Les élections présidentielle et législatives de 2017

Εκτύπωση
décembre 2016 - janvier 2017

La situation politique

Depuis plus d’un demi-siècle, avec l’établissement de la Ve République, les campagnes électorales et particulièrement l’élection présidentielle se sont organisées autour d’un duel gauche/droite. La poussée continue du Front national depuis 2012 et l’impopularité actuelle de Hollande et du Parti socialiste après quatre ans de pouvoir ont changé la donne.

Quelles que soient les configurations et l’identité des candidats de droite et de gauche, le FN est donné présent au second tour dans tous les sondages. Selon toute vraisemblance, le PS sera éliminé dès le premier tour, et le deuxième tour opposera un candidat de droite à la candidate du Front national. Le candidat du PS pourrait même être dépassé par Mélenchon, que certains sondages donnent mieux placé que Valls ou Hollande.

À six mois de l’élection, il peut se passer encore bien des choses. La personnalité des candidats et les aventures individuelles peuvent perturber la mécanique huilée des grands partis. Mais la droitisation de la vie politique, qui s’exprime dans la tonalité très réactionnaire de ce début de campagne, est une tendance de fond qui profitera à la droite et au Front national.

La droite

Le Parti socialiste est tellement déconsidéré que le vainqueur de la primaire de droite, inconnu à l’heure où nous écrivons, a toutes les chances de devenir président de la République. Que ce soit Juppé ou Sarkozy, cela ne fait aucune différence pour les travailleurs. Sarkozy s’adresse au cœur des militants de son parti et à la frange qui lorgne vers le FN, quand Juppé parie sur le rassemblement de la droite et du centre. Mais, au pouvoir, ils gouverneront avec les mêmes hommes et surtout pour les mêmes intérêts, ceux du grand patronat.

Des électeurs de gauche seraient prêts à voter pour Juppé à la primaire de droite, pour éviter un duel ­Sarkozy-Le Pen au second tour. Par avance, ils se préparent donc à élire Juppé. Cela mesure le niveau de dépolitisation et de résignation auquel mènent l’électoralisme et l’illusion du vote pour « le moins pire ».

Juppé ne cache pas vouloir relever l’âge de la retraite à 65 ans. Il veut porter la durée hebdomadaire du travail à 39 heures. Il veut réduire les dépenses publiques de 85 milliards d’euros, notamment en supprimant 300 000 emplois de fonctionnaires. Il veut supprimer l’ISF, réduire l’impôt sur les sociétés et… augmenter la TVA. Il mènera la guerre à la classe ouvrière tout aussi brutalement que Sarkozy. Il l’a montré lorsqu’il était Premier ministre. Et quand bien même il ne tiendrait pas le discours aussi provocateur à l’égard des immigrés ou des musulmans que Sarkozy, il contribuera à renforcer les idées réactionnaires. Une fois au pouvoir, il cherchera à instrumentaliser les peurs et les préjugés, comme Hollande lui-même l’a fait en brandissant la déchéance de nationalité.

Ni Sarkozy ni Juppé ni Fillon n’ont pris le risque de se lancer dans une guerre fratricide risquant de compromettre la victoire quasiment assurée de leur parti. En sera-t-il de même quand le vainqueur de la primaire aura été désigné ? Les perdants rentreront-ils dans le rang ? Nous le saurons dans les semaines à venir.

Le Front national

Avec 27 ou 28 % dans les sondages, le Front national est quasiment assuré d’être au second tour. Rappelons qu’il a totalisé 6 millions de voix (27,7 %) au premier tour des élections régionales en décembre 2015, et 6,8 millions de voix au second tour, après avoir déjà obtenu 25 % des voix aux élections européennes de 2014. La poussée électorale des partis qui se revendiquent des idées réactionnaires n’est pas propre à la France, on la constate dans presque tous les pays. Lorsqu’elle ne s’incarne pas dans des partis d’extrême droite, elle prend le visage des populistes du genre de Trump aux États-Unis, ou de Beppe Grillo en Italie.

