tandis qu'un gréviste interviewé déclarait : "Les syndiqués sont en colère et veulent protester en se rendant au siège national du syndicat pour y brûler leurs cartes." Cela n'empêcha pas le leader local de SADTU d'appeler les enseignants à reprendre le travail dès le lendemain, ajoutant : "Les enseignants ne sont pas contents mais, depuis que nous avons appris que certains syndicats affiliés à COSATU et d'autres à l'ILC ("indépendants") avaient accepté l'offre du gouvernement, nous avons réalisé que nous ne pouvions continuer seuls."

C'était la bonne vieille tactique des appareils syndicaux du monde entier, appelant à la reprise sous prétexte que "d'autres ont repris". Les leaders syndicaux avaient de toute façon décidé de mettre fin à la grève, indépendamment de ce que pouvaient vouloir les grévistes, comme le montra le communiqué d'appel à la reprise publié le même jour et signé par tous les syndicats. Simplement, pour calmer la colère des grévistes qui pourraient se sentir floués, ce communiqué insistait sur le fait qu'il ne s'agissait pas vraiment de "mettre fin" à la grève, mais de la "suspendre" pour trois semaines et consulter l'ensemble des syndiqués. Là aussi c'était un vieux truc bien connu de tous les bureaucrates.

Cette reprise aura donc été une reprise forcée, imposée d'en haut par les appareils. Sans doute les grévistes auront-ils réussi à faire reculer le gouvernement, même sans obtenir l'intégralité de ce qu'ils réclamaient, et à se faire payer de fait une partie des jours de grève par le jeu de la rétroactivité au 1er avril des augmentations obtenues. Sans doute auront-ils également administré une claque cuisante au régime du président Zuma, au point qu'aujourd'hui celui-ci vient soudainement d'annoncer des "investissements massifs" dans la santé publique, "plus importants encore que ceux effectués pour le Mondial" comme a tenu à l'assurer le ministre de la Santé, le 26 septembre.

À l'heure où nous écrivons, exactement trois semaines après la "suspension" de la grève, les leaders syndicaux n'indiquent aucune intention de redonner aux travailleurs la possibilité d'user de leur combativité. Mais il est encore trop tôt pour dire si la grève aura une suite ou pas. Un journal d'affaires soulignait le 24 septembre, non sans quelque inquiétude, qu'aucun des grands syndicats du secteur public n'avait encore signé l'accord salarial. Ceux-ci semblent attendre que des accords de fin de grève, portant en particulier sur des mesures destinées à alléger le poids des retraits sur salaire liés à la grève, soient signés dans chaque province. Certains l'ont déjà été mais pas tous. En particulier, dans la province de Gauteng, SADTU et NEHAWU sont engagés dans un bras de fer avec les autorités provinciales, au point que celles-ci ont eu recours aux tribunaux pour faire interdire à NEHAWU d'organiser des assemblées de militants - sans doute de peur que celles-ci votent la reprise de la grève. La possibilité d'une nouvelle explosion de colère reste donc à l'ordre du jour.

Les arrière-pensées des leaders syndicaux

Le leader de COSATU, Zwelinzima Vavi, avait de toute évidence raison lorsqu'il déclara à un meeting syndical : "Bien sûr que cette grève est politique. De la part des travailleurs, elle équivaut à une prise de position politique. Deux ans après Polokwane, nous n'avons pas de quoi nous réjouir. Nous avons perdu 1,1 million d'emplois. De ce fait, 5,5 millions de Sud-Africains ont été contraints à vivre dans la pauvreté." Mais il n'en est pas moins vrai que Vavi et les autres leaders syndicaux n'auront rien fait pour que le mouvement du secteur public - qui promettait beaucoup de par son ampleur, sa détermination et son caractère politique, justement - aille jusqu'au bout de ses possibilités.

Sans doute, dans l'ensemble de la vague de grèves, les directions syndicales ont-elles accompagné la combativité ouvrière et même pris des initiatives qui lui ont permis de se développer, mais dans des limites qu'elles ont choisies - en confinant les mouvements du secteur privé dans un cadre essentiellement corporatiste et en s'abstenant de proposer au mouvement du secteur public des objectifs à sa mesure.

C'est que dans tout cela les leaders syndicaux avaient leurs propres préoccupations, déterminées bien plus par les luttes intestines de l'ANC (dont ils sont à la fois membres en tant qu'individus et alliés en tant que représentants de leurs syndicats) que par les intérêts ou les aspirations des travailleurs. Ce n'est pas pour rien, en particulier, si l'appareil de COSATU a choisi de faire en sorte que la grève du secteur public soit suspendue bien avant que s'ouvre la réunion du Conseil général national de l'ANC, l'instance suprême de ce parti entre ses congrès quinquennaux.

