L'économie capitaliste mondiale

Εκτύπωση
Décembre 2005

Texte approuvé par 98% des délégués présents au congrès

L'année 2004 est présentée, pour ainsi dire unanimement, comme une année de "performances exceptionnelles" pour l'économie mondiale, avec un taux de croissance de plus de 5%, le plus élevé depuis 1976. Et les statistiques d'enchaîner les chiffres: les 4,4% de croissance des États-Unis en 2004, au lieu des 3% en 2003, les 5% de croissance dépassés en Amérique latine et en Asie de l'Est, et même en Afrique (les enfants au corps décharné par la faim du Niger ou du Malawi apprécieraient, s'ils étaient en état de le faire). Seulement pour l'Europe occidentale, il y a quelques bémols, surtout en comparaison des États-Unis. Mais elle a droit quand même à 2% de croissance pour 2004, avec une tendance au ralentissement cependant en 2005.

Ces statistiques prouvent surtout que la bourgeoisie et ses porte-parole se sont adaptés, jusque dans leurs statistiques et leur vocabulaire, à une situation où le progrès de la production réelle est faible, voire inexistant, où les investissements productifs restent, au-delà des fluctuations périodiques, à un niveau bas, où des usines ferment, où le nombre de chômeurs reste dramatiquement élevé et où la notion même de croissance recouvre surtout celle des profits des entreprises, ainsi que l'accroissement des revenus et de la consommation de la bourgeoisie au sens large.

Les phases d'expansion et de recul qui se succèdent, les cycles conjoncturels, se produisent sur le fond d'une économie qui ne parvient pas à sortir de la longue période de dépression commencée au tournant des années soixante et soixante-dix.

Évoquant les traits que la crise de l'économie capitaliste a accentués au long des quelque trente ans de sa durée, le principal étant la financiarisation de l'économie mondiale, nous avons rappelé, dans le texte de congrès de l'année dernière: "...Le rôle accru de la finance a été, dans un premier temps, un effet de la crise: les capitaux inutilisés dans les investissements productifs ont été reportés vers les placements rémunérateurs (suivant la période: achat de bons du Trésor de pays impérialistes, à commencer par ceux des États-Unis; prêt aux États des pays pauvres; achat d'actions et d'obligations; spéculation monétaire; financement d'opérations de fusion-acquisition de grandes entreprises, etc.). Il est devenu maintenant une de ses causes. Le fonctionnement qui s'est mis en place privilégie le profit financier à court terme par rapport aux investissements productifs à long terme.

En fait, tout se passe comme si, en empêchant la crise de production d'aller jusqu'au bout de sa logique, on perturbait son rôle régulateur. Car il faut rappeler que les crises ne sont pas des épiphénomènes de l'économie capitaliste, ses sous-produits accidentels. Elles constituent des phases essentielles de la reproduction capitaliste. C'est à travers les crises précisément que l'économie de marché, mue par la concurrence aveugle, anarchique, rétablit les équilibres entre la production et la consommation solvable, entre les différents secteurs de l'économie, notamment celui des moyens de production et celui des biens de consommation, ainsi qu'entre les différentes fonctions économiques. Ce sont les crises qui, en détruisant une partie du capital productif, en ruinant une fraction de la classe capitaliste elle-même, font place nette, créant les conditions du redémarrage des investissements productifs." (...)

En revanche: "Les "investissements" réalisés par des groupes financiers, comme les fonds de pension, les fonds mutuels, les sociétés d'assurances et les fonds spéculatifs divers, (sont) de purs placements financiers. (...) l'argent n'est pas "investi" (...) pour être immobilisé (...) en investissement productif. Il est destiné à rapporter du profit financier à court terme. (...)

L'accroissement incessant de la part de ce type de financement dans les capitaux d'entreprises industrielles se répercute sur leur gestion. La recherche du maximum de profit à court terme s'oppose aux investissements à plus longue échéance, à l'immobilisation de capitaux dans la construction d'une nouvelle usine, à l'achat de nouvelles machines, etc. Ainsi, c'est le capital le plus concentré, celui qui contrôle les moyens de production les plus puissants de la société qui joue de moins en moins le rôle qui est censé être le sien dans l'organisation de la production sur la base capitaliste." (...)

