Haïti - En s'organisant contre les exploiteurs, on saura se défendre contre les voyous armés!

Εκτύπωση
Mars 2005

Les articles qui suivent sont extraits de la Voix des Travailleurs, mensuel de l'Organisation des Travailleurs Révolutionnaires de Haïti. Ils ont été publiés dans l'édition du 15 janvier 2005. Un an après le renversement de la dictature d'Aristide, parrainé par les États-Unis et la France au nom du "rétablissement de la démocratie", les classes populaires du pays continuent à subir la loi des bandes armées et leur misère ne s'est en rien atténuée.

Sous la protection de ses hauts murs, de miradors entourés de sacs de sable, de gardiens armés, les parcs industriels SONAPI, SHODECOSA et la zone industrielle qui les entoure ont repris leurs activités. Les effectifs ont fondu, ce qui signifie des milliers d'emplois en moins, autant de familles ouvrières dans la détresse. Mais de Gelanex à Allied ou Drexco en passant par les factories de Richard Coles, AGC (propriété d'Apaid), etc. des dizaines d'entreprises tournent. Elles débitent leurs lots de pantalons, de robes, de maillots, de pièces électroniques, de ceinturons, de peintures ou d'objets artisanaux. Une bonne partie de cette production s'en va vers le marché international par le chemin le plus court, celui qui passe par l'aéroport international, sans même avoir à emprunter les cahots des routes qui, dès qu'on quitte la zone, sont dans un état lamentable.

Mais des produits qui sortent, cela signifie, aussi, des profits qui rentrent. Même en fonctionnement limité, la zone industrielle est avant tout cette machine à profits qui enrichit les Mews, les Apaid, les Backer, les Coles, les Madsen et les actionnaires anonymes des quelques grandes sociétés américaines, françaises ou belges que les incertitudes politiques n'ont pas découragées de prélever leur part de dividendes sur un pays exsangue. Le profit dégagé de l'activité industrielle s'ajoute à celui, plus considérable sans doute, de l'import-export et des trafics en tout genre pour se diriger vers les grandes banques de la place qui, à leur tour, alimentent de leurs ruisseaux le grand fleuve de la finance internationale.

Malgré les criailleries de la bourgeoisie dont certains représentants, comme Boulos, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie, ont le culot de prétendre que leurs compères ont été les principales victimes de "la catastrophe de mars 2004", les affaires continuent à tourner rondement pour la classe possédante. Pendant que le pays plonge dans l'abîme, la minorité riche continue à s'enrichir.

Mais les travailleurs? Même pour celles et ceux, une minorité, qui ont retrouvé du travail, la situation est dramatique. Le pouvoir d'achat de salaires, déjà très bas, ne cesse de baisser encore car les prix augmentent. Les conditions de travail sont déplorables. Les patrons et leurs sous-fifres de superviseurs traitent les travailleurs comme des chiens car ils savent que, pour un mis à la porte, ils en retrouveront dix qui cherchent à se faire embaucher. La moindre maladie est une catastrophe, comme l'est la vieillesse, comme l'est de perdre simplement son travail. La vie dans les quartiers populaires devient invivable, sans eau courante souvent, sans électricité si ce n'est par intermittence, les rues devenant des pistes poussiéreuses ou boueuses selon le temps qu'il fait, et les piles de fatras s'accumulent.

Tout cela n'est pas nouveau: depuis vingt ans, les présidents et les régimes se sont succédé, de Duvalier à Boniface, sans que rien n'y change, si ce n'est en mal. Les uns ont été des dictateurs infâmes, en uniforme ou pas. D'autres, des pantins impuissants entre les mains de l'armée ou des États-Unis. Seul Aristide a éveillé un immense espoir parmi les pauvres, mais cet espoir, sans cesse repoussé, s'est transformé en désillusion. Ennemis ouverts des travailleurs pour la plupart d'entre eux, ou faux amis, aucun de ces présidents n'a amélioré la situation des classes exploitées.

