Banlieues 2005 et commentaire du texte d'orientation de la minorité -Roger Girardot

Εκτύπωση
Février 2006

Nous ne reviendrons pas sur tout ce que les commentateurs, parmi les moins hostiles à la jeunesse des quartiers difficiles, ont pu dire sur le fond social de ces événements.

L'habitat concentrationnaire, le manque d'emplois à l'échelle locale et nationale, le bas niveau de revenus, des logements souvent surpeuplés et dégradés, le racisme, tout cela, non seulement existe, mais crée la conviction, pour ceux qui justement ne s'en sortent pas, que toute la population qui habite ces quartiers est rejetée, n'a pas accès à ce que la moyenne de la population connaît. La conviction aussi pour les jeunes, qu'ils ne pourront jamais s'intégrer.

Cela, c'est le fond social et nous le dénonçons depuis longtemps.

Nous n'allons pas rediscuter comme si nous le découvrions puisque ça fait des années que nous le dénonçons.

Nous avons parlé de la forme que ces révoltes ont prise. Et ce n'est pas nouveau, les premiers incendies de voitures doivent dater des années 1970 et en tout cas de 1982, un an après que Mitterrand soit arrivé au pouvoir. Et si c'était des gosses de 10 ans qui le faisaient en 82, ils ont 28 ou 33 ans maintenant.

C'est un phénomène qui se renouvelle, mais la forme que ça prend est bien souvent une forme par imitation, qui n'est pas raisonnée, qui est irrationnelle.

Il n'y a pas qu'eux qui agissent de façon irrationnelle. Il en est de même des ouvriers qui vont brûler des pneus de voiture parce qu'ils sont désespérés, qu'ils ne voient pas quoi faire, comment s'en sortir, de ceux qui vont barrer les autoroutes - bien qu'au plus grand plaisir des automobilistes s'ils les font passer gratuitement. Il en est aussi de même des paysans qui détruisent des tonnes de légumes chaque année au lieu de les distribuer aux plus pauvres. Pendant ce temps-là la banque alimentaire ou les Restos du Cœur font des collectes. Mais ces paysans s'en moquent, ils brûlent, ils arrosent de pétrole des fruits, des légumes, les pêcheurs font de même avec du poisson. Récemment des viticulteurs ont ouvert des cuves de vin. Et, pire il y eut ces ouvriers qui menaçaient d'empoisonner la rivière qui passe à côté, ce qui n'est pas une conscience de classe très évidente. Même si nous comprenons leur rage, leur rage impuissante, ce ne sont pas des actions que nous encourageons parce que ces actions ne vont pas dans le bon sens, mais tournent le dos à l'action collective et surtout utile.

Bien sûr, on peut dire, comme ceux des jeunes qui s'expriment, ceux auxquels on tend un micro, c'est parce qu'on a "la rage", "la haine" de tout ce qui les entoure, et tant pis pour ceux qui en sont victimes même si c'est les voisins, même si c'est leur famille ; il y en a même un qui a dit "on a brûlé la voiture d'un copain mais il ne nous en veut pas".

Il s'agit là d'explosions de colère indiscutablement, et ils considèrent que c'est le seul moyen d'attirer l'attention sur eux. Mais ce sont des réactions d'inconscience et cela il faut le dire quand même. Si on ne le dit pas, on ne joue pas notre rôle.

C'est bien la peine d'appeler à un mouvement d'ensemble, à la lutte de classe, etc. si même à la "jeunesse prolétarienne", entre guillemets, on ne dit pas qu'elle fait fausse route et que ceux-là ont repris les pires modes d'action qui se sont passés en marge du mouvement ouvrier. Les bris de machines par exemple, et plus proche de nous, ceux qui voulaient déverser des produits toxiques dans une rivière.

De la part des jeunes, c'est une réaction aveugle contre ceux avec lesquels ils vivent, voire les écoles, sans faire la différence entre les pompiers et la police - je cite la minorité -, les bus qui desservent leur quartier qu'ils font brûler avec parfois passagers et conducteur dedans, tous ces actes qui vont à l'encontre de leurs propres intérêts, de l'opinion que l'ensemble de la population peut se faire d'eux, montrent qu'ils sont loin du niveau de conscience qui caractérisait, pour les marxistes, le mouvement ouvrier. Parce que dire qu'ils peuvent "tomber" dans le lumpen prolétariat est faux car ils y sont déjà. Parce qu'il ne suffit pas d'être ouvrier, il faut avoir un minimum de conscience de classe. Bien sûr qui l'a aujourd'hui ? Personne ! D'accord, mais ce n'est pas à nous de les en féliciter.

