Une évolution réactionnaire

Yazdır
13 décembre 1996

Si dans sa jeunesse idéaliste, le mouvement écologiste a parfois exprimé des aspirations altruistes, s'inspirant des intérêts généraux de l'humanité et de son avenir, il a ensuite largement contribué et d'autant plus facilement qu'il ne contestait pas vraiment l'ordre établi à alimenter, au cours des années 1980, l'idéologie officielle en Occident.

Au plan international, des organismes, américains le plus souvent, comme le WorldWatch Institute, sont tout à fait installés et font autorité dans les milieux scientifiques, économiques, et aussi écologistes dans un sens large. Des associations comme le "Fonds mondial pour la nature" (le WWF, selon ses initiales anglaises), ou comme Greenpeace, que certains journalistes ont qualifiée de "multinationale verte", sont des institutions financièrement puissantes. Greenpeace a le statut d'observateur à l'ONU.

En France, où la mouvance verte a toujours été plus modeste, depuis ses premiers succès électoraux en 1977, le courant politique écologiste a connu bien des vicissitudes, qui tenaient autant aux ambitions personnelles des uns qu'aux choix politiques des autres. Un parti politique Vert à proprement parler s'est créé en 1982, qui a par la suite pratiqué sur le plan électoral une politique d'alliances à géométrie variable. Avec des succès fluctuants, les "écolos" sont néanmoins passés du stade de "groupe de pression" au partenariat avec les partis politiques traditionnels dans la gestion des affaires publiques.

L'écologie "politique" a été "recyclée" par le système elle aussi. Tous les partis politiques bourgeois peuvent trouver dans ce courant ambigu d'idées et de préjugés matière à se "verdir" selon leurs préoccupations pré-électorales.

La fraction de l'écologisme qui se veut plutôt de gauche parle volontiers de solidarité et de démocratie, rejoint le courant humanitaire des divers mouvements "sans frontières" ; elle a une coloration humaniste et progressiste, tout en n'allant pas au-delà d'un vague réformisme gestionnaire. Tandis qu'une autre composante véhicule des idées d'attachement à la terre qui rappellent le vieux fonds pétainiste français et son thème "La terre, elle, ne ment pas".

Les notions d'ordre et de stabilité sont au centre des soucis de ce courant conservateur, tout comme le culte d'une nature mythique qui est déjà allé de pair dans le passé avec des mouvements et des régimes d'extrême-droite. Aujourd'hui, on voit le Front national prôner une sorte de "national-écologisme", et Bruno Mégret, l'un de ses dirigeants, déclarer que "les partis écolos-gauchistes sont une espèce en voie d'extinction", et prôner un retour "à une éthique et une esthétique de la vie qui raniment le sens du sacré et de la durée, et permettent à l'homme de retrouver la conscience de ses racines et de son identité", préconisant de mettre "la science humaine au service des lois naturelles et de la nature", car pour ces individus "défendre la faune, la flore, les sites, le patrimoine, c'est défendre ce que l'on est, c'est défendre son identité", contre "l'écologisme cosmopolite"... Il "pose comme essentielle la préservation du milieu ethnique, culturel et naturel de notre peuple".

Evidemment, le Front National a pour principale caractéristique de transformer tout ce qu'il touche en pourriture, et tous ses propos sentent bien mauvais.

Mais il reste que, dès lors qu'on refuse de se situer sur le terrain de la classe ouvrière pour se poser en défenseurs de "la nature", dans le contexte réactionnaire actuel, cela peut être gros de bien des dérives.

C'est ainsi que, par exemple, des associations internationales en Afrique en sont venues à interdire aux Touaregs l'accès à leurs zones traditionnelles de nomadisme nécessaires à leur survie, sous prétexte de protéger une espèce menacée d'antilope...

Il y a pire. Une approche de l'écologie appelée l'"écologie profonde" est apparue dans les milieux universitaires américains, et aussi en Allemagne et dans les pays scandinaves, qui dénonce un "chauvinisme humain" et se veut pure et dure. Les adeptes de l'"écologie profonde" ne se contentent pas de demander pour les animaux des droits équivalents à ceux des hommes, ils parlent aussi du "droit des arbres" par exemple, et globalement donnent la priorité à la survie de la nature sur le bien-être des hommes. Certains même n'ont pas hésité à s'élever, en 1984, lors de la famine en Ethiopie, contre l'envoi de secours afin de laisser "les lois de la nature suivre leur cours"...

Ce genre de délire mystico-totalitaire est aujourd'hui, dans le domaine de l'écologisme, l'expression d'un courant extrémiste et limité.