Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »

Εκτύπωση
février 2017

Une politique de construction de fronts pour « lutter contre l’islamophobie » est de plus en plus défendue par une partie de l’extrême gauche. Au point de perdre tout repère de classe, et d’user de démagogie vis-à-vis de l’islam politique.

Le débat sur cette question s’est amplifié avec les différentes affaires de jeunes filles voilées à l’école, à partir de 1989, et surtout après la loi de 2004 sur l’interdiction du voile à l’école. Il s’est poursuivi avec la polémique sur l’interdiction du voile intégral dans l’espace public, adoptée en 2010.

Depuis les attentats de 2015 et 2016, cette question a pris de l’ampleur. Par exemple, le lamentable épisode de l’affaire du burkini a remis en lumière, l’été dernier, la façon dont les politiciens de droite comme de gauche sont prêts à faire feu de tout bois pour détourner l’attention de l’opinion des problèmes essentiels du moment, par démagogie électorale.

Cette récupération de la question du voile, de la burqa ou du burkini par des politiciens qui se moquent de l’oppression des femmes et ne sont laïcs que lorsqu’ils parlent de l’islam, est choquante. C’est une campagne raciste.

Pour autant, en tant que militants communistes, nous sommes aussi des adversaires résolus de toutes les religions et de toute oppression, et l’actuelle campagne ne doit pas faire perdre aux révolutionnaires toute boussole.

La galaxie de l’anti-islamophobie

Depuis plusieurs années, une galaxie de groupes se donnant pour objectif la « lutte contre l’islamophobie » se développent et prennent diverses initiatives. Certains, comme l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) ou PSM (Participation et spiritualité musulmanes), sont ouvertement des associations de prosélytisme religieux. D’autres se défendent d’être des organisations religieuses et se cachent derrière des revendications d’égalité, de lutte contre le racisme et contre l’islamophobie. C’est le cas du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), de Mamans toutes égales, du Collectif une école pour toutes, Féministes pour l’égalité, et plus récemment d’Alcir (Association de lutte contre l’islamophobie et les racismes). Le Parti des indigènes de la République (PIR) est aussi à ranger dans cette galaxie.

Depuis l’attentat contre Charlie hebdo, en janvier 2015, les initiatives de ces groupes se sont multipliées : rassemblement anti-islamophobie le 18 janvier 2015 à Paris ; meeting contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire le 6 mars 2015 à Saint-Denis ; Marche de la dignité et contre le racisme organisée par le PIR le 31 octobre 2015 ; meeting à Saint-Denis contre l’état d’urgence le 11 décembre 2015, ou encore, le 21 septembre dernier, le meeting d’Alcir baptisé « Pour un printemps de la liberté, de l’égalité et de la fraternité », organisé dans le 20e arrondissement de Paris.

Ces différentes initiatives ne prêtent pas forcément à la critique. Le rassemblement du 18 janvier 2015 était une réponse à une manifestation d’extrême droite organisée le même jour pour « expulser tous les islamistes ». Et organiser des réunions contre l’état d’urgence ou marcher contre le racisme peut sembler juste. La question est de savoir qui organise ces initiatives, quelles idées s’y expriment, et ce que des militants qui se disent d’extrême gauche y font et y disent.

Ces rassemblements ont tous été en réalité des tribunes pour des organisations islamistes et communautaristes.

Lors du rassemblement du 18 janvier 2015, des jeunes brandissent des drapeaux algériens, turcs, marocains, des panneaux portant des sourates du Coran, et une grande banderole : « Touche pas à mon prophète ».

Le meeting du 6 mars 2015 était coorganisé par l’UOIF. Celui du 11 décembre faisait, lui aussi, la part plus que belle aux militants religieux. Certes, des laïcs (journalistes du Monde diplomatique ou représentante du Syndicat de la magistrature) s’y sont exprimés, mais en partageant la tribune avec Tariq Ramadan, Ismahane Chouder, porte-parole de PSM, ou Marwan Muhammad, porte-parole du CCIF.

On retrouve les mêmes parmi les signataires de l’appel pour le meeting d’Alcir du 21 septembre 2016. Le nom des porte-parole des associations et groupes religieux musulmans figure sur l’affiche, ornée d’une photo d’une femme voilée drapée… dans un drapeau bleu-blanc-rouge.