La montée des idées racistes, le repli sur soi et le rejet de l’autre sont les produits des conditions objectives : la crise économique, le chômage de masse et la dégradation des conditions d’existence des classes populaires, mais aussi les guerres, les menaces terroristes. En exprimant tout haut les préjugés les plus crasses, l’extrême droite les amplifie et les aggrave. Ni les arguments ni les bons sentiments ne peuvent contrebalancer cette réalité et inverser le courant réactionnaire. Seules une reprise des luttes de la classe ouvrière et sa présence sur le terrain politique peuvent opposer aux idées réactionnaires et aux préjugés stupides véhiculés par la bourgeoisie décadente et son personnel politique les valeurs de la seule classe sociale susceptible d’offrir à la société une autre perspective que le maintien du capitalisme.

Sur le plan électoral, le courant réactionnaire profite d’abord et avant tout au FN. D’abord parce qu’en matière de xénophobie et de racisme le FN n’a plus de preuves à faire : il est, depuis toujours, le chantre du nationalisme et de l’immigration zéro. Et puis, surtout, parce que le pouvoir a usé la droite et complètement discrédité la gauche dans les classes populaires, en montrant que l’alternance gauche/droite n’était qu’illusion. Le FN, qui n’a jamais été associé au pouvoir, peut se présenter comme un recours.

Au lieu d’exploiter la faillite des partis parlementaires pour dénoncer la république et aspirer à son renversement, comme l’extrême droite française des années 1930, le FN se réclame ‒ en tout cas pour le moment ‒ des institutions républicaines et compte sur les élections pour accéder au pouvoir. En expliquant que « le clivage n’est plus entre la gauche et la droite mais entre ceux qui croient en la nation et ceux qui n’y croient pas » (Philippot, RMC, 28 octobre 2016), le FN se pose comme la nouvelle alternance politique et contribue à sauver le système discrédité de la démocratie bourgeoise.

Alors que dans plusieurs pays européens l’extrême droite, ou la droite extrême, est associée au pouvoir depuis plusieurs années, la mise à l’écart du FN s’explique par le cordon sanitaire que la droite gaulliste a instauré contre les nostalgiques de Pétain et de l’Algérie française. Ses héritiers, le RPR et l’UMP, l’ont maintenu, et le parti Les Républicains continue, pour la simple et unique raison qu’il ne veut pas partager les places au pouvoir. Il joue toujours la comédie du FN « infréquentable », quand bien même il est le premier à en reprendre les idées les plus crasseuses.

De son côté, le FN fait tout pour se présenter comme un parti de droite respectable. Marine Le Pen a repeint la façade en mettant son père et fondateur du FN sur la touche. Elle pousse à l’arrière-plan les crânes rasés, les catholiques intégristes ainsi que les racistes incapables de tenir leur langue. En s’appuyant sur une jeune garde conduite par Philippot, elle a remplacé deux tiers des cadres départementaux et essaye de se construire un appareil qui lui soit tout dévoué. Mais le FN reste hétérogène. Comme le montrent les différends réguliers qui semblent l’opposer à sa nièce, comme en atteste la démission de 28 % des élus FN depuis les élections municipales, Marine Le Pen est loin d’avoir construit un appareil qui applique sa politique actuelle.

Le FN compte toujours parmi ses membres un noyau de nostalgiques des méthodes fascistes, qui rêvent de régler leur compte aux immigrés et d’en découdre avec la gauche et les organisations ouvrières. Mais, pour que leur politique s’impose, il faudrait une tout autre situation. Il faudrait une radicalisation sociale qui pousserait des catégories petites-bourgeoises à se mobiliser dans la violence.

Pour l’heure, la politique du FN est banalement électoraliste et ses succès électoraux ne peuvent que le conforter dans ce sens. Si le FN est bien au second tour de la présidentielle, comme en 2002, on entendra, de la part du PS mais aussi de la droite, qu’il faut faire « barrage au fascisme ». Ce sera, comme en 2002, une supercherie électorale.

La démagogie actuelle du FN suffit pour en faire un des ennemis les plus dangereux des travailleurs. En alimentant les préjugés racistes et les peurs, il divise les travailleurs, attise le communautarisme, aggrave le recul de la conscience de classe.

