Automobile - L’offensive patronale et les intérêts des travailleurs

Εκτύπωση
juillet-août 2014

Nous reproduisons ci-dessous des extraits du débat organisé par des militants de Lutte ouvrière d'entreprises automobiles le 8 juin dernier, à la fête annuelle de Lutte Ouvrière à Presles (Val-d'Oise). L'introduction au débat est suivie des extraits des conclusions tirées de la discussion par nos camarades Philippe Julien et Jean-Pierre Mercier, animateurs de la grève PSA d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) en 2013.

Introduction de Philippe Julien

En introduction à ce débat, qui se fera autour des militants de LO des différentes usines de l'automobile - notamment de Renault, PSA, Toyota - je vais faire un point sur la politique actuelle des patrons de l'automobile et les conclusions que l'on peut en tirer.

Le secteur de l'automobile se concentre sur quelques grands groupes, de véritables trusts industriels à travers le monde employant chacun des centaines de milliers de travailleurs. Le groupe Renault-Nissan a produit 8 millions de véhicules en 2013 avec 340 000 salariés, dont 122 000 pour la partie Renault, qui comprend Dacia et Renault Samsung. Le groupe PSA, qui comprend Faurecia et sa banque PSA Finance, est présent dans 160 pays différents, emploie 194 000 salariés et a produit 2,8 millions de véhicules en 2013, auquel il faut ajouter les 3 millions de véhicules de Dongfeng, constructeur chinois avec lequel PSA vient de s'unir.

Mais en plus, ces groupes organisent en fait des milliers d'autres entreprises de sous-traitance, d'équipementiers, qui vont de grosses entreprises, comme Valeo, à de très nombreuses petites entreprises. Ces quelques grands constructeurs sont les véritables décideurs, donneurs d'ordres, qui font la pluie et le beau temps, et souvent la pluie, en exigeant des baisses constantes des coûts avec des coupes claires dans les effectifs, des fermetures d'usines et des gains de productivité.

La presse noircit des pages et des pages sur les prétendues différences de stratégie ou sur les erreurs d'un constructeur ou d'un autre, qui n'aurait pas sorti le bon modèle au bon moment. C'est en vérité pour mieux masquer que ces trusts appliquent une même politique, même si elle peut prendre des aspects différents selon leur situation. Ces trusts, qui se font concurrence, ne cherchent qu'à réaliser des gains de productivité sur le dos des travailleurs, au nom d'une compétitivité dont ils sont les seuls bénéficiaires.

Leur leitmotiv pour la justifier, c'est la crise. Oui, on peut dire que ce secteur est touché par la crise économique, mais pas du tout comme voudraient le faire croire les médias au service des patrons. Ceux-ci ont beau jeu de justifier toutes leurs mesures par une crise qui viendrait d'on ne sait où, sorte de cataclysme quasi naturel dont tout le monde serait victime, patrons comme salariés. Cela a pour but d'essayer de faire accepter leur politique aux travailleurs.

Et aussi de pleurer misère pour recevoir aides sur aides de l'État. Ainsi des milliards d'euros d'argent public s'engouffrent dans les caisses de ces groupes. Car en plus de bénéficier comme tous les patrons de la suppression des cotisations sociales, des crédits d'impôt, comme le CICE ou le crédit d'impôt recherche (CIR) - PSA ainsi a empoché 101 millions d'euros pour l'année 2013 - ils reçoivent toutes sortes d'aides particulières. Ainsi pour PSA : 7 milliards d'euros en 2013 pour garantir la banque PSA Finance, 800 millions d'euros pour des achats d'actions pour l'augmentation de capital du mois dernier. À chaque prétendue innovation technologique, ces trusts reçoivent des centaines de millions de l'État. Renault a même reçu 500 millions de subventions pour la construction d'une usine de batteries à Flins qui reste toujours inexistante.

Le gouvernement ne se donne même plus la peine de maquiller ces subventions avec de prétendues contreparties sur l'emploi. Elles sont versées à fonds perdus, sauf pour les actionnaires.

La réalité est tout autre.

Tout d'abord la crise, c'est leur crise, car c'est bien la crise d'un système capitaliste dont ils sont totalement responsables. Chaque mesure qu'ils prennent ne fait que la renforcer ou préparer la prochaine secousse. Mais en fait cela ne va pas si mal que cela pour eux.

