Irak : cinq mois de révolte

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mars 2020

Le 26 septembre 2019, à Bagdad, un rassemblement de quelques milliers de jeunes chômeurs réclamant des emplois s’est transformé en quelques jours en un vaste mouvement de masse exigeant la chute du régime. Après le limogeage du lieutenant général al-Saadi, populaire par son rôle joué contre l’organisation Daech, la répression exercée contre les jeunes par des forces de sécurité tirant à balles réelles a été le facteur déclenchant d’une révolte inédite.

Depuis le 1er octobre, l’Irak est secoué par un mouvement de contestation populaire, lancé sur les réseaux sociaux, dont l’épicentre se situe à Bagdad. Il s’est étendu par la suite aux villes du sud comme Nasiriya et Bassora et aux grandes villes du centre comme Nadjaf et Kerbela, des régions dont la population est majoritairement de confession chiite. Le nord du pays, essentiellement kurde, et les régions à majorité sunnite sont jusqu’à présent restés à l’écart de la contestation.

Révolte contre le système politique et contre l’Iran

Dans le quatrième pays producteur de pétrole, les manifestants dénoncent le chômage et le délabrement des services publics dont souffre la population. Ils accusent les dirigeants politiques d’être responsables de la corruption qui sévit à tous les étages de la société, et d’avoir détourné la manne pétrolière. Le slogan « Nous voulons du travail » a fait place à des slogans dégagistes, exigeant le départ du Premier ministre Abdel Mah­di, dont l’entrée en fonction un an plus tôt avait pourtant suscité bien des espoirs.

Pour enrayer la contestation, le gouvernement a annoncé des mesures d’urgence, des élections anticipées et une réforme du système des embauches et des retraites. Mais les manifestants ne croient plus aux promesses. Ils rejettent le système politique confessionnel mis en place après la chute de Saddam Hussein en 2003 à la suite de l’intervention militaire des États-Unis et, avec la complicité de l’Iran, qui organise le partage du pouvoir entre les notables chiites, kurdes et sunnites. « Au nom de la religion, les voleurs nous ont pillés » scandent les manifestants. « Nous voulons un pays meilleur, sans corruption, sans répartition des postes par quotas confessionnels », expliquait l’un d’entre eux.

Le pouvoir a tenté en vain de mettre fin par la répression à un mouvement pacifique. Celui-ci s’est étendu. La jeunesse des quartiers populaires a été rejointe par la jeunesse scolarisée, écoliers, collégiens et étudiants. Les syndicats ont appelé à la grève dans tous les services publics. Les administrations, les établissements scolaires sont restés fermés durant plus de deux mois. Les médecins, les avocats ont également rejoint le mouvement. Durant les trois premiers mois, la répression aurait fait plus de 450 morts et 20 000 blessés. Bravant les armes lourdes des forces de sécurité ou les balles de snipers installés par les milices, la jeunesse a continué à manifester et à occuper la place Tahrir à Bagdad ainsi que les places d’autres villes.

Les propos des dirigeants iraniens, accusant les manifestants d’agir pour le compte de puissances étrangères telles que les États-Unis, Israël ou l’Arabie saoudite, ont attisé le sentiment national des manifestants. Les Irakiens subissent en effet une double domination, américaine et iranienne, qu’ils rejettent l’une comme l’autre. En novembre, les slogans hostiles à l’Iran comme « Nous voulons une patrie » et « Iran dégage ! » ont fait leur apparition. Le 4 novembre à Kerbala, considérée comme ville sainte par les musulmans chiites, des protestataires se sont attaqués au consulat d’Iran, qu’ils ont recouvert de drapeaux irakiens, inscrivant sur les murs « Kerbala libre, Iran dehors ». Le 27 novembre, le consulat iranien de Nadjaf était incendié.

Le rejet de l’Iran, parrain des partis religieux chiites et des milices qui dominent l’Irak depuis 2003, est d’autant plus alarmant pour le pouvoir que c’est la jeunesse des régions chiites, censée être leur base sociale, qui s’est soulevée. Ainsi Sadr City, l’immense quartier pauvre de Bagdad, ancien fief du Parti communiste, est devenu celui de Moqtada al-Sadr, chef d’un puissant parti nationaliste religieux chiite. Ses prises de position l’ont rendu populaire auprès des couches déshéritées qu’il prétend représenter.

