Lutte Ouvrière dans les élections régionales

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mars 2010

Au moment de la parution du présent numéro de la Lutte de classes, la campagne pour les élections régionales approche de sa fin. Lutte Ouvrière a présenté des listes dans les vingt et une régions de la France continentale, ainsi qu'à La Réunion. Par ailleurs, nos camarades de Combat Ouvrier se présentent, de leur côté, en Guadeloupe et en Martinique.

Les élections régionales, si elles intéressent beaucoup les partis politiques et leurs notables, ne sont pas de celles qui attirent particulièrement l'électorat populaire, et cela se manifeste à chaque fois par l'importance des abstentions.

La raison principale de l'intérêt que les partis politiques installés portent aux élections régionales, c'est que les conseils régionaux fournissent un grand nombre de postes et de positions et constituent un vivier pour les politiciens professionnels de la bourgeoisie.

Les exécutifs régionaux disposent de budgets qui, tout en étant très loin du budget de l'appareil d'État central, représentent des sommes relativement importantes. Différentes lois concernant la décentralisation attribuent aux conseils régionaux la gestion d'un certain nombre de domaines, comme certains transports régionaux, notamment les TER (trains express régionaux), certaines catégories d'établissements scolaires (principalement les lycées, leur construction et leur maintenance) et les moyens financiers correspondants.

Par là même, les exécutifs des conseils régionaux sont des endroits où se tissent les liens entre la bourgeoisie locale et ses représentants politiques régionaux. Oh, pas seulement les liens humains entre gens d'un même monde qui participent aux mêmes cérémonies, qui fréquentent les mêmes dîners officiels ! Encore que cela compte... Mais les liens les plus solides se tissent par l'attribution de marchés locaux, par les subventions régionales aux entreprises ou par les multiples services que les notables de la politique peuvent rendre à ceux de l'économie, en décidant le tracé d'une route ou une desserte par les transports publics...

Pour un parti comme le Parti socialiste, écarté du pouvoir central depuis l'échec lamentable de Jospin, le fait de diriger vingt régions sur vingt-deux a certainement été un élément de survie aussi bien matériel que politique.

Ce n'est certainement pas cet aspect des choses qui peut inciter une organisation communiste révolutionnaire comme la nôtre à présenter des listes Lutte Ouvrière dans ces élections.

Mais, bien que la composition des exécutifs régionaux concerne, sur le fond, principalement la bourgeoisie, la campagne des élections régionales n'en est pas moins une période d'activité politique.

En cette période de crise et de redoublement des attaques de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, il était nécessaire de faire entendre une autre voix, une voix communiste révolutionnaire qui rompe avec le ronronnement des disputes entre notables de différentes obédiences politiques, concurrentes pour les mêmes postes.

La crise, sa durée et son approfondissement, le comportement des gouvernements à l'égard des différentes classes sociales, constituent une leçon de choses même pour les moins politisés des membres des classes populaires. Ils ont pu constater avec quelle rapidité et avec quelles sommes d'argent les gouvernements sont venus au secours des banquiers. Ils ont pu ressentir la concomitance entre les profits faramineux retrouvés par les banquiers et l'accroissement de la pauvreté du fait de la multiplication des licenciements et de l'augmentation du chômage.

L'indignation que ce constat suscite dans une partie des classes populaires ne se traduira pas nécessairement dans ses choix électoraux. Il était néanmoins important de permettre à tous ceux qui ressentent de l'indignation, voire de la révolte, de pouvoir l'exprimer.

La campagne électorale offre également la possibilité d'expliquer, à une échelle un peu plus large que nos interventions habituelles, que cette situation n'est pas une fatalité et que la classe ouvrière n'est pas du tout désarmée devant la bourgeoisie, même si, dans sa grande majorité, elle ne réalise pas quelle force elle représente collectivement de par son nombre et de par sa place dans la production.

Nous avons choisi de populariser un certain nombre d'objectifs à mettre en avant dans les prochaines luttes ouvrières.

Le plus immédiat de ces objectifs à imposer, le plus directement perceptible par tous ceux - une grande partie de la classe ouvrière aujourd'hui - qui savent que leur emploi est menacé, est l'interdiction des licenciements et la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire.

Mais la façon concrète dont s'est développée la présente crise, l'irresponsabilité manifeste des banquiers continuant à spéculer alors même que leurs spéculations conduisent manifestement l'économie dans le mur, et l'incapacité des gouvernements à seulement réguler leur fonctionnement rendent compréhensible l'idée que, si le fonctionnement de l'économie a besoin de banques, il n'a pas besoin de banquiers ; et que la seule voie pour préserver la société d'une catastrophe financière plus grave encore serait d'exproprier les banquiers sans indemnité ni rachat, de centraliser les banques et toutes les institutions financières et de les soumettre au contrôle démocratique de leurs travailleurs et de la population.

Mais la multiplication des plans sociaux qui se traduisent souvent par la fermeture d'usines qui font vivre toute une ville ou toute une région pose aussi le problème du comment et du pourquoi ces décisions sont prises.

Le fait que ce genre de décision soit prise dans le secret d'un conseil d'administration en fonction de la seule rentabilité de l'entreprise - ce qui signifie tout simplement en fonction du profit attendu par les actionnaires - est intolérable.