Les médias font passer l'idée que les marchés sont en chute permanente et chaque spécialiste y va de ses chiffres catastrophiques. Devant ces méventes, la solution serait de produire de nouveaux types de voitures et, en relais de ces soi-disant experts, tous les syndicats y vont de bon cœur sur le même refrain. Selon eux, cela deviendrait même un objectif de lutte pour les travailleurs !

En réalité le marché mondial de l'automobile est en hausse constante. En 2007, 71 millions de véhicules étaient vendus dans le monde, et après un recul à 68 millions en 2008 et 65 millions et 2009, suite à la crise financière, le marché est reparti de plus belle au rythme de + 3 ou 4 % par an pour atteindre 85 millions de voitures vendues en 2013 ! Bien sûr, il y a des différences, avec de gros reculs dans des pays plus fortement touchés par la crise (Espagne, Portugal, Grèce), et un marché européen stagnant à 14 millions de voitures par an. La croissance est essentiellement due au marché chinois qui, de 5 millions de voitures en 2005, a maintenant dépassé le marché européen avec 22 millions de voitures vendues.

Cela explique la course de ces trusts aux fusions, aux partenariats, aux créations d'entreprises dans tous les pays où ils pensent qu'il y a un profit à faire. Ainsi PSA, après plusieurs tentatives avec Ford et General Motors (GM), a finalement fait un partenariat avec le constructeur chinois Dongfeng, en plus des accords avec BMW, Fiat, Ford, GM, Mitsubishi, Toyota et Renault. Sans oublier les usines ouvertes sous son nom ces dernières années : une en Russie en 2013 et une en Chine en 2014, ce qui fera la quatrième dans ce pays. Du côté de Renault-Nissan, des contrats ont été passés avec Mitsubishi au Japon, Daimler en Allemagne, Avtovaz en Russie ou Dongfeng en Chine. On retrouve donc ces mêmes entreprises entremêlées, de quoi relativiser la fameuse compétition qui les opposerait. Ils savent aussi s'entendre comme larrons en foire sur le dos des travailleurs.

Le marché actuel leur permet donc d'engranger de très jolis profits.

Bien sûr, les profits sont masqués par tout un tas de techniques plus ou moins sophistiquées, et varient selon ce que cherche tel ou tel constructeur sur le moment. Une partie de leurs profits est dissimulée dans les prix de transferts de filiale à filiale, dont certaines se trouvent dans des paradis fiscaux. PSA a localisé ainsi 11 % de ses plus de 200 sociétés, sous des noms différents, dans ces fameux pays offshore. Et puis il y a les techniques comptables, qui ont permis à PSA de déclarer 2,3 milliards de pertes en 2013, alors que ce n'étaient que des dépréciations d'actifs. C'est-à-dire qu'elle déclare tout d'un coup que sa société a perdu de sa valeur comptable sans avancer la moindre justification. Cela n'a pas empêché la famille Peugeot d'engranger 100 millions d'euros dans sa dernière opération boursière. Mais d'autres sociétés comme Renault ne se cachent pas d'avoir 14 milliards d'euros de trésorerie et d'avoir versé 500 millions aux actionnaires en 2013 et autant en 2014. Et Toyota, elle, déclare un profit de 9 milliards de dollars ! Rappelons aussi, tout de même, que le nouveau PDG de PSA, Carlos Tavares, gagne 9 000 euros par jour, samedi et dimanche compris, et que le PDG de Renault, Carlos Ghosn, touche 9,6 millions d'euros par an, ce qui en fait le patron le mieux payé du CAC 40. Ces profits, ils les font non seulement sur des marchés qui sont loin de s'écrouler, mais surtout sur une exploitation accrue des travailleurs de l'automobile. Avec une attaque frontale comme on n'en a pas vu depuis bien longtemps, et qui peut désorienter bien des travailleurs et même des militants.

En changeant la loi à partir d'un accord national interprofessionnel (ANI), le gouvernement a directement soutenu PSA et Renault dans cette politique pour qu'ils puissent imposer des accords de compétitivité. Ils ont été tout de suite appliqués dans les usines, pour bien signifier aux travailleurs qu'ils allaient devoir travailler plus pour moins cher, avec moins de droits. Première mesure immédiate chez Renault : un allongement considérable du temps de travail suite à la suppression pure et simple de jours de congés, jusqu'à vingt jours, remplacés par autant de jours de travail sans la moindre augmentation du salaire annuel.