L'année dite de croissance de 2004 n'a pas inversé les tendances de fond de l'évolution économique, pas plus que les phases d'expansion précédentes -et il y en eut plusieurs- se terminant chaque fois par une crise plus ou moins grave, krach boursier, crise monétaire, crise sectorielle. Bien des éléments qui participent à l'euphorie actuelle, la spéculation immobilière, la relance de la Bourse, l'envolée même des profits, accentuent encore la prépondérance de la finance et les mouvements erratiques de l'argent en quête de placements recèlent de nouvelles menaces de krach.

Depuis 2003, les profits des grandes entreprises sont de nouveau en croissance rapide, avec des records dans la première moitié de 2005. Ils permettent, en premier lieu, de distribuer des dividendes plantureux aux actionnaires, ce qui est à la base de l'enrichissement de la bourgeoisie. Si une petite partie de ces profits élevés s'est transformée en construction de nouvelles usines, de chaînes de montage, etc., cela s'est fait principalement dans le but de se rapprocher de quelques nouveaux marchés de consommation qui se sont ouverts depuis l'ouverture des pays de l'est européen ou de la Chine. Dans les pays industriels développés, il n'y a pratiquement que des investissements de renouvellement (pour remplacer du matériel devenu obsolète ou pour modifier de nouvelles chaînes de montage en fonction de la charge nouvelle afin de sortir de nouveaux modèles, etc.). L'essentiel de ce que les statistiques enregistrent comme des investissements consiste en de simples rachats d'entreprises concurrentes, avec leurs usines déjà existantes, leurs brevets, leurs laboratoires de recherche et, surtout, leurs parts de marché. Ralenti un moment par la crise boursière de 2001-2002, le mouvement dit de "fusions-acquisitions" connaît un nouvel essor redonnant de la vigueur au marché boursier (20% de progression à la Bourse de Paris depuis le début de l'année 2005). Une autre utilisation en vogue des profits élevés consiste, pour une entreprise, à racheter au prix fort ses propres actions et à valoriser ainsi sur le plan boursier la fortune des actionnaires. La "croissance" reste celle de la finance et pas de l'investissement productif.

La phase d'expansion de l'économie mondiale serait, nous dit-on, tirée en avant par celles, présentées comme complémentaires, des États-Unis et de la Chine.

La prétendue croissance américaine repose sur l'envolée de l'immobilier et sur celle de la consommation. Les deux sont d'ailleurs étroitement liées: l'envolée, pour une large part spéculative, de l'immobilier valorise la propriété immobilière qui sert, à son tour, comme caution hypothécaire auprès des banques qui accordent généreusement des crédits à la consommation, dont les couches les plus pauvres des classes populaires, les chômeurs, etc., sont tenus à l'écart. Les statistiques sur l'accroissement de la consommation américaine sont telles qu'elles dissimulent le fait que seuls les hauts revenus s'accroissent, favorisés de plus par des politiques fiscales, en même temps que recule le pouvoir d'achat d'une grande partie des salariés et que le montant des aides sociales est brutalement réduit. Les inégalités sociales atteignent une ampleur sans précédent.

Il est significatif cependant que, même aux États-Unis, locomotive de l'économie mondiale, si la consommation intérieure s'est accrue de 35% depuis 2000, avec une nette accélération en 2004, la production industrielle globale n'a augmenté en volume que de 5% depuis 1997, et pas du tout depuis 2000 (les chiffres sont ceux du Bureau of Economic Analysis, organisme statistique dépendant du ministère du commerce des États-Unis).

Il faut croire que la classe capitaliste américaine elle-même n'est pas dupe de l'actuelle euphorie de consommation basée sur le crédit et, donc, sur l'endettement des particuliers. Elle n'y voit pas un élargissement du marché suffisamment prometteur pour le futur pour investir massivement et accroître l'appareil productif.

Les multinationales américaines ont profité cette année d'un amendement voté en catimini en 2004 qui leur permet de ne payer que 5,25% de taxe, au lieu de 35% théoriquement, en cas de rapatriement de leurs bénéfices réalisés ailleurs dans le monde. En une année, ces grandes entreprises américaines auront rapatrié la somme fantastique de 350 milliards de dollars. L'amendement a été voté pour "favoriser les investissements" à l'intérieur des États-Unis mêmes et pour créer des emplois. Mais, comme le note fort justement Le Monde, cette somme servira pour ainsi dire exclusivement à "alimenter la vague de fusions et acquisitions à Wall Street".