Parmi les signataires de cet appel on trouve le NPA, qui a appelé à ce meeting sur son site, avec cette affiche puant le patriotisme et le républicanisme.

Ces différentes initiatives se sont faites avec la participation ou le soutien de groupes ou partis de gauche (Attac, Ensemble, EELV) ou d’extrême gauche (anarchistes libertaires, antifas, NPA). Et le 18 décembre 2016 encore, a eu lieu une conférence internationale contre l’islamophobie et la xénophobie, à Saint-Denis, à laquelle appelaient conjointement le Parti des indigènes de la République et le NPA, et dont l’appel était signé par Olivier Besancenot et Tariq Ramadan.

Des organisations obscurantistes et réactionnaires

Il est vrai que le NPA reconnaît des désaccords politiques avec certaines de ces organisations. Certes ! Quand on sait qui sont ces porte-parole de l’anti-islamophobie à côté desquels une partie du NPA juge bon de s’afficher, on est même en droit de juger que le mot est faible.

L’UOIF ? Elle a participé, en toute logique, aux défilés contre le mariage homosexuel. Elle a notamment accueilli dans ses congrès Christine Boutin, Dieudonné, Alain Soral, et les deux égéries de la Manif pour tous, Frigide Barjot et Ludovine de La Rochère. Réactionnaires de toutes religions, unissez-vous !

Le CCIF est représenté par Marwan Muhammad. Cet ancien trader donne aujourd’hui des conférences en compagnie d’Abou Houdeyfa, l’imam de Brest qui explique dans ses prêches que ceux qui écoutent de la musique « seront transformés en singes ou en porcs ». Marwan Muhammad signe régulièrement des communiqués communs avec Idriss Sihamedi, responsable de l’association BarakaCity, lequel, sur un plateau télé en janvier 2016, expliquait qu’il était « un musulman normal », et qu’en conséquence il « ne serre pas la main des femmes ». Récemment Marwan Muhammad, lors d’un débat, a affirmé que la polygamie ne le regardait pas, puisqu’elle était, « comme l’homosexualité, un choix de vie personnel ».

Terminons ce bref tour d’horizon avec l’association PSM (Participation et spiritualité musulmanes), représentée entre autres par Ismahane Chouder, militante provoile, antiavortement et homophobe, qui se définit pourtant comme féministe et a pris la parole dans tous ces meetings. Hassan Aglagal, un militant marocain du NPA, plus lucide que nombre de ses camarades, écrit dans une tribune intitulée Assez de PSM dans nos luttes : « Participation et spiritualité musulmanes (PSM) est l’association qui représente en France le mouvement Al Adl Wal Ihsane (Justice et bienfaisance), mouvement de l’islam politique fondé en 1973 au Maroc par le mystique soufiste Abdelassame Yassine. » Ce groupe est notamment responsable, au Maroc, « de l’assassinat de deux étudiants d’extrême gauche », en 1991 et 1993.

Le retour des « races »

Le Parti des indigènes de la République (PIR) est lui aussi présent à tous ces rassemblements, quand il n’en est pas l’organisateur.

Le PIR ne se place, lui, pas seulement sur le terrain de la lutte contre l’islamophobie, mais plus généralement sur celui de la défense politique de tous ceux qu’il appelle les indigènes, c’est-à-dire des victimes du colonialisme. Enfin, pas toutes : le PIR, peut-on lire sur la page de présentation de son site, « constitue un espace d’organisation autonome de tous ceux qui veulent s’engager dans le combat contre les inégalités raciales qui cantonnent les Noirs, les Arabes et les musulmans à un statut analogue à celui des indigènes dans les anciennes colonies ». Il semble que les Asiatiques, pourtant tout autant victimes des horreurs de la colonisation et de l’impérialisme, n’intéressent pas particulièrement le PIR.

