Espagne - Le PSOE de nouveau au pouvoir - Une autre politique au service de la bourgeoisie

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Juin 2004

Les élections du 14 mars en Espagne ont ramené le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) au pouvoir, après huit ans de gouvernement de la droite, avec Aznar comme président.

Aussitôt son gouvernement constitué, tenant la promesse qu'il avait faite au moment des manifestations anti-guerre du printemps 2003, le nouveau président socialiste, Zapatero, a solennellement annoncé le retrait des 1 400 militaires espagnols présents en Irak aux côtés des Américains et des Anglais.

L'objectif de Zapatero est de montrer à l'opinion, qui était particulièrement hostile à la guerre, qu'il rompt nettement avec la politique de son prédécesseur, qu'il sera un homme de dialogue qui tient ses promesses.

Il va s'agir aussi, avec les prochaines mesures à venir, de conserver l'appui des nationalistes dans un maximum de régions, pour pouvoir autant que faire se peut compter sur les votes des députés des groupes nationalistes régionaux, très présents en Catalogne et au Pays Basque, mais aussi en Aragon, en Galice, en Andalousie et aux Canaries.

Quant aux problèmes du monde du travail, les socialistes ont par avance annoncé qu'ils continueraient dans la même ligne que leurs prédécesseurs, c'est-à-dire le maintien d'une politique d'austérité. Ce qui n'a rien de surprenant de la part de Zapatero, un leader socialiste qui ne manque pas une occasion d'affirmer son admiration pour Blair et pour Felipe Gonzales.

Zapatero est en train de prendre, dans un premier temps, des décisions destinées à faire durer "l'état de grâce" qui suit la période électorale. C'est relativement facile lorsqu'il s'agit de mesures qui relèvent de choix politiques ne touchant en rien les intérêts et les profits de la grande bourgeoisie.

C'est le cas d'abord de la situation en Irak et du retrait des troupes, car les choix d'Aznar n'étaient pas partagés par des partis bourgeois régionalistes (en particulier au Pays Basque et en Catalogne), et le fait de ne pas s'aligner servilement sur Bush était une option prise par d'autres dirigeants européens comme Chirac ou Schroeder, option que Zapatero avait défendue dès le déclenchement de la guerre.

C'est le cas également des discussions sur la Constitution ou le rôle du Sénat, voire même sur la place des régions dans l'État espagnol, discussions qui peuvent valoir à Zapatero l'appui des formations régionalistes, un appui qui, ajouté à celui d'Izquierda Unida (IU, la coalition dirigée par le PCE), renforcera son image "d'homme de dialogue", partisan d'une "Espagne plurielle".

Le retrait de la loi sur l'école (une loi qui prévoyait l'introduction de l'étude de la religion catholique deux heures par semaine) et d'autres mesures comme la nouvelle législation sur les femmes battues, sans parler du mariage des homosexuels, sont autant de sujets mis actuellement en avant pour marquer la rupture avec le gouvernement précédent. Et il est vrai que sur tous ces sujets, l'attitude d'Aznar était marquée par la nostalgie d'une Espagne "une et grande" héritée du franquisme, par le poids de l'Église, comme par les préjugés les plus réactionnaires. Zapatero, en revenant sur ce qu'il y avait de plus rétrograde et de plus choquant dans cette attitude, bénéficie d'un espace qui peut lui permettre d'acquérir une certaine popularité auprès d'une partie de l'opinion de gauche. Il fera peut-être ainsi, pour un temps, oublier la politique anti-ouvrière des gouvernements de Felipe Gonzales, les querelles de clans au sein du PSOE, et la corruption qui y sévit, liée à ses liens avec les milieux d'affaires et les promoteurs immobiliers et au rôle des notables qui dirigent des grandes régions, comme l'Andalousie, la Catalogne, la Castille... Mais les illusions, à supposer qu'il y en ait, pourraient bien tomber rapidement, tant la politique économique et sociale de Zapatero est calquée sur celle de la droite, qui elle-même était dans la continuité de celle des gouvernements socialistes qui avaient précédé.