En faisant la démonstration de leur capacité à mettre en mouvement la classe ouvrière en même temps qu'à contrôler sa combativité, sans pour autant lever la menace potentielle que constitue la suspension de la grève du secteur public, le but des leaders de COSATU était sans doute de montrer aux cercles dirigeants de l'ANC - et en particulier au clan Zuma - qu'ils constituent une force avec laquelle il faut compter.

C'était aussi, sans doute, une façon de rappeler à Zuma qu'il devait pour une bonne part sa promotion à la tête de l'ANC, puis de l'État, au soutien que lui avait apporté COSATU lors du congrès de l'ANC à Polokwane, en décembre 2007 - et qu'il ferait bien de s'en montrer plus reconnaissant, sous peine de mesures de rétorsion.

Trop de candidats pour aller à la soupe

L'enjeu de ces rivalités de factions dans les sphères dirigeantes du régime tient tout simplement aux possibilités d'enrichissement et de clientélisme qu'offre la proximité du pouvoir.

Il faut rappeler que le règlement politique qui aboutit à la première élection multiraciale de 1994 comportait la reconnaissance, à la fois par la bourgeoisie blanche de l'apartheid et par celle des entreprises multinationales opérant dans le pays, de la nécessité de coopter artificiellement dans leurs rangs une frange de la petite bourgeoisie noire. Ce processus fut réalisé au moyen d'un mécanisme qui fut inscrit dans la législation sous la présidence de Thabo Mbeki, en 2003, sous le nom de Transfert du pouvoir économique aux Noirs (Black Economic Empowerment, ou BEE).

Derrière cette dénomination pour le moins cynique se cachait en fait tout un système permettant à quelques individus triés sur le volet d'amasser rapidement des fortunes colossales. Il imposait aux entreprises privées d'embaucher des Noirs au plus haut niveau de leur direction, ou de s'associer à des partenaires noirs, et de faire en sorte qu'une part de leurs actions soit détenue par des Noirs (ou par un seul !). Moyennant quoi ces entreprises pouvaient bénéficier de commandes d'État, souvent assorties de pots-de-vin déguisés en paquets d'actions attribués aux politiciens dans le cadre du BEE.

Les premiers temps de ce processus produisirent les "blacks diamonds" (les "diamants noirs"), encore peu nombreux à l'époque, comme l'ancien leader du syndicat des mineurs Cyril Ramaphosa, devenu milliardaire par la grâce de ses multiples partenariats avec des filiales du groupe minier géant Anglo-American. Mais au cours de ces dernières années, les capitalistes noirs se sont multipliés beaucoup plus rapidement, grâce à des partenariats avec des entreprises étrangères et par le jeu des privatisations dans le secteur étatique. Chaque fois, la cooptation de ces nouveaux capitalistes noirs se fait au travers de tractations laborieuses entre l'entreprise "cooptante" et le futur "coopté" - tractations dans lesquelles des politiciens proches du pouvoir jouent le rôle d'intermédiaires, donnant lieu à de confortables rétributions. On voit ensuite d'anciens poids lourds de l'ANC quitter la sphère politique, ayant amassé assez d'argent pour se payer une somptueuse résidence dans les quartiers les plus riches du pays et aller rejoindre les affairistes blancs opérant à la Bourse de Johannesburg.

Néanmoins, avec le temps, mais aussi du fait de la crise, la taille du gâteau à partager a eu tendance à diminuer, tandis que le nombre de candidats à la soupe augmentait, empoisonnant d'autant les rivalités dans les sommets de l'ANC.

Du BEE aux affaires de famille de Zuma

C'est dans ce contexte que de multiples scandales ont éclaté, faisant apparaître au grand jour le clientélisme pratiqué par les sphères politiques dirigeantes sous couvert du BEE.