Ensuite ce sont les pauses, déjà très courtes, qui ont été rognées chez les deux constructeurs. Et chez PSA, la direction a voulu faire passer les congés annuels d'été de quatre semaines à trois semaines, alors que les salariés en avaient bien besoin pour pouvoir récupérer un peu leur santé. Elle n'y a qu'en partie réussi. Et, à côté de cela, les heures supplémentaires pleuvent un peu partout, ainsi que les fameux « overtime », temps imposé jour par jour à la dernière minute sous prétexte que la production n'aurait pas été faite.

Le plus aberrant, c'est qu'en même temps qu'on force les salariés à travailler plus longtemps en leur disant qu'il faut augmenter la production, des secteurs entiers sont mis au chômage, parfois dans la même usine. Et des usines entières ferment, comme à PSA-Aulnay.

Je voudrais rappeler que, dans ces usines de production, les ouvriers sont soumis à des cadences de travail très strictes, calculées au centième de minute, avec une maîtrise sur le dos en permanence, que les accidents y sont fréquents, ainsi que les maladies professionnelles. Les horaires de travail en équipe, souvent très tôt le matin, déstructurent toute la vie sociale et usent la santé encore plus vite.

Certains, comme Toyota à Denain en ce moment, s'illustrent par une politique répressive faite de sanctions, de licenciements pour de prétendues fautes, et qui frappent encore plus ceux qui relèvent la tête, dont les militants syndicaux.

Après avoir, ces dernières années, intensifié le travail en augmentant la productivité, ces patrons augmentent maintenant le temps de travail. Cela veut dire que, mécaniquement, ils diminuent les salaires. Cela ne s'était pas vu, là aussi, depuis très longtemps. Donc zéro augmentation sur les salaires de base pendant trois ans chez Renault comme Peugeot, mais, en plus, des primes ne sont plus distribuées, ou carrément supprimées. PSA s'est payé le ridicule de verser des primes de participation de quelques euros. Auxquelles les salariés ont répondu en collectant ces euros pour les reverser aux Restos du cœur.

Autre innovation : les mutations forcées en créant des « pôles industriels » qui recoupent plusieurs usines distantes de centaines de kilomètres où les salariés pourraient être mutés au bon vouloir des directions, au gré des productions sous menace de licenciement en cas de refus.

Mais les attaques qui sont évidemment les plus durement ressenties, ce sont les licenciements et les fermetures d'usines, comme celle de PSA-Aulnay. Même si, heureusement, il s'est trouvé dans ce cas des centaines de salariés au coude à coude pendant des mois pour lutter et rétablir leur dignité. Renault a planifié encore 8 500 suppressions d'emplois sur les trois ans à venir, alors qu'en 2013 elle a diminué ses effectifs de 5 000 travailleurs pour une production supplémentaire de 80 000 véhicules.

Et PSA, qui sort d'un plan de 12 500 licenciements, continue avec un autre plan contenant des menaces à peine voilées de nouvelles fermetures sur les usines de Borny à Metz, Mulhouse, Rennes, Poissy, en programmant des fermetures entières de lignes.

Ils se servent entre autres des concentrations de productions, souvent la conséquence des accords passés entre grands constructeurs qui servent à supprimer les « doublons », comme ils disent. Remarquons qu'il n'y a jamais de doublon chez les actionnaires.

Là encore, cela n'empêchera pas, comme chez Renault, la direction de prendre des travailleurs intérimaires en nombre très important. Dans certains secteurs, ils constituent la majorité du personnel de production.

Je m'arrête là sur la description des attaques patronales, les camarades des différentes usines qui sont présents dans ce débat expliqueront concrètement comment cela se traduit sur leurs sites et les réactions des travailleurs, là où il y en a eu.

Car il y a eu tout de même quelques réactions. En 2013 et en 2014, il y a eu des débrayages ou des grèves, comme à PSA-Aulnay, ce que l'on n'avait pas vu depuis longtemps. Mais tout le monde le constate : ce n'est pas à la hauteur de ce qu'il faudrait. Se pose alors la question du rôle de militants et notamment des militants révolutionnaires qui entendent se situer uniquement sur le terrain de leur classe sociale.

Je voudrais maintenant discuter du fait que les travailleurs, et dans un premier temps les ouvriers les plus conscients, prennent la mesure des reculs que voudraient nous imposer ces trusts mais aussi parler de leur politique d'internationalisation des productions.