Ce parti, qui a notamment été à l’origine de la Marche pour la dignité et contre le racisme d’octobre 2015, se réclame non seulement de la défense de la religion musulmane mais, au-delà, remet au goût du jour un terme utilisé par l’extrême droite : la « race ». Ce mot, que des générations de militants du mouvement ouvrier et de scientifiques ont banni de leur vocabulaire, pour la bonne et simple raison que les races n’existent pas dans l’espèce humaine, revient ces derniers temps, y compris dans l’extrême gauche, sous sa forme brute ou à travers le néologisme « racisé ». Ce mot est utilisé sans la moindre nuance dans des dizaines de publications, tracts, journaux, discours, jusqu’au NPA.

Ces idées se sont tellement diffusées, au moins dans une fraction de la jeunesse militante, que des organisations de cette mouvance ont pu convoquer à Reims, du 25 au 28 août 2016, un « camp d’été décolonial » dans lequel les « non-racisés » (c’est-à-dire les Blancs) étaient tout bonnement interdits. Lors du mouvement contre la loi travail, au printemps dernier, des AG ont été organisées dans des facultés, notamment à Saint-Denis et à Tolbiac à Paris, réservées aux « racisés ».

Le PIR se veut le porte-parole de cette évolution. Il étudie toute la société sous le prisme de la couleur de la peau, jamais sous celui des classes sociales ni des rapports économiques. Il assume totalement cette vision racialiste, fondée sur l’idée que les Blancs sont tous coupables de l’oppression des peuples coloniaux hier, et des immigrés aujourd’hui. Dans son dernier livre, Les Blancs, les Juifs et nous, la porte-parole du parti, Houria Bouteldja, écrit : « Au-dessus de moi, il y a les profiteurs blancs. Le peuple blanc, propriétaire de la France : prolétaires, fonctionnaires, classes moyennes. Mes oppresseurs. Petits actionnaires de la vaste entreprise de spoliation du monde. » Puis : « Le Français, dans son bureau, ça roule pour lui. L’Arabe, lui, est balayeur. »

Ce livre abject défend les idées les plus réactionnaires, à commencer par un antisémitisme nauséeux (« Vous les Juifs […] je vous reconnaîtrais entre mille, votre zèle est trahison. »), une homophobie assumée, une exaltation de « la redoutable et insolente virilité islamique » (sic), et une prise de position contre le féminisme, dénoncé comme une exportation blanche : « Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches. […] J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam. »

Ces propos devraient suffire, lorsque l’on est communiste révolutionnaire, à s’interdire de faire tribune commune avec ceux qui les profèrent et qui sont pour nous ni plus ni moins que des ennemis politiques.

Le « féminisme blanc »

Une partie de l’extrême gauche, dans la foulée de la mouvance islamiste et du PIR, se débarrasse donc du féminisme d’un revers de la main en introduisant la notion, relativement nouvelle, de « féminisme blanc ». Les femmes qui interviennent dans les meetings que nous avons mentionnés se disent toutes féministes, mais d’un féminisme islamo-compatible, qui consiste à dire : « Je suis une femme, donc je fais ce que je veux, et si j’ai envie de me cacher derrière un voile cela ne regarde que moi. »

C’est une nouvelle variante du relativisme culturel, qui affirme depuis bien longtemps déjà que, européens et impérialistes que nous sommes, nous n’aurions pas à juger des pratiques « culturelles » des autres pays, en particulier ceux qui ont été colonisés.

Nous nous sommes déjà exprimés sur le paternalisme que sous-tend cette pseudo-théorie, lorsqu’elle est défendue par des militants de gauche ou d’extrême gauche européens : le port du voile, par exemple, leur serait insupportable, à eux. Mais ils l’estiment assez bon pour des femmes musulmanes. Pourquoi ? Parce qu’ils les estiment moins évoluées qu’eux ?

Non, le fait d’exciser les femmes ou de les inciter ou les forcer à vivre toute leur vie cachées aux yeux des hommes, dans une forme d’apartheid sexuel permanent, n’est pas une « pratique culturelle » au même titre qu’une danse folklorique. C’est une attaque sauvage contre la moitié de l’humanité.

Bouteldja, qui dit préférer appartenir « à [sa] race et à l’islam » plutôt que de dire que son corps lui appartient, va même plus loin : « Un féminisme décolonial doit avoir comme impératif de refuser radicalement les discours et pratiques qui stigmatisent nos frères. » Elle absout ainsi d’avance les lapideurs de femmes et les exciseurs, au nom du féminisme décolonial.