Les seuls investissements qui sont relancés s'adressent au secteur dit des "nouvelles technologies", qui sont du coup sorties de l'effondrement consécutif au krach de 2001. Ce sont les équipements en ordinateurs, en informatique ou en télécommunications qui font que, pour les statistiques, les investissements sont de nouveau en croissance depuis 2003, après un recul important les années précédentes.

La totalité de l'augmentation de la demande intérieure aurait été satisfaite par les importations (constat du Centre d'études internationales, CEPII). C'est donc, en effet, la demande très forte de l'immense marché américain qui tire en avant l'ensemble de l'économie mondiale.

Mais le fait que la consommation privée américaine en croissance soit satisfaite par des importations se reflète dans le déficit commercial également croissant des États-Unis, qui est passé de 150 milliards de dollars en 1997 à 700 milliards de dollars en 2004. Ce déficit est comblé par des placements d'argent provenant des excédents commerciaux, notamment de pays comme la Chine, Taïwan ou la Corée du Sud. Malgré l'affaiblissement actuel du dollar, l'économie américaine demeure en effet la plus puissante du monde, la seule à inspirer confiance aux bourgeoisies des différents pays. Tout se passe comme si ces pays sous ou semi-développés utilisaient l'épargne forcée réalisée sur leurs classes laborieuses pour financer la consommation des classes aisées du pays le plus riche. C'est une des expressions de l'évolution de l'économie mondiale en économie de rentiers au profit de la bourgeoisie, grande et petite, des puissances impérialistes du monde, et de la première d'entre elles, les États-Unis.

Disposant, grâce au rôle du dollar, principale monnaie d'échange et de réserve dans l'économie mondiale, du privilège de faire partager la détérioration de leur monnaie au monde entier, les États-Unis continuent à s'endetter. L'économie américaine fonctionne sur une montagne de dettes: celle de l'État lui-même, celles de ses grandes entreprises, celles des particuliers. La croissance incessante de cet endettement joue un rôle majeur dans la croissance des masses monétaires à l'échelle du monde qui, en ne s'investissant pas, aggravent la financiarisation de l'économie et la menace récurrente de krachs.

La Chine, de son côté, est dès à présent présentée comme le deuxième pôle de développement de l'économie mondiale, quand ce n'est pas comme une future rivale des États-Unis. Après une longue période de quasi-autarcie, le commerce extérieur chinois progresse depuis un quart de siècle au rythme de 15% par an. Sa part dans les échanges internationaux est passée pendant la même période de moins de 1% à 5%. Le poids des échanges internationaux dans l'économie chinoise serait, aujourd'hui, deux fois plus important qu'au Brésil ou en Inde et comparable à celui de l'économie mexicaine.

Les dirigeants de la Chine ont réussi à réintégrer le pays dans les circuits de l'économie capitaliste mondiale. Tout en gardant, contrairement à l'ex-Union soviétique, l'étiquette communiste du régime, l'État chinois réussit là où l'État russe a partiellement échoué: en conduisant d'une main de fer une transition économique qui fait qu'aujourd'hui plus de la moitié du PIB chinois serait le fait d'entreprises privées.

Pendant près de trente ans, entre 1950 et le début de ladite "stratégie de l'ouverture" en 1979, l'État chinois a préservé la perspective d'un certain développement bourgeois grâce à la rupture des liens antérieurs de subordination avec les puissances impérialistes suite à la prise du pouvoir par Mao. Les barrières protectionnistes dont le régime a entouré le pays, complétant les effets du blocus imposé par l'impérialisme américain, l'étatisme, le monopole du commerce extérieur ont coupé la Chine de l'économie mondiale et des avantages de la division internationale du travail. Mais elles l'ont également protégée de l'envahissement des groupes industriels des pays impérialistes et de leurs prélèvements directs. Elles lui ont permis de centraliser, par l'intermédiaire de l'État, les moyens nécessaires à un certain nombre de grands travaux d'infrastructure et à l'extension des industries lourdes. À l'exception de quelques courtes périodes, la Chine a été, durant ces trente ans et grâce à la centralisation étatique, l'un des pays où les investissements en capital fixe étaient le plus élevés. Ils se sont faits au détriment de la consommation des classes laborieuses des villes et des campagnes.

