Haïti - La situation dramatique des classes populaires

Εκτύπωση
Eté 2005

Les articles ci-dessous ont été publiés dans le numéro du 6 juin 2005 de La Voix des Travailleurs, mensuel paraissant en Haïti, édité par l'Organisation des Travailleurs Révolutionnaires (UCI). Ils illustrent la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les classes populaires de ce pays, depuis longtemps le plus pauvre de l'hémisphère américain et un des plus pauvres du monde.

Le 29 février 2004, les États-Unis, flanqués notamment de la France, sont intervenus militairement pour évincer le président en place, Aristide.

Elu une première fois à la présidence d'Haïti en 1990 par un déferlement

d'enthousiasme en sa faveur dans les masses pauvres, Aristide était renversé, à peine neuf mois après son investiture, par un putsch militaire.

Le régime militaire s'était révélé tellement pourri que les États-Unis avaient fini par ramener Aristide.

A partir de son retour et surtout à partir de sa deuxième élection, en 2000, le régime d'Aristide avait tourné de plus en plus à la dictature et à la corruption généralisée. Pour se maintenir au pouvoir, il avait recruté dans les quartiers pauvres, formé et financé des bandes armées, les "Chimères", qui imposaient de plus en plus leur terreur sur les quartiers populaires.

L'éviction et l'expulsion d'Aristide n'ont pas mis fin à la mainmise des "Chimères" sur les quartiers pauvres. Au contraire. L'objectif affiché de se battre pour le "retour du président légitime" leur permet de se revendiquer d'un combat politique. En réalité, la violence que ces bandes armées imposent à la population, en premier lieu à la population pauvre, est de plus en plus crapuleuse. Aux "bandes armées" se revendiquant d'Aristide, se sont mêlés les hommes de main des trafiquants de drogue, des bandits de grand chemin. Ils assassinent, kidnappent contre rançon, volent et violent. Principalement dans les quartiers populaires qui leur servent de positions de repli. Mais, depuis peu, ils essaiment vers les autres quartiers -"opération métastase", disent-ils; jusqu'à des bourgeois ou des diplomates qui en tombent victimes.

Lors du renversement d'Aristide, les dirigeants américains et français parlaient d'un pas important vers la "liberté" et la "démocratie". Mais, en guise de "liberté", la population n'a gagné que celle de risquer d'être assassinée au coin d'une rue, sans même que les troupes internationales laissées sur place daignent intervenir. En guise de "démocratie", un petit milieu politique prépare, pour l'automne prochain, sous l'égide du gouvernement provisoire de Latortue, des élections dont personne ne sait si elles pourront seulement avoir lieu. Mais, de toute façon, l'écrasante majorité de la population qui tente seulement de survivre face à l'insécurité, face à la faim, se désintéresse totalement de cette agitation politicienne.

Il était facile pour les grandes puissances d'évincer Aristide. Mais, pour permettre que la situation s'améliore pour la population, il aurait fallu qu'elles fassent quelque chose contre la pauvreté infinie, contre la ruine quasi totale de toutes les infrastructures publiques. C'est évidemment à leur portée et cela ne représenterait qu'une somme modeste pour elles. Mais il n'en est même pas question.

Au lieu d'aider Haïti, le grand capital continue à la piller, ne serait-ce que par le biais des entreprises de la zone industrielle, sous-traitantes de grands groupes, qui exploitent leurs ouvriers en payant des salaires de l'ordre de UN EURO PAR JOUR !

Pour la majorité de la population, et en particulier pour les classes exploitées, l'insécurité s'ajoute encore à la pauvreté. Exploités dans leurs entreprises, les travailleurs doivent encore payer leur tribut aux bandes armées qui les rançonnent.

Haïti: l'incarnation du monde capitaliste dit libre...

Incapacité de la Minustah et du gouvernement à contrer la terreur des bandits

Les bandits armés qui sévissent en toute impunité dans la capitale depuis le départ d'Aristide ont intensifié leur campagne de terreur contre la population pauvre cette semaine, par des incendies dans les quartiers comme à Bel-Air, et des exécutions sommaires. Sur la route nationale numéro 1, sur la route de Nazon et dans les quartiers occupés par les chimères, les victimes des actes criminels des malfrats se comptent par dizaines. Les braquages de véhicules, les enlèvements contre rançon se sont multipliés. Un consul honoraire de France dans le nord du pays a été tué après avoir été atteint de plusieurs projectiles alors qu'il s'apprêtait à se rendre à l'aéroport. Mardi 31 mai, le marché "Tête bœuf" a été incendié. Officiellement, une dizaine de corps calcinés a été retrouvée, la fusillade ayant précédé cette attaque aurait fait plusieurs morts parmi les petits marchands. Les pertes financières occasionnées s'élèveraient à des dizaines de millions de dollars US. Les centaines de mères et pères de famille, autour et à l'intérieur du marché, qui viennent y chercher chaque jour de quoi nourrir et faire vivre leur famille, ont assisté impuissants à la destruction par le feu de leurs matériels de survie.

Depuis huit mois environ, sous le couvert de lutte pour le retour d'Aristide, des bandits, des assassins, des trafiquants de drogue, des criminels s'allient et prennent la population en otage. Certains quartiers comme Bel Air, Cité Soleil, leur servent de sanctuaires d'où ils planifient leurs attaques et où ils se réfugient avec leurs proies et leur butin. Le kidnapping, depuis plusieurs mois, est devenu l'une des activités privilégiées des bandits tant il leur rapporte de l'argent. Assassinats, vols, viols, le phénomène touche des quartiers jusque-là épargnés. À Thomassin, Laboule, Cité Militaire, rien ne semble arrêter la progression des criminels.