Ce qui est sûr, c'est que si les socialistes se sont retrouvés au pouvoir, ce n'est pas du tout à cause de la hardiesse de leur programme. C'est le discrédit du gouvernement du Parti Populaire, et notamment de son leader Aznar, qui a fait gagner les élections au PSOE.

À la veille des élections, la phrase qui courait partout et se répétait, ce n'était pas "Viva Zapatero" mais "Hay que echar le bigote" ("Il faut virer le moustachu" - Aznar).

Le discrédit de la droite et le "decretazo"

Les premières grandes manifestations contre le Parti Populaire ont commencé à la fin du printemps 2002, lorsque le gouvernement a imposé par décret une réforme des prestations de chômage qui signifiait une attaque particulièrement dure contre les chômeurs et aussi contre les journaliers d'Andalousie et d'Estrémadure.

Cette réforme, qu'on a appelée dans les milieux populaires le "decretazo", prévoyait entre autres mesures l'obligation pour un chômeur d'accepter toute offre de travail pouvant être située jusqu'à trente kilomètres de son domicile, y compris à temps partiel. C'est l'organisme de paiement des allocations de chômage, l'INEM, qui juge si l'offre est adaptée, et si le chômeur refuse le travail, l'INEM lui retire trois mois de prestations. Au deuxième refus, ce sont six mois de retirés et au troisième toutes les prestations. Parmi les autres mesures, il était prévu par exemple que les 180 000 saisonniers de l'hôtellerie et les enseignants remplaçants se voient supprimer leur paie les mois où ils ne travaillaient pas. Les licenciés en attente d'un jugement pour savoir si leur licenciement est ou non légal, ne toucheraient plus de salaires. Tous les chômeurs ou les précaires étaient attaqués - l'objectif avoué étant de réduire le coût du travail et de "flexibiliser" le marché de l'emploi.

Il s'agissait d'un ensemble de mesures particulièrement choquantes, s'attaquant aux plus pauvres, aux plus faibles, dans un pays où il y a plus de deux millions de chômeurs soit 11,5 % de la population active, où 44 % des chômeurs ne touchent aucune aide et où les précaires et les travailleurs obligés d'accepter ce qu'on appelle des "contrats poubelles" sont des millions.

Le "decretazo" prévoyait par ailleurs, bien évidemment, toute une série d'aides aux patrons pour les embauches de travailleurs de plus de cinquante-deux ans, pour l'embauche des femmes, pour l'embauche de chômeurs qui avaient à se déplacer...

Enfin, le même "decretazo" attaquait les journaliers d'Andalousie et d'Estrémadure. Dans ces deux régions, la main-d'œuvre agricole gagne sa vie en se déplaçant d'un coin de la région à l'autre en fonction de travaux agricoles, parfois au jour le jour, parfois pour des périodes liées aux récoltes ou aux travaux. Les journaliers avaient obtenu par des luttes, à la fin des années soixante-dix, que le gouvernement leur paie un salaire minimum de 300 euros par mois, s'ils avaient travaillé quelques journées dans le mois. Ce système a été dénoncé par le gouvernement, sous prétexte que certains journaliers s'entendaient pour payer une compensation aux patrons pour pouvoir toucher le salaire minimum, sans avoir à travailler les jours nécessaires, ce qui s'appelait les "peonas".

En fait, ce système permettait de maintenir de nombreux villages en vie et instaurait un "salaire minimum" à la campagne. La réforme de ce "subside agraire", prévue par le gouvernement Aznar, devait conduire par étapes à la suppression de ce salaire minimum, laissant des milliers de travailleurs des champs sans aucun revenu. Ce qui aurait signifié le retour à une concurrence encore aggravée avec la prise de travail à la journée, des déplacements mal payés et précaires, des bénéfices accrus pour les grands propriétaires terriens et la misère accrue pour des milliers d'ouvriers agricoles, déjà très pauvres. Un jeune ouvrier agricole qui peut en ce moment refuser d'aller travailler pour moins de 30 euros par jour, pour la collecte des fraises par exemple, sera contraint, s'il ne veut pas mourir de faim, d'accepter le travail.