Si une couche privilégiée s'est toujours maintenue, le développement économique s'est fait cependant dans un certain égalitarisme pour les classes populaires qui, tout en n'ayant qu'un niveau de vie extrêmement bas, pouvaient cependant compter sur une certaine protection de l'État dans les domaines de la santé, de la retraite, etc. C'est cet égalitarisme qui est en train d'être complètement démantelé.

C'est sur la base de cette accumulation antérieure que la Chine s'est engagée dans l'évolution actuelle qui a conduit à l'enrichissement exceptionnellement rapide de la bourgeoisie chinoise. Cet enrichissement est rendu spectaculaire par l'apparition de quelques milliardaires à la tête de fortunes comparables à celles de leurs semblables de bien d'autres pays semi-développés du monde (Brésil, Mexique, etc.) mais aussi par l'émergence d'une bourgeoisie moyenne plus vaste, créant ou s'appropriant une myriade de petites entreprises disséminées dans l'immensité rurale du pays et, à en juger par les quelques informations qui parviennent, menant avec l'appui de l'appareil d'État local une guerre de classe féroce contre la population des campagnes. Pour être proportionnellement peu nombreuse par rapport à l'ensemble d'une population d'un milliard trois cents millions d'habitants, cette classe privilégiée chinoise avec des habitudes de consommation singeant l'Occident, estimée à une trentaine de millions de personnes et peut-être cinquante millions, représente cependant, en valeur absolue, un marché important. L'enrichissement de cette minorité privilégiée repose sur l'exploitation de la classe ouvrière et sur l'immense misère des campagnes. Les deux étant liées comme cela est le cas dans l'économie capitaliste: la poussée de masses importantes fuyant les campagnes qui ne permettent plus de survivre offre à la bourgeoisie chinoise et, plus encore, aux groupes impérialistes associés à l'évolution économique du pays une main-d'œuvre parmi les moins chères du monde.

Constatant le démantèlement des protections sociales antérieures qui assuraient à la quasi-totalité de la population urbaine une couverture maladie et une retraite, les organismes internationaux de la bourgeoisie, jusqu'à la Banque mondiale, donnent à l'État chinois des conseils pour qu'il veuille bien remédier dans une certaine mesure à une situation sociale, voire sanitaire, catastrophique et lourde de dangers d'explosion (cette situation étant attribuée au caractère "communiste" du régime). Admonestation d'autant plus hypocrite cependant que cette grande puissance pauvre qu'est l'Inde, qui n'a jamais quitté le giron de l'impérialisme, n'est vraiment pas un modèle en matière de protection des classes pauvres.

Quant à parler, comme le font certains, du "partenariat" de fait États-Unis/Chine qui serait l'élément moteur de l'économie mondiale, c'est une escroquerie. Comme c'est une escroquerie de prétendre que la croissance de l'économie chinoise représenterait une menace pour les pays impérialistes développés, en particulier pour les États-Unis. Les liens économiques entre les États-Unis et la Chine ne sont pas des liens égalitaires, mais des liens de pays impérialiste à pays sous-développé. Les fameuses exportations chinoises qui seraient si menaçantes pour les industries des pays développés sont pour les trois quarts le fait d'entreprises étrangères implantées en Chine ou directement associées en joint-ventures à des entreprises chinoises. La Chine a été, en 2004, au deuxième rang des pays destinataires des flux de capitaux étrangers, dans les cinq premiers par le montant total du stock de ces capitaux. La part de ces capitaux qui n'est pas simplement placée mais investie en création d'entreprises nouvelles, venant principalement du Japon, de Taïwan ou de la diaspora de la bourgeoisie chinoise en Asie du sud-est, domine largement les secteurs les plus modernes de l'industrie chinoise (électronique, électroménager, assemblage) et ses exportations.

La majeure partie du commerce extérieur chinois se fait, aussi bien à l'importation qu'à l'exportation, avec les pays plus industriels de l'Est asiatique. Une bonne partie de ces échanges-là sont des mouvements à l'intérieur de mêmes groupes industriels pour lesquels la Chine n'est qu'un lieu d'assemblage, une étape dans un processus de production dont la maîtrise -et les profits- se trouvent à l'extérieur de la Chine et qui n'est que partiellement destiné au marché chinois.

