Les Cahiers de Verkhnéouralsk - Écrits de militants trotskystes soviétiques 1930-1933

Yazdır
mars 2022

Des textes émanant de trotskystes soviétiques du début des années 1930 viennent de paraître en traduction aux éditions Les Bons Caractères. Lutte de classe (no 200, juin 2019) avait déjà relaté comment, dans la prison de Verkhnéouralsk, des ouvriers avaient fortuitement découvert une cache emplie de manuscrits, témoins de l’activité des compagnons d’idées de Trotsky, qui combattaient avec lui la dégénérescence bureaucratique de l’État né de la révolution d’Octobre et la trahison de l’idéal communiste par le stalinisme partout dans le monde.

Staline n’avait pas réussi à briser ces militants communistes restés fidèles au bolchevisme malgré une répression féroce. Et il avait bien des raisons de craindre qu’ils ne fournissent une direction à la classe ouvrière si elle venait à se dresser contre une dictature prétendant incarner le socialisme. C’est pour cette raison qu’après avoir chassé du parti, déporté puis incarcéré les trotskystes, jusqu’à plusieurs centaines rien qu’à Verkhnéouralsk, Staline ordonna en 1936 de les regrouper dans des camps pour les y exterminer.

C’est d’abord de l’émotion, celle d’entendre leur voix, que l’on ressent à la lecture de ces textes, et de la fierté : celle de pouvoir se revendiquer de leur exemple. Car au travers de leurs journaux, des débats qu’ils poursuivent, des luttes qu’ils mènent pour se faire respecter des gardes-chiourmes, des moyens dont ils se dotent pour que leurs textes circulent en prison, et parviennent à leurs camarades qui militent dans la classe ouvrière, on constate comment ces militants ont tenu haut et ferme le drapeau du bolchevisme face à la contre-révolution stalinienne.

On est frappé aussi de découvrir au fil des Cahiers de Verkhnéouralsk des prises de position et une démarche qui font écho à ce que contiennent maints ouvrages de Trotsky. Il ne faut pas s’en étonner. Sur la collectivisation forcée des terres, la planification bureaucratique, les zigzags incessants et sur l’empirisme irresponsable de la fraction stalinienne au pouvoir, les menaces que cela fait s’accumuler au-dessus de l’État ouvrier ou encore la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne, leurs analyses et celles de Trotsky, fruits de leur activité révolutionnaire, se sont répondues, complétées, fécondées durant des années. Cela malgré la distance et d’innombrables obstacles, ce que certains textes disent explicitement.

Les bolcheviks-léninistes en URSS, Trotsky et son fils Léon Sedov en exil, agissaient comme les membres d’un même parti. Un parti communiste révolutionnaire soudé dans les luttes pour renverser la bourgeoisie, puis pour conserver le pouvoir et édifier un État ouvrier sous la bannière des soviets et de la révolution mondiale qui frappait à la porte.

Pour la plupart, les auteurs des Cahiers de Verkhnéouralsk avaient fait leurs premières armes durant la révolution d’Octobre et la guerre civile. Cette formidable expérience, qui en faisait les héritiers de la tradition politique et organisationnelle du bolchevisme, combinée à leur jeunesse, leur permit sans doute de mieux résister à la démoralisation que certains de leurs aînés quand, après avoir ébranlé le monde entre 1917 et 1923, la révolution mondiale refluait sous les coups de la réaction en URSS comme à l’extérieur.

Face à ce que Victor Serge appela « minuit dans le siècle », ils tinrent bon. On voit dans leurs écrits leur lucidité quant à l’ampleur du reflux de la révolution, et leur conviction que, quel que fût leur sort – et ils n’avaient pas d’illusions sur ce que le stalinisme leur réservait –, il importait avant tout de préserver un héritage, de maintenir un drapeau : ceux du communisme révolutionnaire et de l’internationalisme, pour qu’ils puissent servir de guide aux générations futures de combattants de la cause ouvrière. Car même face à cette avalanche de trahisons, de défections et de défaites provoquées par le stalinisme et la social-démocratie, ils avaient la certitude que tôt ou tard sonnerait l’heure de la « lutte finale ».

Leur conviction inébranlable que la classe ouvrière a la capacité de transformer la société et que l’avenir appartient au communisme, leur dévouement à la cause de la révolution mondiale, se lisent à chaque ligne des Cahiers. À huit décennies de distance, ce qu’ils nous lèguent là s’adresse tout particulièrement aux jeunes générations militantes, pourvu qu’elles prennent conscience que le système capitalisme, avec ses crises, ses guerres et ses horreurs, ne mérite qu’une chose : être définitivement relégué au rayon de ce qui aura précédé l’avènement d’une humanité libérée de toute oppression et enfin digne d’elle-même.

13 février 2022