Nous, nous devons leur dire que ce n'est pas ça qu'il faut faire. Bien sûr on peut dire qu'il faut inciter le mouvement ouvrier à déclencher un mouvement général qui ferait pousser en 24 heures, les dizaines de milliers de logements qui manquent dans des endroits vivables, qui ferait augmenter tous les salaires, qui créerait deux millions d'emplois, etc. etc.

Mais eux, ils ne sont pas partants pour ça parce que même s'ils y croyaient, ils sont pressés et à juste titre.

Le respect de l'outil de travail dans les grèves s'il prend des formes parfois opportunistes sous la pression des syndicats, est quand même la manifestation de la conscience de ne pas détruire le travail humain, surtout lorsque son produit peut servir à tous. Même dans les grèves, les camarades font attention à un certain nombre de choses qui consistent à ne pas détruire l'usine dans laquelle ils travaillent et pas seulement l'usine, parce qu'on pourrait aussi casser tout quand on fait grève à l'hôpital, jeter les ordinateurs par les fenêtres dans les assurances, etc. Or les ouvriers ne le font pas, les employés ne le font pas et à juste titre. Il y en a qui le font direz-vous, mais enfin ils vont plutôt saccager la perception d'à côté quand ils sont un petit peu plus conscients.

Nous ne discuterons pas de la politique du gouvernement car même au cours de cette crise elle est inexistante. Le gouvernement n'avait que des emplâtres sur des jambes de bois à proposer. Il fait des promesses pour cinq ans, dix ans, dont chacun sait qu'elles ne seront pas tenues et que dans cinq ans, dix ans, les quartiers seront les mêmes, peut-être un peu plus dégradés, c'est tout.

Parmi les mesures immédiates, il y a eu de rendre précipitamment aux associations de quartiers les crédits que l'État leur avait enlevés. Alors ça c'est vraiment la politique du gouvernement, à chaque fois, de Raffarin à Villepin, ils annoncent une mesure et après ils la retirent si ça va mal. C'est simplement parce que l'État ne gouverne pas le pays, il gouverne les intérêts de la bourgeoisie et strictement les intérêts de la bourgeoisie.

Je ne reviens pas sur le rapport de Georges Kaldy sur la mondialisation, mais, aujourd'hui que produire ne rapporte plus assez de profits, il faut que l'État en trouve des profits à distribuer et, pour gérer le pays, il lui faudrait l'argent qu'il utilise ailleurs. L'argent il l'a, ou il peut l'emprunter, parce que la dette ça sert à ça. Mais il ne pourrait l'utiliser pour la collectivité que sous la contrainte. Pas seulement d'un mouvement d'ensemble, mais sous la contrainte d'un mouvement social dangereux pour l'État et surtout pour la bourgeoisie !

Les ministres, les présidents, ça se remplace, ils sont là pour ça. Si la gauche ou la droite perd, la bourgeoisie s'en moque ! Les uns ou les autres font, fondamentalement, la même politique. Alors du point de vue de la bourgeoisie ce n'est pas grave. Il y a seulement à bien gérer ses intérêts, il y a à pressurer la population, il y a retirer des droits aux chômeurs alors que c'est la bourgeoisie qui en fabrique. Aujourd'hui ils viennent dire qu'on dépense trop en indemnités de chômage. Ils n'ont qu'à ne pas licencier, mais non, pour eux, il faut réduire le montant des indemnités de chômage et leur durée. La sécurité sociale c'est pareil, il y a trop d'arrêts maladie. Les travailleurs s'arrêtent trop souvent avec des bricoles, des tendinites, mais c'est l'intensité et la dureté du travail qui en sont la cause. Dans la presse, récemment, on évaluait ce qu'une caissière de supermarché soulève dans sa journée, ce sont des tonnes !

Donc ils ont rendu les crédits aux associations, mais ces associations, n'ont pas amélioré la situation de ces quartiers même quand elles avaient de misérables crédits, ni fait disparaître les sentiments de frustration.

D'ailleurs les crédits n'avaient été supprimés que très récemment et le travail de ces associations n'a pas empêché cette crise d'éclater. Et c'est parfois aux maisons de jeunes que les incendiaires s'en sont pris.

