Haïti - Cyclone Jeanne: phénomène naturel, mais catastrophe annoncée

Εκτύπωση
Septembre-Octobre 2004

Au passage du cyclone Jeanne, le samedi 18 septembre, au large d'Haïti, une pluie diluvienne et longue s'est abattue sur la partie Nord du pays. Du coup, les rivières sont entrées en crue, des trombes d'eau ont dévalé les mornes charriant des pans entiers de montagne en direction des plaines, dévastant tout sur leur passage.

L'eau, avec une violence extraordinaire a emporté hommes, maisons, animaux, bétails, récolte, cultures. Dans ce déferlement, des villages entiers ont été décimés, des villes dévastées: Port-de-Paix, Chansolme, Plaisance, Pilate, Ennery, Gonaïves et les vallées inondées. Le bilan, toujours provisoire, est de 2000 morts.

Gonaïves sinistrée

La vallée de l'Artibonite est particulièrement inondée, la Savane Désolée n'est plus qu'une vaste mer. La ville des Gonaïves entre la mer et la montagne, a été la plus sévèrement touchée: pas une maison qui ne soit inondée, les morts et les blessés se comptent par milliers, les sans-abri par centaines de milliers.

Trois jours après la catastrophe, les seules nouvelles de Gonaïves étaient des vues aériennes de la ville transformée en marécage, de survivants entassés sur les toits des maisons encore debout, aucun contact avec la population n'était établi. À Port-au-Prince, l'État ne pouvait même pas répondre du sort des habitants de l'île de La Tortue.

Le Président, en balade aux États-Unis, tend sa sébile aux tribunes de l'ONU tandis que le bilan des victimes ne cesse de s'alourdir. Il a décrété trois jours de deuil national, "tout en vaquant à nos occupations!" sans que personne ne sache en quoi cela consistait! Il a également décrété l'état d'urgence pour Gonaïves, là aussi sans aucune base concrète, en particulier pour les sinistrés qui crèvent de faim et de soif.

Les témoignages parlent des survivants hagards, se traînant dans une eau boueuse et pestilentielle où s'enchevêtrent cadavres d'animaux et d'êtres humains en putréfaction, dans une ville sans eau potable, et sans électricité.

Les premiers secours arrivés sur place le cinquième jour furent des O.N.G. tels Médecins du Monde ou Médecins Sans Frontières qui témoignèrent de leur désarroi devant une telle hécatombe. La situation est telle qu'un habitué de ces situations disait que c'était pire que ce qu'il avait connu sur des sites de guerre ou de tremblement de terre! La population n'avait aucun moyen de cuire les premiers aliments arrivés sur place. L'inondation était telle que les premiers camions de secours se renversèrent dans des ravins faute d'apercevoir la route sous l'eau.

Cinq jours après, Gonaïves est encore inondée par endroit, car l'eau ne peut s'écouler; la ville est une vaste poubelle où s'entassent les débris de toutes sortes. La ville est paralysée, la population dans les rues, désespérée, à la recherche d'eau et de nourriture. Les gens ont absolument tout perdu, ils sont blessés, fracturés, les pieds gonflés par l'eau, mais ils manquent de soins. L'hôpital de la Providence a été dévasté et la plupart des 300 patients sont morts ainsi que des membres de l'équipe soignante.

Dans ce qui reste de l'hôpital, ce sont les cadavres qui s'entassent dans une cour en plein soleil; d'autres dégagent une odeur pestilentielle dans des maisons que l'on ne peut encore ouvrir, par peur ou parce qu'elles sont emprisonnées de boue. Voilà toute l'horreur qui règne à Gonaïves. On ne peut encore aujourd'hui établir un véritable bilan des victimes de la catastrophe ni à Gonaïves ni ailleurs. Dans le Nord du pays, il y a des villages qui ont disparu, des cadavres venus de Port-de-Paix, emportés par la mer, s'entassent sur les rivages de La Tortue. Mais déjà les organisations sur place prédisent une nouvelle hécatombe, car toutes les sources étant polluées entre autres par le débordement des latrines, la population sinistrée utilise de l'eau souillée. Tous les facteurs sont réunis pour une propagation d'épidémie de dysenterie ou de choléra chez une population déjà affaiblie.