Tous les journaliers ont trouvé particulièrement choquant d'être montrés du doigt et traités de fainéants et de corrompus à propos de ce système des "peonas", sachant que s'il coûte 900 millions d'euros à l'État, les agriculteurs, et d'abord les grands propriétaires, reçoivent chaque année 5 000 millions d'euros de subventions.

Dans tout le pays, la riposte au "decretazo" a été massive. C'est par millions que les travailleurs ont répondu à l'appel à la grève générale lancé par les deux grandes centrales syndicales, Commissions Ouvrières et UGT, le 20 juin 2002. Les principales villes du pays apparurent vides. Selon les chiffres des syndicats, plus de 10 millions de personnes ont fait grève (sur une population active de 18 millions) et les manifestations ont été massivement suivies. La presse a parlé de 500 000 à Madrid et à Barcelone, 150 000 à Vigo, 100 000 à Séville, etc.

De nombreux travailleurs ont été choqués par la volonté du gouvernement de nier la réalité du succès de ce mouvement. Le porte-parole d'Aznar est venu à huit heures du matin parler de l'échec de la grève au moment même où une des chaînes de télévision montrait des images de l'aéroport de Barajas, totalement vide.

Les chiffres des manifestants furent diminués d'une manière grossière et visible. Les pressions faites pour que soient effectués les services minimums ont été nombreuses. Elles ont d'ailleurs échoué là où les traditions de lutte sont les plus fortes, notamment dans les bus à Madrid, Séville ou Barcelone. Il y a eu des menaces de licenciements et même des licenciements, surtout dans les petites entreprises. Tout cela n'a pas empêché que la grève soit un succès et ressentie comme telle par l'ensemble du monde du travail.

À cette grève de juin succédèrent d'autres actions, dont un rassemblement massif à Madrid le 5 octobre 2002. La protestation ouvrière amena Aznar à changer de ministre du Travail, à reprendre des négociations avec les syndicats UGT et Commissions Ouvrières. Et finalement, un certain nombre de mesures furent modifiées. Mais rien ne fut prévu pour les ouvriers agricoles andalous. Des dizaines de villages vinrent manifester à nouveau le 1er décembre 2002 à Séville, sans obtenir finalement satisfaction

Pendant tout ce conflit, le PSOE, comme Izquierda Unida (groupement autour du PCE), appuyèrent les manifestations et se dirent solidaires des travailleurs en lutte. Mais les uns et les autres se gardèrent bien d'avancer un programme s'opposant à celui du PP. Ils se contentèrent de laisser la droite parler des "grèves politiques du PSOE et d'IU" et négocier avec les syndicats.

L'affaire du Prestige

La deuxième grande vague de protestations antigouvernementales a été provoquée par le naufrage du pétrolier Prestige, au large des côtes galiciennes en novembre 2002. Pendant plusieurs jours, alors qu'une marée noire de dizaines de milliers de tonnes de fuel se répandait sur les côtes, le gouvernement du PP nia l'importance de la catastrophe. Aznar n'alla pas voir l'ampleur des dégâts. Manuel Fraga Iribarne, ex-ministre de Franco et président de la Galice (fief traditionnel de la droite), n'interrompit pas ses vacances à la chasse au moment même où des milliers de volontaires de Galice et de toutes les régions commencèrent, sans aucune aide gouvernementale, à nettoyer le fuel se collant aux rochers et arrivant en galettes dans le sable des plages. Le gouvernement continuait à minimiser l'ampleur de la marée noire alors que la télévision montrait des images de volontaires sans moyens ou de pêcheurs en colère allant seuls en mer pour tenter d'empêcher l'arrivée du fuel.