Les associations font un travail utile qui n'est pas négligeable mais vis-à-vis d'une minorité de jeunes qui ne sont pas les plus exclus. Les plus exclus on leur fait faire du foot ou de la boxe selon les vedettes sportives en vogue dans les quartiers. Et tout le monde veut devenir Zidane. Il y a 50 ans, tous les jeunes perdus voulaient devenir boxeur, c'était Cerdan la vedette. Ils allaient dans des salles de boxe minables se taper sur la figure et en sortir abrutis. Ce n'était pas une échelle sociale, c'était le genre d'échelle où on se cassait la figure.

Aujourd'hui Chirac nous dit "ces jeunes s'ennuient à l'école", on ne dirait pas qu'il est au pouvoir depuis si longtemps. Pourquoi, dit-il, puisqu'ils s'ennuient, les maintenir jusqu'à 16 ans au lieu de les mettre en apprentissage à partir de 14 ans ; ils pourraient avoir, je cite à peu près, la fierté de travailler de leurs mains, acquérir la solidarité avec les autres, fabriquer quelque chose, voire gagner un peu d'argent. Un peu, c'est la seule chose de vraie, vu que ce qu'on leur propose pour la première année d'apprentissage est de l'ordre de moins de 85 euros par mois. Même si ces jeunes ne savaient pas du tout compter, ils doivent bien sentir qu'on les escroque.

Mais le problème ce serait de se demander pourquoi ces jeunes, arrivés vers la fin de la scolarité obligatoire, ne veulent plus de l'école. D'ailleurs ce n'est pas tous qui ne veulent plus de l'école. Il y a des millions d'élèves. Le quart de la population est scolarisé entre l'école primaire et l'université. Les maternelles ne sont pas dans les statistiques. Ce chiffre est énorme. C'est une population hétérogène parce que ce n'est pas toutes les banlieues qui ont explosé, mais les jeunes des grands ensembles. Et en particulier des familles immigrées qui vivent dans de grands ensembles plus ou moins délabrés.

Le problème qui se pose et auquel nous devons réfléchir, c'est que la réaction de ces jeunes, c'est la désespérance, oui sans doute, il n'y a pas toujours eu deux millions et plus de chômeurs, certainement plus près de trois millions que de deux, et ça compte. Mais il faut bien voir que l'instruction qu'ils reçoivent, ni même celle qu'ils sont censés recevoir, n'est pas apte à en faire des adultes conscients, et l'État, là comme ailleurs, sacrifie les services publics indispensables.

Il y en a de plus indispensables que d'autres ! On peut être plus ou moins entassés dans les transports en commun.

Il y a quand même une majorité qui suit des études primaires voire secondaires mais qui n'atteint qu'un niveau faible. Il y a une fraction des jeunes qui arrive jusqu'au bout avec une culture suffisante, qui font des études qui débouchent sur des diplômes valables, qui prennent goût à l'étude. Avec toutes les options existant pour le bac, on s'intéresse moins à certains bacs qui ne donnent pas l'envie de se cultiver qu'à d'autres. Plus on acquiert de culture, plus on a envie de se cultiver, mais quand on acquiert des formations trop terre à terre, ce n'est pas cela qui vous ouvre des horizons sur la culture. Et puis il y a une autre minorité qui ne maîtrise rien, qui arrive en 6e ou plus loin sans savoir ni lire correctement, ni écrire sans trop d'énormes fautes et encore moins compter et c'est tout juste s'ils ont un vocabulaire suffisant.

Cela, c'est la responsabilité de l'État, pas des parents ! Le gouvernement se retourne contre les parents "vous n'avez pas à les laisser sortir le soir". C'est peut-être vrai, mais ce n'est pas ça le problème. Une famille immigrée - c'est surtout le problème de ces familles issues de l'immigration -, est mal placée pour apprendre à parler français correctement à ses enfants en bas âge. L'apprentissage du langage se fait autour de l'âge de deux ans, un peu moins un peu plus, suivant le milieu. C'est le milieu qui apprend le langage. Nous sommes programmés biologiquement pour apprendre à parler cela fait partie de notre statut d'homo sapiens, mais il y a un apprentissage de la langue qui se fait dans la famille, en particulier par la mère, et on apprend à cet âge-là à parler n'importe quelle langue maternelle. Un jeune Français n'apprend pas à parler japonais spontanément. Il peut apprendre à parler japonais en plus, on peut apprendre à parler deux langues en même temps à cet âge-là. Après, c'est plus difficile.