On peut également mentionner le récent livre de Nargesse Bibimoune, Confidence à mon voile. On y lit par exemple : « Mon cher voile, dis-leur que tu es la preuve de ma soumission à Dieu et uniquement Lui ! Dis-leur qu’à mes yeux tu es un instrument d’émancipation face à une société qui souhaiterait me dicter ma manière d’être une femme libérée. »

Les militantes comme Nargesse Bibimoune ou Houria Bouteldja choisissent donc d’être des esclaves volontaires de dieu ou des hommes. Tant pis pour elles. Mais nous, militants communistes et révolutionnaires, nous pouvons aussi choisir notre camp : dans l’affaire du voile, puis celle du burkini, des dizaines de féministes algériennes, turques, marocaines se sont exprimées pour dire leur rage devant la complaisance de l’extrême gauche française face à ces symboles d’oppression, elles qui risquent tous les jours leur vie à les refuser. C’est à elles que vont notre solidarité et notre respect.

La complaisance de l’extrême gauche

Une partie de la « gauche de la gauche » organise avec ce milieu réactionnaire toutes sortes d’initiatives, leur ouvre ses colonnes ou discute doctement avec eux de leurs positions.

Ce n’est pas par accident. Il y a longtemps que la LCR, et plus encore le NPA, se refusent à critiquer clairement le voile, et font preuve vis-à-vis de l’islam d’une bonne dose de démagogie. On se souvient de l’affaire de la candidate voilée du NPA dans le Vaucluse, en 2011. Se refusant à affirmer sans ambages le caractère oppressif du voile et de ses divers avatars vestimentaires, des membres de ce parti sont allés par exemple, en août dernier, jusqu’à organiser dans le cadre de leur université d’été une manifestation pour défendre le droit des femmes à porter le burkini, aux cris de « Trop couvertes ou pas assez, c’est aux femmes de décider ». On n’est, on le voit, pas très loin du féminisme décolonial.

Le NPA a déclaré, à la suite d’une réunion de sa direction nationale les 17 et 18 septembre dernier, que « le NPA, ses militants, ses porte-parole et son candidat seront au cœur de l’action contre le racisme et l’islamophobie ». Un communiqué du 16 octobre appelle à « faire de la lutte contre l’islamophobie une véritable priorité ».

Cela n’a rien de fortuit, de la part d’un courant qui a pour habitude d’épouser les idées d’autres courants, dans l’espoir de gagner l’oreille de telle ou telle fraction de la jeunesse, de la petite bourgeoisie intellectuelle ou du monde du travail. Autrement dit : tentons d’attirer les jeunes des banlieues à nous… en nous rangeant derrière des organisations qui, elles, disent ce que ces jeunes veulent entendre, quelque réactionnaires que soient leurs idées.

Cet opportunisme est une vieille tradition d’une partie du mouvement trotskyste, la même qui l’a conduite, dans le passé, à soutenir sans s’en démarquer les nationalistes des pays colonisés, comme le FLN algérien, ou certains courants staliniens, à trouver des vertus aux associations les plus réformistes, comme Attac, ou à faire les yeux doux aux décroissants.

Communisme et religion

Pour justifier leur indulgence pour l’islam politique, les divers groupes d’extrême gauche qui gravitent dans ce mouvement cherchent des justifications théoriques.

La religion musulmane, expliquent-ils d’abord, serait, en France, une religion d’opprimés et, à ce titre, non comparable aux autres religions qui, elles, seraient du côté des oppresseurs.

Que l’islam soit en France en religion majoritairement pratiquée par des opprimés, c’est-à-dire des prolétaires, c’est une certitude. Mais faire ce constat doit-il mener à se montrer conciliant avec cette religion ? Bien au contraire ! Davantage encore, justement parce que ceux qui sont touchés par cette religion sont les nôtres, nous devons la combattre ! La classe ouvrière, précisément parce qu’elle est la classe opprimée de la société, a moins accès au savoir, à la culture que d’autres couches de la société, ce qui la rend plus perméable à tous les préjugés. Et si ceux-ci prennent la forme de préjugés religieux parmi les travailleurs d’origine maghrébine ou africaine, ils en prennent d’autres, dans d’autres couches du prolétariat. À commencer par le racisme, hélas bien présent dans la classe ouvrière française. Et pourtant, aucun militant n’imagine ne pas le combattre sous prétexte qu’il s’agit de préjugés d’opprimés. Pourquoi en serait-il autrement avec la religion ?