Ce sont encore les classes populaires qui payent le tribut le plus élevé à l'insécurité, c'est-à-dire à la guerre entre les bandes armées officielles de la police et les bandes armées chimères qui affirment se battre pour le retour d'Aristide. L'insécurité est devenue un des éléments de la dégradation de la condition ouvrière, car chacun risque l'agression en se rendant au travail ou en en revenant. Pour les habitants de la Cité-Soleil, de Bel-Air, de Cité de l'Éternel, Fort-National, Poste-Marchand, quelles que soient leurs sympathies politiques, l'insécurité est devenue un facteur aggravant de la vie quotidienne elle-même, non seulement à cause des agressions directes ou des balles perdues, mais parce qu'elle détruit toute vie sociale, parce qu'il est dangereux d'être dehors à certaines heures, parce que l'approvisionnement devient quasi impossible avec les petits marchands qui risquent leur vie en plaçant leurs étals, parce que même le peu de ramassage de détritus qu'il y avait en d'autres temps est abandonné.

Les deux bandes armées, la police officielle et les chimères, mènent leur guerre toutes les deux avec la peau des autres, avec celle de la population pauvre. Les uns prétendent représenter le pouvoir officiel, la "légitimité", le "retour à l'ordre". Ils bénéficient du soutien des riches et, derrière eux, des grandes puissances tutélaires. Les autres prétendent représenter une autre légitimité, celle du seul président réellement élu de ce pays, déposé par l'étranger. Mais ils ont le même mépris de la population, les mêmes méthodes de gangsters. Par-delà leurs affrontements directs, chacun essaie de prendre le contrôle de la population en la terrorisant. Il est aussi dangereux d'avoir affaire à un groupe de policiers qu'à une bande de chimères.

Des centaines de familles ouvrières ont dû abandonner leurs maisons de Cité-Soleil pour ne plus être rançonnées et agressées par les chimères ou pour ne pas être blessées ou tuées dans les fusillades entre Boston et Bois-Neuf. Les habitants de Village de Dieu, bidonville près du Bicentenaire, eux, sont poussés à déménager par la police qui annonce une opération massive "contre les bandits qui avaient mis la main sur le quartier", en affirmant qu'elle ne fera pas le détail et considérera comme des bandits tous ceux qu'elle trouvera sur son chemin. Les pauvres sont pris entre deux feux et ni les policiers, ni les chimères ne les ménageront. Ils n'ont pas d'autre choix que de fuir, avec leurs enfants et leurs maigres affaires. Mais pour aller où?

Les méthodes utilisées, la terreur, les assassinats, les viols, les enlèvements pour consolider leur pouvoir ou pour le reconquérir montrent que, quel que soit le vainqueur, ce sera un pouvoir contre les travailleurs, contre la population pauvre. Si c'est la police officielle, aidée par les débris de l'ancienne armée et assistée des troupes de la MINUSTAH, qui l'emporte et parvient à liquider les chimères, il y aura peut être "l'ordre légal" souhaité par les dirigeants de ce pays et leurs protecteurs américains ou français. Ce sera un ordre qui protégera peut-être plus efficacement la fortune des riches, mais qui laissera la police, pourrie de corruption, violant, faire ce qu'elle veut contre la population pauvre. Un "ordre légal" à la tonton macoute... Et si la police ne parvenait pas à s'imposer, comme elle n'y parvient pas depuis près d'un an, ce sera une sorte de partage de territoire, une entente implicite et peut-être même explicite, les chimères faisant la loi dans certains quartiers avec la bénédiction discrète du pouvoir. Les patrons se feront une raison que leurs travailleurs risquent de se faire assassiner pour venir se faire exploiter à moins de 2 dollars par jour. Les patrons savent qu'il y en a toujours pour venir, car les travailleurs n'ont pas le choix, il faut bien gagner de quoi faire survivre sa famille...

Les travailleurs, les chômeurs, les petits marchands n'ont rien de bon à attendre, ni d'un côté ni de l'autre, si ce n'est des coups, toujours des coups, en plus de l'exploitation qui les maintient dans la misère. Pourtant, ils constituent à eux tous la grande majorité de la population de la capitale. Sa composante active, aussi, la seule utile pour la société avec la classe laborieuse des campagnes. C'est leur travail quotidien qui fait que l'économie, que la société fonctionnent encore, mal, mais fonctionnent. Ils devraient être les premiers à avoir droit à une vie convenable, à se nourrir et à se loger correctement, à assurer à leurs enfants une éducation convenable. Mais les parasites grands et petits qui se multiplient sur leur dos ne leur permettront jamais de réaliser cette aspiration pourtant élémentaire.