La catastrophe naturelle, révélatrice de la catastrophe sociale permanente

Si les cyclones sont des phénomènes naturels se produisant chaque année à la même période, la catastrophe engendrée par Jeanne, cyclone d'ailleurs de faible intensité (classé 1 sur une échelle de 5) n'a rien de naturel. Les mauvaises conditions de l'environnement haïtien ont conduit à ce désastre majeur. Les collines ont été déboisées par des paysans pauvres pour qui le charbon de bois est le seul moyen de survivre. Des montagnes nues qui ne retiennent plus l'eau, des rivières jamais drainées, des canaux obstrués qui n'ont jamais connu le moindre curage, une urbanisation anarchique jusque dans les lits des ravins, c'est-à-dire une infrastructure inexistante, un État absent dans tout ce qui concerne une politique de sauvegarde de l'environnement ou de protection des populations. Une population laissée pour compte dans sa misère et sa détresse, qui se débrouille comme elle le peut pour survivre ne serait-ce qu'aux dépens de la nature. Pendant l'embargo de 1992-1994, les paysans mouraient de faim, et le déboisement s'est accentué de façon vertigineuse; pendant ce temps, la bourgeoisie haïtienne s'enrichissait davantage en pratiquant le marché noir. C'est elle la responsable de la catastrophe! C'est elle qui maintient la population haïtienne dans une misère noire, c'est elle qui lui paye des salaires de misère, qui vide les caisses de l'État en demandant toujours plus sans rien donner en contrepartie. Ce sont les représentants de la bourgeoisie qui, dans l'État, entérinent ses décisions et pillent le reste de la caisse. Il ne reste alors plus rien pour le bien-être commun, même pas de quoi installer un minimum d'infrastructures pour le bien-être de tous. Aujourd'hui, une des priorités serait de drainer au plus vite rivières et canaux afin de permettre l'évacuation des eaux dans Gonaïves et assainir la ville, mettre à contribution les industriels producteurs d'eau potable, mais l'État complètement déliquescent ne fait rien, sinon lancer des appels à l'aide internationale. Il a déjà créé un Comité Provisoire destiné à "recevoir et coordonner l'aide nationale et internationale", par contre aucune action concrète en direction des sinistrés.

Ce n'est pas le cyclone Jeanne qui a dévasté le pays, c'est la bourgeoisie haïtienne et étrangère qui l'a ruiné et laissé exsangue, démuni face à la moindre intempérie. Ce sont les grandons qui dépouillent systématiquement les paysans pauvres de leurs lopins de terre et les appauvrissent de plus en plus. Dans toute la Caraïbe, c'est la misère qui tue le plus pendant les cyclones. Même aux États-Unis, la plupart des victimes faisaient partie de la population la plus pauvre, de celle qui faute de moyens vivait dans des "mobil homes".

Après nous, le déluge! Telle est la devise des bourgeois. Haïti en est malheureusement la preuve vivante avec la catastrophe vécue par Gonaïves et d'autres villes du Nord. La sonnette d'alarme est déjà tirée pour d'autres villes, en particulier Port-au-Prince.

Et comment ne pas être révolté du cynisme des dirigeants de ces grandes puissances, la France et les États-Unis en particulier, qui ont une lourde responsabilité passée et présente dans la pauvreté d'Haïti, qui osent se vanter de "l'aide" qu'elles apportent, alors qu'elles ne jettent que quelques miettes? Une infime fraction des moyens déployés par les États-Unis pour mener leur guerre en Irak suffirait pour faire face aux besoins les plus urgents, en nourriture, en équipements sanitaires, pour redonner un abri à ceux qui n'en ont plus. Et Haïti n'est pas à l'autre bout du monde, mais à deux pas des côtes américaines. Mais rien! Il est vraiment pourri leur monde, cette organisation capitaliste qu'ils présentent comme la meilleure possible.

Pour faire face aux urgences, il faudrait réquisitionner tous les moyens disponibles, ainsi que l'argent nécessaire, en les prenant là où ils sont accumulés, dans les entreprises privées, dans les coffres-forts ou sur les comptes bancaires des plus riches. Il faudrait réquisitionner tous les stocks alimentaires chez les importateurs, chez les grossistes, dans tous les magasins qui ne sont accessibles d'ordinaire qu'aux plus aisés. Il faudrait exproprier tous ceux qui osent spéculer en haussant les prix. Ce n'est pas ce gouvernement, lâche, impuissant et surtout, au service des riches, qui le ferait.

Mais au-delà des mesures d'urgence, combien de Mapou, Fond-Verrette, combien de Gonaïves faudra-t-il dans l'avenir, pour s'en prendre aux racines du mal? À cette organisation capitaliste qui, pour accumuler des richesses entre les mains de quelques dizaines de riches d'ici et des richesses autrement plus faramineuses pour quelques centaines de grandes sociétés, pille toute la planète, ruine, tue, affame des centaines de millions d'êtres humains?

Oui, il faudra une nouvelle guerre d'émancipation contre l'esclavage moderne, cet esclavage où les chaînes d'antan sont remplacées par la faim et la misère pour contraindre les hommes à accepter, voire à souhaiter, leur propre exploitation. Il faudra une lutte sociale puissante, bien au-delà de Haïti, pour débarrasser la planète des maîtres d'esclaves d'aujourd'hui. Il n'y a pas d'autre avenir pour les prolétaires d'aujourd'hui. Et ceux d'Haïti ont toute leur place à prendre dans cette lutte. C'est une question de vie ou de mort, au sens plein du terme.