Donc pour ces enfants qui n'apprennent pas à parler correctement à cet âge-là, la maternelle peut leur en donner la possibilité et il n'y a que la maternelle. C'est la IIIe République qui, avec des méthodes d'éducation qu'on récuserait aujourd'hui - les coups de règle sur les doigts, le par-cœur, le bonnet d'âne au coin - qui a appris à parler français, à le lire et à l'écrire, à des petits Bretons, des Auvergnats, des Basques, etc. qui étaient issus de familles d'immigrés de l'intérieur. Ils n'ont pas tous fait des études secondaires et supérieures, loin de là, mais ils ont su lire, écrire et compter. Aujourd'hui c'est moins vrai.

Pour ces familles, ces quartiers, on nous dit qu'il y a des écoles maternelles en nombre suffisant. Oui, il y a des places dans les maternelles comme il y a des places dans le métro aux heures de pointe.

Dans les quartiers populaires non entièrement défavorisés et qui ne sont pas des ghettos, où il y a des travailleurs qui travaillent, et pas trop de chômage, les enseignants des classes de maternelles même si elles comportent autant d'enfants qu'ailleurs, se débrouillent parce que ces enfants parlent français, ils apprennent à le parler correctement dans leur famille et ils arrivent à l'école primaire souvent en sachant lire.

Mais ce qu'on ne dit pas, c'est que dans ces cités surpeuplées, où le nombre d'enfants est considérable parce que ce sont des familles nombreuses, il y a peut-être de la place dans les maternelles mais pas toujours, et les classes y sont couramment surchargées. Or un enseignant qui a affaire à une classe de maternelle où les enfants parlent au moins le français comme des enfants, peut, peut être, se débrouiller avec 28 gamins. Mais quand ces 28 gamins et souvent plus, parlent jusqu'à cinq langues différentes voire dix, et c'est souvent le cas, tout est impossible ! Juridiquement ils sont en majorité français, mais ils ne le parlent pas.

Bien des enfants vont sortir de ces classes de maternelle pour entrer à l'école primaire avec un véritable handicap pour affronter l'école primaire, même en CP. Que pourront-ils apprendre à l'école primaire s'ils ne maîtrisent pas bien la langue et si les enseignants n'ont pas les moyens de la leur enseigner ? Le parcours d'après, dans l'école primaire, sera inutile pour une grande partie.

Bien entendu ne pouvant pas suivre ils seront rejetés, les enseignants les laisseront au fond de la classe y faire ce qu'ils veulent et les enfants pourront dire "on nous a abandonnés" et c'est vrai qu'on les abandonne. Le parcours primaire sera inutile pour une grande partie. Alors on essaie les combines : les faire redoubler n'est pas une solution et ça surcharge ce qui est en-dessous ; ne pas les faire redoubler ça a au moins l'avantage pour l'administration qu'ils terminent le cycle, pour rien mais au moins ils débarrassent l'école et laissent la place aux autres.

Tout cela ça c'est la responsabilité de l'État. Il ne faut pas voir que le chômage ! L'État devrait redistribuer les richesses qu'il prélève par l'impôt, y compris sur les classes populaires.

En fin de compte pour occuper un emploi, il ne suffit pas de diplômes, surtout de diplômes bidons sans valeur, il faut plus, parce qu'on est dans un système de concurrence, où les employeurs, dans cette période de chômage, ont un choix large et donc ils choisiront, même à diplôme égal, le plus cultivé pour leurs besoins.

Alors si le gouvernement s'est trouvé hier face à une insurrection de jeunes asociaux, comme il le dit et s'en plaint, c'est lui qui en est responsable, c'est lui qui les a mal élevés, ce ne sont pas les parents.

Donc on peut discuter des raisons de cette explosion, nous ne disons pas que l'éducation est la seule raison, mais le chômage à lui seul, n'est pas la seule cause de la forme qu'a prise l'explosion. Quand les ouvriers brisaient des machines, ce n'était pas la meilleure façon d'agir, quand aujourd'hui les paysans dénaturent des produits agricoles, ce n'est pas la meilleure forme d'action, quand des ouvriers en grève vont barrer des péages d'autoroutes, on a le droit de dire que ce n'est pas ce qu'il y a de mieux à faire. Et il faut que les militants le disent parce que c'est leur rôle d'élever le niveau de conscience et qu'il ne suffit pas de dire que c'est le chômage.