Ce n'est pourtant pas une fatalité qu'il en soit ainsi jusqu'à la fin des temps. Cela peut même changer brutalement, le jour où les masses exploitées n'acceptent plus ce qu'elles ont subi la veille. Car quelle que soit la force apparente de l'État et de ses hommes armés, ils ne font pas le poids face aux masses dès lors qu'elles agissent. Feu Duvalier pourrait en témoigner...

Jusqu'à présent, il n'a jamais existé dans ce pays une formation politique qui se propose d'organiser les exploités en force collective, non pas pour soutenir tel ou tel homme politique, non pas pour porter à la présidence un beau parleur qui les trahit dès qu'il est installé dans le fauteuil bourré, mais pour imposer leurs propres intérêts de classe, leur droit à une existence contre tous les parasites du travail humain: grands patrons, grandons, banquiers, leurs hommes de main, leurs politiciens véreux et tous les petits parasites qui vivent à l'ombre des grands.

Pourtant, là est la seule voie acceptable pour les travailleurs, pour les exploités. Et quand les travailleurs, à commencer par ceux de la zone industrielle, apprendront à s'organiser contre leurs patrons, à se battre collectivement pour des salaires corrects et pour des conditions de travail acceptables, ils se rendront compte de leur force et de l'efficacité de l'action collective. C'est en se faisant respecter là où ils sont forts, là où ils sont des milliers avec les mêmes revendications, les mêmes aspirations, qu'ils retrouveront le sentiment de solidarité qui leur permettra, aussi, de s'organiser pour se faire respecter dans leurs quartiers contre les voyous armés, en uniforme ou pas. S'organiser autour de nos intérêts de classe, nous défendre contre l'exploitation patronale, défendre notre sécurité dans les quartiers populaires, opposer la solidarité entre exploités à la décomposition de la société, font partie d'un seul et même combat!

La population de Pont-Rouge et de Chancerelles sous les exactions des chimères et de la police nationale

Les quartiers de Pont-Rouge et de Chancerelles, situés entre le carrefour de l'Aviation (début de l'autoroute de Delmas) au sud et la HASCO, Haitian-American Sugar company (une ancienne usine sucrière), au nord, La Saline à l'ouest et l'ancienne piste de l'ex-aviation militaire, sont occupés par les bandits de la police le jour et les chimères le soir.

Très tôt le matin, les riverains de la zone se réveillent toujours sous les bruits des tirs des policiers qui perquisitionnent certaines maisons pour trouver des bandits qu'ils prétendent chercher. Ainsi, ils arrêtent et tuent des prétendus bandits et des innocents qui n'ont rien à voir avec les actes des chimères. Au début du mois de décembre dernier, deux jeunes hommes sont retrouvés morts, dont un élève avec un cahier où il étudiait et un cireur de bottes derrière sa boîte contenant les produits à cirer. Le 13 janvier 2005, dans un affrontement entre les bandits et les policiers, presque une dizaine de maisonnettes ont été incendiées avec des lance-flammes, plus de 6 personnes tuées et plusieurs blessées sous les balles des agents de la Cimo et des bandits qui commençaient de bonne heure à opérer en même temps.

À cinq heures de l'après-midi de chaque jour, les riverains sont obligés de fermer leurs portes sous la pression des bandits armés, souvent des voyous, habitants de la zone. Ces malfrats, pour opérer, imposent à la population de rentrer chez elle sinon eux aussi ils seront victimes des chimères. Ces derniers occupent la zone avec des armes blanches telles que couteaux et machettes et armes de poing pour rançonner et violer les gens qui voudraient traverser ce lieu en sortant en ville pour se rendre soit vers Cité-Soleil ou vers d'autres contrées. Dans la plupart des cas, selon les déclarations des habitants de la zone, ils violent les femmes et bastonnent les hommes après les avoir dépouillés de tout ce qu'ils avaient. Ceux qui logent près de la route nationale n° 1 entendent les bruits des femmes qui pleurent et des hommes qui tentent de s'échapper des mains des bandits.