« Faire barrage » à l’influence du FN dans la classe ouvrière, est une nécessité. Mais ce n’est pas une question électorale et de combinaisons politiciennes, c’est une question militante sur la base de la perspective politique propre à la classe ouvrière, celle du renversement du pouvoir de la bourgeoisie. Croire que voter pour le personnel politique traditionnel de la bourgeoisie peut nous protéger du FN est une illusion. Au pouvoir, la gauche et la droite n’ont fait que le renforcer. Elles se couchent déjà devant le FN et ses idées en n’hésitant pas à les mettre en œuvre elles-mêmes, que ce soit dans leur politique vis-à-vis des migrants ou en matière sécuritaire. Le Pen n’est pas au pouvoir, mais une partie de son programme est appliquée.

Sans être au pouvoir, le FN pèse sur toute la vie politique, et sans même être entré de plain-pied dans la campagne, c’est lui qui en donne le ton. Le Pen se contentera d’appuyer sur le fait qu’elle n’a jamais gouverné et elle engrangera les fruits de la démagogie sécuritaire et anti-immigrée de tous les autres candidats. Quant à ses propres engagements sociaux et économiques, elle continuera de faire le grand écart pour concilier petits et grands patrons, patrons et ouvriers, ouvriers et chômeurs.

On ne mesurera les conséquences de la poussée du FN qu’à l’issue des législatives. Le scrutin majoritaire conduira à sa sous-représentation à l’Assemblée, mais combien de députés décrochera-t-il ? 10, 20, 50 ? Y aura-t-il ici et là des arrangements entre amis de droite et du FN ? Est-ce que la droite obtiendra une majorité nette ou aura-t-elle besoin de nouer des alliances ? Les dirigeants du FN n’aspirent qu’à s’intégrer dans le système. La bourgeoisie n’a pas d’opposition de principe à cela, même si elle préfère s’en remettre à un personnel politique qu’elle connaît bien. Mais la droite et le système politique dans son ensemble sauront-ils digérer sans crise l’arrivée du FN dans le jeu institutionnel ? L’avenir nous le dira.

Le Parti socialiste

Le PS est en crise ouverte. Cette crise recouvre d’abord et avant tout la crise du réformisme. La crise du capitalisme et les exigences patronales sapent les bases d’une politique réformiste de gauche. Toute tentative de redistribution et de justice sociale est vouée à échouer contre le mur de l’argent. Au cours de ses nombreuses confidences, Hollande a déclaré qu’« il n’avait pas eu de bol avec le chômage ». La légèreté de cette expression souligne sa désinvolture et son mépris envers les chômeurs. Mais elle exprime aussi une part de vérité. Tout président de la République qu’il soit, Hollande ne maîtrise pas la crise de l’économie capitaliste, il la subit. Gouvernant pour le compte de la bourgeoisie, son rôle se limite à prendre des mesures qui la favorisent.

La loi travail et la décision du gouvernement de passer en force, le chômage, les fermetures d’entreprises et les plans de suppression d’emplois ont achevé de discréditer le pouvoir socialiste dans les classes populaires. Le rejet de Hollande, voire la haine du PS s’expriment plus que jamais.

Dans Le Monde du 25 octobre, une journaliste bien informée décrit ainsi la situation : « La peur de perdre, qui d’ordinaire pousse à serrer les rangs, ne jouera pas cette fois parce que tout le monde, à gauche, a déjà intégré la défaite. »  Elle ajoute : « Le réflexe unitaire ne fonctionne plus. Le PS est arrivé à épuisement de sa survie. »

Les premiers à parler du danger d’explosion du PS, de la pulvérisation de la gauche, sont les dirigeants du PS eux-mêmes. Jean-Christophe Cambadélis ne le cache pas : « Chaque jour gagné » sans explosion du PS est « une victoire » (interview donnée à Public Sénat en mai 2016). Tous ces dirigeants savent de quoi ils parlent. Leur parti a déjà affronté une telle situation. Après le gouvernement de Guy Mollet en 1956, la SFIO s’est fractionnée, ne parvenant même pas à présenter de candidat à la présidentielle de 1965, et réalisant, en 1969, 5 % des voix avec la candidature de Defferre. À l’époque, c’est Mitterrand, un politicien extérieur à la SFIO, qui réussit à ressouder le parti et à le transformer en PS. Et c’est grâce à l’appui du PCF, qui avait de l’influence dans la classe ouvrière, que le PS se refit une crédibilité électorale dans les classes populaires.

