Prospérité ? Mais pour qui ?

Yazdır
24 avril 1998

Ce n'est pas à l'unification monétaire d'un continent comme le continent européen que les travailleurs ont à s'opposer. Les travailleurs n'ont aucune raison de défendre le passé, cette économie européenne divisée en ensembles trop petits, compartimentée en éléments séparés par des réglementations différentes, par la nécessité de changer de monnaie chaque fois que l'on traverse une frontière, selon des taux de change aux variations erratiques.

Mais est-ce que cette unification monétaire, partielle et fragile, changera vraiment quelque chose ? Et d'abord est-ce qu'elle résoudra les problèmes qui sont aujourd'hui ceux de la population de tous les pays européens, le chômage, la précarité, les bas salaires et la pauvreté ? Autrement dit est-ce que ce sera vraiment un progrès pour les hommes, pour la population laborieuse du continent en général ?

Bien sûr, ceux qui se font les partisans enthousiastes de la monnaie unique nous disent que ce sera une bonne chose car cela permettra enfin aux grandes sociétés européennes de se mesurer sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis et le Japon. Ainsi, disent-ils, on sortira de la stagnation pour entrer dans une période de prospérité pour l'Europe.

Mais même si cela était vrai, et ce n'est même pas sûr, ce serait la prospérité pour qui ? Est-ce que la prospérité de trusts comme Alcatel, Peugeot ou Renault, Thomson, Dassault et bien d'autres a empêché un seul plan de licenciements ? Est-ce que cela va changer parce qu'il y aura une monnaie unique ? Bien sûr que non. On nous parlera peut-être moins de la concurrence européenne, et encore, mais alors on nous parlera de celle du Japon, des Etats-Unis et du Sud-Est asiatique pour nous expliquer la nécessité des licenciements, de la flexibilité, des bas salaires et de tout le reste.

Mettre un terme à cela, ce n'est pas une question de monnaie unique ou de monnaies séparées. Ce n'est pas la question de faire l'Europe ou non. C'est une question de rapport de forces entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, et cela ne se pose pas différemment en Allemagne qu'en France ou ailleurs car les patrons ne sont pas différents. Cela ne se posera pas différemment dans l'Europe de la monnaie unique. Il faut que la classe ouvrière s'organise et se batte pour imposer un autre rapport de forces et faire reculer le patronat, qu'il soit français, allemand ou européen. Il faut poser les problèmes en terme de classe, et pour la classe ouvrière cela peut devenir vraiment une question de vie ou de mort.

C'est là que les partis prétendant représenter la classe ouvrière, comme le PCF en France, portent une grave responsabilité politique en faisant dévier cette question-là, cette question vitale, sur le faux débat de l'approbation ou non du traité de Maastricht et du passage à l'euro. La question de l'Europe, la question de l'euro, c'est une question d'organisation du capitalisme, un débat interne aux bourgeoisies d'Europe. Ou plutôt ce n'est même pas un débat, c'est une série de marchandages et une question de gros sous. On nous trompe quand on fait semblant de nous demander notre avis, voire de faire se prononcer l'ensemble de la population sur cette question, comme si le problème pour les travailleurs était de choisir le libellé des billets de banque avec lesquels on les paiera... très mal !

Alors, Europe ou pas Europe, monnaie unique ou pas, la situation pour les travailleurs ne peut changer que s'ils savent se battre en tant que classe, si cette fois c'est eux qui imposent leurs intérêts au patronat au lieu du contraire, sans laisser dévoyer leurs luttes sur de fausses questions.