Lors des élections législatives de 2018, Moqtada al-Sadr a rallié à lui le Parti communiste sur un programme nationaliste réclamant un État laïque. Il a axé sa campagne sur la réforme de l’État, la fin des milices, la lutte contre la corruption, la justice sociale et la tolérance religieuse. Sa victoire aux élections a fait de son mouvement la première force politique au Parlement. Sitôt élu, il s’est allié à ses rivaux du Fatah, coalition de milices pro-iraniennes, pour former un gouvernement de compromis.

À ce titre, Moqtada al-Sadr est responsable de la politique menée par le pouvoir. Face à une contestation spontanée qui lui échappait, et rejointe par nombre de ses partisans, il a joué double jeu, affirmant au début comprendre le mouvement, mobilisant ses militants pour l’organiser et prétendument pour le protéger. Si ce soutien a été vécu comme un encouragement par bien des manifestants, d’autres sont restés méfiants et y ont vu à juste titre une manœuvre. Et en effet al-Sadr a d’abord profité du mouvement pour régler ses comptes avec un Premier ministre dont il exigeait le départ. Celui-ci, Abdel Mahdi, a finalement annoncé sa démission le 29 novembre sous la pression populaire, sans que cela mette un terme à la contestation.

Après l’assassinat de Soleimani

Début janvier, des milliers de miliciens pro-iraniens faisaient irruption dans la « zone verte », en direction de l’ambassade américaine qu’abrite ce quartier protégé. En riposte, le président Trump ordonnait l’assassinat à Bagdad de Ghassem Soleimani, général iranien chef des Gardiens de la révolution, et d’Abou Mahdi al-Mohandes, son bras droit en Irak. Cette provocation américaine contre l’Iran changeait la donne. Entre autres conséquences, elle faisait tomber le masque à Moqtada al-Sadr, celui-ci apportant immédiatement son soutien à l’Iran.

Le 29 janvier, le rassemblement de ses partisans clamant des slogans hostiles aux États-Unis était une véritable démonstration de force. Al-Sadr a accusé les manifestants irakiens de faire le jeu des États-Unis et les a appelés à cesser leur mouvement. Mais les jeunes soulevés depuis des mois n’obéissaient pas à ses injonctions, refusant que leur révolte soit éclipsée au profit des rivalités entre puissances et instrumentalisée par les États-Unis.

Le Parlement irakien, dominé par les partis chiites, a réclamé le départ des 5 000 soldats américains présents dans le pays et de leurs alliés. En représailles, Trump a menacé les Irakiens de « sanctions comme ils n’en ont jamais vu ». Après l’assassinat de Soleimani, l’Irak apparaît comme l’arène où les États-Unis et l’Iran s’affrontent et règlent leurs comptes. Mais, en réalité, l’Irak est depuis dix-sept ans le terrain d’une alliance tacite entre les deux puissances. L’une et l’autre ont parrainé un régime politique corrompu basé sur le confessionnalisme. D’une certaine manière, la guerre qu’elles se mènent aujourd’hui en Irak contribue à sauver la mise d’un régime fragilisé et dans l’impasse. La tension entre ses deux parrains permet au gouvernement irakien de faire oublier les conditions de sa mise en place.

Un régime confessionnel né de l’intervention impérialiste américaine et parrainé par l’Iran

Il faut remonter aux sources de cette conjonction d’intérêts américano-iranienne en Irak, à première vue contre nature. En 2003, deux ans après les attentats du 11 septembre, les États-Unis et leurs alliés envahissaient l’Irak. Ils accusaient Saddam Hussein d’être responsable de ces attentats et de posséder des armes de destruction massive. Cela fut le prétexte à l’occupation militaire d’un pays ravagé, affaibli par des guerres successives et par un lourd embargo. La guerre déclenchée par l’Irak contre l’Iran de 1980 à 1988 avait été encouragée par l’impérialisme américain, soucieux d’affaiblir le régime des ayatollahs qui lui était hostile, dans cette région riche en pétrole. Puis la guerre du Golfe en 1991 avait été suivie de dix années de sanctions économiques, qui auraient provoqué la mort d’un million de personnes.