Autre argument : le marxisme n’aurait pas de vraie tradition antireligieuse. C’est par exemple ce que prétend un enseignant de Seine-Saint-Denis, qui défend la liberté de porter le voile à l’école, Pierre Tevanian. Son ouvrage, La haine de la religion, explique, en le falsifiant, que Marx n’était finalement pas si antireligieux que cela. On y lit : « C’est aujourd’hui l’athéisme et le combat antireligieux, l’irréligion en somme, qui peut être considérée comme l’opium du peuple de gauche. »

Que le marxisme ne se soit jamais donné comme objectif prioritaire de faire de la propagande antireligieuse, certes. Les communistes ne sont pas des laïcards, du nom de ce courant de bourgeois radicaux au tournant des 19e et 20e siècles qui considéraient que la lutte contre la religion était plus importante que la lutte des classes, ou plutôt qui préféraient largement que les ouvriers se battent pour la laïcité plutôt que pour remettre en cause l’ordre social.

Marx savait que les préjugés religieux étaient les conséquences de l’oppression, et qu’ils ne disparaîtraient pas avant une transformation profonde de la société, en d’autres termes, avant que la société communiste, en supprimant l’exploitation et l’oppression, supprime du même coup les causes de la religion. Et la ligne de démarcation que tracent les communistes, dans la société actuelle, n’est pas entre les laïcs et les religieux, mais entre les prolétaires et les bourgeois.

Pour autant, les marxistes ont toujours considéré la propagande antireligieuse comme indispensable. Être communiste, c’est être matérialiste, et être matérialiste, c’est être athée. On peut être athée et se battre, dans une grève, aux côtés d’un travailleur croyant. Mais cela n’empêche pas qu’il est du devoir de n’importe quel révolutionnaire communiste d’essayer d’arracher non seulement les militants qu’il veut gagner à sa cause, mais même ses camarades de travail et de lutte, à l’emprise de la religion. Trotsky l’expliquait, en 1923 : « Nous adoptons une attitude tout à fait irréconciliable vis-à-vis de tous ceux qui prononcent un seul mot sur la possibilité de combiner le mysticisme et la sentimentalité religieuse avec le communisme. La religion est irréconciliable avec le point de vue marxiste. Celui qui croit à un autre monde ne peut concentrer toute sa passion sur la transformation de celui-ci. » Et à la fin des années 1930 il écrivait encore, dans Défense du marxisme : « Nous, les révolutionnaires, nous n’en avons jamais fini avec les problèmes de la religion, car nos tâches consistent à émanciper non seulement nous-mêmes mais aussi les masses de l’influence de la religion. Celui qui oublie de lutter contre la religion est indigne du nom de révolutionnaire. »

Le piège de « l’islamophobie »

Il est donc évidemment possible de lutter à la fois contre les discriminations racistes et contre la religion.

C’est la raison pour laquelle le terme d’islamophobie nous a paru ambigu, et il l’est toujours par certains aspects, bien que le mot soit devenu d’usage courant. Nous rejetons et combattons les discriminations qui peuvent s’exercer à l’encontre des musulmans, parce que nous sommes pour la liberté de culte. Mais nous sommes athées, opposés à toutes les religions. Et l’équation, imposée par les islamistes et leurs amis, selon laquelle lutter contre la religion musulmane signifierait être raciste, est une escroquerie.

Une partie de la classe politique française actuelle rejette et discrimine les musulmans, en tout cas les pauvres, ceux des cités et des usines, car elle ne rejette certainement pas les milliardaires des théocraties du Golfe. Et il est compréhensible que nombre de jeunes se sentent victimes d’une oppression spécifique, qui existe bel et bien. Comment admettre que les politiciens de droite, qui hurlent à la laïcité et veulent interdire les menus de substitution dans les cantines, soient les mêmes qui combattent pour permettre l’installation de crèches de Noël dans le hall de leur mairie ?