En échangeant ses marchandises à très bon marché, grâce aux salaires extrêmement bas de ses travailleurs, la Chine échange beaucoup de travail humain contre moins de travail humain, pour le plus grand profit du grand capital étranger. Ce qui est le mécanisme même du processus du sous-développement. Les principaux bénéficiaires de l'exploitation des ouvriers chinois sont, d'une part, ces grandes entreprises étrangères dont dépend l'industrie chinoise de l'assemblage. Aux États-Unis et en Europe, dont les importations proviennent surtout des secteurs traditionnels de l'économie chinoise (textile, habillement, chaussure, etc.), l'exploitation des ouvriers chinois profite d'autre part aux mastodontes de la distribution: les chaînes des hypermarchés américains, avec, en tête, Wal-Mart, une des plus puissantes entreprises américaines avec un chiffre d'affaires supérieur au Produit Intérieur de la Grèce ou de la Finlande, ou, en France, Carrefour, première entreprise de distribution en Europe. Ces trusts qui s'approvisionnent en Chine profitent des bas salaires de là-bas non pas pour abaisser les prix pour les consommateurs en Amérique ou en Europe, mais pour augmenter leurs marges de bénéfices.

De plus, les échanges à l'intérieur du "couple" États-Unis/Chine ne sont que partiellement des échanges car les États-Unis paient leurs importations en provenance de Chine par des dollars déposés aux États-Unis en partie par la Chine elle-même. Il s'agit d'un transfert de valeurs d'un grand pays sous-développé vers la principale puissance impérialiste. Si, dans le passé et contrairement aux affirmations des dirigeants maoïstes, il n'y avait pas de salut pour la Chine dans une économie fonctionnant en quasi-autarcie, l'ouverture engagée depuis une vingtaine d'années vers le marché capitaliste mondial est en train de tisser et de serrer le nœud coulant autour des classes laborieuses chinoises. Ce qui n'empêche pas, soit dit en passant, "nos" capitalistes d'ici d'évoquer la menace des marchandises chinoises pour réduire les salaires et licencier les travailleurs d'ici.

Au-delà des entreprises à capitaux étrangers, des entreprises à capitaux chinois sont ou pourront être capables, pour certains produits, de concurrencer les marchandises occidentales sur le marché international. La menace de rétablir des quotas, présentée et plus ou moins réalisée par les États-Unis ou par l'Union européenne, a montré que sur ce terrain les grands pays impérialistes peuvent revenir en arrière et ne pas laisser la Chine les concurrencer, pas en tout cas sur leurs propres marchés. Le principal obstacle face aux mesures protectionnistes des grands pays impérialistes réside actuellement dans le fait que la Chine elle-même représente un marché et de surcroît en croissance. Les groupes capitalistes d'Europe occidentale ou d'Amérique acceptent d'autant plus facilement la concurrence chinoise pour les T-shirts, autres produits textiles ou chaussures qu'ils peuvent exporter sur le marché chinois des avions, des trains à grande vitesse, etc.

La consommation à crédit de la grande et petite bourgeoisie, la sarabande des placements au lieu des investissements productifs, voilà les deux mamelles de la prétendue croissance économique actuelle. Mais le recul incessant de la part de la classe ouvrière dans le revenu national se traduit par un recul de sa consommation. À abaisser la capacité de consommation des classes exploitées, la classe capitaliste ferme elle-même la possibilité de sortir de la crise. Pour remédier à la sous-consommation des salariés, on augmente de façon artificielle -cadeaux fiscaux et crédits- la consommation des couches aisées. Mais cela contribue encore à accentuer la financiarisation de l'économie.

L'envolée des prix du pétrole depuis un an est une des manifestations de la phase actuelle de la crise de l'économie capitaliste. Contrairement aux mensonges véhiculés pour formater l'opinion publique mondiale, cette crise n'est, pas plus que les deux précédentes crises pétrolières, un phénomène naturel, expression du caractère limité des ressources pétrolières. Elle est due fondamentalement au fait que les grands trusts du pétrole n'investissent pas ou investissent peu depuis des années dans la prospection et l'exploitation de nouveaux gisements pétroliers (le montant des investissements de Total -champion toutes catégories pourtant du profit en France cette année- est estimé par les spécialistes à la moitié de ce qu'il devrait être. Idem pour les trusts pétroliers des États-Unis qui n'ont pas construit de nouvelles raffineries depuis 29 ans parce qu'elles ne dégagent pas de rentabilité suffisante aux yeux des "majors").