Il est de l'intérêt non seulement de la classe ouvrière mais aussi, au fond, de l'écrasante majorité de la société que des décisions qui engagent toute une population ne puissent pas être prises en fonction du seul intérêt privé d'une poignée d'actionnaires.

Il est indispensable que les travailleurs, que la population puissent contrôler les décisions des grands groupes, leurs finances, les mouvements de leurs capitaux : sont-ils consacrés aux investissements productifs ou aux opérations financières, etc. ?

Il faut que les décisions des grandes entreprises soient rendues transparentes et vérifiables par toute la population.

Il faut que tous leurs choix stratégiques soient connus de tous dès leur élaboration afin que la majorité de la société puisse vérifier les conséquences qu'ils auront.

Pour cela, il est important d'imposer la suppression de toutes les lois qui assurent le secret bancaire, le secret industriel, le secret des affaires, derrière lesquels la classe capitaliste prépare ses mauvais coups.

Ces objectifs découlent des nécessités de la situation. Même si les classes laborieuses ne sont pas encore - loin de là - en situation de les imposer, il faut que l'idée fasse son chemin, et pour cela, il faut qu'elle soit avancée et défendue.

Ces objectifs ne pourraient être imposés que par des luttes ouvrières puissantes, susceptibles de menacer non seulement le profit des capitalistes mais également leur mainmise sur les entreprises.

Rien ne nous permet de savoir quand, dans quelles conditions et à partir de quel mauvais coup de la bourgeoisie, ces luttes s'engageront, mais la campagne des régionales est une occasion de populariser par avance ces revendications, de convaincre ceux qui peuvent l'être dans les conditions présentes et de leur donner la possibilité en votant pour les listes Lutte Ouvrière de montrer qu'ils sont d'accord avec ces objectifs.

Nous savons que cette fraction de l'électorat populaire est très largement minoritaire. Mais elle existe. Une fraction de l'électorat populaire qui n'accepte pas, qui n'accepte plus, que ses votes ne servent qu'à départager deux camps de la bourgeoisie en rivalité pour les postes et les prébendes des régions. Et il est indispensable pour l'avenir que cette fraction qui refuse les règles du jeu électoral de la bourgeoisie s'exprime sans être noyée dans les joutes électorales entre notables.

Le choix d'intervenir sur ce terrain impliquait que nous nous présentions seuls. Il n'était pas question, dans ce contexte de crise, de chercher des alliances avec des partis même sur la gauche du Parti socialiste mais qui ont été des partis de gouvernement dans le passé et dont la perspective politique est de le redevenir.

C'est évidemment le cas du Front de gauche, alliance du Parti communiste et du Parti de gauche, flanqués de la Gauche unie, qui réunit deux partis de gouvernement, Marie-George Buffet comme Jean-Luc Mélenchon ayant été des ministres du gouvernement de Jospin.

Le NPA, de son côté, était orienté vers une alliance avec le Front de gauche. Lorsqu'il est devenu évident qu'il ne serait pas accepté avec les exigences qu'il posait au Parti communiste de ne pas participer avec le Parti socialiste aux exécutifs régionaux, le NPA a choisi des alliances à géométrie variable, région par région, avec toutes sortes de formations dont beaucoup n'ont rien à dire au monde du travail. Bien malin celui qui pourra tirer une signification politique du vote NPA dans chaque région et, à plus forte raison, une signification nationale !

Du contenu de la campagne découlent ses modalités pratiques. Ayant choisi de nous adresser principalement et pour ainsi dire exclusivement aux salariés, aux chômeurs, aux retraités, nous avons choisi de mener la campagne sur le terrain en direction principalement des travailleurs des entreprises par des prises de parole, par des discussions devant les entreprises et dans les quartiers populaires.

Nos résultats ne nous donneront qu'une indication très approximative de la façon dont nous aurons été entendus. Le poids des habitudes électorales est tel que nombre de ceux qui se retrouvent, totalement ou partiellement, dans ce que nous disons préfèreront voter pour le Parti socialiste, le seul des partis de gauche qui est en situation de relayer la droite au pouvoir.

Mais, au-delà des péripéties d'une élection particulière, ce qui est important, c'est que s'affirme dans toutes les occasions politiques le courant communiste du mouvement ouvrier. Ce courant s'affirme sur le plan électoral depuis une trentaine d'années. Avec des hauts et des bas, mais il persiste. Et il est important pour l'avenir non seulement que ce courant se manifeste, mais aussi qu'il fasse la démonstration qu'il a une politique à opposer à celle de la bourgeoisie. Et que cette politique ne se limite pas à « l'anti-sarkozysme » - ce qui dans le contexte actuel ne ferait qu'apporter de l'eau au moulin du Parti socialiste - mais qu'elle pose la question du rapport de forces entre la classe ouvrière et la bourgeoisie capitaliste. L'avenir dépend de l'évolution de ce rapport de forces en faveur de la classe ouvrière, et nullement de petites combinaisons politiciennes pour savoir qui, des deux camps politiques de la bourgeoisie, la gauche et la droite, va diriger les conseils régionaux.

26 février 2010