Bien sûr que si le mouvement ouvrier n'était pas ce qu'il est, bien sûr qu'on pourrait offrir d'autres voies à ces jeunes. Mais on peut se poser le problème inverse : pourquoi cet individualisme, pourquoi les militants ouvriers ont-ils disparu non seulement de tous ces quartiers mais de partout ? De la faute aux dirigeants ? Oui, bien sûr, mais pas seulement. Comme dirait l'Église, il y a un manque de vocation. Les motivations, les envies on peut les trouver en soi-même car on n'est pas forcé de les attendre des autres. Et il y a tellement de gens qui ne les trouvent pas en eux-mêmes et qui les trouvent pour gagner de l'argent.

Les militants ouvriers ont disparu des quartiers, mais les quartiers n'ont pas suscité de militants ouvriers. Ils ont suscité parfois des militants intégristes mais pas de militants ouvriers et pourtant ils pourraient en susciter.

Nous ne nions pas l'influence du chômage mais ces jeunes-là ne se battent pas contre le chômage par ces méthodes-là. Ils ne se battent pas pour des emplois, etc. Non, ce n'est pas vrai. Il y a de tout, il y a des jeunes qui font ça par imitation inepte, il y en a qui sont déjà perdus. Nous ne les traitons pas de voyous, à moins de traiter les ouvriers qui ont menacé d'empoisonner une rivière de voyous, ce que nous ne faisons pas non plus.

(...)

Les textes de la minorité, vous les avez lus. Nous, on refuse de voir là une révolte de la jeunesse prolétarienne. Ce sont bien sûr des enfants d'ouvriers, des jeunes travailleurs sans emploi, etc. mais la distinction entre lumpen prolétariat et prolétariat est subtile et incertaine. Il ne faut pas exagérer les extensions.

Ce n'est pas la violence qui démontre un radicalisme politique, sinon comme l'a dit un camarade, les "chimères" d'Haïti sont vraiment d'un radicalisme politique exemplaire.

La forme qu'ont prise leurs manifestations n'est pas juste. On peut le leur dire et on a le droit et l'obligation de le leur dire. On a le droit d'essayer de leur donner une conscience sociale et politique. C'est cela essayer d'intervenir. Mais, par contre, idéaliser cette forme et ces choses-là en leur trouvant toutes les excuses possibles, c'est les flatter et c'est donc faire la pire des choses. Il est faux d'essayer d'accrocher son wagon à tout ce qui bouge.

Dans ce mouvement, il y a eu ceux qui ont choisi volontairement la forme et les moyens de leur lutte parce qu'il ne faut pas oublier qu'il y en a qui ont choisi les coktails molotov, ce qu'on ne fabrique pas sans y penser, contre les bus, contre les écoles, contre tout et n'importe quoi et y compris les chauffeurs et les vieilles dames, sans se soucier, si elles pourront sortir du bus. Et il y avait aussi des jeunes ou des moins jeunes qui sont simplement irresponsables et qui ont suivi par bêtise. Et l'imitation de ville en ville, ce n'est pas un incendie qui se répand d'une ville à une autre, c'est une imitation puérile. Ces actions ne dépassaient pas en général le pied de leur immeuble.

Il ne faut pas oublier ceux qui alors, tentaient de détourner les manifestations de gauche, ce qu'on a connu en 1968, avec ceux qu'on appelait les casseurs. On a même fait des services d'ordre pour s'en protéger car c'est là qu'on a créé les véritables services d'ordre de l'extrême gauche.

Quand la minorité confond l'explication première d'une révolte de cette jeunesse avec les formes qu'elle a prises, c'est-à-dire la rage des jeunes, etc. elle confond le fond social et la forme, elle confond la rage aveugle, la violence pour la violence, avec la détermination. Et la détermination ce n'est pas cela, la détermination c'est engager une lutte en cherchant les formes les plus justes de lutte, les formes qui peuvent rencontrer l'assentiment des autres, les formes qui peuvent durer, parce qu'être déterminé c'est aussi durer, et là ce n'est pas ça.

"L'individualisme, la débrouille, les trafics et les larcins de tout genre" comme l'écrit la minorité elle-même, ce n'est pourtant pas un signe de conscience, loin de là ! Ils écrivent "Il y a le risque de tomber dans le lumpen prolétariat", mais ceux qui vivent de ça c'est déjà le lumpen prolétariat, et ce n'est pas ce qu'il y a de mieux. C'est ceux que Le Pen paiera pour casser la figure aux grévistes et aux militants.

Dire ce que dit la minorité, c'est de la démagogie et c'est inacceptable de la part de révolutionnaires.