Les trusts du pétrole préfèrent réaliser plus de profits sur une production stagnante, voire en baisse, en profitant de leur position de monopole qui leur permet de contrôler l'approvisionnement du monde en pétrole.

La nouveauté, et un facteur aggravant, de la crise actuelle du pétrole par rapport au premier "choc pétrolier" de 1973 est que, durant la trentaine d'années qui se sont écoulées depuis, la financiarisation de l'économie mondiale s'est aggravée et que des masses incommensurablement plus importantes de liquidités cherchent sans cesse à se placer de façon avantageuse. Le mouvement de hausse voulu par les trusts du pétrole, en attirant les placements financiers, alimente à son tour la hausse. Il en va du pétrole comme, à d'autres moments ou aux mêmes, de la spéculation boursière ou immobilière, de la spéculation sur d'autres matières premières.

Le premier choc pétrolier a été à l'époque, à travers le mouvement dit du recyclage des pétro-dollars, un facteur d'aggravation de la crise monétaire et une des phases essentielles de la financiarisation de l'économie. Les profits fantastiques actuels des trusts pétroliers risquent d'entraîner des conséquences similaires. Il se peut qu'ils soient partiellement utilisés à des investissements nouveaux rendant rentables des gisements de plus mauvaise qualité ou plus coûteux à exploiter, voire d'autres sources d'énergie. Mais rien ne garantit que, même à la tête de liquidités considérables, les trusts du pétrole ne continuent pas leur attitude malthusienne en matière de production et que leurs capitaux accrus ne continuent pas à gonfler surtout les circuits financiers de l'économie mondiale.

Ce mouvement de rachats ou de prises de contrôle se produit pour l'essentiel entre grands groupes capitalistes américains et de pays impérialistes européens. Les fusions-acquisitions qui ne se produisent pas à l'intérieur même soit des États-Unis, soit de l'Union européenne, sont des opérations transatlantiques, c'est-à-dire des capitaux américains qui viennent se placer en Europe et des capitaux européens qui vont se placer aux États-Unis. La part des actionnaires étrangers dans les entreprises du CAC 40 -les 40 premières entreprises par leur capitalisation boursière en France-, qui était de 10% en 1985, atteignait près de 44% en 2003 (les seuls fonds de pension américains et britanniques en détiennent plus de 25%).

Inversement, près des trois quarts des investissements étrangers aux États-Unis sont européens. Il en résulte une interpénétration croissante des capitaux des grands groupes industriels et financiers de part et d'autre de l'Atlantique.

À l'exception d'une dizaine de pays pauvres qui attirent des investissements productifs -outre la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, le Mexique ou le Brésil-, la grande majorité des pays sous-développés ne sont intégrés dans les circuits de capitaux que par le biais de l'endettement. Quant aux plus pauvres, ceux pour lesquels on a inventé l'expression "pays les moins avancés" (PMA), ils sont complètement marginalisés, et leur part dans les échanges mondiaux est devenue insignifiante. L'économie capitaliste condamne une fraction croissante de l'humanité à la mort lente.

Fait caractéristique des relations entre les pays impérialistes et les pays non impérialistes: si des sommes importantes venues non seulement de Chine mais aussi du Brésil, de l'Inde, du Mexique, de la Corée du Sud, de Taïwan, sont placées aux États-Unis et permettent à ces derniers de maintenir leur balance des paiements en équilibre malgré leur déficit commercial, le mouvement des capitaux n'est pas de même nature et n'a pas la même signification dans les deux sens.

Alors que l'argent des grands pays pauvres ayant des excédents se dépose aux États-Unis sous forme de bons du Trésor, d'obligations émises par des entreprises privées ou, plus simplement, sous forme de dépôts en banque, les capitaux américains, eux, sont placés sous forme de prises de participation dans les entreprises. En d'autres termes, les capitaux déposés par les pays pauvres aux États-Unis ne leur donnent aucune prise pour contrôler l'économie américaine; les capitaux placés par les trusts américains contrôlent les entreprises et peuvent les ruiner.

