L'augmentation incessante des exonérations de charges sociales patronales

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Eté 2005

La "bataille pour l'emploi" que prétend mener le gouvernement Villepin va être à nouveau prétexte, comme toujours depuis plus de dix ans, à de nouveaux cadeaux au patronat sous forme d'allégements de charges sociales.

Inaugurée en 1979, cette politique a été systématisée à partir du gouvernement Balladur en 1993, au point que la loi Veil de 1994 a fait obligation à l'État de compenser auprès de la Sécurité sociale les exonérations de charges sociales décidées par les gouvernements à partir de cette date. Celles-ci étaient passées de 1,7 milliard d'euros en 1991 à 4,7 milliards d'euros en 1994 (dont 2 miliards d'euros environ étaient laissés à la charge de la Sécurité sociale). Depuis lors, chaque gouvernement a rivalisé de zèle pour exonérer le patronat. Avec le gouvernement Juppé et sa ristourne sur les bas salaires, les exonérations de charges sociales ont presque atteint les 10milliards d'euros en 1996. Puis le gouvernement Jospin et Martine Aubry ont fait faire un nouveau bond à ces exonérations sous prétexte de faire accepter les 35heures au patronat: en 2002, les exonérations de charges sociales (compensées et non compensées) dépassaient les 18milliards d'euros. Raffarin et son ministre Fillon n'ont pas voulu être en reste. La loi Fillon de janvier 2003 a pérennisé et amplifié les exonérations consenties par Martine Aubry, si bien que la Commission des comptes de la Sécurité sociale a constaté en septembre dernier une nouvelle accélération du rythme auquel les cadeaux sont consentis aux entreprises.

Ainsi, selon cette Commission, les exonérations de charges sociales compensées par l'État sont passées de 18,69 milliards d'euros en 2003 (en augmentation de 2,5% sur l'année précédente) à 19,68 milliards en 2004 (en augmentation de 5,3%) et à un montant estimé à 22,9 milliards d'euros pour 2005 (en augmentation de 16,4% sur l'année précédente). Il s'agit là uniquement des exonérations compensées par l'État au budget de la Sécurité sociale, les patrons bénéficiant en outre d'un peu plus de 2 milliards d'euros d'exonérations, décidées avant 1994, qui ne sont pas compensées par l'État et restent donc à la charge de la Sécurité sociale. On aboutit donc cette année à un total de près de 25milliards d'euros, presque 15 fois plus qu'en 1991. Il est déjà prévu que cette somme augmente encore de plus de 10% en 2006, puisque les allégements prévus par Villepin pour les petites entreprises s'ajoutent à la montée en puissance des dispositifs imaginés par Fillon puis par Borloo pour une augmentation totale de 2,7 milliards d'euros !

Parallèlement, la nécessité de compenser tous ces cadeaux à la Sécurité sociale est de moins en moins bien admise par les gouvernements qui mettent de moins en moins d'empressement à payer ce qu'ils doivent. Au 31 décembre 2003, l'État devait 2,5milliards d'euros d'impayés à la Sécurité sociale rien que pour la compensation des exonérations sociales (ce qui s'ajoute aux 2 milliards qu'il n'est même pas question de rembourser). Il en a payé la moitié avec retard au cours de l'année suivante mais l'autre moitié ne sera jamais récupérée. C'est une perte sèche pour la Sécurité sociale.

La Cour des Comptes dénonçait dans un rapport de 2004 le fait que l'augmentation de 20% des impayés fin 2003 était due à "l'absence de financement dans le budget de l'État des mesures d'exonération de charges sociales en faveur des hôtels, cafés et restaurants". De son côté, Jean-Louis Borloo a déjà tenté de laisser officiellement à la charge de la Sécurité sociale une partie des exonérations consenties pour les services à la personne, mais il a dû reculer. Il y a tout lieu de penser que le nouveau gouvernement reviendra à la charge. Ce serait si pratique pour lui de dispenser des cadeaux au patronat, grand et même tout petit, sans accroître le déficit budgétaire, en prétendant, contre toute vérité, que cela va créer des emplois et donc profiter à la Sécurité sociale sans qu'il soit nécessaire de la rembourser !