Le PS ne peut plus compter sur le PCF pour lui apporter les voix des travailleurs, car celui-ci s’est discrédité dans cette affaire. Aux classes populaires, le PS n’a d’ailleurs plus rien à promettre d’autre qu’une politique antiouvrière moins violente que la droite. Qu’il reste uni ou non, le PS est donc condamné à se transformer pour trouver une nouvelle clientèle électorale.

Cette nécessité est défendue depuis des années par Valls. En avril 2008, dans un livre intitulé Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche !, il écrit : « Parti socialiste, c’est daté. Ça ne signifie plus rien. Le socialisme, ça a été une merveilleuse idée, une splendide utopie. Mais c’était une utopie inventée contre le capitalisme du 19e siècle ! » En juin 2009, il réaffirme : « Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s’attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses. La seule question qui vaille, c’est comment orienter la modernité pour accélérer l’émancipation des individus. »

À en croire les confidences recueillies par les journalistes du Monde Lhomme et Davet, Hollande est, lui aussi, préoccupé depuis longtemps par cette nécessaire refondation. « Il faut un acte de liquidation. Il faut un hara-kiri », aurait-il déclaré en décembre 2015, imaginant lancer un nouveau mouvement début 2016, capable de le porter à nouveau candidat en 2017. Il a manifestement échoué pour cela aussi.

Le PS se retrouve désormais dos au mur. L’enjeu pour lui n’est pas tant de gagner les élections que de se réserver un avenir. Et si Hollande n’a toujours pas jeté l’éponge, malgré tous les problèmes que cela pose au parti, c’est qu’il estime encore pouvoir être l’homme de cette tâche.

Ce qui se passera lors de cette campagne sera un moment décisif pour le PS. Il y aura d’abord le moment de la primaire. Pour sauver les meubles, ses dirigeants reporteront-ils leurs différends après l’élection, comme le souhaite Valls qui veut réunir les deux gauches qu’il estimait irréconciliables ? Va-t-on vers un éclatement du PS ? Si rassemblement il y a, autour de qui se cristallisera-t-il ? Valls ? Hollande ? Montebourg ?

Mais tout aussi important sera la gestion du second tour et ce que fera le PS en cas de duel droite-FN, que ce soit à la présidentielle ou aux législatives. Le « front républicain », auquel a systématiquement appelé le PS dans les derniers scrutins, va-t-il ouvrir la voie à un gouvernement d’union nationale réunissant la droite et le PS ? Va-t-il accélérer la recomposition politique en ouvrant la perspective d’un parti « ni gauche ni droite », comme en rêve un Macron ?

Il y a un an, commentant les conséquences des élections régionales, nous écrivions : « Nul ne peut prévoir pour le moment combien de temps le tripartisme – en réalité, une nouvelle variante de bipartisme tant que la droite s’oppose à intégrer le FN dans ses combi­naisons gouvernementales – pourra fonctionner. Mais son fonctionnement ne laissera d’autre choix à l’électorat populaire qu’entre la droite, flanquée ou pas d’une gauche droitisée, et l’extrême droite.

Devant les grandes manœuvres engagées aussi bien à droite qu’à gauche, on ne peut même pas écarter l’hypothèse que le nouveau bipartisme prenne une forme concrète. C’est manifestement, à gauche, l’orientation politique d’un Valls, qui trouve du répondant à droite du côté de Raffarin et aussi de Bertrand, qui vient d’accueillir chaleureusement Hollande qui, de son côté, a choisi de lui réserver la première de ses visites aux présidents de région nouvellement élus.

En somme, il s’agit du rêve d’un grand parti comparable au Parti démocrate aux États-Unis. Ce serait une façon de liquider définitivement tout lien même lointain et formel d’un des partis de l’alternance avec le mouvement ouvrier. »

Le rêve continue à hanter les dirigeants du PS. Du rêve à la réalisation, il y a cependant une marge. Pour des partis électoralistes, les débâcles électorales sont plus propices aux scissions et au morcellement qu’aux transformations.