Quelle que soit la façon simple ou compliquée dont telle ou telle catégorie de la bourgeoisie accède aux "fruits de la croissance", il s'agit toujours en dernier ressort de la plus-value extraite de la classe ouvrière. L'intégration de nouveaux contingents de prolétaires -ceux de Chine et de quelques grands pays pauvres dits émergents- dans les circuits économiques mondiaux n'est qu'un des moyens d'augmenter la plus-value disponible pour la bourgeoisie mondiale. La grande bourgeoisie, les groupes capitalistes n'ont pas plus confiance aujourd'hui qu'hier dans une relance et dans un élargissement continu du marché mondial, susceptibles de leur procurer plus de profit par l'accroissement de la production. Augmenter la plus-value absolue et relative est le seul moyen dans ce contexte d'accroître la plus-value globale. Cela signifie l'abaissement du coût de la force de travail, l'accroissement de sa durée et de son intensité. Partout, le patronat abaisse les salaires, remplace les contrats stables par des contrats précaires, allonge l'horaire de travail. Les gouvernements, de leur côté, s'efforcent de baisser les salaires indirects. D'où les attaques contre les retraites, contre l'assurance-maladie, etc. Si la guerre de classe menée par la bourgeoisie et ses États s'aggrave dans tous les pays du monde et si tous les gouvernements agissent dans le même sens, c'est qu'elle provient d'une exigence profonde de l'économie capitaliste.

Cela fait près de vingt ans que s'écroulent ou sont démolis les obstacles qui, dans la période antérieure, avaient dans une certaine mesure limité la libre pénétration des capitaux partout dans le monde. L'écroulement de l'Union soviétique leur a ouvert les portes des États héritiers. Les ex-Démocraties populaires ont complètement réintégré le marché capitaliste mondial, ainsi que le fait la Chine. Ceux des pays pauvres qui avaient tenté, dans le passé, d'opposer un certain étatisme à la mainmise des groupes impérialistes ont levé, les uns après les autres, ces obstacles.

Fait plus important sans doute, l'affaiblissement du mouvement ouvrier a laissé les mains libres au grand capital partout, y compris dans les grands pays industriels.

Mais les nouveaux champs d'action ouverts devant les grands groupes industriels et financiers n'ont pas ouvert une nouvelle période d'essor devant le capitalisme. La domination du capital financier sur l'économie capitaliste aggrave seulement le caractère parasitaire, usuraire, du capital. Les inégalités ne cessent d'augmenter entre les classes laborieuses et la bourgeoisie, entre quelques grandes fortunes et la majorité de la population de la planète, entre pays riches et pays pauvres.

Produit lui-même du développement capitaliste, agissant à l'intérieur de l'ordre social actuel, le mouvement ouvrier n'a jamais été à l'abri de la pression de la société telle qu'elle est. Le développement de l'impérialisme à la fin du XIXe siècle avait entraîné la dégénérescence réformiste du mouvement ouvrier. Les défaites de la première grande vague de révolutions ouvrières en 1917-1919 laissant l'Union soviétique isolée, suivies dix ans après par la grande crise économique, la montée des régimes réactionnaires et du nazisme, ont entraîné la dégénérescence stalinienne. La pourriture de l'impérialisme d'aujourd'hui se traduit, dans le domaine des idées, par la montée d'une multitude de formes d'idées réactionnaires, des intégrismes religieux en tout genre, de l'ethnisme, sans parler de la glorification permanente du capitalisme présenté comme la seule forme de société possible.

Le marxisme, même sous sa forme déformée par le stalinisme, frelatée, a reculé en conséquence.

C'est précisément cette montée des idées réactionnaires qui rend vitales la préservation et la défense des idées et du programme marxistes. Seul le programme communiste, le marxisme révolutionnaire qui, pour paraphraser Marx, cherche à comprendre la société pour la transformer, donne une perspective politique aux futurs combats de la classe ouvrière. Et ce sont l'évolution même du capitalisme, son incapacité à résoudre les problèmes de la collectivité qui finiront, tôt ou tard, par faire renaître un mouvement ouvrier révolutionnaire capable de reprendre son rôle historique. Car, par delà l'évolution interne de l'économie capitaliste, la classe ouvrière mondiale est toujours la seule force susceptible de transformer la société.

17 octobre 2005