Ils parlent de "l'inquiétude des autorités", qui prouverait que ça pouvait s'étendre. C'est une exagération. Les autorités n'étaient pas vraiment inquiètes. Quand elles sont vraiment inquiètes elles s'y prennent autrement, elles étaient tout au plus ennuyées et surtout par leur concurrence au sein de la droite entre de Villepin et Sarkozy, mais elles n'étaient pas inquiètes de ces mouvements, ça ne les touchait pas, elles n'habitent pas ces quartiers-là, ce n'est pas elles dont on brûle les voitures, le patronat n'était pas touché bien que ce soit la jeunesse prolétarienne... Mais non ! C'est de l'exagération pour grossir les événements et regonfler les militants, c'est ce que fait la Ligue, ce qu'a toujours fait le PCI, mais ce n'est pas sérieux.

La minorité écrit que pour changer "la situation des populations ouvrières les plus démunies", il faut éradiquer le chômage, résoudre la question des logements pour tous, faire des services publics dignes de ce nom et assurer à tous un niveau de vie décent. Oui, ça c'est vrai, si on fait sortir un million de logements de quartiers habitables en rasant d'ailleurs certains centres-ville, si on trouve 3 millions d'emplois même non qualifiés, évidemment, ça changerait radicalement la société, mais pas longtemps. Quand on a commencé à construire tous les immeubles HLM ça a changé radicalement la face des banlieues et pour beaucoup de travailleurs, immigrés en particulier, ça a changé les conditions de vie parce qu'ils se sont trouvés, enfin, devant des logements vivables avec eau courante, les toilettes, plusieurs pièces etc. Exactement comme en 1936 quand ils ont construit les premiers HBM. Mais ça ne change pas radicalement la société.

Parce que si on ne construit pas les logements, on peut augmenter les salaires, on ne changera rien : les loyers augmenteront parce qu'il y aura concurrence accrue pour les logements.

Ils parlent à un moment de mai 1968, de 1936. On ne peut pas comparer mai 1968 à 1936. 1936 c'était une situation qu'on aurait pu qualifier de pré-révolutionnaire par certains côtés. C'était en même temps la révolution en Espagne, c'était le coup de semonce du fascisme en Allemagne. Mais pas 1968.

Quand nous faisons de la propagande, qu'on popularise des revendications, on ne les met pas en avant pour demain. Et populariser certaines revendications, c'est ce qu'on fait depuis des années. Ils écrivent quelque part, "il faut préparer un mouvement d'ensemble qui seul pourrait, comme en mai 68, unifier les luttes des travailleurs et celles des jeunes". Mais c'est faux, mai 1968 n'a malheureusement pas vraiment unifié les travailleurs et les étudiants. Les travailleurs n'ont pas participé à la lutte des étudiants et ceux-ci n'ont pas pu rejoindre les travailleurs. Seuls quelques jeunes dans certaines entreprises sont allés aux côtés des étudiants. Quelques centaines d'étudiants sont allés faire le tour de Renault-Billancourt sous l'œil goguenard des militants du PCF accoudés au mur d'enceinte, mais les ouvriers n'étaient pas chez Renault, ils étaient chez eux. Pendant la grève générale, ils étaient tous chez eux, ils n'occupaient pas les usines pour la plupart, ils attendaient que la radio leur dise si ça reprenait ou pas. Alors quand il y a eu Grenelle ils sont venus et ont conspué Séguy, et puis la grève a continué.

Bien sûr, il faudrait un tel mouvement, mais à qui ce texte s'adresse-t-il ? À l'extrême gauche ? LO, la LCR et les autres n'auraient pas mis, selon la minorité, tout leur poids dans le mouvement lycéen du début de l'année, ce qui aurait peut-être donné une autre issue au mouvement des banlieues.

Il faudrait donc, selon la minorité, "influencer la révolte des jeunes des banlieues en intervenant pour que les luttes ouvrières ne soient pas moins radicales et déterminées que celles des jeunes, mais plus efficaces". Comment plus efficaces ? Et puis comment intervenir sur des luttes ouvrières qu'il n'y a pas ?

Et que veut dire "radicales" dans ce contexte ? Que les travailleurs en grève brûlent plus de voitures ?

Le radicalisme comme celui-là, si on peut le comprendre, si on peut l'excuser, n'est pas à flatter, il n'y a pas à mettre des rubans rouges autour. On n'est pas un révolutionnaire en prenant de telles positions. Nous ne sommes pas de ceux qui enverrions ces jeunes en prison, mais nous ne sommes pas non plus de ceux qui doivent leur dire qu'ils ont raison d'agir ainsi et les en féliciter.