De son lointain passé lié au mouvement ouvrier, le PS ne garde plus que l’étiquette socialiste. Même de par sa composition sociale, feu la SFIO devenue PS n’est plus un parti ouvrier, pratiquement depuis la Deuxième Guerre mondiale. Politiquement, il ne représente plus les intérêts de la classe ouvrière depuis la faillite de son ancêtre lors de la Première Guerre mondiale.

L’abandon de son étiquette socialiste mettrait un point final à un siècle de faillites et de trahisons.

La politique du PCF

En 2012, le PCF avait soutenu Mélenchon au premier tour et appelé à voter Hollande au second. Cette fois-ci, sa direction est partagée : à peine Pierre Laurent rendait publique sa proposition de soutenir Mélenchon, que la conférence nationale annonçait qu’il n’en était pas question. La décision ne sera prise qu’après un vote plus large des militants.

55 % des votants de la conférence nationale se sont prononcés pour un candidat PCF... avec l’éventualité qu’il se retire si émerge un candidat unitaire. Une façon encore de repousser le choix définitif. Ces hésitations du PCF, et surtout celles de sa direction, sont significatives de la politique du parti et de l’impasse où elle mène.

La direction du PCF retardait son choix depuis six mois, se contentant d’afficher sa politique d’« unité de la gauche », en évoquant, à côté de Mélenchon, les noms de Montebourg ou Hamon. C’est que le PS a bien plus de choses à proposer au PCF que Mélenchon, qui n’a pas le même socle électoral dans les conseils municipaux, départementaux ou régionaux. Mais, évidemment, le PCF n’a pas envie d’être associé à la débâcle du PS si ce dernier avait Hollande pour représentant à la présidentielle. Si, cependant, Hollande ne se représentait pas et si Montebourg, plutôt que Valls, sortait victorieux de la primaire socialiste, cela faciliterait les choses pour le PCF, en lui permettant de joindre l’utile des alliances avec le PS aux législatives, régionales et municipales, avec l’agréable de ne pas avoir à assumer l’héritage Hollande. Mais que de « si » !

Ni le timing ni le candidat du PS ne dépendent du PCF. Et le calendrier retenu par le PS pour sa primaire, comme la date tardive à laquelle Hollande est censé se dévoiler ne font pas les affaires du PCF, qui est complètement inaudible dans cette première phase de la campagne.

Le malaise dans les rangs du PCF pendant les mois d’atermoiements ne vient pas du caractère opportuniste et électoraliste de sa politique. Les militants du PCF n’imaginent pas d’autre façon de faire de la politique qu’en essayant de peser de l’intérieur du système. Mais ils divergent sur la stratégie à adopter ou, plus exactement, sur qui soutenir. Beaucoup sont réticents à l’idée de soutenir Mélenchon, qui a affiché tout son mépris vis-à-vis du PCF et qui tente une aventure individuelle. Mais ils partagent une grande partie de ses positions politiques, à commencer par son souverainisme et sa dénonciation de Bruxelles et de Berlin.

Bien des militants en veulent à Pierre Laurent. Les plus virulents prennent souvent pour référence Marchais et le bon temps où le PCF était un grand parti flirtant avec les 25 %. Mais c’est justement dans ces périodes où le PCF avait l’oreille de la classe ouvrière qu’il a fait le plus de ravages. Autant dire que cette nostalgie ne les rapproche pas du tout des perspectives révolutionnaires.

Même si, à cette époque, le PCF était bien plus présent dans la classe ouvrière, s’il avait un rôle dirigeant dans la plupart de ses luttes, il avait abandonné depuis longtemps la perspective de la transformation révolutionnaire de la société. Avant même de se mettre à la disposition de la bourgeoisie, comme il l’a fait pendant et après la guerre, il avait renié la classe ouvrière et ses intérêts politiques fondamentaux. D’où cette profonde méfiance du PCF à l’égard des travailleurs, inspirée à l’origine par la bureaucratie stalinienne mais qui aura été précieuse surtout pour la bourgeoisie, pour la préservation de l’ordre capitaliste.