Les mensonges du gouvernement, sa passivité, son incapacité à résoudre les problèmes firent descendre dans la rue des milliers de Galiciens qui créèrent une plate-forme "Nunca mas" (Jamais plus), pour exiger la démission des politiciens du PP qu'ils jugeaient responsables de la situation.

Quant à Zapatero, chaussé de bottes de caoutchouc, il arpenta quelques plages de Galice, entouré de caméras de télévision, déplorant la pollution et la passivité du gouvernement. Mais sans trop s'engager sur des mesures contraignantes vis-à-vis des grands trusts pétroliers.

La guerre en Irak

À partir de février 2003, des millions de personnes se mobilisèrent contre la guerre en Irak et pour que le gouvernement Aznar n'engage pas l'armée espagnole aux côtés de l'armée américaine. Sur de nombreux balcons dans les villes, fleurirent des banderoles "Non à la guerre", des milliers de personnes portaient des autocollants contre la guerre. Dans les bars, chaque apparition d'Aznar à la télévision était sifflée et les cris de "fuera" (dehors) jaillissaient.

Au début de l'invasion, le 20 mars, les manifestations baissèrent d'intensité et la colère se manifesta par des agressions verbales contre des ministres du Parti Populaire, le mot "assassins" écrit sur les permanences du Parti Populaire, ce qui permit au ministre de l'Intérieur de dénoncer la gauche, "violente et intolérante".

Le leader du PSOE, Zapatero, comme le leader d'Izquierda Unida, Llamazares, appuyèrent les manifestations, demandant le retrait des troupes espagnoles. Izquierda Unida, comme le PSOE, donnèrent en exemple la position des gouvernements français et allemand. Ils disaient en substance : la guerre est illégale puisqu'elle n'est pas engagée avec l'assentiment de l'ONU et du Conseil de sécurité, il faut adopter la position franco-allemande et maintenir une position commune en Europe.

Izquierda Unida ne se démarquait du PSOE que sur le problème de l'utilisation des bases américaines en Espagne, demandant le retrait total des Américains des bases, alors que le PSOE, voulait, lui, le respect des accords passés pour "l'utilisation commune".

Les élections municipales de mai 2003 : mauvaise surprise pour la gauche

Les élections municipales du 25 mai 2003 apparurent comme des élections générales, une sorte de premier tour avant les législatives de 2004. Le public de gauche s'attendait à un recul important du Parti Populaire après deux ans de manifestations antigouvernementales.

Aznar, comme il l'avait fait lors de toutes les élections, avait centré l'ensemble de sa campagne électorale sur le problème du terrorisme de l'ETA, se présentant comme implacable contre les terroristes basques, liant son intervention en Irak aux côtés des États-Unis à la lutte générale contre le terrorisme.

Le PSOE, de son côté, insistait sur ses capacités à gérer les villes, critiquant le PP sur la guerre en Irak mais se retrouvant d'accord sur le terrorisme (Zapatero est à l'origine d'un pacte conclu entre le PP et le PSOE contre le terrorisme). Mais ni le PSOE ni IU ne mirent en avant les mesures indispensables qui pourraient permettre au monde du travail de s'opposer au travail précaire, aux licenciements, à la rapacité patronale.

Les résultats déçurent les dirigeants de la gauche qui s'attendaient à une chute importante du Parti Populaire. Le PSOE augmentait légèrement son nombre d'électeurs, IU se maintenait, mais le PP se maintenait lui aussi. Ce fut l'abstention qui augmenta puisqu'elle dépassa les 30 %.

Le journal El Pais publia au lendemain de ces élections une interview de Trinidad Jimenez, la candidate socialiste de Madrid, qui déclarait : "J'ai dû supporter dans les réunions la colère d'électeurs déçus par la politique du PSOE, qui est pourtant leur parti". Concha Caballero, dirigeante de IU en Andalousie, écrivait au même moment : "Nos rêves ne se sont pas réalisés... nous n'avons pas vu se développer l'élan jeune et de gauche que dessinaient les récentes manifestations".