Les partis de droite comme de gauche tirent comme conclusion de cette politique des trusts qu'il faut protéger les entreprises françaises, alors qu'elles sont depuis longtemps transnationales, en leur accordant toujours plus d'aides de l'État, en pratiquant une politique protectionniste. Montebourg y va de son protectionnisme économique et de sa marinière.

Les syndicats entonnent les mêmes refrains nationalistes et répètent à l'envi que le problème, c'est que ces entreprises capitalistes sont mal gérées. Ils se payent même le ridicule de leur donner des conseils pour mieux gérer leurs entreprises qui pourraient concilier à la fois les intérêts des salariés et la soif de profits des capitalistes.

Pour nous, les objectifs de lutte pour les travailleurs sont tout autres.

Ce dont les travailleurs doivent se convaincre en premier, c'est que les attaques patronales ne sont pas qu'un mauvais moment à passer. Les patrons continueront à baisser les salaires, intensifier le travail, augmenter les temps de travail aussi loin qu'ils le pourront. C'est-à-dire, aussi loin que les travailleurs les laisseront faire. Aussi longtemps que les travailleurs n'arriveront pas à créer un rapport de force en leur faveur.

La deuxième chose, c'est que les travailleurs ne doivent pas se laisser enfermer dans des raisonnements nationalistes, protectionnistes, qui en plus de n'être que du baratin destiné à faire diversion, ne font que tirer les ouvriers en arrière dans leur conscience du rôle qu'ils ont à jouer pour la transformation de l'humanité.

Au 19e siècle, alors que le mouvement ouvrier n'en était qu'à ses débuts et que les patrons organisaient encore leur production essentiellement sur une base nationale, les militants ouvriers prenaient une direction radicalement opposée au nationalisme. Ils ont tout de suite compris qu'il fallait défendre des idées internationalistes. Et ils mettaient leurs idées en application en créant dès 1864, une organisation internationale, l'Association internationale des travailleurs (AIT), sur la base des idées défendues par Karl Marx dans son Manifeste du parti communiste de 1848

Il n'y a aucune raison de se résigner à ce que la classe ouvrière renonce à ses idées d'origine, se laisse embarquer dans des idées protectionnistes, donc réactionnaires. Les prévisions de Marx sont devenues des réalités bien tangibles. L'avenir de l'humanité ne peut être de se recroqueviller sur elle-même, de défendre les chimères du repli national, alors qu'au contraire toute l'évolution va dans le sens d'une ouverture, d'une interdépendance des productions, des savoir-faire des hommes d'un bout à l'autre de la planète. Et l'industrie automobile nous en donne un formidable exemple.

Il faut donc au contraire que la classe ouvrière s'élève à ce niveau de compréhension, d'analyse de cette internationalisation de l'économie.

Le capitalisme a commencé la mondialisation. Il reviendra à la prochaine révolution sociale d'aller bien plus loin, en supprimant les frontières, en organisant l'économie à l'échelle mondiale sur la base de la coopération des peuples de tous les pays. Seule la classe ouvrière peut le réaliser.

Car ces trusts, qui en même temps qu'ils développent leur production à l'échelon international continuent à se faire une guerre à mort, entraînant peut-être de nouvelles chutes de l'un ou l'autre de ces trusts, continuent d'emmener toute l'humanité dans le chaos et la misère. Ils ne peuvent représenter l'avenir de l'humanité.

Alors, cette mondialisation ne doit pas paralyser les militants, au contraire. Plus que jamais, l'avenir est entre les mains de la classe ouvrière. Il peut, bien sûr, y avoir le sentiment, chez des ouvriers licenciés, qu'ils ne représentent plus une force. Mais ce que montre toute l'évolution de ces trusts de l'automobile, c'est l'inverse. En internationalisant leurs productions, ils ne font que renforcer objectivement les liens entre les ouvriers. Aujourd'hui les travailleurs japonais de Nissan travaillent pour le même patron que les travailleurs de Renault en France. Les travailleurs chinois de Dongfeng travaillent pour le même patron que les travailleurs de Peugeot.

Et même ces patrons qui licencient à tour de bras sont obligés d'asseoir leur fortune sur le travail de millions d'ouvriers, et maintenant à travers le monde. La classe ouvrière reste bien vivante et son objectif doit être maintenant de devenir une force politique.