C’est au nom de l’instauration de la paix et de la démocratie qu’en 2003 un déluge de feu s’abattit sur l’Irak. Mais les bombardements et l’occupation américaine ne firent qu’ajouter un degré de plus à la destruction du pays. L’armée et l’administration irakiennes furent démantelées. L’administrateur américain Paul Bremer mit en place une Constitution dressant les Irakiens les uns contre les autres en fonction de leur appartenance confessionnelle ou ethnique. La population irakienne est composée à 60 % de chiites, à 20 % de sunnites et à 20 % de Kurdes. Les sunnites furent punis et marginalisés pour leur soutien supposé au régime de Saddam Hussein. Les autorités d’occupation s’appuyèrent sur les forces politiques chiites, censées leur être acquises après les persécutions qu’elles avaient subies à l’époque de Saddam Hussein. Parmi elles se trouvaient des partis religieux chiites, comme le parti Dawa soutenu par l’Iran.

Cette occupation créa une situation explosive, débouchant sur un affrontement entre communautés. Elle favorisa l’arrivée et l’essor de nombreuses milices djihadistes recrutant au sein de la population sunnite. Parmi les plus violentes, celle d’Al-Qaida, après avoir pris pour cible l’armée d’occupation, lança ses attaques contre les chiites. En représailles, les populations sunnites furent prises pour cible par les milices chiites et le chaos se généralisa, plongeant l’Irak dans une guerre confessionnelle. Les violences n’étaient pas le fait des populations sunnites ou chiites, mais bien celles des milices qui par la terreur leur imposaient leur autorité.

En 2008, cette guerre s’acheva par la victoire des milices chiites soutenues à la fois par l’Iran et les États-Unis. Elles prirent le contrôle de Bagdad et chassèrent la majeure partie des populations sunnites de la capitale. Les attentats ne cessèrent pas mais, pour s’en protéger, les autorités américaines s’étaient constitué une enclave à Bagdad, la « zone verte », au centre de laquelle ils érigèrent la plus grande ambassade du monde, et où vivaient les classes dirigeantes irakiennes.

En 2011, année des printemps arabes, le président américain Obama décida le retrait progressif des troupes américaines d’Irak. Le bilan était désastreux. Les destructions opérées par les bombardements américains n’étaient toujours pas réparées. La majorité des réseaux d’eau et d’électricité étaient hors-service. Le pays s’était vidé de ses cerveaux, dont beaucoup, médecins, enseignants ou autres, avaient fui le pays.

La guerre contre Daech renforce les milices

Al-Qaida en Irak semblait vaincue, mais une nouvelle milice née en son sein, l’organisation de l’État islamique, ou Daech selon son acronyme arabe, prospéra à la faveur de la guerre en Syrie. Elle réinvestit l’Irak, réussissant en juin 2014 à prendre Mossoul, la deuxième ville du pays. Son dirigeant, al-Baghdadi, prétendait venger les populations sunnites et affichait l’ambition de construire un califat à cheval sur la Syrie et l’Irak. L’armée irakienne, gangrenée par la corruption et incapable du moindre combat, s’était littéralement évanouie.

Face aux progrès fulgurants des troupes de l’État islamique qui menaçaient Bagdad, Obama mobilisa ses alliés, dont la France, pour une nouvelle intervention militaire. L’Iran de son côté organisa et mobilisa des milices chiites sous la direction du général Soleimani, pour combattre l’État islamique en Irak et en Syrie. Une nouvelle fois, les États-Unis et l’Iran se retrouvaient alliés pour sauvegarder un régime qu’ils parrainaient et qui préservait leurs intérêts respectifs.

En 2018, Trump annonçait officiellement la victoire contre les troupes de l’État islamique et un retrait programmé des forces américaines de Syrie et d’Irak. Mais la guerre contre Daech laissait le pays dans un état de complète déliquescence. Les milices avaient pris une importance jamais atteinte. Après les horreurs commises par les milices chiites lors de la guerre de 2006-2008, leur victoire contre Daech leur redonnait une légitimité qu’elles tiraient aussi de l’État, celui-ci leur ayant attribué des pouvoirs de police sur tous les territoires repris aux djihadistes.