Mélenchon

En 2012, Mélenchon a présenté sa candidature en concurrence avec celle de Hollande. Depuis, il n’a cessé de se présenter comme l’opposant de gauche numéro 1. Budget, augmentation de la TVA, réforme des retraites, pacte de responsabilité, déchéance de la nationalité et loi El Khomri, il s’est saisi de tous les sujets.

Convaincu de s’être imposé comme l’alternative de gauche la plus crédible, Mélenchon a annoncé sa candidature dès février 2016, sans attendre d’être adoubé par quiconque. En pariant sur le ralliement forcé du PCF, Mélenchon a enterré le Front de gauche, ne se donnant même pas la peine de s’adresser aux militants du PCF, qui avaient fait sa campagne en 2012. Fort de cette indépendance, Mélenchon s’emploie désormais à élargir son électorat et, pour ce faire, il a façonné son nouveau personnage.

Le Mélenchon nouveau est d’abord le premier écologiste du pays. De la fin du nucléaire à la dénonciation de la malbouffe en passant par la sortie de l’alimentation carnée, Mélenchon espère toucher une fraction de l’électorat écologiste et petite-bourgeoise. Il ne se revendique plus du socialisme, mais de l’écosocialisme ou encore de l’écohumanisme !

Il est aussi celui qui prétend incarner une nouvelle façon de faire de la politique. Sa candidature ne serait pas celle d’un parti, mais celle d’un mouvement, le mouvement de la France insoumise, représentant 130 000 personnes qui ont appuyé sa candidature sur Internet. C’est d’ailleurs sur cette base qu’un millier de personnes ont été tirées au sort pour participer à la convention du mouvement les 15 et 16 octobre dernier et que 11 362 ont voté, par réseau social, pour choisir dix mesures emblématiques dans le programme de Mélenchon. Cette comédie cache mal que Mélenchon décide de tout. Son discours ressemble à celui de bien des politiciens sur la supposée rencontre entre un homme et le peuple français. Mais c’est aussi une façon de pallier l’absence de parti, le Parti de gauche ne revendiquant que 8 000 adhérents, peu de militants et d’élus, après bientôt huit années d’existence.

Les 10 priorités retenues, parmi lesquelles « non aux traités transatlantiques », « abrogation de la loi travail », « règle verte », « sortie des traités européens », « planification écologique », « VIe République », sont significatives du public visé et touché par Mélenchon. Il s’agit d’un milieu altermondialiste, écologiste petit-bourgeois, qui s’ajoute à un milieu syndicaliste influencé depuis fort longtemps par les idées protectionnistes et souverainistes distillées par le PCF.

La campagne de Mélenchon, même si elle fait entendre la petite musique sociale du « partage des richesses », ne se fera pas sur le terrain des intérêts des travailleurs. Il n’y sera question ni de lutte de classe, ni d’exploitation, ni de la nécessité pour les travailleurs d’inverser le rapport de force avec le patronat pour sauver leurs conditions d’existence. Pire, sa campagne nationaliste, protectionniste, qui l’a amené à reprendre des propos dignes du Front national contre les travailleurs détachés « qui volent le travail des travailleurs d’ici », contribuera un peu plus à obscurcir la conscience de classe des travailleurs.

Nous verrons si les scores promis par les sondages se maintiendront une fois connu le candidat du Parti socialiste. Dans tous les cas, il a peu de chances de s’inviter au second tour et ce n’est pas son principal objectif. Mélenchon veut se présenter comme l’homme providentiel aux yeux d’une partie de la gauche et faire un score suffisamment attractif pour tenter une OPA sur une partie du PS.

L’intérêt politique des travailleurs n’est sûrement pas que renaisse un PS qui se réfère au mouvement ouvrier et en brandisse quelques valeurs pour continuer de les tromper. Mais ce n’est même pas le projet de Mélenchon. Écologie, souverainisme, changements institutionnels : Mélenchon s’écarte de plus en plus du capital politique propre au mouvement ouvrier.

Notre campagne

Notre but dans cette campagne est d’appeler à un vote de classe et de conscience ouvrière. Nous participons à ce combat politique pour que s’affirme un camp, qui a une politique, un programme, des perspectives qui lui sont propres, à l’opposé de celles du patronat et de ses serviteurs politiques. Alors que certains veulent faire campagne sur l’identité nationale, chrétienne et même « gauloise », nous voulons mener une campagne sur l’identité de travailleur et d’exploité, sur les intérêts politiques et les luttes qui en découlent.

