Les droits de l'homme ne sont pas ceux de la femme...

Yazdır
Avril 1999

A l'intérieur même de l'Europe, en cette toute fin du XXe siècle, bien des libertés sont bafouées, tronquées ou n'ont pas de contenu concret.

Les femmes, 51 % de la population totale, ne sont nulle part des membres à part entière de la société. Aujourd'hui, deux tiers des femmes ayant entre 25 et 59 ans font partie de la population active, mais 32 % le tiers de ces femmes salariées n'ont qu'un travail à temps partiel, contraint le plus souvent, contre 5 % des salariés hommes. Le "Portrait social de l'Europe" établi par l'Office européen des statistiques lui-même pour 1998 se voit obligé de constater que "Dans la plupart des Quinze, l'écart entre la rémunération des hommes et celle des femmes est l'une des caractéristiques les plus frappantes en matière de distribution des salaires", et qu'"il n'existe aucun Etat membre dans lequel les salaires horaires moyens des femmes dépassent 90 % de ceux des hommes". Les écarts moyens sont plutôt de l'ordre de 30 %.

Dans la vie politique, les femmes sont toujours des citoyennes de seconde zone. Même sur ce plan, les institutions européennes ne donnent pas l'exemple, d'ailleurs : parmi les 20 membres de la Commission européenne, il n'y a que 5 femmes ; sur les 20 membres du Bureau du Parlement, il n'y en a que 3. Des femmes ne président que 5 commissions ou sous-commissions parlementaires sur 23. Et, sur les 626 députés de ce Parlement, on ne compte que 171 femmes, soit 27,31 % (26 femmes, 29,88 %, sur les 87 députés français : c'est quand même moins mal qu'au sein du Parlement français, ce qui n'est pas difficile).

Dans le cas du droit à l'interruption volontaire de grossesse, qui représente un droit autrement plus concret pour la majorité des femmes, l'Europe ne donne pas un tableau reluisant, malgré le modernisme dont elle se vante.

Même dans les quelques pays comme la France où la loi de 1975 autorise l'interruption volontaire de grossesse, il y a des conditions légales malgré tout restrictives. Alors, très souvent, la pratique de l'avortement est seulement tolérée, restant officiellement un délit, comme en Allemagne, ou en Belgique, où il reste inscrit comme à la fin du siècle dernier dans le chapitre qui concerne "les crimes et délits contre l'ordre des familles et la moralité publique"... Quel modernisme !

En Espagne, comme dans plusieurs autres pays, l'avortement n'a été dépénalisé que dans quelques situations bien définies : grave danger pour la vie ou la santé de la mère, conséquence d'un viol, risques de malformations graves du foetus ; mais les tentatives pour introduire dans la législation l'idée que l'avortement ne devrait dépendre que du choix des femmes ont toutes échoué jusqu'à présent. De même au Portugal, où le projet d'autoriser l'IVG sur simple demande de la femme s'est heurté jusqu'ici non seulement à la droite, à l'Eglise, mais aussi aux manoeuvres hostiles du Premier ministre, membre du Parti Socialiste et néanmoins catholique fervent, opposé personnellement au droit à l'avortement.

Et n'oublions pas l'Irlande, où ce droit est encore strictement nié, par la Constitution elle-même, sauf en cas de mise en danger de la mère et où on n'est, par ailleurs, autorisé à acheter des préservatifs que depuis six ans.

Il faut souligner en même temps que l'état des législations est loin de tout résumer. Car, dans presque tous les Etats de la "moderne" Europe, des obstructions concrètes à la liberté des femmes viennent des milieux médicaux où on fait jouer une "clause de conscience", d'autant plus fortement et fréquemment que la pression des Eglises, catholique comme orthodoxe, y est plus pesante. C'est vrai dans les pays du sud de l'Europe, mais aussi en Italie, en Allemagne, en France.

Et puis, il y a aussi le manque de moyens dans les hôpitaux publics, qui va en s'aggravant partout.

Dans un autre domaine des libertés démocratiques, l'Europe du droit d'asile, par exemple, est une peau de chagrin, et on sait qu'elle accueille plus volontiers les Bokassa ou les Duvalier, les rois et les émirs, qu'un Abdullah Ocalan ou qu'un persécuté algérien ! Que la liberté d'expression et d'information y est dominée par les capitalistes de la presse et des médias ! Que, comme le disent les paroles de l'Internationale, le droit du pauvre y est un mot creux !

Alors, l'idée d'une Constitution européenne qui rendrait cette Europe vraiment "démocratique" est à ranger au rayon des leurres destinés à tromper les naïfs. Il n'y a que les luttes de tous ceux qui y sont directement intéressés qui peuvent amener un approfondissement des libertés démocratiques.

Oui, il faut que tous ceux qui résident en Europe partagent les droits de vote et d'éligibilité à tous les niveaux, il faut que tous les élus et aussi tous ceux qui prennent des décisions d'importance soient responsables devant la collectivité et révocables ; que les minorités nationales puissent décider librement de leur appartenance, jouir de libertés aussi élémentaires que celui de parler leur langue ; que les droits de l'homme soient aussi ceux de la femme, qui, même lorsqu'ils sont inscrits en gros dans les constitutions des pays bourgeois les moins arriérés, restent souvent lettre morte dans la pratique ; que la liberté pleine et entière de l'IVG soit assurée avec le plus haut niveau de moyens concrets, que les femmes irlandaises, portugaises, grecques, ne soient pas abandonnées cinquante ans en arrière ; que l'expression de "sans-papiers" perde son sens et qu'ils soient tous régularisés de manière stable dans tous les pays ; que, de la Grèce, du Portugal ou de l'Irlande au Danemark ou à l'Allemagne, les femmes et les hommes soient assurés d'un égal accès à une éducation valable, digne de notre époque, à des structures de soins dignes des progrès accomplis par la médecine, d'un égal accès aussi à des formes de vie civile (mariage, divorce, etc.) modernes, débarrassées en particulier du poids des Eglises et des obscurantismes.

Mais, ces simples revendications démocratiques, il n'y a pas à les attendre des institutions de la bourgeoisie, pas plus au niveau des institutions de son Europe que dans chaque Etat séparément. Quand des droits et libertés de cette nature ont été conquis, plus ou moins complètement et toujours sous la menace de retours en arrière, ils l'ont été à travers des luttes souvent dures et longues. Et il en reste à conquérir !