Effectivement, la politique que les socialistes ont menée pendant leurs années de gouvernement, comme la politique qu'ils mènent dans les municipalités, comme leur silence assourdissant sur tous les problèmes de chômage, d'emplois précaires, de menaces contre le monde du travail, tout cela était peu susceptible de développer un quelconque "élan électoral". Et finalement, ce qui provoqua "l'élan", quelques mois plus tard, ce fut la mobilisation de tout un public de gauche, indigné par les attentats de Madrid, par l'attitude d'Aznar essayant de masquer l'origine des attentats qui l'impliquait directement. Et c'est après ces horribles attentats que ceux qui avaient manifesté contre la guerre sont allés dire non à Aznar et à celui qu'il avait désigné comme son successeur, Rajoy.

Les élections catalanes

Les élections catalanes qui se déroulèrent au lendemain des élections municipales confirmèrent que les socialistes ne gagnaient pas de voix. Mais elles modifièrent la physionomie politique de la région.

En Catalogne, le parti dirigeant la "Generalitat" (le gouvernement catalan) était depuis la fin du franquisme le grand parti nationaliste bourgeois "Convergence et Union". Mais lors des dernières élections une partie importante des catalanistes vota pour un parti républicain catalan, "Esquerra Republicana" (la Gauche républicaine) à l'audience jusque-là très limitée. Convergence et Union perdit la majorité. Si bien que le PSOE put constituer un gouvernement tripartite "de gauche", regroupant socialistes, républicains catalans et communistes d'IU, sous la direction d'un des "barons" socialistes, le catalan Maragall.

Le Parti Populaire lança aussitôt ses foudres contre ce gouvernement qui ne pouvait être qu'un gouvernement "séparatiste" qui allait démembrer l'Espagne. Le PSOE mettait, lui, en avant l'idée d'une Espagne "plurielle", une idée susceptible de séduire les différents groupes régionalistes, dont le soutien pouvait s'avérer précieux si les élections nationales étaient serrées. C'est en effet Convergence et Union qui avait permis à Felipe Gonzales de se maintenir au pouvoir en 1992 en s'alliant au PSOE. C'est ce même parti, dirigé par le même homme, Jordi Pujol, qui a permis à Aznar de conquérir le pouvoir en s'alliant avec le Parti Populaire en 1996.

La campagne du PP prit un tour particulièrement violent lorsqu'une "indiscrétion policière" relayée par la presse apprit que le "Conseller en cap" (Premier ministre) catalan et dirigeant d'Esquerra, Carod Rovira, avait rencontré secrètement à Perpignan deux dirigeants de l'ETA et tenté de négocier une trêve avec eux.

Carod Rovira fut contraint de démissionner et le Parti Populaire fit cette fois feu de tout bois, n'ayant pas de mots assez durs pour dénoncer les socialistes qui abritaient dans leur sein un dirigeant qui osait envisager de négocier une trêve séparée pour la Catalogne avec des terroristes qui continueraient de menacer le reste de l'Espagne avec leurs bombes.

Cet épisode qui a occupé une bonne partie de la campagne électorale est bien significatif de l'attitude du PP qui utilise le problème de l'ETA pour occulter tous les autres problèmes et diaboliser toutes les formations non-espagnolistes, et ceux qui collaborent avec elles. C'est la même attitude que le PP a adoptée avec le Parti Nationaliste Basque, en menaçant de prison ses dirigeants qui osaient envisager un référendum en Euskadi sur le statut du Pays Basque.

Il est à noter, d'ailleurs, qu'au moment de la polémique sur "le cas Rovira" qui faisait la Une des médias, la Catalogne connaissait une vague de plans de licenciements sans précédent. Et face à ces licenciements ou fermetures d'entreprises, le gouvernement catalan "de gauche" n'eut rien à dire, que des paroles de consolation et d'impuissance. Le cas de Samsung est significatif. Un membre du Comité d'entreprise fut interrogé par un journaliste qui lui demanda pourquoi les travailleurs avaient accepté la fermeture avec 8 000 euros d'indemnisation et la promesse plutôt vague de possibles réembauches locales. Il répondit : "L'intervention du gouvernement de la "Generalitat", qui nous a demandé de négocier et de signer, a été décisive".