Nous sommes les seuls à vouloir faire campagne sur les idées de la lutte de classe.

Ce n’est évidemment pas le cas de Mélenchon, qui non seulement ne représente ni de près ni de loin les intérêts des travailleurs mais qui ne le prétend même pas. La fraction de l’électorat populaire qui est dégoûtée par la politique de Hollande-Valls, qui veut marquer son opposition à cette politique mais montrer en même temps qu’elle reste de gauche, se portera pour une large part sur Mélenchon. Il en est ainsi surtout dans les milieux syndicalistes, y compris parmi ceux, ex-militants ou sympathisants du PCF, qui se sont éloignés du parti mais qui restent actifs sur le plan syndical. Même parmi ceux qui se retrouvent dans « le camp des travailleurs », beaucoup voteront pour Mélenchon. Les uns, la majorité, parce qu’ils en partagent les positions réformistes. Quelques autres aussi parce qu’il apparaît plus crédible que Lutte ouvrière. C’est à des électeurs de Mélenchon que nous serons de fait le plus souvent confrontés.

Mais nous ne nous présentons pas contre Mélenchon. Nous nous présentons au nom d’une tout autre perspective.

Que ceux qui partagent les perspectives de Mélenchon votent pour lui, c’est dans l’ordre des choses. Mais auprès de ceux qui, tout en étant attirés par la crédibilité de Mélenchon, se sentent dans le camp des travailleurs, il faut argumenter en montrant que le vote Mélenchon n’exprimera pas du tout cette appartenance au camp des travailleurs.

Dans le même ordre d’idées, à ceux qui se sentent communistes, quel que soit le sens qu’ils donnent à ce mot, mais qui sont dégoûtés par la politique du PCF, son suivisme par rapport au PS ou à ses dérivés, il faut dire qu’ils ne peuvent pas exprimer leur conviction communiste par le vote Mélenchon. Ce dernier ne se revendique pas du communisme.

C’est à eux de choisir : à quelle préoccupation donnent-ils la priorité ? Quelle identité veulent-ils exprimer par leur vote ? Que l’idée leur plaise ou non, exprimer son appartenance au camp des travailleurs et son adhésion aux perspectives communistes ne peut se faire, sans ambiguïté, que par le vote pour Nathalie Arthaud.

L’axe choisi par le NPA n’est pas davantage le camp des travailleurs. Comme le montrent les différentes interventions de Philippe Poutou ou d’Olivier Besancenot, le NPA se refuse d’utiliser un langage de classe et de centrer ses interventions sur les intérêts et les luttes des travailleurs. Ainsi le NPA s’appuie pèle-mêle sur toutes les mobilisations qui existent, le mouvement contre la loi El Khomri, la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou celles dénonçant les violences policières. Il essaye de surfer sur le rejet des politiciens pour mettre en avant les mots d’ordre de déprofessionnalisation de la vie politique, du non-cumul des mandats. Toutes choses qui ne peuvent pas faire avancer la conscience de classe.

La conscience de classe n’est cependant pas suspendue en l’air. Elle doit se concrétiser dans une politique correspondant à la nécessité de la situation du point de vue des intérêts de la classe ouvrière.

Nous reprendrons dans notre campagne le programme qu’il serait nécessaire pour les travailleurs de mettre en avant par rapport à la crise et ses conséquences. Ce programme, nous cherchons à le populariser sous des formes diverses depuis la crise de l’économie capitaliste, c’est-à-dire depuis bien longtemps. À l’élection présidentielle de 1995, Arlette Laguiller parlait de « plan d’urgence pour les travailleurs et les chômeurs ». Bien que l’urgence soit restée la même depuis vingt ans, il serait aujourd’hui dérisoire d’utiliser la même expression. Mais il s’agit toujours de la défense des intérêts matériels et politiques des travailleurs dans le contexte de la crise de l’économie capitaliste.