C'est à ce niveau de raisonnement que les ouvriers les plus conscients doivent se hisser.

Cela veut dire que même dans des luttes partielles, au niveau de leur entreprise ou autres, ils doivent se défendre, et défendre leurs revendications sans jamais perdre cette boussole.

Bien sûr, les travailleurs se défendent d'abord au niveau où ils sont attaqués - que ce soit lors de la fermeture d'une usine, où au niveau de leurs conditions de travail. Mais ils peuvent s'adresser aussi aux autres travailleurs et le plus directement possible. En allant eux-mêmes rencontrer les autres salariés sur leur lieu de travail. Gagner d'autres travailleurs à partir d'une usine en lutte autour de mêmes objectifs. C'est en menant une politique à ce niveau et dans cette direction que la classe ouvrière pourra retrouver ses forces.

Et n'attendons pas que les confédérations syndicales mènent cette politique. Et même si par aventure les confédérations syndicales arrivent enfin à se mettre d'accord sur la date d'une journée de manifestation même interprofessionnelle, ce n'est pas cela qui pourra remplacer l'activité, le militantisme de centaines de milliers de travailleurs conscient de leur rôle à jouer.

Les centaines de milliers de travailleurs de l'automobile, justement par leur nombre, leur répartition dans tous les pays, par le rôle qu'ils jouent dans l'économie, pourraient être le cœur d'une lutte, jouer un rôle central, un rôle d'entraînement.

Prendre la tête des luttes, mettre en avant des revendications essentielles qui pourraient être reprises par tous les travailleurs, dans le pays où l'on travaille, mais aussi à travers les frontières.

Non seulement une augmentation massive des salaires avec une indexation de ces salaires sur les prix, pour empêcher la chute du pouvoir d'achat. Mais aussi l'interdiction des licenciements, la répartition du travail entre tous les travailleurs y compris ceux qui sont actuellement sans emploi, et le contrôle des comptes des grands groupes par les travailleurs eux-mêmes.

À la mondialisation capitaliste de l'économie, la seule réponse est la conscience de classe et l'internationalisme des travailleurs.

Plus tard, au cours du débat, Philippe Julien a répondu à un intervenant du public qui s'est interrogé pour savoir si la grève des travailleurs d'Aulnay a été une victoire ou une défaite.

Il y en a beaucoup qui raisonnent comme ça : « Je ne veux pas que mon usine ferme ». Alors cela se transforme en : « Je cherche un repreneur. » Et ils y vont. Et on va chercher. On va mettre une petite annonce dans un journal : « Cherche patron, accepte accord de compétitivité, pas trop sévère. » Voilà ce que c'est, la course aux repreneurs. Bon, c'est ça qu'on veut ? C'est un objectif qui sera généralisable pour tout le monde ? Pour tous les travailleurs dans un même pays et au-delà des frontières ?

Alors je peux comprendre des camarades, des travailleurs qui peuvent être acculés parce que, justement, on les laisse tout seuls se battre, le dos au mur, contre un patron et qui peuvent être acculés à accepter des accords de ce type-là. Mais cela ne peut pas être un objectif, surtout pour des militants révolutionnaires.

Autre idée, pour empêcher la fermeture de son entreprise, faire une Scop [Société coopérative de production]. Alors peut-être pour faire des sachets de thé, c'est possible, je ne critique certainement pas leur choix, mais franchement, que l'on se mette en Scop pour fabriquer des voitures, je ne vois pas comment on pourrait faire. Alors soyons sérieux.

Je rappelle ce que ça veut dire de s'opposer à un patron qui veut fermer une usine. Pour les camarades qui se basent sur le marxisme, ils ont ça en tête : quand il y a une période de crise économique, que fait la bourgeoisie, que font les patrons ? Ils détruisent les moyens de production pour rétablir leur taux de profit. Donc c'est ce qu'ils font. Et en ce moment ; ils le font à fond la caisse. S'opposer à cela, c'est s'opposer à tout le fonctionnement du système capitaliste, cela veut dire qu'il faut mettre tout le système capitaliste en l'air et c'est cela qu'on doit se donner comme objectif. Ce n'est pas simplement dire que l'on veut empêcher la fermeture d'une usine. C'est complètement idiot.