Tel fut le cas de l'affaire d'AMSA, la filiale sud-africaine d'ArcelorMittal, dénoncée par le syndicat de la métallurgie comme "menaçant de ternir à jamais l'image du BEE" - comme si ce n'était pas déjà fait ! AMSA avait été constitué lors du rachat par le géant de l'acier des aciéries de l'ancien groupe sidérurgiste d'État Iscor. Dans cette affaire, 21 % des actions de la filiale sud-africaine d'ArcelorMittal furent octroyés à Ayigobi, un consortium créé dans le cadre du BEE, ce qui permettait à AMSA d'obtenir l'estampille du BEE. Après quoi ArcelorMittal racheta à prix d'or une société-écran actionnaire d'Ayigobi, afin d'obtenir des droits de prospection minière que celle-ci détenait, et de reprendre du même coup une partie des actions cédées précédemment - toutes opérations qui ne pouvaient se faire sans l'aval direct du gouvernement. Le scandale éclata lorsqu'on apprit que les deux principaux bénéficiaires de ces opérations n'étaient autres que le propre fils de Zuma et l'un des proches de son père !

Une autre affaire qui fit scandale fut celle de l'entreprise de mines d'or Aurora, dont les deux dirigeants n'étaient autres qu'un neveu de Zuma et un petit-fils de Mandela. Aurora avait acheté pour une bouchée de pain des mines appartenant à une entreprise en liquidation, dans l'espoir d'en tirer de beaux profits. Mais au lieu de cela elle connut bientôt de grosses difficultés. En mars, 2 160 emplois furent supprimés "temporairement" dans deux de ses mines, à un moment où les mineurs étaient déjà en grève contre le non-paiement des salaires du mois précédent. Pire, on apprit que depuis cinq mois Aurora avait cessé de verser au fonds de retraite les contributions qu'elle prélevait sur la paie des mineurs. Pour couronner le tout, Aurora devait 1,3 million d'euros à la compagnie d'électricité, qui finit par lui couper le courant, entraînant la fermeture de toutes ses mines. Mais il y eut encore pire : le 9 août, des agents de sécurité abattirent quatre mineurs illégaux qui tentaient de travailler pour leur propre compte à Grootvlei, l'une des mines fermées d'Aurora - activité extrêmement dangereuse étant donné l'état des mines, mais devenue courante du fait des licenciements dans les mines. Apprenant la nouvelle, le neveu de Zuma ne trouva rien d'autre à faire que d'accuser ces mineurs illégaux d'avoir tué un agent de sécurité et kidnappé un autre au cours de la semaine précédente et d'ajouter : "Ce que ces mineurs illégaux font, c'est ennuyeux. Pour moi, c'est purement et simplement criminel." À ce jour, vingt cadavres ont été retrouvés dans la mine de Grootvlei !

La classe ouvrière face à la démagogie des adversaires de Zuma

De tels scandales ont suscité la colère des travailleurs, comme on a pu le voir tout au long des manifestations de ces derniers mois. Du coup, les factions rivales du clan Zuma ont cherché à s'appuyer sur cette colère pour parvenir à leurs fins.

Le plus virulent critique de Zuma a été Julius Malema, le leader de l'organisation de jeunesse de l'ANC - celui-là même qui, dans un passé récent, claironnait qu'il était prêt à "tuer pour Zuma". Mais c'est bien fini. Aujourd'hui, il accuse Zuma de corruption et promet qu'il lui retirera son soutien lors de l'élection du prochain leader de l'ANC. Mais il ne se place certainement pas du point de vue des intérêts de la population. Millionnaire à 29 ans, Malema appartient à une nouvelle génération de dirigeants qui, contrairement aux précédentes, ne manifeste aucun penchant "de gauche", sans même parler de sympathie pour la classe ouvrière ou le communisme, même dans sa version stalinienne. Sa condamnation des grévistes lors de la grève du secteur public en a dit plus long que tous ses discours à cet égard.

Quant à Vavi, le leader de COSATU, il est en attente de "mesures disciplinaires" après ses critiques du président et de son entourage - qu'il a décrits comme une "élite prédatrice" contrôlant l'État dans le seul but d'assurer leur propre enrichissement. Mais que valent de telles critiques vu la facilité avec laquelle tant de membres des cercles dirigeants de COSATU se muent en affairistes grâce au BEE !

Sans doute ces gens-là pensent-ils qu'en se faisant procureurs ils réussiront à éviter d'être eux-mêmes accusés ?

Vient ensuite David Masondo, président de la Jeunesse communiste, qui fit scandale avec un article publié le 5 septembre dans un quotidien, intitulé : "Le BEE s'est transformé en une affaire de famille : ZEE" (ZEE signifiant "transfert du pouvoir économique aux Zuma"). Il y disait, entre autres : "Le modèle du BEE a institué une compétition entre les politiciens, en vue d'augmenter leur accès au pouvoir institutionnel et de se faire coopter par les hommes d'affaire blancs. Cette compétition trouve son expression dans les rivalités politiques au sein de l'ANC et de l'État. (...) Le BEE est devenu une affaire de famille."