Nous réaffirmerons, comme nous le faisons depuis des années, que pour empêcher la grande bourgeoisie de faire payer aux travailleurs la crise de son économie, il faut imposer à la bourgeoisie et à son personnel politique :

– l’interdiction des licenciements et la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire, pour éliminer le chômage,

– des salaires et des retraites décents et garantir leur pouvoir d’achat par leur augmentation automatique au rythme des hausses de prix,

– la suppression du secret des affaires, pour dévoiler les arnaques des banquiers et les choix criminels des grands actionnaires qui préfèrent licencier et augmenter le chômage plutôt que d’écorner leurs profits.

Il faut montrer dans notre argumentation que toutes ces exigences sont dictées par le simple bon sens, dès lors que la préoccupation est de préserver de la déchéance matérielle et morale la principale classe productive de la société.

Mais ce « simple » bon sens ne peut être partagé par aucun homme politique qui reste sur le terrain du capitalisme, c’est-à-dire qui n’imagine pas gouverner autrement que dans l’intérêt de la bourgeoisie.

Appeler les travailleurs à mettre en avant leurs intérêts de classe et à mener le combat politique contre les vrais responsables du chômage, de la précarité et des bas salaires que sont les capitalistes ; les avertir contre tous les démagogues qui cherchent à diviser les travailleurs et les dévier de leur propre combat : ce sera le leitmotiv de notre campagne.

Nous ne convaincrons que les travailleurs les plus combatifs et les plus conscients. Dans le contexte d’aujourd’hui, ils ne seront pas nombreux. Nous ne convaincrons d’ailleurs pas plus facilement les abstentionnistes que les autres, car l’abstentionnisme recouvre bien souvent un électoralisme indécrottable. Il faut cependant garder l’objectif de convaincre, ne serait-ce que pour pousser les discussions le plus loin possible.

En l’absence de luttes collectives et de confiance dans la capacité des travailleurs à se battre, l’immense majorité ne voit des possibilités de changement que par les élections, malgré l’écœurement et le dépit vis-à-vis des politiciens. Et nos idées ne peuvent que rester minoritaires. Minoritaires, nous le resterons jusqu’à la révolution elle-même. Et ce fut le cas de tous ceux qui ont combattu les oppressions, l’esclavage, la colonisation, jusqu’à la révolte collective de leur camp.

Ces idées correspondent aux intérêts objectifs et aux luttes nécessaires que les travailleurs devront mener. C’est d’ailleurs pourquoi, si nous n’avons aucune crédibilité électorale, là où nous sommes présents, nous avons une crédibilité militante. Cette crédibilité, nous l’avons gagnée dans les entreprises en prenant toute notre place de militants ouvriers. Participer aux élections et défendre notre politique sans varier d’un iota, sans céder aux vents contraires, fait partie du combat politique pour montrer que les problèmes essentiels ont leurs racines dans l’organisation capitaliste de la société. C’est cette crédibilité politique qui comptera pour les combats à venir.

Les grèves, les mobilisations sociales et les révolutions ne suivent pas les scores électoraux. Elles obéissent à d’autres lois bien plus profondes, celles de la lutte de classe qui est menée de plus en plus violemment par le patronat, celle de l’action des masses et du progrès de leur conscience. Et ces luttes peuvent se développer d’autant mieux que nos idées circuleront et seront présentes. Alors exprimons-nous et entraînons le plus de travailleurs possible à le faire avec nous.

Notre campagne ne visera pas seulement à exprimer ces idées, mais aussi à regrouper autour d’elles celles et ceux qui les partagent. Cela signifie faire en sorte que cette campagne soit la leur. Pas seulement au sens de leur participation active pour propager nos idées, mais aussi pour les partager profondément, pour les assimiler.

La campagne électorale soulève plus ou moins clairement une multitude de problèmes concernant la marche de la société, les rapports entre les différentes classes sociales. Il faut que ceux qui se considèrent dans « le camp des travailleurs » acquièrent dans la campagne la conviction que notre perspective, le renversement du pouvoir politique de la bourgeoisie, implique une politique cohérente.

C’est dans ce sens que la campagne électorale peut constituer un pas de plus dans la reconstruction d’un parti communiste révolutionnaire.

7 novembre 2016