L'attentat de Madrid

Au début de la campagne électorale, les enquêtes d'opinion prévoyaient le maintien de la majorité pour la droite, mais avec la perte de la majorité absolue. Mais l'attentat d'Atocha changea complètement la situation.

Les bombes des terroristes explosèrent dans les trains ouvriers se dirigeant vers la gare d'Atocha le jeudi 11 mars, à trois jours du scrutin du 14 mars. Elles firent 199 morts, 1 500 blessés et provoquèrent une émotion considérable dans tout le pays.

Aussitôt, le ministre de l'Intérieur intervint pour désigner le coupable : l'ETA. Pourtant, si l'ETA a commis ces dernières années des attentats sanglants, y compris contre la population civile, l'organisation de celui-ci ne correspondait pas à ses pratiques habituelles et l'hypothèse qu'il ait été le fait de groupes intégristes islamistes, désireux de faire payer à la population espagnole l'engagement d'Aznar derrière Georges Bush en Irak, était dès le début au moins tout aussi crédible. D'autant plus que, fait inhabituel aussi, Otegi, le dirigeant de Batasuna, le parti lié à l'ETA, condamnait l'attentat. Mais pendant trois jours, le gouvernement et le Parti Populaire tentèrent de masquer ce qui devenait de plus en plus évident avec les progrès des investigations policières : mensonges par omission du ministre de l'Intérieur Acebes, coups de téléphone aux journaux pour assurer que les preuves de la culpabilité de l'ETA étaient vérifiées, pressions sur les ambassades. Mais les fuites se multipliaient, Acebes était bien obligé de reconnaître quelques parcelles de vérité sur l'enquête, la piste d'un groupe de Marocains dans la mouvance d'Al-Qaida se précisait, et le gouvernement commençait à prendre l'eau.

Le vendredi 12 mars, alors que la manifestation appelée par le gouvernement devait être silencieuse, derrière une unique banderole "Avec les victimes, avec la Constitution, pour écraser le terrorisme", de nombreux manifestants vinrent avec des pancartes improvisées dont les textes étaient sans ambiguïté : "Aznar, c'est nos victimes de ta guerre", "Al-Qaida coupable, Aznar responsable", "Que vient faire la Constitution là-dedans ?", "Non à la guerre", "Qui est-ce ?", "Madrid, Bagdad, victimes de la même guerre". Les slogans dénonçant Aznar étaient nombreux, les ministres furent conspués. À Barcelone, deux d'entre eux furent chassés du défilé.

Le samedi 13 mars, jour officiellement réservé à la "réflexion" avant le scrutin, les manifestations spontanées reprirent devant les sièges du PP dans toutes les grandes villes, Madrid, Barcelone, Séville, Bilbao, Valence... Les informations étaient transmises par internet et par les portables. Les manifestants exigeaient de connaître la vérité avant d'aller voter. Il était de plus en plus évident pour l'ensemble de la population que le PP avait tenté de retarder le plus possible ce qui devenait évident : l'ETA n'était pas lié à cet attentat et beaucoup pensaient sans doute ce que les travailleurs des chantiers navals de l'entreprise Izar de Cadix avaient déployé sur une banderole : "Aznar, voilà ce que tu as obtenu avec la guerre en Irak : 1 442 blessés et 200 morts".

Le candidat du PP, Rajoy, déclara à la télévision que les manifestations étaient illégales et qu'il exigeait que les partis politiques interviennent pour qu'elles cessent. Ce qui ne fit qu'augmenter l'ardeur des manifestants et alimenter les manifestations. Finalement, le vote du dimanche exprima cette colère. Des millions de gens qui ne pensaient pas voter, des électeurs de gauche qui jusque-là s'abstenaient, se déplacèrent pour mettre le PP dehors.