Alors ce serait une défaite ? Non. La solution que nous avons préférée, c'est de dire : « Interdiction des licenciements, aucune usine ne doit fermer ». Cela répondait à la fois à notre problème à nous, aucune usine ne doit fermer, mais c'était généralisable, à l'échelle du pays. Cela n'enfermait pas les travailleurs à l'échelle d'une usine, mais cela s'ouvrait pour tout le monde. Alors le camarade nous dit que c'est un échec car la grève d'Aulnay n'a pas réussi à déclencher l'offensive générale. Bon. Ok. Mea culpa. Mais je voudrais rappeler que nous avons essayé.

Nous avons essayé, pendant un mois, deux mois, trois mois, quatre mois, on n'a pas fait simplement, comme le dit le camarade, pleurnicher auprès du gouvernement. Bien sûr, nous avons eu des actions vis-à-vis du gouvernement et mais ce n'était pas pour pleurnicher, c'était pour investir les ministères, c'était aussi pour s'attaquer au patronat, et pour s'attaquer à l'État. Parce que le camarade veut que l'on s'attaque au patronat, mais pas à l'État. Mais pour nous le patronat et l'État sont main dans la main. Eh bien, nous avons dit aux travailleurs qu'il fallait s'attaquer aux deux, parce qu'ils sont complices.

Mais ce n'est pas le plus important dans notre grève. Dès le troisième jour de grève - nous nous sommes mis en grève le mercredi, et le vendredi après-midi, on avait déjà pété les portes, le mur pour entrer dans l'usine de Saint-Ouen. Nous ne sommes pas allés nous adresser aux travailleurs avec seulement trois ou quatre délégués syndicaux ou alors seulement en téléphonant au délégué syndical en lui expliquant que nous voulions monter un comité international, en prenant rendez-vous dans le café d'à côté pour discuter. Alors voilà, on s'est vu une demi-heure entre trois ou quatre délégués syndicaux, hourra, on a réussi à faire avancer la lutte de classe !

Non, je dis ça, en plaisantant, parce que c'est ce qu'on nous propose tous les jours. Créer un comité, pour créer des liens entre trois ou quatre syndicalistes. Ce n'est pas ça le problème, le problème c'est d'apprendre aux travailleurs à s'occuper de leurs problèmes et de le faire eux-mêmes. Et nous sommes rentrés à Saint-Ouen à 150. Nous avons arrêté l'usine, nous sommes allés discuter avec les salariés pied à pied. Puis un mois après, nous sommes revenus une deuxième fois pour vérifier. Cela a fait du bien d'ailleurs, je pense que les travailleurs qui travaillent à Saint-Ouen peuvent en témoigner. Entre-temps il y avait eu toute une série de débrayages, il y a une conscience qui s'est modifiée. Et nous l'avons fait avec les camarades de Renault, à Flins, on l'a fait à Cléon.

Nous avons distribué des centaines de milliers de tracts, sur toutes les autoroutes : c'était une adresse à l'ensemble du mouvement ouvrier. Alors on n'a pas dit : « On va déclencher la grève générale. » Cela aurait été puéril. Mais on a dit cette grève peut être aussi la vôtre, on a ces problèmes-là, vous aussi, rejoignez-nous, allons ensemble. Voilà ce que nous avons dit. Qu'est-ce que c'était, sinon une politique qui était ouverte ?

Sauf que la différence, c'est qu'on n'est pas à pleurnicher, à attendre que les organisations syndicales appellent miraculeusement à une grève générale. Les camarades, on n'y croit pas. Je vous le dis, nous, à Lutte Ouvrière, on n'y croit pas que les confédérations syndicales appelleront. Elles n'appelleront pas. Elles ne déclencheront pas une grève générale.

En 1936, ce n'est pas comme ça que cela s'est passé. C'est les ouvriers eux-mêmes, eux-mêmes, qui ont débrayé, qui ont été voir les autres, qui ont traversé la rue, qui ont été voir l'usine à côté, qui sont allés causer avec les travailleurs. Ce n'est qu'une semaine après le début la grève générale qu'elle a été mentionnée dans la presse. Ils ont mis une semaine, les bourgeois à s'en apercevoir.