Mais apparemment cette attaque contre les pratiques du clan Zuma était bien trop virulente même pour ses critiques, à en juger par le désaveu de son propre président publié dès le lendemain par le comité exécutif de la Jeunesse communiste !

Le fait que les critiques de Zuma n'étaient pas motivés par une quelconque volonté politique d'en finir avec la corruption de la classe politique a été souligné par la campagne pour la "nationalisation" des mines, qui est devenue leur cheval de bataille.

Dans un premier temps, il est vrai, cette revendication avait été avancée par le syndicat des mineurs NUM, pour répondre à la détérioration des conditions de travail dans les mines, aux licenciements qui s'y multipliaient et au gâchis qu'y créait un patronat trop avide de profits.

Mais par la suite, le fait que cette revendication trouve son avocat le plus virulent en la personne de Julius Malema en modifia le caractère. Qu'un affairiste comme Malema ait choisi de reprendre à son compte l'idée de la nationalisation des mines ne pouvait que signifier qu'il y voyait peut-être un paravent susceptible de permettre à un petit nombre de bénéficier d'opérations encore plus profitables que celles organisées dans le cadre du BEE.

Ce fut l'argument développé dans un article paru dans le numéro de septembre d'African Communist, revue publiée par le Parti Communiste d'Afrique du Sud, selon lequel "ce sont les intérêts étroits des capitalistes BEE qui s'expriment au travers de la revendication de nationalisation des mines par la Jeunesse de l'ANC. (...) Avant même le début de la crise en 2007, nombre d'entreprises minières BEE connaissaient des difficultés du fait de leur endettement et de la pauvreté des mines qu'elles exploitaient. L'écroulement du marché des matières premières, qui a duré jusqu'au début 2010, a affecté l'ensemble de l'industrie minière et plus particulièrement, les mines BEE qui étaient plus vulnérables. (...) Bien avant que le président de la Jeunesse de l'ANC lance sa campagne, des forces proches de l'ANC (et de certaines de ces entreprises BEE) avaient discrètement commencé à tenter de convaincre le gouvernement de nationaliser le secteur du platine." Et l'article de conclure qu'on comprend aisément comment une telle nationalisation pourrait servir de couverture au "renflouement des entreprises BEE surendettées, en détournant des milliards des fonds publics au profit d'une mince couche de capitalistes noirs (et blancs)".

En fin de compte, les critiques de Zuma, pourtant si virulents au cours des mois précédents, perdirent soudainement leur voix lorsque s'ouvrit la réunion du Conseil général national de l'ANC, le 21 septembre. En relançant sa promesse passée d'une "Sécurité sociale santé" - promesse dont il n'avait plus parlé - Zuma parut avoir trouvé le moyen de parer à toutes les critiques. Malgré la grève du secteur public qui restait encore en suspens, les leaders syndicaux choisirent, pour autant qu'on puisse en juger, de garder un profil bas et de ne pas s'en servir pour mettre le clan Zuma en difficulté. Les croisés de la lutte contre la corruption brillèrent surtout par leur volonté de ne pas faire trop de vagues. Et Zuma s'en tira sans avoir été mis sur le grill.

Autant dire que la classe ouvrière n'a rien à attendre de cette opposition à Zuma, à la direction de l'ANC, dont les critiques contre le régime n'ont pas d'autre but que de servir ses propres ambitions d'accéder à la mangeoire de l'État.

De toute façon, cet étalage de démagogie contre le régime de Zuma a peu de chances de calmer la colère des travailleurs qui en sont venus à comprendre que les dirigeants du régime n'ont jamais eu d'autre préoccupation que de se remplir les poches et qu'aujourd'hui, ce ne sont plus que des capitalistes dont la politique et le parasitisme sont directement responsables de la misère scandaleuse qui leur est imposée.

Il faut espérer que, ayant pris conscience au cours de la vague de grèves actuelles de la puissance considérable qu'elle représente lorsqu'elle est mobilisée, la classe ouvrière sud-africaine en viendra aussi à la conclusion que la seule arme efficace dont elle dispose est d'user de cette puissance - mais cette fois, en trouvant dans ses propres rangs une direction qu'elle puisse contrôler et en unissant ses forces dans un combat commun pour des objectifs susceptibles de répondre à la catastrophe sociale que lui impose le parasitisme des capitalistes, noirs comme blancs, et de leurs représentants au pouvoir.

27 septembre 2010