Les milices, un État dans l’État

Les milices sortaient de cette guerre renforcées numériquement, politiquement et financièrement. Au nombre d’une cinquantaine, regroupées au sein de Hacht al-Chaabi (Forces de mobilisation populaires), elles comptent aujourd’hui quelque 150 000 hommes et disposent d’un budget de 2,2 milliards de dollars ! Toutes plus ou moins proches de l’Iran, dirigées par Hadi al-Amiri et jusqu’en janvier par le général Soleimani, leurs moyens militaires sont considérables. Elles disposent de chars, d’hélicoptères, d’un état-major et de leurs propres services de renseignement. Elles sont présentes dans tous les rouages de l’État, dont la police fédérale. Entendant bien défendre leurs intérêts et monnayer leur victoire contre Daech, elles ont obtenu en 2016 d’être intégrées aux forces nationales, tout en conservant leur autonomie vis-à-vis du commandement irakien.

Les partis religieux et les milices qui leur sont liées contrôlent le pouvoir à tous les niveaux, des ministères au niveau local, ainsi qu’au Parlement. Ils utilisent l’argent public pour leur propre bénéfice et celui de toute une clientèle qui dépend d’eux. Leur emprise sur la société irakienne a décuplé une corruption déjà importante. Le moindre poste de fonctionnaire s’achète, depuis celui de ministre jusqu’à celui d’employé. Sur le plan économique, les partis et les groupes armés contrôlent une partie croissante de la rente pétrolière. Ils ont également la mainmise sur des réseaux d’importation grâce au contrôle des douanes. Le ressentiment de la population à l’égard de ces pratiques, qui mêlent les intérêts iraniens et ceux des élites politico-militaires irakiennes, est énorme.

Dans la région de Bassora, qui fournit 90 % des exportations pétrolières du pays, la population est à l’abandon. Elle souffre du manque d’infrastructures, de coupures d’eau et d’électricité, de l’épuisement et de la pollution des nappes phréatiques. Le chômage est massif et d’autant plus mal accepté que les travailleurs irakiens sont écartés des emplois liés au secteur pétrolier au profit de cadres étrangers et d’une main-d’œuvre asiatique. Cela avait déjà donné lieu à une révolte durant l’été en 2018, mais les promesses d’établir des quotas d’emplois irakiens n’ont jamais été respectées.

Désastre économique et inégalités sociales

Les compagnies pétrolières internationales exploitent le pétrole en association avec les partis religieux chiites et leurs milices. Ces derniers contrôlent les douanes et ont la haute main sur le port et l’aéroport. Ils prélèvent leurs commissions sur chaque transaction commerciale et sur chaque contrat de travail. Par le biais de cette corruption, des milliards ont été engloutis au profit d’une classe de riches issus du clergé, des partis et des milices, dont la situation est bien loin de l’extrême pauvreté qui touche la population.

On estime que, depuis 2003, pas moins de 410 milliards de dollars auraient été détournés, soit près de deux fois le PIB du pays en 2018. Ce chiffre officiel que tous les Irakiens connaissent alimente la colère et rend intolérables l’effondrement économique du pays et la détérioration des conditions de vie.

Alors que le PIB par habitant était de 7 000 dollars en 1990, il n’était plus que de 4 990 dollars en 2017. L’Irak est un pays où 60 % de la population a moins de 25 ans. Les jeunes qui ont déclenché le mouvement venaient des quartiers pauvres qui ceinturent la capitale. 40 % d’entre eux sont au chômage. Les étudiants qui les ont rejoints se considèrent sans avenir. Diplôme en poche, ils ne trouvent que des petits emplois dans le secteur informel. Tous ces jeunes n’ont connu que les privations et la guerre, et certains doivent subvenir aux besoins de leur famille, après le départ ou la mort du père lors des combats qui ont ensanglanté l’Irak depuis 2003.

Ces guerres ont aussi détruit le tissu industriel du pays, qui comptait de nombreuses usines et une classe ouvrière importante. Aujourd’hui, presque toutes les marchandises consommées sont importées de Chine, de Russie et surtout d’Iran, qui considère l’Irak comme un marché vital pour écouler ses produits. Les nombreuses sociétés que l’Iran a implantées en Irak sont un moyen de contourner l’embargo américain.