La présence de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d'Haïti("MINUSTAH"), forte de près de 7500 hommes de troupe, la Police Nationale d'Haïti ("PNH") ne manifestent aucune volonté pour venir à bout des bandits. Ils se disent impuissants à endiguer la grande criminalité à Port-au-Prince. La sécurité de la population semble être le cadet de leurs soucis. En dépit des moyens énormes dont disposent les soldats de l'ONU: chars blindés, munitions, gilets pare-balles, de forts moyens logistiques, véhicules tout terrain, hélicoptères, téléphone, ils donnent tous l'impression de vouloir profiter de cette mission pour engranger quelques milliers de dollars américains et rentrer chez eux. Leur présence dans certains quartiers chauds de la capitale sécurise les bandits, car en semant l'illusion de vouloir assurer la protection de la population, celle-ci se trouve donc démoralisée et de ce fait se transforme en proie facile pour les bandits qui n'ont pas à se soucier d'un éventuel réveil des habitants dans les quartiers.

La police, gangrenée, pourrie dans toutes ses structures depuis le régime d'Aristide, ne fait pas grand-chose. Pire, plusieurs policiers sont pointés du doigt dans la situation actuelle. C'est la porte-parole de la police elle-même qui a annoncé que plusieurs policiers sont en isolement, trempés dans des vols, des enlèvements, des meurtres. Le ministre de la Justice a déclaré cette semaine que plusieurs interventions planifiées contre les bandits ont échoué parce que ces derniers ont des personnes qui les avertissent des faits et gestes de l'institution policière.

La population pauvre est livrée à elle-même. Les politiciens qui avaient la fièvre électorale les dernières semaines se font tout petits. Malgré l'insécurité grandissante, ils espèrent tous que la mascarade aura bien lieu et qu'ils auront le pouvoir d'ici le 7 février 2006, comme Latortue ne cesse de le répéter.

L'insécurité, l'augmentation des prix des produits de première nécessité, les mauvaises conditions de travail dans les usines, le chômage assomment la population. Le recul, la démobilisation sont profonds. Mais la population aura tort de penser qu'il y a quelqu'un ou un sauveur qui viendra résoudre les problèmes. Dans le passé, la population savait résister au banditisme d'État, aux brassards rouges de Franck Romains, aux macoutes des Duvalier, aux attachés de Raoul Cédras et de Marc Bazin, à chaque fois elle avait su trouver l'énergie, la volonté nécessaires pour les vaincre. Aujourd'hui, c'est ni le renforcement de la MINUSTAH par des GI's, ni le changement du gouvernement Latortue, qui vont apporter la sécurité à la population. Celle-ci doit prendre ses destinées en main pour cesser d'être une proie facile pour les criminels.

Les petits marchands: cibles privilégiées des voyous

Les bandits qui sévissent en toute impunité dans la capitale ont encore porté un coup dur à cette catégorie de la population pauvre. Le 31 mai dernier, le marché symbolique "Tête bœuf" du bas de la ville a été incendié, environ une dizaine de corps calcinés ont été retrouvés dans les débris, sans compter les personnes péries dans la tuerie ayant précédé l'attaque du marché par les malfrats.

La désolation, le découragement, l'impuissance étaient palpables dans les cris de désespoir de plusieurs centaines de petites marchandes qui ont vu s'envoler dans la fumée l'activité qui faisait vivre leur famille. Les pertes financières sont énormes.

Depuis le 30 septembre, date de lancement de l'opération Bagdad, les petites marchandes constituent une proie particulièrement facile pour les bandits. Au bas de la ville où elles étalent puis proposent leurs produits aux passants, elles sont rackettées, harcelées sans répit par les bandits petits et grands. Les appels lancés aux autorités pour assurer un tant soit peu la sécurité des marchés sont restés sans réponse. Ce gouvernement technocrate concocté et mis en place par les Américains livre le pays aux bandits. Eux qui avaient promis d'apporter la paix, la sécurité, le bien-être aux pauvres ont échoué lamentablement comme leurs prédécesseurs à la tête du pays. Leur passage au timon des affaires aura favorisé simplement l'arrivée de nouveaux riches, de nouveaux politiciens qui ont fait fortune dans la corruption généralisée qui caractérise les institutions du pays.

L'incendie du marché "Tête bœuf" a démontré une fois de plus que la population ne doit compter sur aucune force de sécurité, ni la police ni la MINUSTAH, pour lui venir en aide, leur présence dans certaines occasions est plus source d'insécurité. Combien de policiers sont impliqués aux actes de kidnapping, de grand banditisme dans le pays, combien de fois les bandits ont crié "vive MINUSTAH" parce que sa présence les protège de la colère de la population pauvre ?

Malgré le nombre de voyous, de criminels qui opèrent dans la capitale, ils sont toutefois marginaux par rapport aux 2 millions d´habitants environ qui sont à Port-au-Prince. On peut les neutraliser, les réduire au silence. Pour cela, il faut que les pauvres reprennent confiance en eux-mêmes. Certes, les coups de boutoir de la bourgeoisie, du gouvernement contre les travailleurs, contre les masses pauvres comme la montée du prix de l'essence, des prix des produits de première nécessité, encouragent les bandits, on dirait une action synergique, mais il faut chercher cette confiance et cette envie de résister car il n'y a pas d'autre voie de salut pour les masses pauvres.