Retour à Malthus

Εκτύπωση
13 décembre 1996

On est revenus aux théories de Malthus avec un autre vocabulaire.

La crainte de la surpopulation est, en effet, une vieille lune. Elle fut théorisée par l'économiste anglais Malthus à la fin du XVIIIe siècle, en 1798. Pour lui, l'accroissement de la population suivant une progression géométrique tandis que celle des ressources ne suit qu'une progression linéaire, on finit forcément par atteindre une "limite des subsistances", donc une crise, entraînant normalement l'élimination de l'excédent... Il a résumé cela de façon imagée : "Un homme qui est né dans un monde déjà occupé, s'il ne lui est pas possible d'obtenir de ses parents les subsistances qu'il peut justement leur demander, et si la société n'a nul besoin de son travail, n'a aucun droit de réclamer la moindre part de nourriture et, en réalité, il est de trop."

Autrement dit, tout homme qui n'est pas né gosse de riche et qui n'est pas jugé utile aux profits du patronat sur le marché du travail du moment, est tout simplement... de trop sur la terre. Malthus concluait lui-même : "Au grand banquet de la nature, il n'y a point de couvert disponible pour lui ; elle lui ordonne de s'en aller (...)".

La nature a bon dos. Cet homme, qui, soit dit en passant, était pasteur anglican, s'exprimait avec toute la brutalité des prophètes du capitalisme naissant, et il n'était pas seul à penser ainsi, à une époque où bien des bourgeois anglais s'effrayaient du nombre de miséreux concentrés dans les villes industrielles.

Mais, quand un Lester Brown écrit aujourd'hui que la "capacité de charge" de la terre est limitée par la quantité de nourriture disponible, il a la même brutalité. Et sa "solution" a la même odeur de mort. Il l'a indiquée dans une interview au journal "Le Monde" : "Dans la mesure où on ne peut plus augmenter l'offre, il faut agir sur la demande, pour la contrôler et la faire baisser"... L'économie capitaliste n'est plus trop intéressée par l'accroissement des investissements productifs (l'offre) pour accroître ses profits, mais elle est en revanche intéressée à imposer l'austérité aux masses, y compris celles qui sont déjà les plus démunies. Il faut faire baisser la demande alimentaire des crève-la-faim !

Dans cet esprit malthusien, les écologistes emploient l'expression de "population limite" limite en fonction des possibilités de subsistances. Pour la calculer, ils partent des données du présent, en un instant donné et en un lieu donné. On peut se demander comment ils peuvent utiliser de telles données pour faire des prédictions à long terme ? C'est d'autant plus absurde lorsqu'ils définissent leur "population limite" pays par pays, en faisant abstraction des échanges avec le reste du monde.

C'est une façon de voir foncièrement conservatrice. Toutes choses restant égales par ailleurs, disent-ils, la population de l'Afrique va à la catastrophe et à des famines généralisées vu son rythme d'accroissement actuel. Ils n'envisagent en aucun cas une modification de l'ordre social existant.

Des organismes des Nations Unies, comme la FAO qui vient de tenir congrès à Rome, ont une manière de calculer la "population limite" qui mérite l'attention : on découpe l'ensemble du globe en zones homogènes, des carrés d'environ 100 km de côté en l'occurrence. Pour chacun des carrés, en fonction du climat, des sols, etc., on calcule le rendement agricole pour trois niveaux de technologie. Ce qui, transformé en calories, aboutit à chiffrer le nombre d'hommes pouvant vivre sur chaque carré ! !

Ce genre d'exercice doit occuper un bon nombre de bureaucrates et d'informaticiens, mais il a quelque chose de fou. De toute façon, les hommes ne vivent pas isolés, en autarcie, dans des carrés de 100 km de côté !

De plus, un certain nombre de démographes admettent eux-mêmes que leurs méthodes sont parfois discutables et leurs prévisions... contestables. L'un d'eux parmi quelques autres, Hervé Le Bras, fournit ainsi un exemple qui se rapporte à la première carte qui fut établie pour montrer la croissance de la population à l'échelle du monde entier, en 1925. La population était censée s'accroître le plus vite aux USA, en Europe centrale et orientale, en Russie, tandis que l'ensemble de l'Afrique noire et de l'Asie, y compris la Chine et l'Inde, était supposé stagner.

Or, en 1990, sur les cartes des taux de croissance de la population, la répartition est à peu près exactement inverse. Les populations d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine sont passées d'un milliard et demi en 1945 à quatre milliards en 1990.

La carte de 1925 était donc grossièrement inexacte, mais elle reflétait la pensée de son auteur, Britannique qui envisageait le peuplement de la planète par la colonisation de l'homme blanc.

En fait, les prédictions démographiques sur le long terme sont souvent des projections largement arbitraires, biaisées par l'idéologie dominante ou des soucis de propagande. Et quand des écologistes prétendent étayer par ce genre de chiffres leurs conceptions néo-malthusiennes, ce sont davantage des préjugés de classe qu'ils expriment que des préoccupations environnementales.

Celles-ci ne peuvent pas recevoir de solutions sérieuses et efficaces dans le cadre d'un système sans avenir. Et le mouvement écologiste n'a pas connu en France le développement que d'aucuns attendaient. Les problèmes croissants de la crise et du chômage tendent à marginaliser ce type de préoccupations, y compris au sein de la jeunesse petite-bourgeoise elle-même.