En 1968, la CGT n'a jamais appelé à une grève générale. Elle a appelé à une journée, le 13 mai 1968. Sauf que ça lui est retombé sur le dos, il s'est trouvé qu'il y a eu des milliers, des millions de travailleurs qui ont participé à cette manifestation, cela a été un immense espoir, et ensuite les travailleurs se sont mis eux-mêmes en grève générale. Ce n'est pas les confédérations syndicales qui ont appelé. Si elles sont d'accord entre elles c'est pour diviser, pour faire les appels étalés dans le temps et, le moment venu, pour faire reprendre. Alors comment peut-on faire ? Comment doit-on faire ? Eh bien nous, on dit que ce sont les travailleurs à la base qui doivent le faire, et que le problème c'est la conscience.

Tout repose sur la conscience. Et c'est dans ce sens qu'on discute. L'objectif de ce forum on se l'est fixé à ce niveau-là, c'est que l'urgence, pour les travailleurs dans l'automobile, comme ailleurs, c'est de ne pas se laisser enfermer dans des raisonnements protectionnistes. De l'extrême droite à la gauche, tous les partis bourgeois et jusqu'aux directions syndicales, tout le monde prêche le protectionnisme aux travailleurs.

Il n'y a pas besoin d'attendre la révolution générale pour combattre ça. Il faut que nous, les militants, nous combattions ces idées-là, et c'est ça le plus urgent pour nous, parce que si nos camarades de travail autour de nous, dans leur tête, ils s'enferment dans ces idées-là, alors je peux vous dire que oui, on est foutus. Oui, on est foutus si on laisse les militants, nos camarades de travail, s'enfermer dans des conneries nationalistes, protectionnistes, dans l'idée que les travailleurs peuvent sauver leur peau dans leur usine, dans leur corporation ou dans leur pays, les uns contre les autres.

Donc les militants qui veulent militer sur le terrain de la classe ouvrière, ils doivent demander à leurs camarades de faire un effort, de réfléchir, et de se dire, se rappeler qu'ils sont une classe ouvrière internationale, qui représente une force. Il faut défendre des idées internationalistes, raisonner en fonction des intérêts de l'ensemble de la classe ouvrière.

Conclusion de Jean-Pierre Mercier

Eh bien, écoutez, on a fait un tout petit tour d'horizon, sur l'automobile et pas que sur l'automobile. On a pu aussi discuter d'autres choses. Ce que l'on constate tous, c'est que les patrons sont évidemment toujours à l'offensive, toujours à l'attaque, avec une crise économique qui s'approfondit, les attaques sont de plus en plus violentes. Que ce soit les attaques sur l'emploi, sur les salaires, sur les droits sociaux de tous les travailleurs, et là-dessus, en tant que militants, quand on a à cœur de vouloir changer les choses, on veut tous que cette situation change, que le rapport de force redevienne en faveur du monde du travail, que les attaques du gouvernement et du grand patronat s'arrêtent. On se pose tous la question, et c'est une question récurrente : comment peut-on faire, comment peut-on y arriver ?

Alors ces questions, elles se posent sous différentes formes, mais en gros, on est tous d'accord sur le fait que c'est lorsqu'il y aura des mobilisations du monde du travail que l'on pourra espérer, en tout cas avoir la possibilité, que la situation elle change. Et on se demande quand est-ce que cela va avoir lieu ?

On n'en sait rien. Autant se le dire. On n'en sait rien. On n'en sait rien quand les travailleurs vont relever la tête et reprendre courage dans leur force pour reprendre l'offensive. Là, dans cette situation, on a autour de nous, mais pas que dans les entreprises, dans la société en général, des salariés, le monde du travail en général, qui n'a pas envie de se battre, qui n'y croit pas. Il ne se bat pas, parce qu'il pense que ce n'est pas possible de gagner. Pourquoi aller au carton, si c'est pour perdre ? C'est ça qu'il a dans la tête, aujourd'hui, le monde du travail, ou en tout cas, beaucoup de travailleurs.

Cette situation, elle est compliquée pour les militants. Alors s'il y a quelque chose qui compte pour l'avenir, c'est qu'aujourd'hui, tous les militants, tous ceux qui ont envie que ça change, gardent confiance dans les capacités de la classe ouvrière, un jour ou l'autre, à se mobiliser et à reprendre le chemin des luttes. Si on perd cette confiance, oui, là on se démoralise, on se décourage, et le camp d'en face, il avance, il marque des points. Alors, ça c'est une première chose. Nous on est communistes, on est des communistes révolutionnaires, cela veut dire que nous sommes convaincus qu'un jour ou l'autre il va y avoir des luttes.