Après les élections du 14 mars

Les élections du 14 mars ont donc donné la victoire au PSOE qui a obtenu 164 sièges, frôlant les 175 nécessaires à la majorité absolue. Il a recueilli 11 millions de suffrages, gagnant 3 millions de voix. Le Parti Populaire a subi une défaite cuisante en n'obtenant que 148 sièges, 9,6 millions de voix et en en perdant 700 000.

Izquierda Unida, la coalition dirigée par le PCE, bien qu'ayant maintenu son nombre de voix (1,3 million), passe de 9 à 5 députés, la participation ayant été plus forte et les électeurs de gauche s'étant mobilisés pour voter PSOE. Le programme de IU se distinguait d'ailleurs fort peu du programme du PSOE, insistant sur le retrait des troupes d'Irak, la nécessité de faire participer IU à la majorité de gauche "comme en Catalogne", assurant par avance Zapatero de son soutien, le dirigeant d'IU Llamazares expliquant que son programme était le seul "véritablement social-démocrate".

Esquerra Republicana Catalana, présente seulement en Catalogne, est passée de un à huit élus, aux dépens de l'autre parti catalaniste, Convergence et Union. Les autres formations régionalistes se maintiennent.

Zapatero a donc formé un gouvernement socialiste homogène, et a reçu lors de son investiture l'appui d'Izquierda Unida, d'Esquerra Republicana, et de deux autres petits groupes régionalistes. Convergence et Union et le Parti Nationaliste Basque se sont abstenus, mais ont salué "l'esprit de dialogue" du nouveau président du gouvernement. Seuls les 148 députés du Parti Populaire ont voté contre son investiture.

Zapatero s'est toujours présenté comme un homme modéré et de dialogue. La presse ajoute qu'il s'est toujours trouvé au bon endroit au bon moment. Il est vrai que les querelles qui rongeaient le PSOE après l'échec de Gonzales en 1986 ont fait que les barons du parti ont laissé à ce jeune et obscur député les rênes du parti. Le groupe qu'il avait constitué et qui l'a emporté au Congrès socialiste tenu après l'échec cuisant des élections de 2000 s'appelait "Nouvelle Voie", en référence au "Nouveau travaillisme" de Tony Blair. On ne saurait être plus clair !

Le programme qu'il a exposé dans son discours d'investiture comporte une série de mesures qu'il compte prendre rapidement et qui, sans rien coûter, sans régler aucun des problèmes du monde du travail, rompraient avec ce qu'envisageait le gouvernement d'Aznar.

Il affirme vouloir retirer les 1 400 militaires engagés en Irak puisque, comme il le dit, "l'ONU ne prend pas en main la situation politique et militaire". Il veut suspendre le "plan hydrologique" qui prévoit de détourner une partie des eaux de l'Èbre vers le sud de l'Espagne, un projet pharaonique qui inquiète en particulier ceux qui en Aragon et en Catalogne vivent de l'agriculture. Il remet en cause la loi sur l'éducation, qui introduisait l'étude de la religion dans les écoles publiques. Il annonce le dépôt d'une loi contre la violence domestique.

Toutes ces mesures peuvent parfaitement être prises et ne changeront pas grand-chose au sort des travailleurs, même si elles peuvent trouver l'assentiment d'une bonne partie de la population.

Le 28 avril, la direction de SEAT a retiré le plan de licenciements qui prévoyait des suppressions d'emplois, contre la signature d'un accord d'entreprise qui a été accepté par 74 % des travailleurs. Nissan a également annoncé le retrait de son plan social. Altadis a déclaré aux syndicats qu'il fallait revenir à un dialogue "serein et profond pour éviter l'application unilatérale de mesures non négociées". Aux chantiers navals de l'entreprise Izar, à Cadix, les travailleurs attendent la médiation juridique mais font reposer la cause de leurs problèmes sur l'attitude qu'a eue le PP précédemment.