(...)

Dans son texte d'orientation, la minorité nous dit :

Paragraphe 11 :

"Le déclenchement d'une telle mobilisation ne dépend d'aucune organisation, même les plus importantes, comme ne cessent de le répéter les chefs syndicalistes, surtout quand ils n'en veulent pas."

Juste ! Mais cela dépend de quoi alors ? Ça ne dépend pas des grandes organisations, ou elles n'en veulent pas ?

Ils écrivent :

"Elle dépend encore moins de l'action de la seule Lutte Ouvrière. Mais il dépend de celle-ci de faire savoir qu'elle vise à en être partie prenante et à préparer cette mobilisation avec tous, organisations et militants, quelles que soient par ailleurs les divergences politiques. En clair à se présenter en parti ouvrier qui revendique sa place dans la lutte de classe mais est prêt à y participer avec tous ceux qui voudraient aussi prendre place dans cette lutte."

"Partie prenante" donc si le mouvement démarre, si les autres l'organisent et si les masses suivent. Mais on n'a pas besoin d'annoncer qu'on sera partie prenante, on en sera si c'est le cas. Et si les masses démarrent toutes seules, même les grandes organisations en seront. D'ailleurs pour pouvoir arrêter plus facilement le mouvement lorsqu'elles le pourront.

Et si nous disons, "nous sommes prêts avec la CGT, à faire ce qu'elle fera", on a l'air de prétendre qu'elle le fera. Or, elle ne le fera pas. Organiser un tel mouvement, la CGT ne le fera pas. On le sait bien, on passe notre temps à le dire et la minorité à nous dire que les syndicats trahissent.

Et "tous ceux", tous ceux qui est-ce ? La CGT, FO, la CFTC, les militants de base ?

"Il appartient à Lutte Ouvrière de s'adresser le plus rapidement possible à tous ceux qui de près ou de loin ont appelé ou appuyé cette journée d'action (le 4 octobre) pour envisager ensemble cette suite qui devrait conduire vers des mobilisations de plus en plus larges" (...)

S'adresser comment ? Pour dire quoi ? À qui ? Morand a trouvé la réponse : à la conférence de presse qui suivra le congrès, là ce sera un appel très large. Mais si les journalistes viennent à la conférence de presse, c'est pour savoir si Arlette se présente ou pas et elle aura beau faire un discours sur la mobilisation générale, ce qui paraîtra dans la presse, c'est qu'elle est candidate parce que c'est ça qui les intéresse et ils ne diront pas autre chose.

"Lutte Ouvrière est un petit parti, certes, mais un parti reconnu sur la scène politique". Que veut dire le mot reconnu, connu peut-être, mais reconnu ? Quelle puissance nous donne-t-on, quelle influence nous donne-t-on ? Tous ceux qui militent savent qu'on nous dit souvent que nos idées sont bonnes mais que nous sommes trop petits. Reconnu "par les autres organisations, même ennemies, comme par les travailleurs eux-mêmes", précise le texte de la minorité. Les travailleurs nous connaissent mais ne sont pas prêts à nous suivre. Cela c'est du verbiage gauchiste, à l'usage des militants de la minorité.

"Quelle autre politique de rechange y a-t-il donc ? Attendre, quel que soit le prétexte, celui de notre faiblesse ou un autre, en revient à laisser le champ libre sans tenter de s'y opposer aux politiques des syndicats ou des partis de gauche, qui eux-mêmes ne proposent que d'attendre... les élections. Au mieux !"

Alors comment pourrions-nous ne pas laisser le champ libre ? Quelle influence avons-nous sur la classe ouvrière ? Si : lorsque 30 ou 50 ou 100 travailleurs se mettent en grève dans un coin et que nous avons des militants sur place, oui, nous avons une influence mais limitée. Quant à étendre le mouvement on n'y arrive pas dans la situation générale actuelle.

Cela revient à nous dire qu'il faudrait prendre date pour avoir été les premiers à le proposer, mais c'est une attitude puérile. Cela n'a jamais été notre politique et ça ne le sera jamais parce que nous ne militons pas pour la galerie. On ne se dit pas, il faut prendre date et ainsi quand les autres se mettront en branle on sera devant.