Aucune organisation révolutionnaire n'est en capacité de déclencher des luttes d'ampleur, des grèves d'ampleur. Ce sont les patrons qui ont cette capacité. Ce sont les gouvernements qui ont cette capacité, de faire la loi de trop, de faire le licenciement de trop, de faire l'attaque de trop, de vouloir imposer le recul de trop qui déclenche derrière des réactions collectives.

Pas forcément d'ampleur au début, on ne sait pas comment cela va se passer, mais c'est eux qui vont déclencher les luttes. Ce sont eux qui vont faire en sorte que ce mécontentement qui existe dans le monde du travail finisse par s'exprimer. Et c'est dans ces moments-là, et, là, c'est dès aujourd'hui qu'il faut être inquiet pour ces moments-là. Car, dans ces moments-là, il ne faudra pas se planter. Il faudra aller le plus loin possible, il faudra prendre la bonne direction, que l'on se saisisse des revendications que l'on doit mettre en avant pour gagner le plus possible de terrain, pour faire que la conscience de classe dans ces moments-là, qui grandit à la vitesse de la lumière, elle aille le plus loin possible.

Pour l'avenir, parce que le combat ne se fera pas en une seule fois, parce que l'on part d'extrêmement bas, et d'extrêmement loin. Alors c'est pour ces moments-là, que nous nous préparons aujourd'hui. Parce que dans les futures bagarres, pour instaurer ce rapport de force, on va voir des Mélenchon, on va avoir des Thierry Lepaon, des Laurent Berger, etc., qui vont se repeindre en rouge, qui chanteront l'Internationale, qui lèveront le drapeau rouge et qui diront : « Bravo les gars, vous avez bien bataillé, on a bien bataillé, maintenant si on continue, on perdra tout, donc il faut qu'on s'arrête, il faut qu'on marque une pause. »

C'est le coup de juin 1936, c'est le coup de mai 1968. Et là je m'adresse aux plus jeunes d'entre nous qui sont dans l'assemblée. Il faut que vous vous posiez aujourd'hui les vraies questions, que vous recherchiez dans les livres d'histoire du mouvement ouvrier, pourquoi le mouvement ouvrier a connu tant de défaites. Les causes de ses défaites, pour éviter que dans l'avenir, on recommence la même histoire. Parce qu'il ne faut pas recommencer la même histoire. Il faut que dans les prochaines bagarres, on puisse gagner le plus de terrain possible pour les acculer le plus loin possible.

Et cela ne tient qu'à nous aujourd'hui de ne pas baisser les bras, de garder confiance dans nos camarades de travail, jusqu'à et y compris ceux qui, démoralisés, désorientés, tombent dans le piège de Marine Le Pen. Eh bien, c'est de retourner les voir, c'est de les faire changer d'avis et de les convaincre, c'est de les regagner à notre camp. C'est de ne pas les laisser dans les mains des patrons - parce qu'avec Marine Le Pen ils sont dans les mains du patron.

Et cette bataille, il n'y a pas besoin d'avoir trente ans de parti derrière soi pour faire ça. Chacun d'entre nous, on peut discuter avec son voisin de palier, on peut discuter avec son camarade de travail, à condition d'avoir des idées claires, d'avoir des idées politiques qui soient efficaces. Et qui servent de repères, qui servent de boussole, et ça, c'est notre boulot de militants, à nous tous, de les prendre en main, de les comprendre et après de les faire partager autour de nous par le plus grand nombre.

Aujourd'hui les travailleurs ne se battent pas, cela ne veut pas dire qu'on ne peut rien faire du tout. On a tout un travail militant à faire, non seulement dans les entreprises mais en dehors des entreprises. Tous les lycéens, les étudiants aujourd'hui qui manifestent contre Le Pen, ils ont raison, ça part d'un bon sentiment, mais il faut comprendre que ce ne sont pas des manifestations qui feront barrage à Marine Le Pen. Tout va se jouer dans les entreprises.

C'est dans les entreprises et pas ailleurs que cela va se jouer parce que c'est là où se fabrique le profit. Ce sera dans les entreprises que cela se jouera, quand on bloquera l'économie, quand on bloquera les usines et toutes les entreprises. C'est là que nous aurons une position de force pour pouvoir imposer nos revendications. Alors camarades, on a du pain sur la planche, et cela tient à nous tous de le faire, chacun à son niveau et c'est comme cela que l'on pourra faire avancer les choses.