La laïcité des politiciens bourgeois d’aujourd’hui est à géométrie variable, et elle est tournée contre la religion musulmane, comme elle l’a été en d’autres temps contre les Juifs. Et c’est d’autant plus choquant que les mêmes n’ont pas hésité, dans le passé, à se servir de l’islam pour tenter de canaliser la colère et le ressentiment des jeunes des banlieues, comme le fit Sarkozy lorsqu’il créa le Conseil national du culte musulman.

Défendre le communisme

Mais nous estimons que c’est notre rôle, en tant que communistes, de dénoncer l’emprise de la religion musulmane sur la jeunesse d’origine immigrée ; de nous battre, de militer pour essayer d’arracher celle-ci au « brouillard de la religion », comme écrivait Marx, pour lui ouvrir les yeux, lui faire comprendre que son émancipation ne se fera pas par la soumission à des principes religieux d’un autre âge, mais dans l’union de classe avec le reste du prolétariat.

Notre tâche de révolutionnaires n’est pas de conforter les travailleurs dans leurs préjugés religieux, mais de les combattre. D’expliquer que l’islam politique, fût-il radical, n’a jamais combattu l’oppression sociale ; que c’est un courant profondément anticommuniste ; que là où il est au pouvoir, il l’est aux côtés de la bourgeoisie, réprime les grèves et assassine les militants ouvriers ; que l’islam, comme toutes les religions, prône la soumission et la résignation face à l’ordre social, en un mot que les partis politiques islamistes sont des partis bourgeois. De reprendre à l’identique, en ajoutant simplement au mot christianisme ceux de judaïsme et d’islamisme, les paroles de Marx : « Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement, la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille ; le prolétariat, qui ne veut pas se laisser traiter en canaille, a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d’indépendance beaucoup plus encore que de son pain. »

C’est notre rôle d’expliquer aussi que, si les musulmans sont victimes de discriminations, c’est aussi un résultat de la politique des groupes djihadistes eux-mêmes, dont le caractère aveugle des attentats vise précisément et consciemment à provoquer des réactions de rejet contre les musulmans chez les Français non issus de l’immigration. Les travailleurs musulmans, en France, sont les secondes victimes des attentats, après les morts et les blessés. Il s’agit d’une politique consciente des dirigeants de l’islam politique, qui raisonnent de la même façon que les dirigeants impérialistes, et sont tout autant des ennemis des opprimés.

Pour mener ces luttes et défendre ces idées, les précédents dont on peut s’inspirer ne manquent pas, à commencer par l’exemple du bolchevisme. Car les actuelles attaques islamophobes ne sont rien à côté de ce qu’était l’antisémitisme dans la Russie tsariste, qui prenait la forme de pogromes et de massacres de masse. Les militants bolcheviks, dans ce contexte, n’ont pas choisi la démagogie vis-à-vis du nationalisme juif, et encore moins de la religion, mais ont lutté inlassablement pour arracher les opprimés juifs à cette influence, et les intégrer dans le combat général mené par le prolétariat. Le rôle des militants juifs dans le Parti bolchevik et dans la Révolution russe montre à quel point ils ont réussi.

* * *

Aujourd’hui, 170 ans après le Manifeste communiste, il faut apparemment encore rappeler que le communisme n’est pas compatible avec la religion.

Il est affligeant de voir des prétendus révolutionnaires se solidariser avec des rebuts d’idées que l’on trouve dans des livres comme ceux de Houria Bouteldja. Ces idées sont la négation même des idées communistes.

Cette évolution est un symptôme du recul réactionnaire qui touche la société. Le seul remède contre ce délitement, c’est de défendre sans relâche les perspectives communistes, l’idée qu’on ne peut pas combattre l’oppression en défendant une autre forme d’oppression. C’est de garder sa boussole de classe, de se battre inlassablement pour redonner une conscience aux travailleurs plutôt que la diluer encore un peu plus, de militer pour construire un parti communiste ouvrier.

Dans ce combat, il est indispensable de gagner au communisme des jeunes travailleurs issus de l’immigration, non pas en encourageant leurs préjugés religieux mais en en faisant des révolutionnaires, c’est-à-dire des athées, capables de contrebalancer dans leur propre milieu les idées propagées par les ennemis du mouvement ouvrier.

15 janvier 2017