Morand, lors d'une réunion avec la Ligue, lui a fait sa proposition. Elle n'a même pas répondu. Et alors Morand écrit : "Ce n'est pas un refus qui doit juger une politique, c'est ce qui est nécessaire." C'est vrai, mais c'est aussi ce qui est possible et proposer à la Ligue de faire ce qu'elle ne veut pas faire, non seulement ce n'est pas possible, mais c'est inutile. Nous serions capables de le faire sans elle, qu'on pourrait peut-être la mettre en branle, et même chose vis-à-vis du PC. Mais on n'est pas capables de le faire donc elle s'en moque et elle continue à flirter avec Buffet.

À ce propos ils nous disent que c'est une excuse de dire qu'on est une petite organisation. Mais nous aurions été très heureux de voir sur les murs, le 4 octobre ou avant ou même après et lors de la grève de la SNCF, des affiches s'adressant aux militants politiques et syndicalistes en question pour leur dire ce que la minorité nous dit.

On aurait été effectivement heureux de voir des affiches de la minorité. Ils sont trop petits ? Ah tiens, ils sont trop petits. Nous collions déjà des affiches alors que nous étions aussi petits qu'eux aujourd'hui ! Ils sont moins connus que LO ? Mais ils auraient pu négocier avec nous pour nous demander comment ils pourraient parler d'une façon telle que LO soit citée, "minorité LO", "minorité combattante de LO" s'ils le veulent. Nous aurions vu concrètement comment nous aurions pu dire "nous sommes là" ainsi que vous nous le conseillez.

Vous auriez pu nous montrer concrètement par des tracts à la porte des entreprises, sur les marchés, par des affiches, ce qu'on pouvait dire à Thibault, à tous les syndicalistes et à tous les travailleurs qui auraient voulu continuer le 4 octobre. Ils ne pouvaient pas tous les toucher, mais ils pouvaient en toucher une partie et surtout ils auraient donné un exemple concret de ce qu'on pouvait dire. Au moins nous aurions pu juger concrètement ce qu'ils nous proposent.

Pour le moment, ils nous disent, voilà ce que vous pourriez faire, mais le "voilà" n'est pas expliqué. Une lettre ouverte à Thibault ? Pour demander à Thibault ce qu'il ne veut pas faire et ne fera jamais et, pour être efficaces, lui demander de bien vouloir transmettre la lettre en question à tous les syndiqués de la CGT.

Défendre ces idées-là dans nos bulletins, on le fait, mais c'est autrement qu'on devrait agir paraît-il. Dire, nous sommes là. Eh bien que la minorité dise "nous sommes là". On ne les croira pas moins qu'on nous croit.

Disons en passant que la minorité nous dit en substance, LO est faible mais est entendue quand même, elle n'est pas forte mais elle est respectée de tout le monde, des travailleurs, des organisations, même des ennemis, "nous sommes un petit parti mais reconnu sur la scène politique".

Mais qu'est-ce que la scène politique : le parlement, le gouvernement, les gens dont la presse parle tous les jours ? Mais il y a une chose étonnante c'est que la minorité nous reproche souvent d'accorder trop d'importance aux élections. Par exemple l'année dernière, le référendum était une diversion pour arrêter les grèves et aujourd'hui la préparation de la présidentielle c'est une diversion, ce n'est pas le moment, c'est trop tôt.

Ce n'est pas cela qu'il faut faire, il faut se servir de notre crédit pour agir. Mais notre crédit, comme ils disent, d'où est-ce qu'il sort ? Il sort de nos 5 % en 1995, c'est là qu'on a commencé à être connus, et de nos 5 % en 2002. En fait notre "crédit", on l'a eu par les élections ! Nous avons assez expliqué en 1995 que ce n'était rien, que c'était un chiffre symbolique. C'était le remboursement de nos frais mais cela n'avait aucune valeur dans les luttes. Et les gens qui avaient voté pour nous ce n'était pas des gens qui partageaient tous nos idées et nous auraient suivi. Mais maintenant puisque "on est reconnus" par les élections sur la scène politique, on devrait se servir de cette reconnaissance factice.

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Le fait qu'on soit connus électoralement ne nous donne aucun crédit, aucun poids pour entraîner des luttes et même pour dire, "si vous y allez on sera avec vous". Quel réconfort pour la CGT !

Avant de proposer des mots d'ordre il faut apprendre à comprendre et à analyser une situation. Ce n'est pas seulement en criant qu'on change les choses, il faut savoir dans quelle situation crier et alors le faire.

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