L’économie du pays est dépendante du pétrole, plus de 90 % de ses ressources provenant de l’exportation des hydrocarbures. Durant la décennie 2003-2014, avec un prix du baril au-dessus de 100 dollars, le gouvernement avait répondu au chômage par des embauches dans le secteur public. Dans ce pays de 42 millions d’habitants, un travailleur sur deux est embauché par l’État, soit sept millions de personnes. Mais, avec la chute des cours pétroliers survenue en 2014, l’État ne dispose plus des mêmes marges de manœuvre et s’est lourdement endetté.

Les conséquences pour la population sont désastreuses. Les services publics sont à l’abandon. On ne trouve pas de médicaments dans les hôpitaux, qui sont en nombre insuffisant. Tous les enfants n’ont pas accès à l’éducation. Dans certaines classes, les élèves n’ont ni chaises ni tables pour étudier. Mille établissements ont été entièrement ou partiellement détruits. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance estime qu’il faudrait 7 500 écoles supplémentaires pour accueillir dignement tous les enfants. Faute de place, un tiers des écoles irakiennes ont dû mettre en place jusqu’à trois rotations par jour pour accueillir leurs élèves. Malgré cela, cette année 130 000 enfants n’ont pas été scolarisés.

Quelles perspectives ?

Se nourrir, avoir un toit, avoir accès à l’eau potable est un défi quotidien pour des millions d’Irakiens. Avec l’annonce de la défaite de Daech et le retour à une paix relative, les aspirations à une vie digne et libre sont revenues au premier plan. Elles se sont exprimées essentiellement dans les régions chiites, peu affectées par les combats.

Les habitants des régions kurdes et sunnites, théâtres de la guerre contre Daech, sont encore sous le choc. Au total, 1,8 million de personnes ont dû quitter leur maison et un tiers vivent toujours dans les camps. La ville de Mossoul, libérée en 2017, ne se relève pas des destructions. L’Irak a aussi vu affluer des centaines de milliers de réfugiés syriens. Et puis la peur est toujours présente, la défaite de Daech ne signifiant pas que tous les djihadistes aient disparu et leurs cellules dormantes pouvant se réactiver à tout moment. Cela explique que ces populations soient restées à l’écart de la contestation, même si elles partagent la même révolte contre le régime confessionnel, la corruption et l’ingérence des puissances étrangères.

Cinq mois après le début de la contestation, le mouvement se poursuit, avec ses occupations de places, ses manifestations et ses blocus d’universités et de routes. Les manifestants maintenant rejettent le nouveau Premier ministre Mohammed Allawi, qui a été deux fois Premier ministre dans le passé. Malgré les manœuvres des partis politiques et une répression qui a fait à ce jour plus de 600 morts et 25 000 blessés, les jeunes engagés dans le combat continuent de défier le pouvoir. Ils savent que chaque manifestation, chaque blocus peut se terminer dans le sang. Leurs leaders sont poursuivis, traqués, menacés de mort par les forces de sécurité et par des milices armées jusqu’aux dents.

Après des années marquées par les interventions militaires, les guerres extérieures et les guerres civiles, les périodes d’embargo économique, les déplacements de population, les bombardements et les massacres, l’Irak est un pays détruit. L’économie, relativement développée jusqu’aux années 1980, a connu un énorme recul. Les ressources du pays sont mises en coupe réglée par des clans politico-mafieux liés à des puissances voisines ou à l’impérialisme. Alors, la jeunesse irakienne lutte contre cette situation avec courage, et avec l’énergie du désespoir. Sur la base de l’expérience passée, elle ne fait plus confiance aux forces politiques existantes, qui toutes ont une part de responsabilité dans cette catastrophe, et avec raison elle ne voit d’issue que dans sa propre révolte.

Pour mettre fin à la domination de l’impérialisme sur le Moyen-Orient, qui se traduit par la multiplication des situations de crise et de guerre, il faudra abattre les régimes qui se partagent la région et les classes possédantes qui les appuient. Seule une révolution prolétarienne à l’échelle de la région le rendra possible ; c’est dans cette voie que la révolte de la jeunesse irakienne doit apprendre à se diriger. Il n’y a pas d’autre issue réelle à la situation insoutenable qu’elle vit, tout comme le reste de la population et celle de nombreux pays voisins, de l’Iran à la Syrie et au Yémen, de l’Égypte au Liban, à la Libye ou au Soudan, dont la situation devient tout aussi insupportable.

17 février 2020