Toute cette ambiance fait que les syndicats se disent en parfait accord avec Caldera, le ministre du Travail, et ont déclaré leurs "convergences".

Mais, ceci dit, dans le programme du PSOE, il n'y a rien qui pourrait être susceptible de s'attaquer aux problèmes essentiels rencontrés aujourd'hui par la classe ouvrière : c'est-à-dire le travail précaire qui touche plus de 30 % des travailleurs espagnols, les licenciements qui ont été massifs ces derniers mois, les accidents du travail, le niveau de vie particulièrement bas, à la ville comme à la campagne...

Certes, il est prévu d'augmenter les salaires minimums qui passeraient des 453 euros actuels à 600 euros... mais en quatre ans !

De même une somme globale de quatre milliards d'euros est prévue pour augmenter en quatre ans les minimas des pensions, mais sans que chaque retraité ou pensionné sache de combien il sera augmenté ni dans quels délais.

Le tout nouveau ministre du Travail, Jesus Caldera, est intervenu au congrès des Commissions Ouvrières et a parlé de réduire la précarité. Mais la seule mesure qu'il a proposée est de baisser les cotisations des patrons qui transformeraient des contrats à durée déterminée en contrats fixes. Ce qui n'a pas empêché Figaldo, le dirigeant de CCOO, d'appuyer le ministre et le gouvernement.

Il est significatif aussi que le nouveau ministre de l'Économie soit Pedro Solbes qui fut le ministre de l'Économie de Felipe Gonzales, voici dix ans. Il fut l'exécuteur d'une politique ouvertement anti-ouvrière qui s'était conclue par la défaite électorale des socialistes en 1996. Solbes a annoncé dès sa prise de fonction une politique de rigueur budgétaire. Il promet des aides au patronat pour, dit-il, "ressusciter la politique industrielle et impulser le commerce extérieur".

Ce même Solbes, lorsqu'il avait présenté sa "réforme fiscale" au début de la campagne électorale, avait prévu une baisse des impôts des plus hauts revenus. Mais devant le tollé des syndicats, cette baisse n'a pas, pour l'instant, été retenue.

Par contre, Solbes a par avance annoncé que la réforme du financement des "autonomies" qui devrait alimenter les gouvernements régionaux "n'était pas un objectif prioritaire de la législature". Ce qui pourrait signifier que si Zapatero est prêt à discuter et négocier des réformes sur les communautés autonomes, il n'y aura peut-être pas au bout plus d'argent. De quoi faire grincer les dents aux régionalistes qui soutiennent aujourd'hui le nouveau président.

Le journal El Pais, lors du passage de relais entre Solbes et son prédécesseur, le ministre du Parti Populaire, Rodrigo Rato, expliqua que la même scène s'était produite dans l'autre sens voici huit ans. Le journaliste ajouta que Rato, qui vient d'être nommé au FMI avec l'appui de Solbes (qui s'était lui-même recasé dans les institutions européennes pendant l'intermède Aznar), était particulièrement satisfait de la nomination de son successeur, certain que sa politique serait poursuivie.

Le responsable du programme économique de Zapatero, Miguel Sebastian, qui convoitait lui-même le poste de ministre, a déclaré que l'objectif du gouvernement est de garantir la productivité et d'augmenter les investissements. Il a conclu que le PSOE ne se mêlerait pas des décisions des marchés : "Il y a une séparation stricte entre la politique et les affaires. Nous sommes un gouvernement ami des marchés".

Ainsi, malgré ses efforts pour essayer d'apparaître différent de son prédécesseur, Zapatero s'apprête à mener une politique économique et sociale qui sera, sur le fond, celle de Felipe Gonzalez, celle de Blair qu'il dit tant admirer, celle de Chirac et de Schroeder dont il veut se rapprocher - celle en un mot de ses prédécesseurs de droite, c'est-à-dire celle dictée par les industriels et les banquiers, une politique anti-ouvrière.

14 mai 2004